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23 décembre 2017

Médiation

Le mercredi 13 décembre, la fameuse médiation sur le sujet du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes a rendu son rapport au Premier Ministre. Le gouvernement a promis une décision d'ici la fin du mois de janvier. Suite à la publication du rapport, les 3 personnes nommées pour mener cette consultation ont donné une interview conjointe à Ouest-France et au Monde. Ouest-France, évidemment très concerné par le projet, en a tiré 3 articles: une partie de l'interview sous forme de questions-réponses, le reste de l'interview sous la forme d'un compte-rendu ainsi qu'un making of relatant les conditions de ladite interview. Le Monde publie quant à lui l'interview sous la forme de questions-réponses.

Évidemment, l'impartialité des personnes mandatées a été mise en cause dès le départ, d'aucuns soupçonnant qu'il s'agissait là d'une commande visant à essayer de trouver un moyen d'éviter de réaliser l'aéroport, malgré le résultat d'une consultation populaire favorable et de l'approbation du projet par la majeure partie des élus de la région. Les auteurs du rapport font état de cette difficulté en relatant avoir fait face à un procès stalinien face à certains interlocuteurs, tout en se vantant d'avoir interrogé de nombreuses personnes. Je regrette tout de même qu'aucun zadiste n'ait été interrogé. Après tout si l'aéroport ne se fait pas, c'est uniquement du fait de leur présence qui empêche le démarrage des travaux. Ce manque montre, s'il en était besoin, l'inanité du terme de «médiation» attaché à cette mission: il ne s'est jamais agi de trouver un éventuel accord entre 2 parties opposées, mais plutôt d'essayer de trouver un moyen de ne pas réaliser l'aéroport.

La question s'est concentrée avant la remise du rapport sur la question de l'ordre public. Par exemple, Benjamin Griveaux, porte parole du gouvernement a déclaré le 3 décembre qu'il ne pouvait y avoir de zone de non droit en France et que la ZAD ne pouvait perdurer. Contrairement à ce qu'elles pouvaient laisser penser, ces fortes déclarations n'excluent bien sûr pas du tout qu'on ne fasse pas du tout la même chose selon que l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes soit abandonné ou réalisé. En effet, les lectures du rapport et de l'interview — que ce soit dans Le Monde ou dans Ouest-France — montrent bien que les plans sont diamétralement opposés suivant l'option retenue.
Commençons par ce que dit le rapport dans le cas d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes (§5.1.4, p50):

La bonne mise en œuvre des mesures décrites ci-dessus au titre des procédures doit être accompagnée, ou (pour la première) précédée d’autres actions conduites par la puissance publique, qui conditionnent le succès de la démarche :

- Le retour à l’ordre public sur le territoire concédé, et la sécurisation du chantier

Il s’agit d’une condition préalable impérative de succès de cette option. La mission n’a pas qualité pour définir les moyens nécessaires à mettre en œuvre. Elle note néanmoins que l’intervention des forces de l’ordre sur le territoire concédé est une opération complexe qui nécessite une connaissance fine d’un territoire vaste, fragmenté avec de multiples lieux de « squat », ainsi que de ses occupants soudés par la durée et l’intensité de la lutte malgré l’hétérogénéité de leurs situations et des divergences partielles d’intérêts. Enfin, la présence sur site d’un noyau d’individus ultra violents aptes à mobiliser rapidement des forces de résistance supplémentaires accroit les risques d’affrontements violents sur la zone et dans les villes de Nantes et de Rennes. Les contacts de la mission avec les responsables de l’ordre public la conduisent à souligner que les moyens de sécurité publique à mobiliser seront importants, pendant une durée qui ne se limite pas à une opération ponctuelle : la sécurité du chantier devra être assurée pendant tout son déroulement. Au-delà de toute considération, évidemment partagée par la mission, sur le caractère inacceptable de l’existence de zones de non-droit sur le territoire national, la complexité de la situation présente et des risques humains encourus devrait conduire à éviter toute critique simpliste à l’égard des décisions prises ou à prendre par les pouvoirs publics en la matière, quelles qu’elles soient.

Si jamais l'abandon du projet était actée, par contre (§5.2.4, p57):

- Le retour à des conditions de vie conformes au droit, et à l’existence d’une activité agricole pérenne, dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes

La réalisation d’un réaménagement de Nantes-Atlantique ne pourrait s’accompagner du maintien d’une zone de non-droit sur le site de Notre-Dame-des-Landes. Par ailleurs, la réorganisation de l’activité agricole tenant compte de cette décision et de la propriété d’une partie importante des terres agricoles par l’État, nécessite un projet global de territoire et une réallocation des terres à exploiter tenant compte des besoins réels des agriculteurs souhaitant maintenir une activité agricole pérenne sur ce secteur. La qualité environnementale du bocage maintenu depuis cinquante ans, les relations nouées localement avec les associations naturalistes, et l’appui de l’INRA, sollicité par la mission, pourraient en faire un terrain d’expérimentation de pratiques agro-environnementales rénovées, sous le pilotage des acteurs locaux.

Cette double opération de retour à l’ordre public et de réorganisation de l’activité agricole nécessite un projet particulier, construit avec l’État (en sa double qualité de responsable de l’ordre public et de propriétaire d’une partie des terrains), les agriculteurs locaux et leurs responsables professionnels. Il s’agit d’un projet spécifique, à fort enjeu, à intégrer dans le contrat de territoire évoqué plus loin.

La réallocation des terres nécessite un dispositif spécial, décrit dans l’annexe comparative (§ 8.3). Ce programme nécessite la participation de tous les organismes ou institutions concernés : la mission propose qu’il soit coordonné par un chargé de mission de haut niveau, très bon connaisseur du monde agricole et habitué aux négociations qui y sont menées, placé pour au moins trois ans auprès du préfet ou de la préfète de Loire-Atlantique.

Dans son principe général, cette opération relative à l’activité agricole autour de Notre- Dame-des-Landes devra s’intégrer dans le contrat de territoire visé au § 5.3 ci-après. Ses modalités particulières pour le programme de réallocation des terres du périmètre concédé lui donnent toutefois, dans l’option d’abandon du projet aéroportuaire de Notre-Dame-des-Landes, un caractère très novateur justifiant une mise en œuvre particulièrement attentive.

Même le plus inattentif des lecteurs comprend que dans le cas de l'abandon du projet, aucune évacuation ne serait entreprise. En fait, les occupants illégaux seraient punis de leurs actions par l'attribution des terrains qu'ils occupent. C'est confirmé par ce qu'en disent les rapporteurs dans les interviews: ils rechignent à parler d'évacuation. Les individus violents mentionnés comme le principal problème dans le cas de la réalisation du nouvel aéroport? S'il ne se fait pas, ils partiraient d'eux-mêmes ou alors seraient chassés par les pacifistes qui abandonneraient pour l'occasion leurs habits de Gandhi. La magie de pouvoir changer les règles fait qu'on peut changer instantanément un occupant illégal en légitime propriétaire foncier … Après tout, quoi de plus efficace pour mettre fin à une zone de non-droit que de rendre légal ce qui s'y passe?

Que les élus locaux soutiennent pour la plupart de longue date le projet et qu'une consultation populaire l'ait approuvé est vaguement évoqué dans le rapport, mais fait bien sûr l'objet de questions dans l'interview. Les réponses laissent à voir comment ce petit problème serait traité. Les élus locaux seraient mis face au fait accompli que l'État n'utilisera pas la force publique pour permettre le démarrage des travaux et seraient alors contraints d'accepter de financer la solution dont ils ne voulaient pas. Quant au résultat de la consultation populaire, il serait ignoré au motif que les citoyens n'auraient pas été informés de toutes les options possibles. Que cet argument puisse être utilisé au sujet de toutes les élections n'a pas l'air de déranger les rapporteurs.

Bien sûr, les rapporteurs ne peuvent cacher que la capitulation face aux activistes serait de mauvaise augure pour d'autres projets d'infrastructures. Cependant, il est clair que c'est l'option qu'ils préfèrent malgré toutes leurs dénégations. Les rapporteurs essaient aussi de noyer le poisson dans le rapport en dissertant sur la prétendue absence d'un large débat et du manque d'étude des alternatives. Les procédures actuelles tendent justement à favoriser les opposants puisqu'on leur donne largement la parole et qu'ils ont nombre de moyens légaux d'empêcher le projet. Allonger encore les palabres ne fait en fait que favoriser les occasions pour les activistes de s'installer sur place pour empêcher physiquement le projet … ce que le rapport mentionne à juste titre comme quelque chose à ne pas laisser faire. Finalement, il faut y revenir: si les travaux n'ont pas commencé, c'est uniquement à cause de la ZAD et l'apathie des pouvoirs publics qui ne sont pas intervenus avant 2012 pour expulser les squatters.

Même si les choses ne sont pas totalement jouées, l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes est clairement à l'ordre du jour. Si cela se produisait, il est difficile de voir comment cela ne favoriserait pas le cynisme à l'égard des procédures démocratiques habituelles. Les 2 façons de décider dans une démocratie sont la décision par les élus ou la consultation directe des citoyens. Les 2 ont été essayées et ont donné le même résultat, favorable au nouvel aéroport. Le blocage actuel vient de militants qui arrivent à avoir une grande visibilité médiatique nationale et à bloquer physiquement le projet. Les hommes politiques se plaignent souvent que les mécontents se contentent de gueuler fort, et ne cherchent pas à convaincre pour obtenir des décisions, mais plutôt à y arriver via diverses formes de manifestations ou de chantages. Le cas de Notre-Dame-des-Landes ainsi que celui du glyphosate montrent pourtant que ces moyens ont une redoutable efficacité. Pourquoi se priver?

2 août 2013

MON810, le retour de la vengeance

Comme prévu, l'arrêté pris pendant la campagne électorale de 2012 pour interdire le MON810 a été annulé par le Conseil d'État. Avant même que la nouvelle ait été annoncée, le ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll déclarait: le Conseil d'État n'est pas le décideur, ce n'est pas lui qui dit si on peut ou pas interdire les OGM, il ne s'appuie que sur la base juridique pour dire si elle est valide ou pas. Cette phrase est d'une magnifique casuistique, puisque le Conseil d'État, s'il ne publie aucun texte règlementaire, a bien le pouvoir de décider si une interdiction est valide ou pas. Elle a aussi le mérite d'indiquer la suite des évènements, une nouvelle interdiction est déjà annoncée. On ne peut que remarquer que c'est la deuxième fois que l'État est condamné pour les mêmes raisons et que le gouvernement entend poursuivre la politique qui consiste à s'assoir sur les décisions de justice. Le gouvernement perpètre ainsi et de façon répétée un abus de pouvoir caractérisé.

Le principe de la tactique est connu: espérer que les partisans se fatiguent avant les opposants et finissent par ne plus aller faire respecter leurs droits devant les tribunaux. C'est en bonne voie: des associations d'agriculteurs se disent prêtes à ne plus intenter de recours si un simple débat a lieu sur la possibilité de cultiver d'autres OGMs à venir. Autrement dit, il s'agit de lâcher la proie pour l'ombre. Tout d'abord, il est difficile d'imaginer qu'un autre OGM puisse réussir là où le MON810 n'a pas pu triompher de l'opposition, alors que sa principale utilité était d'éviter, en faisant produire la toxine par la plante, d'avoir à utiliser des produits insecticides potentiellement dangereux en leur substituant une toxine utilisée en agriculture biologique et d'avoir à passer vaporiser ces produits. En effet, le maïs MON810 permet d'arriver au Graal écologiste de ne pas utiliser de produit chimique tout en facilitant la vie de l'agriculteur. On se demande ce qu'on peut espérer de plus. Dans un même ordre d'idées, Greenpeace lutte avec acharnement contre le riz doré, un riz dont les grains contiennent du carotène grâce à l'insertion de gènes de maïs et ne présentant donc strictement aucun danger. Mais même dans l'hypothèse — hautement improbable donc — où les agriculteurs sortiraient vainqueurs de ce débat, ils ne pourraient cultiver ces hypothétiques plantes sans autorisation délivrée par la Commission Européenne. Elle a fait preuve jusqu'à présent d'un empressement tout relatif, puisque seuls 3 OGMs ont jamais été autorisés à la culture. Ce débat sera donc un marché de dupes.

Les écologistes ne font même plus mystère de l'illégalité de l'interdiction. José Bové déclare immédiatement au Figaro que ce qui motive la décision du Conseil d'État, ce sont les règles européennes, qui sont claires. Seuls des arguments scientifiques peuvent interdire l'exploitation d'un OGM. Et de se dire prêt à la violence sous couvert de désobéissance civique. Christian Bataille, membre de l'OPECST, a beau tonner contre les Torquemada et enfin dire les choses comme elles sont, cette politique continuera aussi longtemps que l'opposition aux OGMs restera vivace et peut-être au delà. Les opposants ont réussi — fait sans précédent! — à tuer la recherche publique en France sur le sujet et à bloquer toute autorisation d'OGMs, au point de désespérer le principal promoteur commercial, Monsanto.

Les péripéties et les déclarations du gouvernement montrent aussi qu'en France, on ne peut profiter des libertés individuelles que si elles ne déplaisent pas à la majorité accompagnée d'opposants particulièrement bruyants, ce qui en est la négation même, les libertés individuelles étant surtout utiles quand le grand nombre conteste vos droits. Et c'est sans doute là, le plus grave.

23 janvier 2012

État stratège

Fin novembre dernier, le Conseil d'État censurait les arrêtés interdisant la culture du MON810. Cela a donné lieu à des réactions des plus prévisibles, y compris sur ce blog. Un point restait cependant peu clair: le ministre de l'environnement, Mme Kosciusko-Morizet, avait juré que le gouvernement publierait de nouveaux arrêtés invoquant la clause de sauvegarde et interdisant de nouveau la culture de la plante honnie.

L'arrêt de la CJUE pose ainsi des conditions pour la validité de l'invocation de la fameuse clause de sauvegarde (§81): l’article 34 du règlement n° 1829/2003 impose aux États membres d’établir, outre l’urgence, l’existence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Pour un OGM autorisé depuis 1995 aux USA et qui a fait l'objet de plusieurs milliers d'articles scientifiques, trouver de nouvelles indications susceptibles de passer un tel test, sans qu'il n'en ait été question en large et en travers dans la presse semble relever de la gageure. On attendait donc plus d'informations sur la stratégie — à n'en pas douter brillante — qu'allait adopter le gouvernement pour parvenir à ses fins.

Aujourd'hui, le ministre de l'environnement a fait quelques déclarations sur ce sujet. En effet, depuis 2 mois, on ne voyait plus rien venir et les agriculteurs commencent maintenant à s'approvisionner en vue des semis. Mme le ministre a donc déclaré que le gouvernement activera la clause de sauvegarde avant la période des semailles mais pas trop tôt avant pour que la Commission européenne n'ait pas le temps de la remettre en cause et qu'il s'opposera à la culture du Mon 810, donc ce n'est pas la peine d'acheter des semences de Mon 810.

On voit donc avec quelle confiance le gouvernement va de nouveau activer la clause de sauvegarde: pour ne pas laisser la commission le temps de réagir, on attendra le dernier moment. Cela devrait aussi permettre d'annihiler les efforts de Monsanto — qui, à coup sûr, agira en référé — pour faire annuler les nouveaux arrêtés. Les arguments scientifiques qui seront avancés par le gouvernement ne semblent donc pas suffire au ministre, ce qui est surprenant, puisqu'on nous dit depuis toujours que le MON810 est dangereux.

Le gouvernement cherche donc ouvertement à priver d'effets une décision de justice visant à corriger un excès de pouvoir. Dans la dépêche, on cherche aussi vainement toute trace de condamnation des actes des militants anti-OGM, alors que ce gouvernement se fait fort de pourchasser les délinquants. Encore des actes à mettre au crédit de ce gouvernement.

29 novembre 2011

Retour du boomerang MON810

Le cas des OGMs et du MON810 a déjà été évoqué sur ce blog, pour montrer que c'est un exemple de l'application dévoyée du principe de précaution et pour dire qu'en la matière, l'action du gouvernement durant le mandat de Nicolas Sarkozy est tout simplement désastreuse. En activant la clause de sauvegarde pour interdire la culture du MON810 début 2008, le gouvernement a provoqué une plainte de Monsanto pour faire annuler cette décision. Comme il n'y avait strictement aucune raison d'invoquer la clause de sauvegarde, sauf, bien sûr, des motifs d'opportunité politique, la réponse de la CJUE puis celle du conseil d'État ne faisaient guère de doute. Il est donc de nouveau possible de semer du MON810.

Cette décision, que même les écologistes de Greenpeace attendaient, donne lieu à une intéressante expérience sur le niveau du débat public en France. Rappelons en effet qu'il n'y a guère que 28000 publications scientifiques à propos des OGMs, dont 5000 sur les plantes résistantes aux insectes, cette catégorie concernant certainement pour une part très importante les plantes Bt comme le MON810. Les effets de ces plantes sont ainsi parmi les mieux documentés qui soient. Quant à la décision elle-même, elle ne laisse aucun espoir sur la légalité d'un nouveau moratoire. Ce n'est pas tant l'illégalité qui va gêner le gouvernement, mais plutôt le fait que le Conseil d'État l'ait déjà reconnu, ce qui ouvre la porte à une censure express.

Quelle a donc été la réaction des hommes politiques? Comme on pouvait s'y attendre, on a entendu un chœur incluant l'ensemble de la classe politique pour vouloir un nouveau moratoire. Les Verts, accompagnés de toutes les associations écologistes, ne pouvaient pas passer à côté de cela, l'opposition farouche aux OGMs étant une des bases idéologiques du mouvement. Le PS et son candidat, François Hollande, ne furent pas en reste. Quant au gouvernement, profitant d'un déplacement à vocation agricole, il disait qu'il reste encore trop d'incertitudes sur les conséquences pour l'environnement — on aurait aimé savoir lesquelles — et Nathalie Kosciusko-Morizet se disait plus déterminée encore qu'en 2008 à activer la clause de sauvegarde — on aimerait savoir sur quels éléments. Les politiques ont donc choisi, dans la plus pure tradition française, d'ignorer une décision de justice limitant l'arbitraire gouvernemental. Ils ont aussi choisi d'ignorer l'ensemble des études scientifiques sur le MON810 et ont invoqué de mystérieuses incertitudes, un homme politique ne s'abaissant pas à détailler ces points techniques, les faits recelant un grand potentiel de dangerosité pour leur crédibilité. Cependant, on peut parier avec les représentants du secteur que ces menaces seront efficaces.

Quant à la presse, et plus particulièrement le journal dit de référence, Le Monde, nous gratifie d'un article étudiant la possibilité d'un nouveau moratoire. Comme d'habitude sur ces sujets, la possibilité que le maïs MON810 ne soit pas dangereux n'est pas évoquée. On se contente de citer les attendus du jugement et sa formulation négative selon laquelle le ministre n'a pas apporté la preuve de l'existence d'un niveau de risque particulièrement élevé pour la santé ou l'environnement. Au contraire, une large place est laissée aux membres des associations d'opposants aux OGMs, pour lesquels cette dangerosité ne fait aucun doute, réclamant encore et toujours que les études soient faites et refaites. Ils sont toutefois bien embêtés, car il est évident qu'aucune évaluation des risques, même totalement bidon, ne pourra être menée dans les temps et que la consultation de la Commission européenne va encore rallonger les délais. Pour dire les choses clairement, ce journal fait l'économie de rapporter complètement les faits pour donner une perspective totalement biaisée. Aucune question n'a été posée à un homme politique sur la façon de procéder pour activer correctement la clause de sauvegarde et sur quels faits elle va se baser. Les ministres se sont aussi vus épargner la peine de répondre à une question sur l'indigence de la justification de l'activation de la clause de sauvegarde de 2008, qui rendait inéluctable la décision du Conseil d'État.

Une fois de plus, on ne peut que constater le manque de sincérité des politiques et l'absence de tout rapport honnête aux faits dans la presse. Il a été dit que la France était une société de défiance. Vraiment, on se demande pourquoi.

2 novembre 2010

Un gouvernement à l'écoute

En 1993, l'affaire des écoutes de l'Élysée éclatait. Il apparaissait que personnes de la cellule anti-terroriste de l'Élysée avaient organisé des écoutes téléphoniques visant une grande quantité de personnes. La plupart des personnes écoutées n'avaient qu'un lointain rapport avec le terrorisme, on y trouvait par exemple l'actrice Carole Bouquet, mise sur écoute à cause de son compagnon d'alors qui intéressait lui aussi ladite cellule. Il s'agissait alors de toute évidence surtout de prévoir l'éclosion d'éventuels scandales en tous genres et de savoir ce que disaient certaines personnes à des postes politiquement sensibles. Un des motifs d'écoute était l'existence de Mazarine Pingeot, fille naturelle de François Mitterrand, que le vulgaire ignorait encore. Un autre motif était le suivi par les journalistes d'affaires sensibles comme les Irlandais de Vincennes. La cellule fut dissoute à la fin du premier septennat de François Mitterrand. Une loi fut aussi votée en 1991 pour acter les conditions dans lesquelles les écoutes téléphoniques sont légales — ce qui veut dire entre autres qu'auparavant les écoutes étaient illégales. Cette loi prévoit que des écoutes pouvaient être réalisées par le pouvoir exécutif seulement si:

  1. Elles sont ordonnées par le Premier Ministre. Ce dernier est donc l'autorité responsable du déroulement des ces écoutes.
  2. Ces écoutes doivent grosso modo concerner la sécurité nationale ou l'espionnage.
  3. Elles doivent être approuvées par la une commission ad hoc, la CNCIS (commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité). Cette dernière ne dispose que d'un pouvoir de contrôle a posteriori, mais elle doit donner son accord au maximum dans les 7 jours suivant l'ordre du Premier Ministre.

En avril 2010, une rumeur selon laquelle les époux présidentiels ne seraient pas strictement monogames apparaît et fait contre toute attente l'objet d'un démenti officiel, alors que la règle dans la politique française est de ne jamais commenter ce type de rumeurs. On apprend aussi que l'Élysée soupçonne l'ancienne ministre de la justice Rachida Dati d'être à l'origine de cette rumeur, sans qu'on sache vraiment ce qui fonde ces préventions. En effet, selon Carla Bruni, Il n'y a aucune enquête de police, alors que quelques heures plus tard, Bernard Squarcini, directeur de la DCRI (renseignements intérieurs), affirmait avoir été chargé d'identifier la source.

En juillet 2010, l'affaire Bettencourt se poursuivait et prenait l'allure d'un feuilleton. On apprenait par exemple que Liliane Bettencourt faisait usage de 50k€ d'argent liquide par semaine ou encore que des personnalités politiques venaient de temps en temps chercher des enveloppes. On retrouvait les PVs d'audition dont l'encre était à peine sèche dans les journaux. Un record est certainement détenu par le Figaro, pour sa publication des procès verbaux de la deuxième audition de Claire Thibout, ancienne comptable personnelle de Mme Bettencourt. Le Monde, quant à lui, publiait le 18 juillet des extraits des déclarations à la police de Patrice de Maistre, intendant de Mme Bettencourt. Le 13 septembre, ce même journal annonce porter plainte pour violation du secret des sources. Le gouvernement aurait ordonné à la DCRI d'identifier la source du Monde, en faisait notamment usage des factures détaillées des abonnements des téléphones portables. Cette source serait David Sénat qui est aussitôt identifié promu dans un placard à balais, la mise en place de la Cour d'appel à Cayenne; on attend toujours l'identification de la source exceptionnelle du Figaro.

Suite à cela, le Canard Enchaîné publie 3 semaines de suite des articles sur ce sujet, les 22 et 29 septembre et le 6 octobre. Selon ces articles, les services de police font illégalement usage de l'article 20 de la loi sur les écoutes qui prévoit des écoutes aléatoires sur le spectre radio sans nécessité d'en référer à la CNCIS. Cette pratique est basée sur une autorisation du Premier Ministre à procéder de la sorte. Cette autorisation fut donnée lors que des méthodes similaires furent découvertes par la même CNCIS. Il s'agit donc d'une façon de continuer des pratiques interdites déjà découvertes par d'autres moyens. Suite à la plainte contre David Sénat, le procureur de Paris a demandé les éléments à charge contre lui à la DCRI qui avait affirmé avoir mené des vérifications techniques; il se voit opposer le secret défense, de même que dans les années 90, le secret défense avait été opposé à l'enquête sur les écoutes de l'Élysée. Il a été procédé de même pour débusquer Rachida Dati comme source de la rumeur. Il faut bien dire que l'explication du Canard est extrêmement plausible car il est difficile de connaître la source d'une rumeur sans remonter aux contacts des gens qui la diffusent. Non seulement, comme le Canard le narre, on peut logiquement soupçonner le gouvernement de consulter sans retenue les factures détaillées, mais aussi de prendre connaissance du contenu de ces communications et notamment des SMS.

Ainsi, le gouvernement piétine allègrement les procédures donnant quelques garanties aux citoyens contre l'arbitraire. Il fait procéder à des enquêtes sans titre, puisqu'il ne dépose plainte qu'une fois découverts les auteurs et que, de toute évidence, nous ne sommes pas dans le cas d'un flagrant délit. Il fait mener des actes éminemment attentatoires aux libertés individuelles sans s'embarrasser des procédures placées là pour éviter les cas les plus criants d'abus. On ne saurait limiter le secret des correspondances au seul contenu: le fait même de savoir qu'on a appelé quelqu'un peut porter atteinte à sa vie privée, il suffit de songer aux relations sentimentales cachées. Et lorsqu'il s'agit de révéler les éléments à charge, ceux-ci ne sont pas consultables. Il piétine tout aussi allègrement les institutions en se moquant de la CNCIS chargée de contrôler les écoutes administratives. Il est scandaleux de constater que les règles ne comptent pour si peu, les droits des personnes pour rien.

En outre, ces déviances s'intègrent tout à fait dans l'analyse de la société de défiance, portée par Yann Algan et Pierre Cahuc. La société de défiance n'est pas limitée aux domaines économiques, elle s'étend dans divers aspects de la société. Comment faire confiance à d'autres quand ils sont prêts à faire fi des règles, légales ou simplement traditionnelles, quand cela les arrange? L'état n'est d'ailleurs pas en reste dans ce domaine, il est sans doute un des acteurs qui engendre le plus de défiance, de part son pouvoir et l'usage de l'arbitraire qui n'est jamais loin. Dans le cas présent, alors que les citoyens sont droit d'attendre qu'on respecte leur vie privée et qu'en conséquence des formes soient mises quand on les surveille voire qu'on les espionne, il est difficile de croire que ceux qui interviennent dans le débat public se sentent tranquilles. Pour preuve, l'intervention le 18 septembre de Jean-Louis Bourlanges dans l'émission Médiapolis (entre 3'45 et 7'). Il y déclare notamment:

  1. Que chacun sait que dès que vous avez une responsabilité plus ou moins importante, vous êtes écouté
  2. J'applique à mes propres conversations — insuffisamment d'ailleurs — le principe de précaution

Quand on sait de quelle façon est traitée la piétaille, il est difficile de se dire que ceci ne concerne que quelques personnes s'intéressant de près aux affaires touchant le parti au pouvoir. Le fait est que ceci montre que faire confiance à l'administration et, dans le cas présent, à la police est une aventure de tous les jours.

Un autre aspect à noter est que les institutions avaient été mises en place pour éviter les dérives du premier septennat de François Mitterrand ainsi que celles probables des époques précédentes. À l'époque, comme il a été narré plus haut, il s'est entre autres agi d'affaires sentimentales ainsi que d'essayer d'anticiper ou de réagir rapidement à la sortie d'affaires dans la presse. Il est extraordinairement frappant que, de nouveau, l'absence d'une quelconque contrainte en la matière induit exactement les mêmes dérives. On cherche qui répand des rumeurs touchant les relations amoureuses et à savoir qui alimente la presse et quelles sont les intentions des journalistes. Le problème, c'est que cette fois-ci, on voit mal quel pourrait être le remède. Si le gouvernement a le droit d'effectuer des écoutes, c'est qu'il existe effectivement des motifs légitimes. Il est par exemple impossible ou presque de démasquer des espions pouvant menacer, comme au temps de l'URSS, la défense nationale sans recourir à des écoutes. Le piétinement des institutions rend les solutions improbables. Comment croire que le gouvernement n'utilisera pas de nouveau un prétexte fondé sur du vent ou tout simplement le secret pour, quand cela l'arrangera, se passer de ces contrôles bien embêtants? De fait, on peine à imaginer des procédures satisfaisantes et comment le pouvoir pourrait être arrêté par un autre pouvoir tout en préservant la possibilité d'écoutes.

Un aspect qui reste mystérieux est l'absence de réaction médiatique d'ensemble. Alors que cette affaire semble une redite de dérives passées, les réactions ont été mesurées, au point qu'on puisse considérer comme Jean-Louis Bourlanges que cette histoire a fait flop. Le Monde relate régulièrement les événements liés à ses plaintes, le Canard continue à publier des articles sur les conditions dans lesquelles ces écoutes se sont réalisées. Cela montre tout de même une banalisation de cette intrusion dans la vie privée. Le fait que les députés du parti au pouvoir ne trouvent rien de mieux que de renvoyer l'opposition à ses turpitudes passées en scandant Mitterrand, Mitterrand montre aussi, s'il en était besoin, qu'être au pouvoir obscurcit quelque peu le jugement.

On pourra se consoler en se disant qu'en la matière, le gouvernement exauce sans doute le vœu de nombreuses personnes, être écouté. Quoi de mieux que d'être écouté dès lors qu'on a une responsabilité? On entend aussi souvent les personnes intervenant dans le débat public se plaindre du manque d'écoute du gouvernement. Ces événements montrent qu'il n'en est rien, au contraire, le gouvernement est toujours très intéressé.

14 octobre 2010

Retour sur Tracfin & Julien Dray

À la fin de l'année 2008, des informations sont publiées par les journaux Le Monde et Le Parisien selon lesquelles Julien Dray est soupçonné de divers délits financiers au détriment de plusieurs associations proches du PS comme SOS Racisme. En janvier 2009, l'Est Républicain publie une note de Tracfin relatant divers mouvements sur les comptes de Julien Dray, de personnes qu'il connaît ainsi que d'associations dont il est proche. Ainsi, il est fait mention de mouvements qui peuvent sembler douteux aux yeux du vulgaire entre les comptes des associations et ceux de leurs responsables. Julien Dray n'est pas un de ces responsables mais en est un proche, et des mouvements connexes visant ses comptes sont mentionnés, dont des mouvements très importants liés à sa passion pour les montres de collection. Bref, ces informations mettent en cause l'honnêteté de certaines personnes engagées en politique mais aussi jettent le discrédit Julien Dray en faisant connaître les sommes importantes qu'il engage dans sa passion. Quoiqu'il puisse être intéressant pour le public de connaître de la gestion de certaines associations intervenant dans le débat public et dont la conception de la rigueur comptable ne semble pas correspondre aux standards actuels en la matière, on peut s'interroger sur plusieurs points douteux.

Le premier est de savoir s'il est sain de voir étaler la vie privée, même d'un homme politique, alors que celle-ci n'a pas d'influence directe sur les positions dans le débat public. Les réactions suite à la publication de la note sont à cet égard révélatrices. Autant sinon plus que les pratiques douteuses dans la comptabilité de SOS Racisme, la passion de Julien Dray et les montants mis en œuvre constituent un motif d'opprobre. Trouver un moyen de jeter un jour peu flatteur sur cette passion est aussi une occasion de nuire à la carrière publique de Julien Dray. La manière dont a été révélée la note montre aussi une certaine déloyauté puisque Julien Dray n'en aura connaissance que par l'Est Républicain, alors que des articles ont déjà été publiés dans la presse un mois auparavant. Julien Dray a exprimé lui-même son point de vue dans une suite d'entretiens (parties 1, 2, 3, 4). La lenteur proverbiale de la justice (ou de la police, en l'occurrence) française participent aussi de ce côté nuisible. Cette affaire ne s'est conclue qu'à la fin de l'année 2009 par un simple rappel à la loi… Un an pour procéder à des vérifications de comptabilité!

Le deuxième est la manière dont le rapport a été monté et notamment le point de départ. Ce point est nettement plus spéculatif, car on ne saura jamais réellement quel est le point de départ. Il y a 2 hypothèses principales, soit Tracfin a été d'abord alerté sur les mouvements des comptes des proches de SOS Racisme, soit par les mouvements sur le compte de Julien Dray. La première hypothèse semble assez bizarre dans la mesure où les chèques qui auraient transité sont de quelques milliers d'euros au plus, pour des gens qui ne sont sans doute pas des smicards. On sait aussi que certains peuvent retirer 50000€ en liquide toutes les semaines sans que l'alerte ne soit donnée. La deuxième hypothèse, c'est que ce sont les mouvements sur qui ont donné l'alerte chez Tracfin. Julien Dray manie des sommes importantes du fait de sa passion. Ces sommes peuvent alerter Tracfin car elles représentent sans doute parfois une année de son indemnité de député. Julien Dray est aussi le centre de l'enquête, non seulement on parle de SOS Racisme, mais aussi de l'association qu'il a fondé comme véhicule de soutien à son action d'homme politique. Dans les deux cas, l'action de Tracfin est nettement plus intrusive que le fait de regarder s'il n'y a pas blanchiment d'argent ou fraude fiscale. Dans la première hypothèse, pourquoi aller s'interroger sur l'association de Julien Dray? Dans la seconde, comment se fait-il qu'en partant des mouvements de fonds finançant sa passion, Tracfin regarde aussi les comptes de proches alors que les mouvements vers et de ceux-ci sont d'un ordre de grandeur plus faible? Il semble que dans ce cas comme dans bien d'autre, un organisme profite de son pouvoir d'enquête et de surveillance officiellement limité à certaines infraction pour mener en fait une surveillance opportuniste nettement plus générale. En clair, si Tracfin n'outrepasse pas ses droits légaux, sa légitimité est mince quand il s'agit de procéder à des enquêtes de ce type, sur la légalité de la comptabilité d'individus ou d'associations. Ces vérifications relèvent en fait du pouvoir habituel du fisc, pouvoir qui jouit d'ailleurs de contraintes affaibli par rapport à d'autre enquêtes. Le fisc enquête régulièrement sur la comptabilité d'entreprises et d'associations et procède certainement à des redressements pour celles qui en ont une conception trop exotique. Mais on voit mal pourquoi un organisme dédié à des infraction a priori plus graves vient faire ici.

Pour finir, une conclusion que ceux qui entretiennent une dispendieuse passion peuvent tirer est qu'il vaut mieux avoir des réserves d'argent hors de la vue de tels organismes. Cela leur permet non seulement d'échapper aux ennuis pour eux-mêmes mais aussi de protéger les gens avec qui ils ont des relations courantes de la curiosité de l'état. On conçoit bien que les convictions et le métier d'homme politique de gauche de Julien Dray l'empêchent d'utiliser de tels moyens, mais cela n'est pas valable pour tout le monde. Ce n'est pas la moindre des ironies que d'encourager ainsi des gens honnêtes à utiliser des moyens dont seuls les délinquants ou les criminels devraient avoir vraiment intérêt à se servir.