Lors de son discours de clôture de la conférence environnementale, le premier ministre a annoncé diverses mesures envers les producteurs d'électricité renouvelables, ou plus exactement l'éolien et le solaire. Ces mesures ressemblaient pour certaines aux recommandations d'un rapport de l'administration: ainsi Jean-Marc Ayrault a-t-il annoncé un assouplissement du zonage pour faciliter l'implantation d'éoliennes.

Mais ce rapport est aussi intéressant par ce qu'il montre les contradictions de la politique que veut mener le gouvernement ou, en tout cas, qu'elle est contraire aux intérêts des consommateurs et à ce qu'il faudrait faire pour diminuer efficacement les émissions de CO₂ en France. Ces contradictions sont apparentes dès le début du rapport, avec les deux premiers paragraphes de la synthèse. On nous dit au premier paragraphe que l'éolien et le solaire doivent être subventionnés. Au deuxième, on nous explique que l'éolien et le solaire ne pourront, pour des raisons techniques, permettre la réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50%: il ne reste donc que les combustibles fossiles pour combler le manque.

De l'éolien et du solaire à bas prix?

La première recommandation du rapport est de préserver une part conséquente de production d'électricité à bas coût. Des esprits forts pourraient en déduire que le rapport devrait s'arrêter dès son introduction puisque de fait, en France, la production d'électricité combine à la fois bas coûts et faibles émissions de CO₂. Les seuls besoins concernent des installations permettant de répondre à des périodes de forte demande à l'ajustement de la production au cours de la journée, bref, des moyens de production pilotables, ce que ne sont pas l'éolien et le solaire photovoltaïque. On sent aussi les rédacteurs du rapport, qui ont lu le bilan prévisionnel 2011 de RTE, très similaire dans ses conclusions à celui de 2012 en ce qu'il annonce une hausse des émissions de CO₂ en cas de diminution de la part du nucléaire, un peu gênés aux entournures, puisqu'ils recommandent aussi de regarder d'autres sources d'électricité que l'éolien et le photovoltaïque (recommandation n°5). Évidemment, la lettre de mission adressée aux fonctionnaires ne leur permet pas de s'arrêter là.

Ils recommandent donc d'assouplir les contraintes pesant sur l'installation d'éoliennes, de façon à accélérer les procédures, augmenter le nombre de terrains disponibles, changements qui peuvent diminuer le prix de l'électricité éolienne toutes choses égales par ailleurs. Cela dit, l'article du Figaro mentionne que le lobby de l'éolien espérait une augmentation des tarifs de rachat qu'il n'a obtenue que pour les DOM-TOM sous les atours de tarifs spéciaux pour eux et pour les zones cycloniques. Le rapport recommande aussi de mettre fin aux tarifs spéciaux du photovoltaïque prévoyant une prime pour l'intégration au bâti. Du point de vue du consommateur, cette prime ne fait que renchérir inutilement le prix de l'électricité.

Mais le rapport contient aussi tous les éléments qui montrent que la politique menée jusqu'ici va coûter fort cher. On y trouve p39 les prévisions de subventions qui se monteraient à 8G€ en 2020 — contre 2G€ en 2012 — ce qui alourdirait la facture des particuliers de 10€/MWh hors taxes. On y voit que les 2 principaux contributeurs seraient le solaire photovoltaïque et l'éolien en mer. Et de fait, on peut s'apercevoir, au gré des appels d'offres, que le solaire photovoltaïque est payé, pour les nouvelles constructions, 208€/MWh pour les plus grosses installations tandis que l'éolien en mer coûte la bagatelle de 228€/MWh.

Quant à espérer des baisses de prix, en dehors du photovoltaïque, elles risquent de se faire attendre. Ainsi, le BDEW, association industrielle allemande regroupant entre autres les producteurs d'électricité, a publié un document sur les perspectives allemandes de la production d'électricité renouvelable, dont l'essentiel est traduit dans ce document de Sauvons le Climat. On y trouve ce graphe p64: prix_EnR_complet.jpg On y voit qu'à part le photovoltaïque dont le prix d'achat moyen passe de complètement délirant à simplement exorbitant, toutes les autres sources voient leurs prix d'achat moyens augmenter ou stagner.

Les appels d'offres, remède à la dérive des coûts?

Pour essayer de limiter les coûts, les auteurs préconisent d'arrêter les tarifs de rachats à guichet ouvert pour passer sur un régime d'appel d'offres. On voit mal comment une telle politique peut s'adapter à l'installation de panneaux photovoltaïques par les particuliers, les plus chers, et un facteur de dérive des coûts restera donc toujours de ce fait. Mais le problème, c'est que cette politique est à double tranchant. Les appels d'offres peuvent permettre de limiter les coûts pour les technologies dont les coûts baissent rapidement en empêchant qu'un effet d'aubaine ne se crée. Les possibilités de construire sont limitées en volume, seuls les offres les moins chères sont sélectionnées. Mais si au contraire les coûts sont en hausse, c'est l'inverse qui se produit.

Et la lettre de mission adressée aux auteurs est lourde de facteurs de hausses des coûts. En effet, les ministres entendent que l'essor de la production d’électricité renouvelable crée des emplois. Cela se traduit par la recommandation 14 où on nous dit qu'il serait bon qu'il y ait des contraintes en termes de contenu local. On nous dit aussi qu'il faut utiliser à cet égard toutes les possibilités de la réglementation européenne, ce qui laisse entendre que les possibilités ne sont pas si grandes que cela.

Regardons les résultats. Les appels d'offres sont la norme pour les installations photovoltaïques de taille moyenne ou grande (>100kW) depuis que le gouvernement s'est fait déborder par la chute des prix des panneaux. Actuellement, le rapport fait état d'un prix possible de l'électricité photovoltaïque de 170€/MWh (p32) à l'heure actuelle en France. Comme on l'a déjà vu, le prix réellement accordé est de 208€/MWh. On ne peut pas dire que les appels d'offres révèlent le prix cible. Mais il y a mieux: p59, les auteurs déclarent qu'au moins un industriel nous a indiqué qu’il parvenait dans ses installations à 100€/MWh en France. On ne saurait trop conseiller à cet industriel de déposer séance tenante une offre à ce prix et de le faire savoir, histoire de faire taire les critiques. Quant à l'aspect du contenu local, on s'aperçoit que la plupart des fabricants de cellules sont en perte (p65), parfois dans des proportions très importantes vis-à-vis de leur chiffre d'affaires. Un approvisionnement local ne peut alors conduire qu'à un fort renchérissement des offres puisque les fabricants disposeraient d'un marché captif. Pour ce qui est de l'éolien en mer, la France s'est distinguée par un prix délirant de 228€/MWh dans un appel d'offre qui correspond à ce que les auteurs recommandent. En Allemagne, le tarif est de 150€/MWh et des champs se construisent à ce prix. Par contre, pas de baisse des prix en vue, comme le montre le graphe ci-dessus: les prix sont à la hausse. Bref, difficile de croire que les appels d'offres vont véritablement offrir de meilleurs prix pour les consommateurs et contenir l'envolée des subventions.

De façon générale, comme les auteurs le remarquent, la France n'a pas construit d'industrie du photovoltaïque ou de l'éolien: chercher à la construire maintenant semble donc une erreur puisque des acteurs sont déjà bien installés et ont amorti une partie de leurs usines. Cela leur donne un avantage compétitif. Mieux vaudrait donc se lancer dans d'autres filières, comme celles du stockage de l'énergie, vu que celui-ci s'adapte à tous types de mix de production et permettrait de remplacer les centrales à combustibles fossiles en France.

Quid de la prime de marché?

Les auteurs recommandent aussi une autre façon de subventionner les énergies renouvelables: la prime de marché (recommandation n°13 & p41). Il s'agirait, au lieu de racheter l'électricité à prix fixe, de donner le prix du marché plus une prime, ce qui inciterait le producteur à se soucier du moment où il injecte du courant sur le réseau de façon à maximiser ses rentrées d'argent. Évidemment, pour des sources fatales pures, c'est assez inutile: l'injection sur le réseau n'est pas maîtrisable. Les producteurs seront alors incités à réclamer une prime qui va simplement renvoyer au prix garanti d'achat, c'est ce qui s'est passé en Allemagne. Cependant, cette méthode peut pousser le développement de technologies de stockage. Mais elle permet aussi de rémunérer l'électricité renouvelable non pas en fonction des coûts des différentes technologies, comme actuellement, mais en fonction du service rendu. Le bonus pourrait être ainsi fixé en fonction du gain réel attendu en termes d'émissions de CO₂. Si on subventionnait 100€/t de CO₂ évitée — 10 fois le prix du marché actuel — cela conduirait à un bonus maximum situé entre 5 et 10€/MWh pour les sources fatales et qui décroîtrait au fur et à mesure que l'électricité serait moins carbonnée, pour peu, bien sûr, que ces énergies participent réellement à la diminution des émissions de CO₂ en France. En effet, les émissions directes (par opposition à une analyse sur un cycle de vie) de l'électricité seule sont comprises entre 50 et 60g/kWh (source, p225) et environ 80g/kWh si on prend en compte la production de chaleur. L'incitation serait par contre nettement plus forte pour les moyens mobilisables à la demande, ceux dont on a réellement besoin. Évidemment, une telle éventualité n'a pas été envisagée par le premier ministre dans son discours.

La lecture de ce rapport est aussi une improbable publicité en creux pour le parc de production d'électricité actuel en France. Voilà une industrie essentiellement locale: la France possède toutes les installations du cycle nucléaire sauf les mines d'uranium. Les barrages sont aussi une industrie éminemment locale: il s'agit de les construire et de les entretenir. La production est aussi essentiellement décarbonée: le rapport rappelle les analyses de l'ADEME sur le cycle de vie des différentes sources d'électricité (p32): les barrages émettent 4g/kWh, le nucléaire 8g/kWh, l'éolien 15g/kWh, le solaire photovoltaïque 50g/kWh.

En conclusion, on voit que le gouvernement va devoir choisir: soit continuer à subventionner les énergies renouvelables dans la production d'électricité pour obtenir dans le meilleur des cas un gain faible en termes d'émissions de CO₂ — mais plus probablement une hausse — et le faire payer très cher aux Français, soit changer de stratégie et se tourner vers des technologies de stockage — disposer d'un stock d'énergie rapidement et facilement mobilisable est l'atout principal des combustibles fossiles — où il y a des places à prendre, ou encore se tourner vers les secteurs qui constituent actuellement l'essentiel des émissions françaises: le chauffage et les transports qui recèlent sans nul doute des gisements de réduction à plus bas coût. L'amateurisme de ce gouvernement, les décisions annoncées lors de la conférence environnementale et ses projets laissent craindre qu'évidemment, on continuera dans la première voie.