Tous les ans au mois d'octobre, le niveau de la taxe finançant les productions renouvelables d'électricité en Allemagne est ajusté aux besoins. Le système allemand a été copié ailleurs: il s'agit de garantir au producteur un prix de l'électricité déterminé en fonction de la technologie employée. Il est décrit avec force diagrammes dans un document de l'association des réseaux de distribution allemands (BDEW), dont l'essentiel a été traduit par l'association Sauvons le Climat. Les 4 gestionnaires des réseaux THT sont obligés de racheter cette électricité et donc de fournir le fonds de roulement du système. Une partie des coûts est récupéré en revendant immédiatement cette électricité aux distributeurs au prix du marché. Comme, évidemment, le prix garanti au producteur est presque tout le temps supérieur au prix de marché, une taxe prélevée directement sur les consommateurs est nécessaire. Cela permet aussi de financer les coûts de trésorerie du système. Les gros consommateurs industriels sont pratiquement exemptés de cette taxe, ils ne paient qu'un montant de 0.5€/MWh: c'est devenu symbolique au regard de ce que paient les autres consommateurs.

Le système de l'obligation d'achat fonctionne à guichet ouvert, le montant de cette taxe peut donc augmenter très vite:

  • si ce sont les moyens les plus chers qui se développent rapidement. C'est le cas en Allemagne: à la fin de l'année 2011, il y avait 27GW de solaire photovoltaïque installés, presque autant que l'éolien. Même si le solaire photovoltaïque produit 2 fois moins d'énergie sur l'année que l'éolien à puissance égale, les prix d'achats sont quasiment 4 fois plus élevés pour le solaire. C'est ainsi que le solaire photovoltaïque consomme plus de la moitié de la taxe (p41 du document du BDEW).
  • en cas de mauvaise anticipation des installations. Comme la taxe est fixée en octobre, il reste deux mois et demi et une marge d'erreur sur les installations de l'année en cours. En cas de changements de tarifs, comme entre 2011 et 2012, on assiste à un rush pour bénéficier du tarif le plus intéressant. L'année suivante, en 2013 donc, il faut combler un déficit.
  • en cas de baisse des prix de l'électricité sur le marché. Un prix moyen de vente est anticipé en prenant comme référence le marché à terme. Si la conjoncture se dégrade, les prix de l'électricité vont baisser du fait d'une baisse de la demande, notamment des consommateurs industriels. Mais le développement des renouvelables impacte aussi ce prix de marché: comme le gestionnaire de réseau est obligé de revendre immédiatement l'électricité renouvelable, il accepte n'importe quel prix, à la différence des centrales à combustibles fossiles. Le prix peut donc tomber très bas, voire devenir négatif, en cas de forte production renouvelable. Comme il s'agit de passer le coût du système de prix garanti du producteur au consommateur, ce dernier ne peut alors bénéficier en aucune façon de la baisse du prix de marché puisqu'il doit combler la différence. Au contraire même, cette électricité renouvelable vendue à prix cassé profite à ceux qui achètent sur le marché spot et ne paient pas la taxe, c'est-à-dire les industriels. Et de façon perverse, plus la demande est faible, plus la taxe est élevée!

L'année 2012, comme on peut s'en rendre compte cumule ces 3 phénomènes. Suite à un changement de tarifs, un rush s'est produit en fin d'année sur le solaire photovoltaïque: 2GW ont été installés sur le seul mois de décembre 2011. Le solaire photovoltaïque est la plus chère des énergies subventionnées. Le prix de l'électricité est resté bas, d'une part à cause de l'afflux de productions renouvelables et d'autre part à cause de la conjoncture allemande et plus largement européenne. Il ne faisait aucun doute que les prévisions du BDEW pour 2013 seraient dépassées, alors qu'elles étaient de 47.4€/MWh (p65).

L'agence de régulation des réseaux allemande a annoncé le 15 octobre que le montant serait finalement de 52.77€/MWh, soit une hausse de presque 50%. Elle dit aussi que le déficit accumulé est de 2.6G€ sur la seule année 2012: le système était équilibré à la fin 2011. Les causes de ce déficit sont le rush photovoltaïque de fin d'année et le faible prix de l'électricité, comme on vient de l'expliquer. En conséquence, les gestionnaires de réseau vont aussi renforcer le fonds de roulement qu'ils maintiennent, afin d'éviter qu'une telle mésaventure ne se reproduise. On peut voir sur le graphe ci-dessous que depuis 2009, c'est-à-dire depuis qu'il est financièrement intéressant d'installer des panneaux photovoltaïques, la taxe explose. Elle est passée de 13.1€/MWh en 2009 à 52.77€/MWh en 2013, soit une multiplication par 4 à partir d'un montant qui n'était déjà pas ridicule. taxe_EnR_2000-2013.jpg

On peut aussi constater que le prix d'une fourniture constante d'un MW pendant toute l'année 2013 vaut actuellement environ 47€/MWh. Certes, les consommateurs doivent aussi payer une part d'électricité de pointe, mais on peut constater que la taxe a atteint un montant tout à fait comparable avec le prix de production de l'électricité en général, alors même qu'elle n'est due que pour une part minoritaire de la consommation. Pour fixer les ordres de grandeurs, le système exonère environ 20% de la consommation électrique allemande de la taxe, alors que la subvention ne finance environ que 20% de la production totale. Le coût du système de subvention allemand semble donc extrêmement élevé.

Une telle hausse a aussi ravivé le débat sur la nécessité de faire contribuer aussi les gros consommateurs industriels, comme on peut le constater dans la presse allemande. Il y a cependant peu de chances que cela aboutisse vraiment: pour ces consommateurs, l'électricité représente une part importante des coûts de productions. En conséquence, les mettre à contribution de la même façon que les consommateurs domestiques ferait exploser leurs coûts de production, ils ne seraient plus compétitifs. Comme le système est visiblement hors de contrôle, ils pourraient même avoir des difficultés à simplement prévoir leurs coûts de production.

Pour conclure, il n'aura échappé à personne que je suis très sceptique sur l'opportunité de subventionner de la sorte les renouvelables électriques. Le principal problème de ce système de subvention est qu'il repose sur la connaissance des coûts de chaque technologie et non sur le bénéfice apporté à la société ou au consommateur. On constate en Allemagne que la majeure partie des subventions vont au photovoltaïque qui ne représente qu'une partie minoritaire de la production renouvelable. On entend souvent que ces subventions sont destinées à faire atteindre la parité en matière de coûts à ces technologies mais, dans le cas allemand, on va arriver à saturer le réseau en installations solaires avant même d'arriver à proximité de ce point. S'engager sur cette voie en France, où on a déjà décarbonné l'essentiel de la production électrique, apparaît plus que jamais comme une grave erreur.