De la réduction de la consommation d'énergie finale de 50% d'ici 2050
Par proteos le 22 septembre 2013, 19:40 - Énergie - Lien permanent
Vendredi dernier, François Hollande a annoncé son objectif de voir la consommation finale d'énergie — celle payée par le consommateur final — divisée par 2 d'ici 2050. Je suis fort sceptique que cet objectif puisse être réalisé et certain qu'il est néfaste, ce qui ne doit pas surprendre mes lecteurs réguliers.
Pour bien comprendre à quel point cet objectif est irréaliste, il faut se rappeler que, dans le scénario central du gouvernement allemand, il n'est prévu qu'une baisse de 40% (tableau 1 p7). À ceci, il faut ajouter que la population est attendue en baisse d'un peu plus de 10% (tableau 2-2, p80); en conséquence, la baisse de consommation d'énergie finale par habitant est d'environ 1/3. En France, il est communément admis que la population augmentera d'environ 10% d'ici 2050, l'objectif présidentiel se traduit par une baisse de 55% de la consommation par habitant. L'Allemagne a décidé de s'embarquer vers un modèle où l'essentiel de son énergie proviendrait de sources renouvelables et a exclu de recourir au nucléaire, ce qui limite les quantités disponibles — quoique 15% d'importations d'électricité soient par exemple prévues. Cette simple comparaison devrait amener à avoir des doutes sérieux sur l'éventuelle réflexion qui a précédé cette annonce, ou alors sur les scénarios allemands.
Les sources ne sont pas bien difficiles à trouver, le fameux débat, dont on a dit pis que pendre ici-même, fournit tout de même quelques documents dont un résumant les scénarios considérés. On y voit p8 la liste des scénarios qui correspondraient plus ou moins à l'objectif présidentiel, leurs supporters rassemblent essentiellement des associations écologistes, l'ADEME, ainsi que le gestionnaire du réseau de gaz — point qui peut étonner quand on sait qu'il doit être question de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le groupe de scénarios "Sobriété" est représenté entre autres par le scénario négaWatt où il s'agit d'abord d'être contre le nucléaire et de tout faire pour l'éviter. (On peut lire ma critique de scénario,celle de Sauvons le Climat, ainsi qu'une critique de la partie «biomasse»). Le groupe de scénarios "Efficacité" compte notamment l'ADEME (critique personnelle & celle de Sauvons le Climat, publiées avant que les documents complets ne soient rendus publics). Ces scénarios ont pour caractéristiques communes une contrainte importante placées sur les citoyens: impossible de se déplacer comme on le souhaite, le secteur des transport est soumis à des limitations draconiennes pour quelqu'un vivant en 2013. Des hypothèses bizarres sont faites, ainsi point de développement des deux-roues à moteur pour l'ADEME d'ici à 2030, alors qu'avec la forte hausse du prix du pétrole, ils s'étaient quelque peu développés. Il n'y a pas d'étalement urbain, la surface habitable par habitant est constante — elle a augmentée d'un tiers entre 1984 et 2006 (p129) —, ce qui implique un zonage très strict et des problèmes pour les jeunes générations, les vieux ayant tendance à rester dans leurs grands logements une fois les enfants partis. Bref, les prix élevés de l'immobilier sont garantis dans ce type de scénario. On mange aussi suivant les préconisations de la FAO, c'est à dire nettement moins de viande et plus de petits pois. Dans le même esprit, le système électrique est équilibré de façon quasi-magique en utilisant de fortes doses de sources fatales intermittentes. Il semble ainsi que la manip' qui permet au système électrique d'être équilibré dans le scénario de l'ADEME, c'est qu'un filtre passe-bas limite les fluctuations de l'éolien en mer (p206 du document technique de l'ADEME). On peut dire que c'est un cocktail détonnant d'ingénierie sociale et d'hypothèses audacieuses sur les sources mobilisables, dont rien ne dit que les citoyens et les entreprises les acceptent et les mettent en œuvre.
Pour donner une idée de la contrainte à placer sur la consommation d'énergie, on peut se tourner à nouveau vers l'Allemagne. Comme on le sait, les prix de l'électricité pour les petits consommateurs ont fortement augmenté sous l'effet de l'introduction de la Stromsteuer et de l'explosion de la taxe «renouvelables». Ils sont passés de 14 cents/kWh en 2000 à 26 cents/kWh en 2012 (source: BDEW, p41), soit presque une multiplication par 2. Dans le même temps, la consommation d'électricité par les ménages et le secteur tertiaire, impactés de plein fouet par la hausse des prix, a augmenté de 7% (Source: AG Energiebilanzen p30). En France, les prix sont passés de 12 à 14 cents/kWh et la consommation a augmenté de 25% pour un périmètre comparable. On voit que la consommation d'électricité ne répond que faiblement aux hausses de prix, par ailleurs tous les nouveaux objets ou presque en utilisent. Or, la production d'électricité est fortement contrainte dans les scénarios préférés du Président Hollande. Un rationnement n'est donc pas à exclure.
On pourrait penser que, comme ces déclarations portent sur un terme éloigné où François Hollande aura 96 ans, ces déclarations n'engagent à rien. Malheureusement, elles ont probablement une importance certaine, au contraire. Estimer que la consommation finale va baisser de 50% d'ici 2050 a des conséquences sur les investissements à faire aujourd'hui: pas besoin de capacité électrique pilotable supplémentaire, par exemple. Or, il s'avère que si la croissance repartait, il est fort possible selon RTE qu'on ne puisse éviter un black-out lors des hivers 2016 et 2017. Il faut aussi prendre en compte le fait que construire des centrales électriques, des lignes haute tension, des réseaux de chaleur, tout cela prend du temps et de plus en plus, à cause des consultations qui ne cessent de s'allonger pour les projets d'infrastructure. Si le gouvernement, forcément impliqué dans ces décisions, sous-estime gravement la demande, une pénurie est inévitable car le temps manquera pour construire les infrastructures nécessaires. En fait, estimer que ces déclarations n'ont aucune importance, c'est penser que les transitions énergétiques sont rapides et qu'on peut facilement changer de direction à tout moment. Rien n'est plus faux: historiquement, les nouvelles sources d'énergies ne se sont imposées que lentement, sur plusieurs décennies. Des pays de taille raisonnable comme la France peuvent aller plus vite, mais cette prégnance du long terme reste: dans le secteur électrique, la construction du parc nucléaire qui domine la production d'électricité a été décidée il y a maintenant 40 ans, sa réalisation a pris 20 ans pour l'essentiel. Il en va de même pour le chauffage: de nombreuses maisons restent chauffées au fioul alors que ce dernier n'est plus compétitif au vu des cours actuels, les chaudières gaz à veilleuse sont restées longtemps sur le marché — et sont sans doute toujours en usage — alors que celles à allumage électronique sont plus économiques au total. Il est donc sans doute de bon ton de prévoir une marge sur la consommation d'énergie: il est tout de même nettement plus simple de s'abstenir de construire quelque chose dont on n'a finalement pas besoin que de s'agiter en toute hâte parce qu'une pénurie s'est révélée.
De même, se reposer sur des technologies n'ayant aucune application actuellement, même sous la forme de prototypes est dangereux. Ces installations sont très populaires car parées de toutes les vertus, elles bénéficient en quelque sorte de la prime au rêve: ces installations ont pour principal avantage que personne ne les a vues en vrai ni n'a payé pour. On trouve dans ce genre d'infrastructure le stockage de l'électricité ou, dans un autre registre, les réacteurs au thorium. Il apparaît ainsi que le stockage le plus facile de l'électricité peut se faire via la production de chaleur, aussi connue sous le nom de chauffage électrique. Il semble que malheureusement, l'intersection de l'ensemble des supporters des énergies intermittentes et des supporters du chauffage électrique est vide. Même pour les installations qui n'existent qu'à l'état de prototypes ou connaissant un fort développement, rien n'assure qu'on pourra les déployer à plus grande échelle. Des limites fortes existent aussi pour les énergies renouvelables. Par exemple, 40% du maïs américain et 14% du soja servent à produire de l'éthanol pour une proportion dans l'essence aux USA de 10% seulement. En Allemagne, les cultures destinées à l'énergie représentent déjà 17% de la surface agricole utile. De l'autre côté, le 21e siècle a surtout vu le retour du charbon comme source importante d'énergie, y compris en Europe. Cela veut dire qu'il vaut mieux partir pour diminuer les émissions de CO₂ avec des technologies qui ont déjà fait en grande partie leurs preuves (nucléaire, réduction de la consommation des moteur automobiles…) et qui ont encore une grande marge de progression, quitte à intégrer les nouveautés par la suite, plutôt que de faire le pari de l'apparition d'une technologie miracle.
Au fond, il me semble que cette déclaration confirme que les mauvais traits de la politique énergétique de François Hollande que je craignais dès l'hiver 2011. Il fait des déclarations, en partie pour faire plaisir à ses alliés écologistes, en partie parce qu'il a été convaincu, mais leur réalisation concrète est hautement improbable: l'effort à réaliser est inouï. Un effort comparable à celui de l'Allemagne correspondrait, compte tenu des évolutions démographique, à une baisse limitée à 20% de la consommation d'énergie finale, ce qui correspond aux scénarios écartés. Appliquée telle qu'annoncée, la politique ne laisse aucune marge de manœuvre, sauf à prévoir de rater la cible en termes d'émission de CO₂. Il se trouve qu'on ne peut pas non plus écarter ces déclarations d'un revers de main, car l'approvisionnement en énergie de la France de 2050 se décide en partie aujourd'hui.
Commentaires
On peut même dire que le prix de l'électricité est passé en Allemagne à 28,5c€ en 2013, c'est dans le document. Ces données sont très intéressante d'ailleurs, pour mieux comprendre l'évolution, j'aimerais bien trouver le même avec les détails de la partie transport, commercialisation, production, et le prix de marché du gaz et du charbon. 2000 est quand même un point de départ particulier, avec une électricité nettement moins chère qu'en 1998.
Sur la consommation, on peut même remarquer que pour le conseil mondial de l'énergie, entre 2000 et 2010, la consommation d'énergie spécifique par ménage a augmenté de 1,1% en France contre 0,9% en Allemagne, la différence est donc encore plus faible. C'est sur le chauffage que l'Allemagne a trouvé 0,6% a économiser par an, contre 0,1% d'augmentation pour la France (NB: éviter d'utiliser 2011 comme référence car la consommation a été exceptionnellement faible en France, elle est repartie à une valeur normale en 2012)
L'intersection des partisans des énergies renouvelables et du chauffage électrique est à peu près zéro en France, mais pas forcément à l'étranger, où elle fait partie de la stratégie 2050 du Danemark ("it is advisable to start converting to electricity
or heat pumps already now, as oil and gas furnaces and boilers have to be replaced", DK Energy Strategy 2050, p27) et a conduit à leur interdiction en février dernier.
Effectivement, l'an 2000 est l'année où le prix de l'électricité en Allemagne est le plus bas. Cependant, le document de l'AG Energiebilanzen ne permet que de comparer qu'avec l'an 2000 et je n'ai pas trouvé d'autre document permettant de comparer simplement les consommations de ceux qui sont impactés à plein par les taxes sur l'électricité en Allemagne.
Pour ce qui est de la politique danoise, il faut bien dire qu'il s'agit surtout de favoriser les réseaux de chaleur, qu'ils veulent prioritairement alimenter à la biomasse si je ne m'abuse. Mais effectivement, ils envisagent de consommer les excédents d'éolien avec ça plutôt que le déverser à prix négatif ailleurs, ce qui est loin d'être idiot. On sait très bien pourquoi il y a une opposition au chauffage électrique parmi les supporters des énergies renouvelables en France: le chauffage électrique a été poussé par EDF en même temps qu'on construisait des centrales nucléaires. Une sorte d'effet de bord historique qui perdure, il faut dire qu'admettre que finalement la politique menée à l'aide EDF a eu des effets bénéfiques, ça casserait un peu la baraque.
Le chauffage électrique qui a été poussé par EDF est celui par convecteur, si je ne m'abuse.
Combien coûterait le remplacement de tous les convecteurs par des pompes à chaleur? (smiley inside, je sais que ce n'est pas du tout possible)
simple-touriste,
la réponse est: cher. Supposons qu'il en coûte 5000€ en moyenne (ordre de grandeur). Comme il y a une bonne dizaine de millions de logements chauffés à l'électricité, essentiellement par radiateurs à effet Joule, ça fait 50G€. Mettons donc que ça coûte entre 50 et 100G€. Ce n'est pas donné (entre 2 et 5% du PIB), mais pas si extraordinairement cher que ça. On voit aussi que ça prendrait des années quoiqu'il arrive. En plus de ça, la période de récurrence des travaux d'isolation est entre 25 et 50 ans.
Déjà, remplacer les convecteurs classiques par des panneaux rayonnant permet de faire certaines économies en transmettant mieux la chaleur aux personnes, et en évitant d'en envoyer une grande partie dans un flux direct en direction du plafond. L'obstacle des pompes à chaleur est l'investissement initial, plus la question de la durée de vie estimée de 15 à 20 ans. Dans certains cas, l'isolation plus un chauffage rayonnant peut être un choix plus efficace.
Minute moi-je :
Je confirme le confort procuré par un panneau rayonnant!
Je détestais le chauffage électrique du point de vue confort, temps de chauffage, etc. Dans un studio refait à neuf (avec une isolation améliorée mais loin d'être parfaite), je n'ai pas eu d'autre choix que le chauffage électrique, et j'en suis pleinement satisfait. Et la consommation électrique est bien inférieure à ce que j'imaginais.
(Je reste un favorable au chauffage central au gaz pour les plus grands appartements.)
Hum, pas sûr. Le nucléaire a une énorme marge de progression (surgénérateurs...), mais le reste ? Les constructeurs automobiles galèrent énormément pour des gains de 5% de consommation, je pense qu'on arrive à la limite.
D'accord sur le reste de l'article.
Sur le pari d'une nouvelle technologie qui tombe du ciel : de toute façon, dans les trucs qui comptent, c'est l'EPR ou rien, donc du nucléaire, donc le Mal (tm).
Sinon, j'avais lu quelque part une idée loufoque de chauffage aux micro-ondes (on micro-ondes les occupants, l'air ambiant reste froid), qui paraît réalisable dans les dix ans si c'est vraiment rentable (évidemment, les mêmes problèmes de temps de renouvellement des équipements que les pompes à chaleur se posent).
@ JMU
Pour les voitures, les constructeurs ont une grosse marge de progression, qui s'appelle essentiellement... des voitures beaucoup plus légères. Techniquement, nos constructeurs savent parfaitement faire des voitures qui consomment 1,5L aux 100 km. Mais il ne faut pas s'attendre à ce qu'elles pèsent 1,2 tonne et qu'elles montent à 200 km/h... Elles pèseront plutôt 400 à 500 kg, et plafonneront à 110–120 km/h en vitesse de pointe (mais l'avantage, c'est qu'en divisant par 2 la vitesse de pointe, on divise en gros par 8 la puissance maxi... et tout le surpoids qui en découle !)
Ensuite, le secteur automobile a également une grosse marge de progression en passant à l'électricité. David MacKay, dans son livre L'énergie durable — Pas que du vent ! (cf. lien dans ma signature) montre que les voitures thermiques actuelles consomment 60 à 80 kWh pour 100 km, alors que les mêmes véhicules 100% électriques ne consomment que 15 à 20 kWh pour 100 km (le Kangoo est un bon point de comparaison, par exemple). Le problème ici, c'est plutôt que même si les technologies de l'électrique sont éprouvées, on n'est malgré tout plus à technologie constante. Convertir à l'électricité ne serait-ce que la moitié du parc automobile exige de construire des infrastructures nouvelles assez coûteuses, à la fois pour fabriquer les voitures et leurs batteries, et pour mettre en place un système d'échange rapide de batteries dans toutes les stations-services du pays (ce qui élimine le problème de la moindre autonomie des véhicules électriques, maximise à faible coût le taux de recyclage des batteries, et réduit considérablement le coût de diffusion d'une nouvelle technologie de batteries plus performante).
Pour le chauffage, il est par exemple possible de faire appel à un chauffage urbain réutilisant la chaleur des centrales thermiques de production électrique (nucléaire et à flamme), et/ou à des pompes à chaleur. Un tel chauffage urbain oblige à poser sans doute des milliers de kilomètres de tubes à forte isolation thermique pour transporter la vapeur en sortie de centrale jusqu'aux villes (ce que, jusqu'à présent, l'on refusait de faire au-delà de quelques kilomètres), mais technologiquement et économiquement, c'est tout à fait à notre portée. Et là encore, les gains énergétiques et d'émissions de CO2 sont très importants par rapport au chauffage actuel, majoritairement au gaz et au fioul (pour mémoire, le chauffage en France, c'est aujourd'hui : 300 TWh/an de gaz, 160 TWh/an de fioul, 90–100 TWh/an de bois, 75–80 TWh/an d'électricité). Et même si on choisit de considérer que la pose de ces « vapoducs » est trop coûteuse (parce que la distance à couvrir est trop longue rapportée au gain que l'on en obtient), il est malgré tout plus efficace en énergie et en émissions de CO2 de se chauffer avec des pompes à chaleur alimentées électriquement par des centrales à gaz, que de se chauffer avec sa chaudière individuelle à gaz (là encore, cf. L'énergie durable — Pas que du vent !)
JMU,
Je n'ai pas grand chose à ajouter à ce que dit HollyDays, sauf que même maintenant, les constructeurs font des progrès plus importants que 5% sur la consommation des voitures. Pour preuve, chez Renault, une Clio 1.2L essence 75ch consomme 7L/100km alors qu'avec 0.9L essence 90ch consomme 5.5L/100km (en cycle urbain pour les 2). On peut toujours arguer que les constructeurs optimisent les voitures pour les normes et que ça ne représente pas une consommation réelle, mais il y a quand même une réduction de 20% de la consommation pour une augmentation de la puissance de 20%. Difficile que ça ne se traduise pas dans les consommations constatées par les automobilistes.
Il y a évidemment une limite physique pour les moteurs à explosion, mais il semble rester encore quelques marges de progression, à prestations constantes. De plus, on peut envisager un avenir pour des hybrides plug-in qui ont l'avantage de pouvoir concilier l'autonomie des moteurs à explosion et propulsion électrique.
Bref, je pense que même à prestation équivalentes (mais pas forcément à coût équivalent), il reste une marge de progression de plus de 5% que la consommation des voitures.