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5 octobre 2014

Faut-il prendre au sérieux les objectifs de la loi sur l'énergie de cette année?

Pour continuer cette série de billets sur la loi sur l'énergie actuellement en discussion au Parlement, je vais aborder dans ce billet les objectifs prévus par l'article 1 de la loi. Ces objectifs sont censés déterminer la politique énergétique suivie par la France ces prochaines années. Malheureusement, ils me semblent impropres à pouvoir engendrer une politique cohérente. D'une part parce qu'ils me paraissent irréalistes, mais aussi parce qu'ils semblent avoir été écrit à la va-vite, effet renforcé après la passage en commission parlementaire du texte.

Les modifications verbeuses et contradictoires des parlementaires

Il peut d'abord être utile de comparer la version originelle du projet de loi et celle qui est sortie de la commission ad hoc. On peut constater que la version du gouvernement contient 4 objectifs pour le futur article L. 100-1, 6 pour le L. 100-2 et 5 pour le L.100-4. Au sortir de la commission, il y a 7 objectifs pour le L. 100-1, 8 pour le L. 100-2 et 7 pour le L. 100-4. Plus on ajoute d'objectifs, moins il est difficile de justifier qu'une politique corresponds aux buts énoncés: à force d'en ajouter, il devient possible de justifier à peu près toutes les politiques possibles, à charge pour le gouvernement de choisir les objectifs qu'il veut atteindre parmi ceux qui se contredisent.

Par ailleurs, certains de ces ajouts n'apportent rien ou presque, voire se contredisent entre eux. Ainsi pour le futur L. 100-1, les parlementaires ont jugé bon de donner 3 objectifs quasiment équivalents:

(…)
« 3° Maintient un coût de l’énergie compétitif ;
« 4° (Supprimé)
« 5° Garantit la cohésion sociale et territoriale en assurant l’accès de tous à l’énergie sans coût excessif au regard des ressources des ménages ;
« 6° (nouveau) Lutte contre la précarité énergétique ; (…)

On ne peut pas dire qu'il y ait une grande différence entre un coût compétitif, la lutte contre la précarité énergétique et l'énergie sans coût excessif au regard des ressources des ménages: ces 3 objectifs ont les mêmes conséquences pratiques et il doit bien être possible d'en proposer une synthèse claire, en gardant le seul 3° — qui existe déjà dans la version actuelle — ou par exemple en écrivant: Maintient un coût de l’énergie compétitif et abordable pour tous sur l'ensemble du territoire de la République.

Mais ce n'est pas tout: pour le futur L. 100-2, ils ont fait ajouter la phrase Procéder à l’augmentation progressive de la contribution climat-énergie, qui (sic), dans la perspective d’une division par quatre des gaz à effet de serre qui semble contradictoire avec les dispositions qu'ils ont fait ajouter juste avant!

Les objectifs chiffrés ont-ils été bien énoncés

Le futur article L. 100-4 porte les objectifs chiffrés. Certains des chiffres proviennent d'engagements européens déjà pris ou en passe de l'être. C'est le cas des 23% d'énergie renouvelables dans la consommation finale en 2020 et de la baisse de 40% des émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030. D'autres comme la baisse de la consommation d'énergie finale de 50% d'ici à 2050 ou la baisse de la part du nucléaire à 50% dans la production d'électricité relèvent des choix du gouvernement actuel.

J'ai déjà parlé l'an dernier, en mal, de la division par 2 de la consommation d'énergie finale d'ici à 2050, lorsque François Hollande avait annoncé cet objectif. Pour revenir aux arguments chiffrés, il faut remarquer que l'objectif fixé en Allemagne est une baisse de seulement 40%, pour une population attendue en baisse de 10%, alors qu'en France, on attend une population en hausse de 10%. L'effort est donc extrêmement conséquent et inédit. Les chances sont fortes que l'activité économique soit fortement impactée. Il se trouve que la loi donne un objectif complémentaire: le rythme de baisse de l'intensité énergétique finale à atteindre en 2030, 2.5%/an. L'intensité énergétique est la quantité d'énergie consommée — corrigée des conditions météo — rapportée au PIB, c'est donc une mesure d'efficacité. Or, il se trouve que la division par 2 de la consommation finale d'énergie implique un rythme de baisse moyen de 1.8% par an. Ce qui veut dire que le gouvernement se fixe grosso modo comme objectif une croissance moyenne de 0.7% par an d'ici à 2050. Je ne suis pas convaincu que ce soit le message que veuille faire passer le gouvernement!

Mais il s'avère aussi que l'objectif de rythme annuel de baisse de l'intensité énergétique est pratiquement hors d'atteinte: en dehors des pays ayant traversé une grave dépression et les anciens pays du bloc communiste, je ne sais pas si on peut trouver des exemples. On peut même voir qu'en France, le rythme de baisse de l'intensité énergétique finale est à peu près constant depuis au moins 30 ans à environ -1.1% par an, comme on peut le voir ci-dessous: intensite_fr_1981-2013.jpg Les statisticiens du ministère de l'énergie indiquent dans le bilan énergétique annuel (p103) que le rythme depuis 2005 est de -1.3% par an. On voit donc qu'il faudrait qu'une modification rapide et fondamentale de la société française se produise et que les fondements de l'activité économique changent du tout au tout. Des gains de productivité inédits devraient se produire pendant une longue durée!

D'autre part, si le gouvernement entend réduire le chômage, une croissance de l'ordre de 1.5% par an est nécessaire. Cela rend aussi plus facile d'équilibrer les comptes de l'assurance maladie, des caisses de retraite, etc. Bref, s'il veut tenir ces autres engagements qui me semblent nécessaires à la paix civile dans notre pays et très conformes aux demandes des citoyens, c'est un rythme de gains d'efficacité énergétique de l'ordre de 3.5%/an pendant 30 ans qu'il faut viser. En attendant, si la tendance actuelle se poursuit, le gouvernement s'est donné pour objectif une récession moyenne de 0.5% du PIB par an pendant plus de 30 ans. Avis aux amateurs!

Une nouvelle fois, la source ultime de cet engagement est connue: diviser par 2 la consommation finale d'énergie est à peu près la seule façon d'espérer se passer de nucléaire sans augmenter les émission de CO₂. Tous les scénarios écologistes sont bâtis sur cette hypothèse, mais même ainsi, se passer de nucléaire relève de l'exploit. Mais au final, on voit bien qu'aucun gouvernement véritablement sain d'esprit ne s'engagera dans une telle politique. La tendance est claire: si on veut réellement diviser la consommation d'énergie par 2 d'ici à 2050, c'est une dépression de 30 ans qui est prévisible. Même avec un objectif très optimiste de gains d'efficacité, la croissance restera très faible. Il se passera donc avec ces objectifs ce qui s'est passé partout dans le monde face à ce type d'engagement intenable: il sera abandonné lorsqu'il deviendra trop voyant qu'on ne peut pas l'atteindre. Il reste toutefois qu'il devient difficile de prendre au sérieux aucun des objectifs mentionnés dans cette loi quand on voit que le gouvernement fixe un objectif de croissance de 0.7%/an à rebours de tout ce qu'il promet par ailleurs! Mais cela n'empêchera pas dans l'intervalle de prendre des décisions néfastes sur cette base…

1 octobre 2014

Quel contrôle des coûts pour les EnRs?

Ségolène Royal a répété à de multiples reprises à la radio dimanche dernier que les EnRs et les travaux d'isolation allaient rapporter de l'argent au lieu d'en coûter. Cela implique normalement que les coûts pour la collectivité soient contrôlés de façon à ce qu'on tire le maximum des énergies renouvelables les moins chères. En effet, utiliser les énergies renouvelables les moins chères permet d'en utiliser le maximum pour un montant donné: on maximise de cette façon le rendement des investissements.

Lors de son interview, Ségolène Royal a mentionné une famille habitant dans une habitation nouvelle dont la facture d'énergie était de 96 centimes d'euro par mois. La suite de l'entretien montrait quelle était la recette: une bonne isolation, certes, mais aussi l'installation de panneaux solaires qui permettent de toucher des subsides très intéressants qui s'élèvent dans le cas de cette nouvelle habitation à plus de 280€/MWh produit. On peut comparer cela au coût de la fourniture d'énergie dans le Tarif Bleu d'EDF, destiné aux particuliers: il était en 2012 d'environ 45€/MWh (rapport de la CRE, Figure 54, p78). La différence est évidemment payée par une taxe, la CSPE: autrement dit, si ce ménage ne paye que 96 centimes par mois, c'est que la collectivité paye le reste.

Les charges de la CSPE représentent, pour sa partie finançant les énergies renouvelables, plus de 3.5G€ cette année. Comme l'indique le site de la CRE, le montant de la taxe devrait être de 22.5€/MWh mais elle est limitée à 16.5€/MWh parce que la hausse de la taxe est limitée à 3€/MWh par an. Un déficit de plus en plus important est en train de se creuser, qu'il faudra bien combler un jour. Toujours est-il qu'on peut constater que les seules EnRs électriques réclament un financement de l'ordre de 12€/MWh dont l'essentiel va à 3 sources d'énergie: l'éolien, la biomasse et le solaire PV, ce dernier se taillant la part du lion. Ces 3 sources représentent environ 3% de la production totale d'électricité en France … pour un chiffre d'affaires global égal à 25% de l'ensemble!

En Allemagne, le montant de la taxe a explosé en quelques années à cause du rythme d'installation des panneaux solaires et l'absence de contrôle des coûts. Elle est aujourd'hui de 62.4€/MWh, soit plus que le coût des productions classiques ou encore près de 2 fois le prix spot de l'électricité en Allemagne. La taxe EnR allemande est une des raisons pour lesquelles le prix de l'électricité pour les particuliers atteint 300€/MWh. Comme on le voit, le contrôle des coût devrait constituer une partie essentielle de la politique menée si on veut préserver le pouvoir d'achat des Français — comme l'affirme Ségolène Royal. La Cour des Comptes a aussi publié un rapport très critique à ce sujet l'an dernier.

On pouvait donc s'attendre à ce que des mesures soient prises sur ce terrain. En lisant le projet de loi, on constate qu'il y en a … aucune! Il y a bien des dispositions tenant compte des demandes de la commission européenne — mais dont bien sûr l'essentiel des installations, éoliennes et solaire seront exonérées — et l'article 50 sur un comité de gestion de la CSPE qui sera chargé de faire ce que fait actuellement la CRE. C'est tout. À un député proposant une réforme, il est répondu qu'une mission d'information a été mise en place … alors que le problème est connu depuis plusieurs années: la commission sénatoriale de 2012 sur les coûts de l'électricité a déjà abordé le sujet! Que rien ne soit prévu dans ce projet de loi est donc un pur scandale. À côté de cela, Ségolène Royal continue de chanter les louanges de l'éolien en mer. L'appel d'offres de ce printemps s'est soldé par un prix d'environ 220€/MWh en 2022. Aucun compte ne semble avoir été tenu du rapport de la Cour des Comptes. Bref, le robinet est toujours grand ouvert.

Au-delà de la protection du pouvoir d'achat, un contrôle des coûts est aussi important car plus les sources d'énergies qui incluent des EnRs sont taxées, plus on favorise les autres sources. En effet, le ratio des prix devient plus favorable aux autres énergies et les effets d'éventuelles taxes carbones est neutralisé par l'inflation liée aux EnRs. Aujourd'hui, le gaz est soumis à une taxe carbone minime qui va atteindre 4.45€/MWh en 2016, soit moins de 10% du prix du gaz (hors taxes). La CSPE est de 16.5€/MWh cette année, elle atteindra donc 22.5€/MWh en 2016 soit probablement plus de 20% du prix hors taxes de l'électricité. Autrement dit, l'expansion des renouvelables décourage l'emploi d'une source peu carbonée comme l'électricité française (environ 50g de CO₂ par kWh) en faveur de l'emploi d'un combustible fossile comme le gaz naturel (environ 200g de CO₂ par kWh). L'absence de contrôle des coûts est un encouragement à émettre plus de CO₂, à rebours de tous les objectifs proclamés.

Pour conclure, le manque de dispositions visant à contrôler les coûts dus aux énergies renouvelables, notamment électriques, me semble un pur scandale. Alors que la ministre proclame urbi et orbi que son projet de loi va rapporter de l'argent, qu'elle veut faire baisser les émissions de CO₂, elle acte en approuvant des projets hors de prix et en ne prenant aucune autre mesure des incitations financières exactement inverses. Au fond, c'est significatif des buts de ce projet de loi: il ne s'agit pas tellement de développer au maximum les énergies renouvelables pour un prix raisonnable et de réduire les émissions de CO₂ par ce biais, mais d'en construire pour elles-mêmes, pour des qualités qu'on leur donne a priori, parce que cela va dans le sens de l'idéologie dominante au PS et surtout chez leur allié les Verts.

29 septembre 2014

Vers des rénovations obligatoires

Le projet de loi sur l'énergie de ce quinquennat va être étudié à l'assemblée dans l'hémicycle à partir de ce mercredi 1er octobre. Le projet original est passé en commission où plus de 2000 amendements ont été étudiés pour arriver à la version approuvée par la commission parlementaire sur le sujet. Pour l'occasion, Ségolène Royal a fait un passage à la radio ce dimanche pour défendre cette loi.

J'écrirai peut-être d'autres articles sur le sujet de ce projet de loi dans les prochains jours. Pour commencer, cet article porte sur l'article 5, qui modifie l'article de loi qui permet au gouvernement d’édicter la règlementation thermique. La nouvelle rédaction va donner pouvoir à l'état d'édicter l'obligation d'effectuer des travaux d'isolation lorsqu'on ravale une façade ou rénove une toiture.

Ce faisant, on s'engage de plus en plus vers un régime de rénovations obligatoires. C'est clairement une idée qui fait son chemin. C'est par exemple ce que soutient cette vidéo (The Shift Project): il est clairement proposé dans cette conférence d'obliger à faire des travaux d'isolation à la vente de certains logements. C'est aussi ce qui transparaît dans le paragraphe sur le bâtiment de ce billet d'Arnaud Gossement, avocat spécialisé dans ce types de questions énergétiques.

À mon sens, cette idée est à double tranchant. Dans le meilleur des cas, elle peut effectivement atteindre son but d'accélérer le rythme de rénovation des bâtiments. Dans le pire des cas, elle peut freiner d'autres travaux — ceux qu'on veut lier à des travaux d'isolation — ou renforcer les blocages sur le marché immobilier, en agrandissant la différence entre la somme reçue par le vendeur et celle payée par l'acheteur. Le blocage peut s'opérer de plusieurs façons:

  1. La plus immédiate est celle du coût: en liant des actes qui n'étaient pas a priori liés jusque là, on impose une dépense supplémentaire à des gens qui n'en ont pas forcément les moyens ou l'envie. Une réponse très simple est alors de ne pas faire de travaux ou de faire des travaux qui ne tombent pas sous le coup des obligations. Par exemple, dans le cas d'une rénovation de toiture, on peut décider de ne plus faire que remplacer les ardoises ou les tuiles en trop mauvais état pour éviter l'obligation d'isolation imposée en cas de rénovation complète.
  2. Une autre est qu'il n'est pas évident que le coût de ces travaux imposés puissent être répercutés sur les locataires: on renforce donc la faiblesse des rendements locatifs en France … ce qui a normalement pour contrecoup de moindres dépenses d'entretien ou d'amélioration.
  3. La plus insidieuse est qu'on va vers un système normatif où il va falloir se justifier. Une justification a toujours un coût. De plus la normalisation de ces travaux peut les complexifier notablement. Pour en revenir à mon billet précédent, entre la règlementation thermique de 2005 et celle de 2012, il y a eu une multiplication par 5 de la longueur de la norme.

Sur une note plus polémique, ce type d'article contredit aussi directement les propos de Ségolène Royal lors de son passage radio où elle a souvent affirmé que les économies d'énergie imposées par cette loi allaient rapporter de l'argent. Pourquoi imposer aux gens des rénovations par la loi, si elles sont véritablement rentables pour eux? Dans ce cas, édicter des normes peut se révéler totalement contreproductif en les obligeant à se justifier de ce qu'ils auraient fait naturellement. Au contraire, de tels articles de loi montrent que les prix de l'énergie ne sont pas suffisamment élevés pour justifier d'investir fortement pour réaliser des économies d'énergie. Les travaux visés sont toutefois ceux qui sont le plus proches de la rentabilité, voire déjà rentables aux prix actuels: une étude de l'UFE de 2012, le lobby des électriciens, montrait que l'isolation des combles et l'isolation par l'extérieur avaient au moins des taux de rentabilité positifs dans la plupart des cas.

Pour conclure, je suis partagé sur ce genre d'articles de loi: d'un côté ils sont relativement limités dans leurs conséquences immédiates et concernent des rénovations raisonnables, mais de l'autre la pente sur laquelle le gouvernement s'engage est très glissante. Ces obligations de rénovations peut d'abord se traduire par moins de rénovations. Mais la mesure peut rencontrer un succès certain et la tentation deviendra grande pour l'utiliser pour forcer toute sortes de travaux, nettement plus loin de la rentabilité. On aurait alors une réglementation qui aurait pour effet de freiner les rénovation à cause de l'obligation d'effectuer des travaux très loin du seuil de rentabilité et qui deviendrait sans doute aussi de plus en plus tatillonne pour parer à ceux qui tenteraient de la contourner. De plus, pour les locations, il faut accepter que les investissements se traduisent par une hausse des loyers, ce qui est tout sauf assuré!