Le mercredi 13 décembre, la fameuse médiation sur le sujet du projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes a rendu son rapport au Premier Ministre. Le gouvernement a promis une décision d'ici la fin du mois de janvier. Suite à la publication du rapport, les 3 personnes nommées pour mener cette consultation ont donné une interview conjointe à Ouest-France et au Monde. Ouest-France, évidemment très concerné par le projet, en a tiré 3 articles: une partie de l'interview sous forme de questions-réponses, le reste de l'interview sous la forme d'un compte-rendu ainsi qu'un making of
relatant les conditions de ladite interview. Le Monde publie quant à lui l'interview sous la forme de questions-réponses.
Évidemment, l'impartialité des personnes mandatées a été mise en cause dès le départ, d'aucuns soupçonnant qu'il s'agissait là d'une commande visant à essayer de trouver un moyen d'éviter de réaliser l'aéroport, malgré le résultat d'une consultation populaire favorable et de l'approbation du projet par la majeure partie des élus de la région. Les auteurs du rapport font état de cette difficulté en relatant avoir fait face à un procès stalinien
face à certains interlocuteurs, tout en se vantant d'avoir interrogé de nombreuses personnes. Je regrette tout de même qu'aucun zadiste n'ait été interrogé. Après tout si l'aéroport ne se fait pas, c'est uniquement du fait de leur présence qui empêche le démarrage des travaux. Ce manque montre, s'il en était besoin, l'inanité du terme de «médiation» attaché à cette mission: il ne s'est jamais agi de trouver un éventuel accord entre 2 parties opposées, mais plutôt d'essayer de trouver un moyen de ne pas réaliser l'aéroport.
La question s'est concentrée avant la remise du rapport sur la question de l'ordre public. Par exemple, Benjamin Griveaux, porte parole du gouvernement a déclaré le 3 décembre qu'il ne pouvait y avoir de zone de non droit
en France et que la ZAD ne pouvait perdurer. Contrairement à ce qu'elles pouvaient laisser penser, ces fortes déclarations n'excluent bien sûr pas du tout qu'on ne fasse pas du tout la même chose selon que l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes soit abandonné ou réalisé. En effet, les lectures du rapport et de l'interview — que ce soit dans Le Monde ou dans Ouest-France — montrent bien que les plans sont diamétralement opposés suivant l'option retenue.
Commençons par ce que dit le rapport dans le cas d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes (§5.1.4, p50):
La bonne mise en œuvre des mesures décrites ci-dessus au titre des procédures doit être accompagnée, ou (pour la première) précédée d’autres actions conduites par la puissance publique, qui conditionnent le succès de la démarche :
- Le retour à l’ordre public sur le territoire concédé, et la sécurisation du chantier
Il s’agit d’une condition préalable impérative de succès de cette option. La mission n’a pas qualité pour définir les moyens nécessaires à mettre en œuvre. Elle note néanmoins que l’intervention des forces de l’ordre sur le territoire concédé est une opération complexe qui nécessite une connaissance fine d’un territoire vaste, fragmenté avec de multiples lieux de « squat », ainsi que de ses occupants soudés par la durée et l’intensité de la lutte malgré l’hétérogénéité de leurs situations et des divergences partielles d’intérêts. Enfin, la présence sur site d’un noyau d’individus ultra violents aptes à mobiliser rapidement des forces de résistance supplémentaires accroit les risques d’affrontements violents sur la zone et dans les villes de Nantes et de Rennes. Les contacts de la mission avec les responsables de l’ordre public la conduisent à souligner que les moyens de sécurité publique à mobiliser seront importants, pendant une durée qui ne se limite pas à une opération ponctuelle : la sécurité du chantier devra être assurée pendant tout son déroulement. Au-delà de toute considération, évidemment partagée par la mission, sur le caractère inacceptable de l’existence de zones de non-droit sur le territoire national, la complexité de la situation présente et des risques humains encourus devrait conduire à éviter toute critique simpliste à l’égard des décisions prises ou à prendre par les pouvoirs publics en la matière, quelles qu’elles soient.
Si jamais l'abandon du projet était actée, par contre (§5.2.4, p57):
- Le retour à des conditions de vie conformes au droit, et à l’existence d’une activité agricole pérenne, dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes
La réalisation d’un réaménagement de Nantes-Atlantique ne pourrait s’accompagner du maintien d’une zone de non-droit sur le site de Notre-Dame-des-Landes. Par ailleurs, la réorganisation de l’activité agricole tenant compte de cette décision et de la propriété d’une partie importante des terres agricoles par l’État, nécessite un projet global de territoire et une réallocation des terres à exploiter tenant compte des besoins réels des agriculteurs souhaitant maintenir une activité agricole pérenne sur ce secteur. La qualité environnementale du bocage maintenu depuis cinquante ans, les relations nouées localement avec les associations naturalistes, et l’appui de l’INRA, sollicité par la mission, pourraient en faire un terrain d’expérimentation de pratiques agro-environnementales rénovées, sous le pilotage des acteurs locaux.
Cette double opération de retour à l’ordre public et de réorganisation de l’activité agricole nécessite un projet particulier, construit avec l’État (en sa double qualité de responsable de l’ordre public et de propriétaire d’une partie des terrains), les agriculteurs locaux et leurs responsables professionnels. Il s’agit d’un projet spécifique, à fort enjeu, à intégrer dans le contrat de territoire évoqué plus loin.
La réallocation des terres nécessite un dispositif spécial, décrit dans l’annexe comparative (§ 8.3). Ce programme nécessite la participation de tous les organismes ou institutions concernés : la mission propose qu’il soit coordonné par un chargé de mission de haut niveau, très bon connaisseur du monde agricole et habitué aux négociations qui y sont menées, placé pour au moins trois ans auprès du préfet ou de la préfète de Loire-Atlantique.
Dans son principe général, cette opération relative à l’activité agricole autour de Notre- Dame-des-Landes devra s’intégrer dans le contrat de territoire visé au § 5.3 ci-après. Ses modalités particulières pour le programme de réallocation des terres du périmètre concédé lui donnent toutefois, dans l’option d’abandon du projet aéroportuaire de Notre-Dame-des-Landes, un caractère très novateur justifiant une mise en œuvre particulièrement attentive.
Même le plus inattentif des lecteurs comprend que dans le cas de l'abandon du projet, aucune évacuation ne serait entreprise. En fait, les occupants illégaux seraient punis de leurs actions par l'attribution des terrains qu'ils occupent. C'est confirmé par ce qu'en disent les rapporteurs dans les interviews: ils rechignent à parler d'évacuation. Les individus violents mentionnés comme le principal problème dans le cas de la réalisation du nouvel aéroport? S'il ne se fait pas, ils partiraient d'eux-mêmes ou alors seraient chassés par les pacifistes qui abandonneraient pour l'occasion leurs habits de Gandhi. La magie de pouvoir changer les règles fait qu'on peut changer instantanément un occupant illégal en légitime propriétaire foncier … Après tout, quoi de plus efficace pour mettre fin à une zone de non-droit que de rendre légal ce qui s'y passe?
Que les élus locaux soutiennent pour la plupart de longue date le projet et qu'une consultation populaire l'ait approuvé est vaguement évoqué dans le rapport, mais fait bien sûr l'objet de questions dans l'interview. Les réponses laissent à voir comment ce petit problème serait traité. Les élus locaux seraient mis face au fait accompli que l'État n'utilisera pas la force publique pour permettre le démarrage des travaux et seraient alors contraints d'accepter de financer la solution dont ils ne voulaient pas. Quant au résultat de la consultation populaire, il serait ignoré au motif que les citoyens n'auraient pas été informés de toutes les options possibles. Que cet argument puisse être utilisé au sujet de toutes les élections n'a pas l'air de déranger les rapporteurs.
Bien sûr, les rapporteurs ne peuvent cacher que la capitulation face aux activistes serait de mauvaise augure pour d'autres projets d'infrastructures. Cependant, il est clair que c'est l'option qu'ils préfèrent malgré toutes leurs dénégations. Les rapporteurs essaient aussi de noyer le poisson dans le rapport en dissertant sur la prétendue absence d'un large débat et du manque d'étude des alternatives. Les procédures actuelles tendent justement à favoriser les opposants puisqu'on leur donne largement la parole et qu'ils ont nombre de moyens légaux d'empêcher le projet. Allonger encore les palabres ne fait en fait que favoriser les occasions pour les activistes de s'installer sur place pour empêcher physiquement le projet … ce que le rapport mentionne à juste titre comme quelque chose à ne pas laisser faire. Finalement, il faut y revenir: si les travaux n'ont pas commencé, c'est uniquement à cause de la ZAD et l'apathie des pouvoirs publics qui ne sont pas intervenus avant 2012 pour expulser les squatters.
Même si les choses ne sont pas totalement jouées, l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes est clairement à l'ordre du jour. Si cela se produisait, il est difficile de voir comment cela ne favoriserait pas le cynisme à l'égard des procédures démocratiques habituelles. Les 2 façons de décider dans une démocratie sont la décision par les élus ou la consultation directe des citoyens. Les 2 ont été essayées et ont donné le même résultat, favorable au nouvel aéroport. Le blocage actuel vient de militants qui arrivent à avoir une grande visibilité médiatique nationale et à bloquer physiquement le projet. Les hommes politiques se plaignent souvent que les mécontents se contentent de gueuler fort, et ne cherchent pas à convaincre pour obtenir des décisions, mais plutôt à y arriver via diverses formes de manifestations ou de chantages. Le cas de Notre-Dame-des-Landes ainsi que celui du glyphosate montrent pourtant que ces moyens ont une redoutable efficacité. Pourquoi se priver?
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