30 octobre 2013

La taxe des petits malins

Le gouvernement a aujourd'hui décidé de reporter sine die l'application de l'écotaxe, officiellement taxe poids lourds, suite aux manifestations qui se sont déroulées en Bretagne.

À première vue, l'écotaxe ressemble à une taxe d'usage: plus on roule, plus on paie, le produit net de la taxe est affecté à l'organisme étatique chargé des projets d'infrastructures. Cependant, contrairement à une véritable taxe d'usage, les voitures particulières sont exonérées, ainsi que d'autres poids lourds parmi lesquels les véhicules de secours et … les citernes de lait. Des abattements sont prévus pour certains endroits, dont la caractéristique principale est d'être peu pourvus en autoroutes. À part les grandes routes, le reste est exonéré, un des buts avoués de la taxe est de favoriser les canaux et le train. On remarque aussi que plus le poids lourd respecte une norme anti-pollution récente et moins le poids lourd consomme de pétrole, moins il paie. C'est aspect est naturel puisque cette taxe a été décidée après le fameux Grenelle de l'Environnement. Il semble donc qu'il s'agit en fait de taxer la consommation de carburant, on y reviendra.

Un article des Échos sur la genèse de cet impôt particulier, on constate aussi que d'autres raisons ont présidé à cette remarquable invention. L'appât du gain que l'exemple allemand a provoqué: peu importe que le réseau allemand ne connaisse pas le péage. Les reports de trafic vers l'Alsace créent aussi un allié, les élus alsaciens, qui ne veulent pas de ce nouveau trafic. Enfin, la privatisation des autoroutes a privé l'organisme qui s'occupe des infrastructures de la plupart de son financement.

La complexité de la taxe ne cesse d'étonner. Elle nécessite la pose de portiques le long des grandes routes partout en France et l'enregistrement de l'ensemble des camions circulants. Une telle infrastructure demande un entretien important, ce qui fait que la collecte coûte 250M€, soit un quart des recettes totales. Penser qu'une gestion publique aurait fait mieux n'est pas fondé: les radars automatiques coûtent plus de 200M€.

Alors, pourquoi ne pas avoir simplement rogné la ristourne fiscale sur le diesel dont bénéficient les poids lourds? Le risque aurait alors été le blocage de grandes villes ou plus simplement des raffineries. Pour amadouer les éventuels protestataires, les transporteurs routiers ont été autorisés à extérioriser le coût de cette taxe auprès de leurs clients dont la grande distribution, en sus des autres exonérations accordées: aux laitiers, aux Bretons, etc. Le report dans un futur indéterminé en 2008 a aussi permis de reporter à plus tard la protestation et de se lier les mains en préparation de cette contestation très prévisible lorsque le moment de payer allait s'approcher. Enfin, créer une taxe particulière permettait de l'affecter et s'empêcher de déshabiller les investissements dans les infrastructures pour boucler le budget.

Évidemment, l'heure de passer à la caisse a fini par se préciser et il s'avère que la taxe aurait dû s'appliquer à partir de l'année prochaine. Et tout s'est passé de façon défavorable. Les donneurs d'ordres ont négocié comme avant auprès des transporteurs, et la taxe allait se répercuter suivant la théorie de l'incidence fiscale. Il s'avère que dans l'agro-alimentaire, c'est à court terme les agriculteurs qui paient. Comme une bonne part du transport s'effectue en fait dans les derniers kilomètres et que les abords des grandes villes sont dépourvus d'autoroutes à péages, ceux qui pensaient être à l'abri car en «cycle court» se sont aperçus qu'en fait, ils allaient payer.

On a là un concentré de l'impéritie de l'état français. Une taxe pour décourager l'usage d'un produit qui se raréfie — même le PDG de Total dit que les quantités extraites chaque année vont baisser la prochaine décennie — et qui est responsable d'une bonne part du réchauffement climatique — un tiers des émissions dues à la combustion d'hydrocarbures au niveau mondial — est légitime, mais personne ne sait comment la faire accepter. Germe alors l'idée de la faire par une voie détournée, en persuadant ceux qui pourraient bloquer la mesure qu'ils ne paieront pas, en se liant les mains et en reportant l'application à une époque où il est probable que le pouvoir aura changé de mains. Bien sûr, pour que l'illusion fonctionne, la complexité de la taxe est très élevée et demande des investissements pour mettre en place un système de recouvrement. L'illusion se dissipe et le nouveau gouvernement ne sait toujours pas comment faire accepter cette augmentation de taxes. Ce manque d'argent oblige alors à mettre en veilleuse certains projets d'infrastructures, faute de financement. On sait aussi que ces deux aspects, moins de consommation de pétrole et disposer de rentrées fiscales pour financer les infrastructures, font consensus entre les différents partis. Au fond, les politiques ne savent plus comment faire accepter des actions qu'ils jugent légitimes, que ce soit pour financer l'action de l'état ou pour éviter des évènements néfastes.

22 octobre 2012

Défendre sa niche

La saison du budget étant revenue, un marronnier a refait son apparition dans la presse: la question de l'avantage fiscal accordé aux journalistes. Il consiste actuellement en un abattement minorant le revenu fiscal de référence de 7650€. Comme on peut le voir dans l'article, qui donne le résultat de simulations, les conséquences sont substantielles, puisque l'impôt sur le revenu à régler est diminué d'environ 1000€. Cela a aussi des conséquences sur la taxe d'habitation qui est plafonnée en fonction du revenu fiscal de référence. Même si l'article du Monde ne constitue pas à proprement parler une défense de la niche fiscale, il n'en constitue pas moins par certains côtés un bréviaire des arguments avancés pour la perpétuation des ces fameuses modalités particulières de calcul de l'impôt.

Le premier argument qu'on peut distinguer c'est de dire que cet avantage n'en est pas vraiment un ou bien que ceux qui en bénéficient ne sont pas vraiment favorisés. Dans cet article, il s'agit de dire que les journalistes ne sont pas si bien payés. En effet, une bonne part est sans doute d'un bac+5 ou plus et s'attend de ce fait à percevoir une rémunération en conséquence. Un graphe est donné, mais il peut être trompeur parce que donné en brut mensuel, alors que, comme l'article le laisse penser, les journalistes bénéficient d'un 13ᵉ mois. Pour pouvoir comparer, le voici ci-dessous libellé en brut annuel, d'après ce document (p56) fourni par l'association professionnelle idoine. salaires_journalistes_CDI.jpg On y voit que presque les 2/3 des journalistes employés en CDI touchent plus de 39k€ bruts par an, ce qui les met sans doute dans les 20% les mieux payés de France. En recoupant les divers tableaux et graphes donnés dans le document de l'observatoire des métiers de la presse, on voit que plus de 80% tirent des revenus de leur activité de journaliste suffisants pour être dans la moitié de la population la mieux payée. Certes, s'ils se comparent à d'autres professions à bac+5, comme les ingénieurs, les journalistes peuvent se sentir mal payés. Cependant, la lecture des résultats de l'enquête du CNISF montre que c'est surtout le fait d'exercer des fonctions d'encadrement et d'avoir des responsabilités financières qui fait grimper le salaire (p78). La plupart des journalistes ayant sans doute une formation essentiellement littéraire, le marché du travail ne leur est guère favorable comparé à la situation qui prévaut pour les ingénieurs ou ceux qui sortent d'écoles de commerce.
Une autre forme de cet argument figure dans l'article: il y a des niches plus extravagantes que la nôtre, comme par exemple, le Scellier ultra-marin. C'est un représentant des niches fiscales à destination de l'Outre-Mer dont l'efficacité pose question, comme on dit, et fait partie de ces niches dont on se demande comment elles se perpétuent d'année en année, sans jamais être plafonnées.

Le deuxième argument, c'est que ce n'est pas le moment de supprimer cette niche fiscale. Comme l'article le fait bien comprendre, la presse française traverse actuellement une crise suite à une baisse des ventes et au départ des annonceurs suite d'une part à cette baisse des ventes et d'autre part à l'arrivée d'internet comme nouveau support publicitaire. L'article affirme que les salaires sont en baisse, mais en regardant dans le document de l'Observatoire des métiers de la presse, on voit que les salaires sont en fait stables depuis le début des années 2000 en euros constants. L'article compare systématiquement au point haut, mais en fait on voit que les salaires oscillent autour de la même valeur. Depuis 2008, les salaires sont plutôt orientés à la hausse pour chaque catégorie de contrats. Cette stagnation des salaires n'est pas inattendue dans le contexte français actuel: depuis le début de la crise, les salaires stagnent. La presse connaissant une perte de recettes depuis le début des années 2000, les salaires ne sont plus augmentés plus que l'inflation. Par contre, il est vrai que, comme le mentionne l'article, le nombre de CDDs augmente, particulièrement chez les jeunes journalistes. Si les pigistes existent depuis longtemps, les CDDs étaient inexistants avant l'an 2000, et la crise récente a renforcé leurs effectifs. Comme dans bon nombre de secteurs en France, ils semblent jouer le rôle d'antichambre: ils touchent particulièrement les jeunes (p27 sq). Cela s'accompagne d'une féminisation renforcée (p47-48). L'essentiel des difficultés de la presse est bien réel, mais ces difficultés ne datent pas d'hier: la diffusion de la presse quotidienne n'a jamais été extraordinaire en France. L'équilibre économique du secteur dépend peut-être de cette niche fiscale, mais c'est aussi l'argument de nombre de secteurs, comme celui du bâtiment qui a obtenu une nouvelle niche sous la forme du Duflot pour succéder au Scellier.

Le dernier argument, c'est celui de la pression politique ou, dit autrement, du pouvoir de nuisance. L'article mentionne que la niche fiscale a été éliminée par le gouvernement Juppé en 1996 sous sa forme originelle, avant qu'elle ne réapparaisse avec le gouvernement Jospin. L'article précise aussi que des négociations avaient été ouvertes par le gouvernement Juppé ... mais pas avec les autres professions — dont certes certaines avaient disparu — bénéficiant de la même niche fiscale! D'autre part, les mouvements qui réclament la fin de la niche sont clairement de droite. Comme les journalistes sont réputés être majoritairement à gauche, on voit bien que la suppression gêne moins les gouvernement de droite — d'où l'action de Juppé — que ceux de gauche — d'où le rétablissement par Jospin. Pour leur part les gouvernements de droite n'hésitent pas à cajoler des catégories estampillées de droite, comme les restaurateurs. L'accès privilégié des journalistes aux média explique aussi pourquoi ce fut sans doute la seule profession à obtenir des négociations. Cette capacité à créer du grabuge explique aussi la longévité des niches pour l'outre-mer, la Corse ou les œuvres d'art, malgré leur côté extravagant: elles maintiennent une certaine paix sociale. Il est vrai que dans ce cas, l'intérêt général n'est pas forcément la motivation première pour l'instauration ou le maintien de niches fiscales, de même d'ailleurs que pour leur suppression.

L'article est aussi honnête: il précise bien que la justification de la niche est devenue compliquée de nos jours et que certains syndicats de journalistes proposent même — fait rare! — qu'elle soit supprimée. Il n'en constitue pas moins un exemple assez parlant de la difficulté de la suppression de tous ces avantages. Dans le cas présent, on a un groupe de gens qui peut faire beaucoup de bruit s'il le souhaite, pour lequel l'avantage est très tangible (1000€ par personne et par an), qui connaît actuellement des difficultés réelles et dont l'activité dépend au moins en partie de cet avantage. Comme beaucoup de ces niches rassemblent les mêmes caractéristiques: capacité à se faire entendre, importance individuelle de l'avantage, activité organisée autour de la fiscalité avantageuse. Bref, on aurait du mal à trouver meilleur article permettant d'imaginer à quoi les parlementaires et le gouvernement font face à longueur d'année en matière de fiscalité.

10 janvier 2012

Le quotient familial ou comment rater une occasion de consensus

En exhumant une étude du Trésor, un article des Echos vient de forcer le parti socialiste et François Hollande à se justifier. Les justifications n'ont fait qu'embrouiller les choses, le candidat socialiste préférant rester dans l'ambiguïté le plus longtemps possible sur tous les sujets. La droite et Nicolas Sarkozy ont répondu sur le thème bien connu on menace vos avantages en se gardant bien de dire pourquoi le système actuel était bon.

Après tout, l'intérêt de faire croitre l'avantage fiscal avec les revenus n'est pas dénué de justifications. Un enfant coûte plus cher aux familles avec des revenus élevés, tant en coût d'opportunité pour les femmes qu'en coûts monétaires, les parents aisés tentant de faire plus pour leur progéniture que les parents moins riches. Si on veut les encourager à faire plus d'enfants, il n'est pas illogique de leur donner un peu plus d'argent qu'aux autres. Pour le dire encore plus directement, l'argument socialiste semble être que tous les parents se valent quelque soient leurs revenus, l'envers étant qu'on peut suggérer qu'il vaut mieux faire naître les enfants dans les familles où l'argent ne manque pas, les subsides d'état ne couvrant pas vraiment les dépenses souhaitables pour élever un enfant.

Mais ce débat masque en fait un autre point: le quotient familial est sous-tendu par l'imposition commune au sein du ménage, point que les socialistes ne veulent pas changer selon l'article des Échos. Or, sur ce point les choses sont nettement plus claires: la structure progressive de l'IRPP fait qu'il est relativement défavorable pour celui qui gagne le moins de chercher à augmenter son salaire. En effet, tout supplément de revenu est taxé au taux marginal commun. Il y a aussi dans le système actuel des bizarreries avec la PPE et la décote. Dans un système d'imposition séparée, le membre du couple qui a le plus petit salaire a un intérêt plus important à le voir augmenter, parce que son taux marginal d'imposition y serait plus faible. Les conséquences pratiques à prévoir seraient donc de favoriser le travail des femmes — puisque c'est encore elles qui ont en moyenne des salaires inférieurs —, de façon générale, d'augmenter le volume de travail en France, faisant ainsi rentrer plus d'argent dans les caisses de l'état, et façon plus mesquine, renforcer la situation de celui qui est sans doute en situation de dépendance financière au sein du couple, favorisant le départ en cas de déception ou, plus grave, de violences.

Bref, on voit mal ce qui s'oppose à ce changement particulier, mis à part le fait qu'il y a, comme d'habitude, des perdants aussi bien que des gagnants. Il est tout de même rare de trouver pour une même mesure fiscale des arguments favorables qu'on peut dire de gauche — égalité homme-femme — et d'autres de droite — augmentation du volume de travail en France. Mais, évidemment, il était fatal qu'on passe à côté.

27 novembre 2011

Distraint of Fairness

La Commission sur la Rémunération Copie Privée a été instituée en 1985 pour décider des sommes à lever sur des supports servant à la copie d'œuvres, à l'époque les cassettes audio et vidéo. Elle a depuis largement étendu le nombre de supports taxables. Par ailleurs, le 17 juin dernier, le Conseil d'État a censuré les décisions de la commission décidant entre autres des barèmes suite à une décision dite Padawan de la CJUE. Même si le Conseil d'État avait magnanimement reporté l'application de sa décision à la fin de cette année, le gouvernement, suite aux pressions des ayant-droits, a déposé un projet de loi visant à faire entrer dans la loi les décisions successives du Conseil et aussi à reporter d'un an de plus les effets de la décision.

À cette occasion, Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) nous explique sur son blog combien ce système est différent d'une taxe, combien ce système est juste et combien l'organisme qu'il préside est étranger aux déboires judiciaires de la commission et que par conséquent, il faut que ce projet de loi soit vite voté.

Ceci n'est pas une taxe

M. Rogard nous affirme donc que la rémunération copie privée n’est pas une taxe, mais bien une rémunération de droit d’auteur et de droits voisins contrepartie d’un régime de licence légale. Pour en avoir le cœur net, rien de tel que de consulter des dictionnaires.

Le Petit Robert, dans son édition de 2004, nous annonce:

Rémunération
... 2. Argent reçu pour prix d'un service, d'un travail ...

Taxe
1. Prix fixé d'une manière autoritaire ...
2. Part d'imposition que doit payer un particulier; somme fixée par l'imposition ...

Quant au dictionnaire de l'Académie Française, huitième édition, il déclare:

Rémunération: ... Prix dont on paie des services, un travail; salaire ...

Taxe: Fixation faite officiellement du prix des denrées, des frais de justice, du port des lettres, etc.

L'argument tendant à faire accroire qu'il s'agit d'une rémunération paraît spécieux: pour quel service on paie-t-on? Elle est imposée à cause de l’impossibilité technique de contrôler chaque acte de copie réalisé par le consommateur, nous informe la page d’accueil de la commission. De fait, aucune aide n'est à attendre des ayant-droits pour réaliser une copie. Il s'agit d'une exception du droit d'auteur, pas d'un droit.

Les décisions de la commission portent évidemment sur la fixation d'un prix minimal pour certains biens. Ces sommes doivent être versées aux organismes de répartition. Elle décide assez librement de ce qui peut ou pas être taxé, elle a étendu peu à peu son emprise sur à peu près tous les supports d'enregistrement numérique, à part les disques durs nus et les ordinateurs.

Étant donné que les ayant-droits comptent pour la moitié des membres, rien ne peut se faire sans leur accord. Par ailleurs, en cas d'égalité des voix, le président de la commission dispose du pouvoir de trancher. Il est nommé par le ministère de la Culture, il n'a jamais voté en sens contraire aux ayant-droits. De plus, le représentant de la CFDT semble faire le plus souvent cause commune avec les ayant-droits.

Les décisions sont aussi régulièrement contestées devant le Conseil d'État, ce qui montre que leur contenu n'est pas accepté par tous les participants. Le fait qu'il leur soit donné raison régulièrement montre que la majorité à cette commission fait usage de son pouvoir. Le déroulement des débats montre aussi une ambiance singulière: certains participants répètent en séance des propos tenus par d'autres dans une séance antérieure pour qu'ils figurent sur le compte-rendu.

Le côté autoritaire par rapport à une rémunération peut se voir aussi à l'ampleur des sommes perçues. Un rapide détour par un vendeur sis hors de France et la consultation du barème montrent que la taxe atteint 500% du prix hors taxe pour les CDs et 600% pour les DVDs. Ne pas payer la taxe expose à une amende de 300k€. Les ayant-droit ont accès aux services fiscaux pour aider aux recouvrement des sommes qui leur sont dues à ce titre. Pour le dire simplement, les ayant-droits ont un pouvoir de taxation quasiment équivalent à celui de l'état dont ils ne se privent pas d'user.

Une juste taxe ou juste une taxe?

L'autre versant de l'argumentation de M. Rogard est que cette taxe est juste. C'est étonnant, car même si on s'accorde sur la légitimité du principe, les décisions de la commission sont régulièrement censurées par le Conseil d'État. Ce fut donc le cas dernièrement pour la décision de 2008. Mais ce fut aussi le cas en 2008 pour une décision de 2006. Cette censure était due au fait que les barèmes prenaient en compte les copies contrefaites — notamment réalisées à l'aide de réseaux peer to peer. À la suite de cette censure, la commission a réinstitué les barèmes précédents, en prétextant ne pas avoir pris en compte auparavant le taux de compression des fichiers. Au final, la décision du Conseil d'État n'a eu aucun effet, le taux de compression compensant miraculeusement au centime d'euro près les copies illicites sur tous les types de support. Il paraît tout de même difficile de traiter de juste un système où les décisions de justice n'ont strictement aucun effet concret et où les décisions sont jugées illégales vis-à-vis de règles posées de longue date.

Mais le système de taxe pour copie privée n'est pas vraiment légitime. Le principe de la copie privée veut que les copies restent dans le cercle familial qui de nos jours est restreint. En d'autres termes, il y a peu de chances que cela affecte durement l'exploitation commerciale des œuvres. Aux États-Unis, la doctrine du fair use — qu'on pourrait traduire par usage légitime — prévoit que de tels usages sont purement et simplement autorisés et ils ne donnent lieu à aucun indemnisation. C'est logique: si l'usage est légitime, il n'y a rien à payer en plus au moment de la copie privée, la charge devant être portée sur le prix du support originel destiné à la vente.

Comme on l'a remarqué plus haut, aucune aide des ayant-droits n'est requise, les acheteurs sont livrés à eux-mêmes, les copies sont réalisées pour autant qu'ils en soient capables et autorisés à le faire. D'ailleurs, les ayant-droits ne se sont pas gênés pour entraver les pratiques de copie privée. Ils ont introduit des systèmes de cryptage des données et de gestion des droits (DRMs). Ces systèmes se sont vus attribuer une protection légale particulière avec un présomption d'inviolabilité à la suite de traités (WCT, article 11 et WPPT, article 18) de l'OMPI qui, après quelques péripéties ont été retranscrits en France par la loi DADVSI. C'est ainsi que, vérifiant les conditions pour bénéficier de la protection, le DVD n'est officiellement pas copiable; si aucune sanction n'a été prononcée contre les programmes permettant de le faire, c'est sans doute à cause de la publication maintenant ancienne de la façon de procéder.

Mais ces verrous ont été fraîchement reçus par les consommateurs, peu pressés de payer plus pour pouvoir faire moins avec ce qu'ils achètent, comme l'avait prédit Cory Doctorow. C'est ainsi que les deux plus gros vendeurs de musique en ligne proposent pour l'un des version sans DRM, l'autre des mp3, alors qu'ils furent si longtemps décriés. Si ces verrous ont été adoptés, c'est parce que l'industrie du divertissement malmène ses clients de façon routinière. C'est ainsi qu'elle traite de pirates ceux qui téléchargent des copies illicites, sans chercher à les transformer en clients autrement qu'en leur faisant peur et en les menaçant de sanctions pénales. C'est ainsi que les films sur DVD et BluRay sont cryptés et bénéficient d'une protection légale anti-contournement, pour empêcher les acheteurs de les regarder sur tous les appareils dont ils disposent. Tous ces films légalement achetés sont d'ailleurs accompagnés d'un rappel des textes légaux, chose évidemment absente des films contrefaits. La taxe copie privée s'insère parfaitement dans ce cadre où il n'est question que de punir les clients pour leurs actions légitimes mais que les ayant-droits jugent déplaisantes.

une taxe illégitime

Pouvant prendre souverainement des décisions, la commission a usé largement son pouvoir et a étendu la taxe à tous types de supports. C'est ainsi que les clefs USB et les cartes mémoire d'appareils photo sont taxées. Comme on l'a vu, sur les supports historiques, CDs et DVDs, la taxe est tout simplement punitive. Il serait aussi question maintenant de taxer les supports à distance, pour profiter de la montée en puissance du cloud computing. Ces excès sont directement liés au fait que la commission opère sans contrôle extérieur et que ceux qui profitent du produit de la taxe sont les seuls décisionnaires. Pourtant, des mesures pour limiter le caractère excessif et autoritaires de la taxation existent: il s'agit des débats budgétaires au parlement. On l'oublie parfois, mais tant pour le Royaume-Uni que pour la France, ce sont les questions d'impositions qui ont imposé le système parlementaire. Sans limites à leur pouvoir, les souverains comme Charles I d'Angleterre ont levé des impôts archaïques pour leur seul profit, comme la Distraint of Knighthood. On peut certes avoir une confiance plus que limitée dans la capacité du parlement français à s'opposer aux abus de l'exécutif, il est peu probable que le fait de laisser partir à l'étranger — et donc laisser échapper la TVA afférente — les ventes de produits de grande consommation y jouisse d'une grande popularité.

Pour couronner le tout, les ayant-droits ont obtenu que les effets de la décision du Conseil d'État soient reportés encore un an après la promulgation de la loi actuellement en discussion, alors que le Conseil d'État avait déjà jugé bon de laisser 6 mois à la commission pour prendre en compte la censure. Ils ont aussi obtenu qu'aucune demande de remboursement des redevances perçues indûment ne puisse aboutir. En d'autres termes, ils ont obtenu d'être protégés contre les effets d'une décision de justice. Le citoyen ne peut que constater que les moyens de l'état sont mis au service d'un petit groupe de gens afin de protéger leurs revenus, dont les principes de collection ont été condamnés.

Dans l'idéal, le parlement devrait supprimer cette taxe ou la mettre à un niveau très bas sur un nombre limité de supports, elle est illégitime et le comportement des ayant-droits, en guerre permanente contre leurs clients, doit finir par leur coûter. Une mesure de salubrité publique serait que le barème soit soumis à un vote annuel dans le cadre de la loi de finances. Il serait bon qu'au minimum, les délais impartis par le Conseil d'État soient laissés tels quels, après tout, si la commission ne trouve pas d'accord, la responsabilité repose entièrement sur les ayant-droits qui y prennent toutes les décisions. Vu le texte voté par l'Assemblée Nationale, on en est loin.

20 août 2011

Cave canem

Le 12 août dernier, Martine Aubry, candidate aux primaires du parti socialiste et première secrétaire du PS, a publié une tribune intitulée Contre la dette, pour l'emploi, ma règle d'or où elle expliquait les raisons de son refus de voter les propositions actuelles de «règles d'or» du gouvernement et où elle présentait son propre programme fiscal, très proche du programme du PS.

Attaquant la politique fiscale du gouvernement, elle affirme que la majorité actuelle a accordé depuis 2002 70G€ de cadeaux fiscaux. J'ai essayé de vérifier ce chiffre en consultant divers rapports de la Cour des Comptes.

  • Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de 2010 pointe une augmentation de 17G€ (p110) des dépenses fiscales pour le budget de l'état proprement dit. Ce rapport pointe aussi que l'augmentation a débuté à partir du moment où les dépenses de l'état se sont vues fixées un objectif restrictif de progression, en 2004 (cf graphique p111). Il semble donc qu'il s'agisse avant tout de contourner cet objectif de dépenses publiques, les dépenses fiscales pouvant se substituer à de vraies dépenses budgétaires tout en n'en apparaissant que comme de moindres recettes.
  • Le même rapport précise que des mesures totalisant 80G€ en 2008 ont été retirées de la liste des dépenses fiscales. Le ministère du budget a en effet une grande latitude pour définir ce qu'est une dépense fiscale en définissant quelle est la façon «normale» de calculer l'impôt. La Cour relève que ces dispositions ont vu leur coût augmenter de 10% par an depuis 2000, ce qui donne une augmentation de 43G€.
  • La baisse de l'impôt sur le revenu décidée par le gouvernement Villepin a coûté environ 4G€ si on en croit le rapport sur la fiscalité des ménages.
  • La réforme de la taxe professionnelle coûte environ 5G€ si on ne prend en compte que les impôts pérennes qui ne seront plus versés à l'état, d'après le rapport sur la gestion budgétaire 2010 (tableau 1 p22).
  • L’exonération des heures supplémentaires coûte environ 3G€ si on en croit le rapport de gestion de la sécurité sociale 2010 (p101). Toutefois le tableau montre qu'entre les créations et les suppressions de mesures, le coût total est de 1G€.
  • Les changements concernant les droits de succession et l'ISF ont coûté environ 1G€. L'allègement des droits de succession contenu dans la loi TEPA peut être estimé à 1G€ (cf comparaison entre l'imposition en France et en Allemagne p151). Les mesures prises sur l'ISF devraient être neutres relativement aux cadeaux fiscaux dont il est question.

On peut retrouver plus de 70G€ de dépenses fiscales ou d'allègements d'impôts supplémentaires. Cela dit, il est impossible de savoir en détail ce qui relève de l'évolution naturelle des niches fiscales qui ont le don d'attirer les contribuables et ce qui relève des changements dans la politique fiscale du gouvernement. Il faut d'ailleurs noter que la Cour des Comptes reconnaît que les évaluations sont compliquées par le besoin de se fixer une norme de calcul de l'impôt. Le gouvernement s'en est servi pour faire sortir de la liste un certain nombre de dispositions; à tel point que certaines des niches que le gouvernement a supprimées pour l'année 2011 ne figuraient pas dans la liste officielle et n'y ont jamais figuré, comme par exemple la double déclaration pour les mariés (rapport annuel 2011 de la Cour, p65 sq). Inversement, les allègement de charges sociales pour les bas salaires sont en fait une façon de calculer l'impôt: le montant dépend uniquement de la base taxable; mais pour des raisons de compensation entre l'état stricto sensu et la sécurité sociale, cette mesure est comptée dans les niches sociales. Bref, la liste des niches est en fait établie de façon largement arbitraire.

On ne prend pas en compte non plus d'éventuelles hausses d'impôts qui viendraient compenser ces baisses. D'ailleurs, si on adopte un point de vue global, les cadeaux fiscaux sont moindres. Ainsi le rapport Champsaur-Cotis sur la situation des finances publiques pointe une baisse du taux de prélèvements obligatoires de 2.8% du PIB entre 1999 et 2008 du fait des changements législatifs. Cela conduit à estimer que les baisses d'impôts ont plutôt été de l'ordre de 54G€ sur la période. Cela inclut d'ailleurs la baisse d'impôt sur le revenu décidée par le gouvernement Jospin.

Martine Aubry annonce vouloir revenir sur 50 de ces 70G€. Mais comme ces 70G€ sont censés être inefficaces économiquement et injustes socialement, la question se pose de savoir pourquoi ne pas supprimer l'ensemble de ces 70G€. Peut-être aurait-on un début de réponse si le parti socialiste publiait la liste des dispositions à revoir et leur coût actuel estimé — ainsi que la source de l'estimation. Cependant, cette liste n'est pas fournie par le PS à ma connaissance. On ne peut alors que se risquer à des hypothèses.

D'abord, ce n'est pas parce qu'on supprime une niche que son coût disparaît immédiatement. Du fait de la non-rétroactivité de la loi, certaines mesures auront des effets sur les finances publiques bien après leur suppression, comme c'est le cas pour toutes les incitations à la construction de logement (Scellier & autres avatars qui l'ont précédé,...).

Ensuite, ce n'est pas parce qu'une niche paraît avoir un coût important que sa suppression rapporte beaucoup. Si on part du principe que ces niches provoquent surtout des effets d'aubaine, il est fort possible que lors de la suppression de la niche, ceux qui en profitaient modifient leur comportement pour ne rien payer. Le cas le plus patent en la matière, c'est la «niche Copé». Selon des calculs directs, elle a coûté 12.5G€ en 2010 (cf rapport annuel 2011, p88), mais en fait, en l'absence de cette mesure, une autre niche s'appliquerait, celle concernant les participations à long terme. Si on prend en compte cela, le coût tombe à 6G€. Même ainsi, il est certain que cela rapporte bien moins, la base taxable étant largement dans les mains de l'entreprise à taxer. En l'occurrence, le coût avait été évalué à 1G€ initialement, probablement en négligeant la réaction des entreprises. Le plus probable est que la suppression de cette niche ne rapporte pas plus!

Enfin, certaines des niches et allègements sont très difficiles politiquement à supprimer. Ainsi, l'exonération des heures supplémentaires a beau se caractériser uniquement par un effet d'aubaine et sa suppression rapporter sans doute le coût actuel, essayer de la supprimer va certainement entraîner des protestations de la part de ceux qui en profitent et qui ne sont pas tous des «riches». On peut même aller plus loin: les niches fiscales ont un attrait irrésistible pour les politiques. Ils ont tous des buts particuliers à atteindre ou veulent favoriser certaines actions par rapport à d'autres. Les niches fiscales présentent l'avantage de pouvoir donner des incitations financières dans ce sens, sans avoir rien à dépenser officiellement et aussi d'être parfois plus rapides puisque l'argent ne quitte plus la poche du contribuable. Cette attraction est si forte que dans ce même article, Martine Aubry propose une niche fiscale à destination des entreprises: abaisser à 20% l’impôt sur les sociétés des entreprises qui réinvestissent leurs bénéfices, et l’augmenter sur celles qui privilégient les dividendes. Ainsi, les entreprises seront incitées à ne plus verser de dividendes, mais à investir, moyen qu'elles utiliseront sans doute pour racheter leurs propres actions via des montages financiers. L'utilité réelle d'une telle mesure me paraît donc extraordinairement douteuse.

Martine Aubry propose aussi de réutiliser la moitié de ces hausses d'impôts pour ce qu'elle veut faire. Parmi les 25G€ qu'elle propose de dépenser, il y aura certainement la niche «investissements» et peut-être d'autres. Comme il est en fait extrêmement difficile d'anticiper les réactions des contribuables concernés, l'estimation de dépenses sera sous-estimée. La partie de dépense budgétaire, elle, restera sans doute fixée. On aura ainsi très certainement des recettes surestimée et des dépenses sous-estimées. Les 25G€ de réduction du déficit représentent à peine 1.3% du PIB. Le gouvernement prévoit que de faire voter un budget 2012 en déficit de 4.6% du PIB. En d'autres termes, l'effort proposé par Martine Aubry paraît faible et compte certainement sur une hypothétique croissance que provoquerait son programme ou qui se manifesterait telle une divine surprise. En plus, comme l'a vu, son plan surestime certainement les recettes et sous-estime les dépenses, la réduction effective du déficit sera nettement inférieure.

Si les plans du gouvernement en ce qui concerne les finances publiques sont très peu clairs après juin 2012, on peut déjà voir que ce que propose le PS n'est pas à la hauteur de ce qui est promis. Martine Aubry a certainement raison de ne pas vouloir de la proposition de «règle d'or» du gouvernement: une telle approche a déjà été essayée avec le pacte de stabilité, la norme d'évolution des dépenses, etc. Mais si elle est sincère dans sa volonté de réduire le déficit, ses propositions devront se faire nettement plus précises et réalistes. On peut y voir sans peine une grande liberté dans le chiffrage des recettes, une dénonciation de méchantes personnes qui optimisent leurs impôts et, que demain comme hier, on n'arrivera pas à faire payer, une volonté de dépenser des montants finalement indéterminés, via des mesures très douteuses, pour diriger le citoyen vers les projets qui lui sont chers. Actuellement, elle ne se départit pas de la politique fiscale française actuelle: ses propositions paraissent superficielles et incohérentes.

19 août 2011

Épilogue de la réforme de l'ISF

On a déjà évoqué ici par deux fois. Depuis lors, le gouvernement a présenté ses idées de recettes complémentaires et le parlement a voté la loi de finances rectificative modifiant l'ISF.

Tout d'abord, on s'aperçoit que le nouvel ISF conserve le même principe que l'ancien en taxant le stock de capital, calculé de la même façon, mais que le nombre de tranches diminue et qu'elles sont désormais libellées en taux moyen et non en taux marginal. Les déclarations d'un certain Nicolas Sarkozy selon lesquelles cette réforme devait consister à taxer non le stock de capital mais les revenus qui en étaient tirés sont donc restées lettre morte. On peut légitimement se demander si certaines déclarations sur la politique des mois suivants ne sont pas tout simplement improvisées.

Comme annoncé au mois de mars dernier, les taux seront désormais de 0.25% — entre 1.3M€ et 3M€ — et 0.5% — au-delà de 3M€. Le gouvernement a toutefois voulu lisser les sauts d'imposition au franchissement des seuils. Libeller l'impôt en taux moyen fixe au sein des tranches provoque des sauts lorsqu'on change de tranche. On peut en attendre des sous-déclarations et sentiment d'injustice pour ceux qui sont de très peu du mauvais côté de la barrière. On peut voir le taux moyen d'imposition avec la nouvelle et l'ancienne version de l'impôt sur l'image ci-dessous. final_reforme_2011.jpg Il est frappant de constater que le gouvernement a souhaiter conserver un effet de seuil de 1500€ à l'entrée dans la première tranche. C'est sans doute dû au fait que le rendement de l'ISF dépend beaucoup des patrimoines se situant un peu au-dessus de 1.3M€. Cet effet de seuil est sans doute une première pour un impôt sur les personnes physiques. Il est aussi frappant que les transition entre les tranches sont brutales, pour la deuxième transition, le taux marginal est de 4.25% alors que le taux des emprunts d'état à 10 ans est de 3%! Autant dire que, pour ceux dont le patrimoine dépasse de peu les seuils, la tentation de le minorer sera extrêmement grande.

La suppression de la première tranche et la réduction des taux, particulièrement fortes pour le haut de l'ancien barème, ont été estimées à 400M€ et 1.4G€. C'est cohérent avec les estimations effectuées avec les moyens du bord sur ce blog. Comme le bouclier fiscal coûtait 800M€, il restait à trouver 1G€. Finalement, le choix a été fait de se reporter sur l'impôt sur les successions. C'est sans doute l'impôt le plus efficace sur le stock de capital. Par diverses mesures techniques, le gouvernement compte récupérer environ 900M€ en 2012. Ces ajustements peuvent d'ailleurs donner lieu à des expériences économétriques pour 2 d'entre eux: les donations sont désormais réintégrées sur 10 ans au lieu de 6 ainsi que l'instauration d'une surtaxe de 5% au-delà de 900k€ pour les successions. Les travaux sur les décès au printemps 2011 pourraient se révéler intéressants, même si le laps de temps entre l'annonce des mesures finales et leur mise en œuvre, environ 3 mois, est court. On peut aussi penser que le rendement de ces mesures est surestimé à court terme — mettons 2 ans — les personnes concernées ont certainement anticipé au moins les changements de règles d'âge sur les donations. Cependant, on ne peut constater une fois de plus que le gouvernement revient sur des mesures qu'il avait prises auparavant. Ces 10 dernières années, le gouvernement s'était efforcé de favoriser les donations; la loi TEPA avait aussi diminué le rendement de l'impôt sur les successions de 1.2G€. Ces mesures ont eu une faible durée de vie.

Pour tenter de compenser exactement les pertes fiscales le gouvernement a aussi décidé de prendre des mesures au rendement et à la légalité douteuse. Il a donc décidé de taxer les résidences secondaires des non-résidents et de faire payer les exilés fiscaux. Les rendements sont douteux car pour les résidences secondaires, cela ne concerne que ceux qui sont partis depuis plus de 6 ans dont le nombre ne paraît pas bien connu. Pour ce qui est de la herse fiscale nouvelle façon, des montages à l'aide de holdings doivent pouvoir circonvenir la mesure. Ainsi, en vendant au prix de revient à une holding spécialement créée après l'exil, puis en vendant la holding, il doit être possible d'ignorer cette taxe. De plus, pour ce qui est des résidences secondaires, le rendement des taxes foncières était apparemment limité par des traités de double imposition, ce qui fait que la taxe sera sans doute d'une légitimité douteuse au regard de ces traités. Pour ce qui est de la herse fiscale, elle est sans doute contraire au droit européen comme sa version antérieure mise en place sous le gouvernement Jospin.

Ces nouvelles péripéties fiscales montrent aussi que ce gouvernement a les plus grandes difficultés à faire des choix fiscaux intelligents et à s'y tenir. De la loi TEPA, il ne reste que la partie «heures supplémentaires». Il s'est rapidement avéré que le bouclier fiscal était une mesure masochiste qui ne réglait rien, le crédit d'impôt pour les intérêts d'emprunts a eu une efficacité nulle et a été supprimé à partir de cette année, les mesures sur les successions viennent d'être inversées, la partie sur le financement des PME a été diminuée en loi de finances 2011 et son intérêt va aussi s'estomper avec la baisse de l'ISF. Quant aux mesures sur les heures supplémentaires, le seul effet constaté est l'effet d'aubaine.

Quant à la fiscalité du patrimoine, le rapporteur, Philippe Marini, remarque qu'il est caractérisé par des taux faciaux très élevés accompagnés de niches fiscales pour rendre l'ensemble supportable. Mais plus loin, il propose comme réforme de la fiscalité du patrimoine ... la création de nouvelles niches fiscales favorisant sans doute les sujets qui lui sont chers. On retrouve là l'incapacité à faire des choix qui confine à la schizophrénie: il y a visiblement une grande difficulté à abandonner la maîtrise du comportement du citoyen que procurent les niches fiscales mais on se lamente en même temps devant le monstre qu'on a créé.

10 mars 2011

Les pistes du gouvernement sur l'ISF

Le 3 mars dernier, le gouvernement a fait connaître les premiers résultats de la réflexion engagée sur l'ISF. Nicolas Sarkozy avait annoncé l'an dernier son intention de supprimer le bouclier fiscal tout en réformant l'ISF et qu'il était préférable de taxer les revenus du capital plutôt que la détention du capital en elle-même. On s'est déjà risqué ici à diverses spéculations sur le sujet.

Depuis l'année dernière, des contraintes supplémentaires sont apparues. Il ne fallait pas toucher à l'allègement des droits de succession décidée en 2007, ceux qui ne paient pas l'ISF aujourd'hui ne doivent pas contribuer à combler le déficit créé par sa suppression, les impôts sur l'immobilier ne doivent pas changer. Sur ce dernier point de l'immobilier, on a largement entendu l'argument selon lequel il était anormal que la hausse de l'immobilier ait entraîné une forte hausse du nombre de redevables. Être taxé parce qu'on s'est enrichi en regardant la valeur de son logement semble injuste, alors qu'être taxé parce qu'on s'est enrichi à la suite de son travail ou à l'aide de placement financiers paraît nettement plus acceptable. Il est vrai que ces deux dernières catégories sont quelque peu dépeuplées ces derniers temps, ceux qui en font partie devenant par là même suspects.

Les 2 pistes du gouvernement peuvent se résumer en l'alternative suivante: soit un réaménagement du barème de l'ISF, soit un changement de logique vers la taxation des plus-values latentes. Dans les deux cas, le gouvernement prévoit de garder une déclaration de la valeur du patrimoine, comme pour l'ISF actuel. De même, l'imposition ne commencerait que pour des patrimoines déclarés de plus de 1.3M€, contre 800k€ en 2011, ce qui correspond à la suppression de la première tranche de l'ISF.

Le réaménagement du barème

Dans cette hypothèse, il n'y aurait plus que 2 taux de 0.25% et 0.5%. Les taux s'appliqueraient sur la valeur globale du patrimoine, à partir du premier euro, le premier taux jusqu'à 3M€, le deuxième au delà (voir par exemple ici). C'est très surprenant, car cela provoquerait un effet de seuil tout à fait notable, puisqu'à 1.3M€, l'impôt à régler serait déjà de 3250€ et il y aurait un saut de 7500€ à 3M€. L'incitation à ne déclarer qu'un patrimoine de 1.29M€ ou 2.99M€ serait donc puissante, l'imposition supplémentaire représente le revenu d'un peu moins de 100k€ d'OAT à 10 ans aux taux actuels pour le seuil à 1.3M€ et environ le revenu de 200k€ d'OAT pour le seuil à 3M€. Ces sommes sont loin d'être négligeables en proportion des patrimoines.

graphe du taux moyen d'imposition isf

Le graphe ci-dessus compare les taux moyens d'impositions à l'ISF entre le système actuel et le système réaménagé tel que présenté. On s'aperçoit que tous les assujettis y gagnent, sauf ceux qui sont en bas de l'échelle. Non seulement, à 1.3M€, il y aurait un effet de seuil, mais en plus, ces contribuables seraient désavantagés par rapport à la situation actuelle. Le point neutre se situe vers 1.4M€. À partir de ce point se situent les gagnants. Comme le taux supérieur est plus de 3 fois plus bas que taux marginal maximal actuel, les gains sont très importants pour les très gros patrimoines.

On peut essayer d'évaluer combien cet impôt rapporte. Le rapport au conseil des prélèvements obligatoires donne deux éléments qui permettent cela: le patrimoine moyen dans chaque tranche et l'impôt moyen par tranche. Ces quelques essais pointent vers un rendement de 1.8 à 2.1G€. Sachant que l'ISF net du bouclier fiscal rapporte environ 3.2G€, cela créerait un trou de plus de 1G€, soit entre un tiers et la moitié des recettes jusqu'ici. Comme le gouvernement a annoncé que la réforme devrait être neutre pour les finances publiques, il faut trouver des ressources supplémentaires. Pour l'instant, elles sont assez mystérieuses, mais l'imposition de placements jusqu'ici épargnés par la fiscalité classique, comme l'assurance vie semblent de bons candidats au gouvernement pour fournir au moins une partie des sommes manquantes.

Pour ceux qui détiendraient moins de 3M€, il a aussi été annoncé qu'ils n'auraient plus besoin que de marquer le montant global de leur patrimoine. Aujourd'hui, il faut détailler les différents éléments. Ne déclarer qu'un montant global rend les contrôles par l'administration fiscale plus difficiles. À moins que ladite administration ne prévoie d'organiser son propre système de connaissance et d'évaluation des patrimoines pour contrer la fraude. Si les méthodes actuelles perdurent, comme celles permettant à Ségolène Royal de déclarer une villa pour moins que le prix du terrain, on peut s'attendre à des déclarations qui n'ont pas grand'chose à voir avec la réalité.

La taxation des plus-values latentes

Dans cette hypothèse, c'est la variation du patrimoine qui serait taxée. Les hausses seraient taxées immédiatement au taux de 19%, les baisses donneraient un à-valoir sur les 10 années suivantes. C'est une dissymétrie classique en la matière qui permet de taxer les perdants et d'éviter l'embarras bien connu du chèque du trésor public à envoyer au riche contribuable. Le dernier épisode en date est celui du bouclier fiscal qu'il s'agit de supprimer, mais il y en eut d'autres dans un passé maintenant lointain comme celui de Jacques Chaban-Delmas.

Si on fait fi dans un premier temps des difficultés pratiques que peut poser un tel système d'imposition, une remarque est qu'égaliser les revenus d'un tel impôt avec l'ancien mode de calcul impose de faire une hypothèse de rendement moyen du capital. Toujours d'après le rapport au conseil des prélèvements obligatoires, le capital déclaré au titre de l'ISF sauf pour la première tranche s'élève à 707G€. Un impôt qui rapporterait 3.2G€ supposerait un rendement de 2.4% environ. Cependant, ce nouvel impôt viendra en déduction des autres impôts sur les plus-values. Cela complique beaucoup l'évaluation du revenu net puisqu'il faut alors prendre en compte ces autres impôts. À titre d'exemple, le rapport au conseil des prélèvements obligatoires mentionne que le prélèvement libératoire — 19% cette année — rapporte 1.1G€. Si on doit défalquer ce montant du montant du nouvel impôt, le rendement moyen devient environ 3.2%, ce qui est toujours raisonnable. On ne peut cependant pas vraiment conclure: en d'autres termes, le gouvernement peut annoncer des chiffres dont on dira pudiquement qu'ils ne sont pas tout à fait vrais sans peur d'être contredit, vue la difficulté de l'évaluation.

Cette déduction du nouvel impôt de l'impôt dû sur les plus-values donne par contre un aperçu de ce qui sera véritablement taxé. Il est peu probable qu'on puisse imputer ce nouvel impôt sur les taxes comme la CSG et les impôts assimilés. On la négligera donc dans ce qui suit, étant entendu qu'elle s'applique au premier euro sur tous les revenus.

  • L'assurance-vie: à partir d'une détention de 8 ans, l'assurance-vie bénéficie d'un système avantageux. Les gains sont taxés au taux de 7.5% à partir de 4600€ de plus-values par an. Sachant qu'un rachat comporte un part de capital — par exemple, si le contrat est en plus-value de 10% du capital investi, chaque retrait contient seulement 1/11 de plus-value — cela permet à la plupart d'effectuer des retraits en franchise d'impôt.
  • Le PEA où, à partir de 5 ans, on ne paye plus d'impôt. Il ira de même pour les plus-values sur les titres détenus depuis plus de 8 ans censée s'appliquer en 2014. Ce serait une façon élégante d'abroger cette disposition qui risque de bientôt de poser quelques problèmes.
  • Les dividendes et autres revenus d'obligations. Cet aspect est très intéressant puisqu'il incite à constituer des tirelires et à diminuer les dividendes pour préférer les gains en capital. De même, les obligations 0-coupon seront préférables aux habituelles obligations donnant un revenu régulier. C'est en contradiction totale avec la théorie classique de la gestion financière qui ne voit pas vraiment de différence entre ces 2 modes de rémunération, ce qui est d'ailleurs logique.
  • Le livret A, les PELs, bref toute l'épargne «d'état».
  • Et surtout plus généralement, l'épargne de ceux qui ont un gros patrimoine. Elle est surtout constituée pour la plupart des mortels par les revenus du travail non consommés. Si vous êtes déjà riches et que vous épargnez dans ce système, votre effort devient nettement moins efficace: pour chaque euro épargné, vous devez payer immédiatement 19 centimes à l'état. Évidemment, le gouvernement s'interdisait de transférer l’impôt de ceux qui ont accumulé de la fortune vers ceux qui tentent de s’en constituer une par leur travail. Inversement, toutes les dépenses sont en quelque sorte subventionnées à hauteur de 19%, ce qui est une première.

On ne peut que noter qu'un effet de seuil existe aussi pour cet impôt, il est très tentant de ne jamais dépasser le seuil fatidique de 1.3M€. Posséder un patrimoine financier important à forte volatilité, comme des actions, peut forcer des décaissements importants du fait des bonnes années. Une forte volatilité de cet impôt est à prévoir, même si ce n'est pas d'une grande importance du fait de la faiblesse des rendements de l'ISF.
Une autre curiosité est que François Baroin a exclu de cette assiette les titres de PME non cotées. Il est vrai que leur évaluation est difficile et que cela a un aspect incitatif pour l'investissement dans des sociétés en développement. C'est aussi une occasion en or d'échapper à toute imposition au titre de cet impôt. Rien de tel en effet que de créer des sociétés non cotées et donc difficiles à évaluer pour masquer son patrimoine et son évolution.

La chasse aux recettes de substitution

Quelque soit l'hypothèse retenue, le gouvernement évalue le manque à gagner à environ 1G€. Il recherche donc des recettes de substitution, et apparemment, l'assurance-vie est en première ligne. Il semble donc que, plus généralement, l'état va tenter d'élargir la base taxable au titre des revenus du capital en créant une exception aux dérogations diverses qui existent pour ceux qui ont un patrimoine imposable à l'ISF. Ainsi, au lieu de profiter de cette réforme pour simplement élargir la base taxable — ce qui ne sera pas fait les seuils de patrimoine devant être déterminés selon les règles actuelles — le gouvernement va remplacer des complication comme le plafonnement de l'ISF par d'autres complications.

Le gouvernement évoque aussi dans la même logique des idées qui ont déjà été retoquées il y a longtemps. Par exemple, le gouvernement veut réinstituer la herse fiscale, qui consistait à taxer les gens qui s'expatriaient. Cette tactique géniale a été retoquée par la cour de justice européenne car c'était évidemment contraire à la liberté de circulation. C'est en quelque sorte retour vers le futur, ce qui montre qu'il y a un problème pour trouver de véritables ressources pérennes et aussi qu'il y a bien des idées qui ne meurent jamais.

Conclusions

Comme il était à prévoir, le gouvernement s'est retrouvé coincé par le désir de faire en sorte que personne d'autre que ceux qui payent l'ISF ne fasse les frais de la réforme. Ce faisant, il se condamne à redistribuer l'effort auprès des mêmes personnes. C'est ainsi qu'on conservera une déclaration de patrimoine et qu'au final, les conséquences en termes d'attirance de l'expatriation ou la dissimulation du patrimoine seront peut-être toujours aussi fortes, quoique s'effectuant sous des formes différentes. Telles que présentées actuellement, les solutions du gouvernement ont entraîné un certain scepticisme voire pour ceux qui sont directement menacés, un franche opposition. D'une part, la taxation de plus-values latentes paraît impraticable, d'autre part, les effets de seuils du barème réaménagé ne suscite pas l'enthousiasme, les dispositifs de transition coûtant fort cher vu que l'actuelle deuxième tranche est la plus lucrative. Il manque toujours des recettes pour accomplir l'objectif de neutralité pour les finances publiques, recettes qui sont à l'heure actuelle bien mystérieuses.

Seule une suppression totale de l'ISF — et donc de sa déclaration annuelle de patrimoine — peut sans doute mettre un terme aux récriminations sur cet impôt. Mais cela n'est possible que si on est prêt à se passer de recettes, ce qui n'est possible que si le budget de l'état est approximativement équilibré, ou prêt à taxer d'autres personnes que celles qui sont actuellement imposées. L'analyse du gouvernement est à raison qu'il est impossible symboliquement de transférer la charge vers d'autres. Restera donc un coup de maître: après 4 ans de masochisme avec le bouclier fiscal, le président Sarkozy a annoncé une suppression impossible qui lui sera certainement reprochée par les adversaires et les partisans de l'ISF; les gens sans opinion seront consternés par l'impréparation après 4 ans de controverse.

23 janvier 2011

De l'interview de Camille Landais dans les Échos

Le 13 janvier dernier, les Échos ont publié une interview de Camille Landais, économiste travaillant souvent avec Thomas Piketty dont il a prolongé les travaux sur les inégalités et les hauts revenus en France, sur la réforme de l'ISF à venir. Cette interview est intéressante en ce qu'elle montre à mon sens les difficultés qu'il y a à vouloir résoudre plusieurs problèmes avec un seul outil. Elle comporte aussi des données surprenantes.

Sur l'imposition du capital en général

Camille Landais commence par rappeler l'argument courant selon lequel l'imposition du stock de capital permet d'inciter à l'investissement productif (voir par exemple ici ou encore ). Cela dit les rendement les plus lucratifs étant aussi sujets à de grandes variations de rendement, on peut aussi estimer qu'une imposition du capital peut conduire à opter pour des revenus sûrs pour éviter de se retrouver avec des revenus négatifs. Il va cependant plus loin en affirmant que celui qui investit dans des placements à hauts rendements (est) plus pénalisé que celui qui laisse se déprécier son capital. C'est à mon sens tout à fait excessif: celui qui fait fructifier son capital bénéficie ensuite des fruits de ses efforts. De plus, si les investissements ne donnent pas les rendements escomptés, ce sera celui qui s'est le plus démené qui paiera le plus! On peut aussi noter que consommer son capital devient forcément une mauvaise chose.
Une dernière remarque sur l'impôt sur le capital comme incitation aux investissements productifs (ou plutôt à haut rendement): cela ne marche que si l'imposition sur le capital est dominante. Si c'est l'imposition des revenus qui domine, c'est alors l'effet opposé qui agit. De sorte que si le système fiscal n'est pas dégressif pour les revenus du capital, on punit bel et bien ceux qui se démènent.

Plus loin, il compare la situation de la France aux autres pays de l'OCDE, pour dire que les différences ne sont en fait pas très importantes. Si cela est vrai pour des pays comme les USA ou le Royaume-Uni qui taxent encore plus fortement le capital que la France, il dit qu'il existe des pays où la pression paraît nettement plus faible, comme l'Allemagne. Comme le patrimoine est concentré surtout chez les plus riches, cela laisse tout de même penser que de substantielles économies sont possibles.
Il remarque que les pays avec une forte imposition du capital ont aussi tendance à taxer fortement l'immobilier. On remarquera que c'est fort pratique puisque les biens immobiliers sont destinés, comme leur nom l'indique, à rester là où ils sont et que, par voie de conséquence, ils seront toujours taxables. Cela dit, contrairement à ce que Camille Landais affirme, la France n'impose pas tellement moins la détention du patrimoine immobilier que le Royaume-Uni par exemple (voir le rapport du CPO sur la fiscalité du patrimoine, p236).
Il donne alors un argument de poids: en fait, ces différences ne paraissent pas avoir d'effet remarquable. On peut penser que c'est en partie dû au poids de l'immobilier dans la taxation du patrimoine: si une personne se délocalise, ce n'est pas pour autant qu'elle vend tous ses biens dans le pays qu'elle quitte. Un autre frein est sans doute aussi tout simplement le coût du déménagement, non seulement direct, mais aussi en termes de vie sociale ou de contacts professionnels. C'est pourquoi les délocalisations dues à l'ISF sont sans doute liées à un changement de statut du patrimoine ce qui entraîne un choc fiscal d'importance.

Sur l'ISF

Camille Landais a raison sur l'ISF au moins sur un point: la base taxable est complètement mitée par une foison d'exceptions, couplés à des taux importants, ce qui mine totalement l'efficacité de cet impôt. Il préconise donc de supprimer toutes les exonérations y compris sur les biens professionnels. Étendre la base taxable ne serait toutefois pas forcément si efficace car certains des biens auxquels on pourrait étendre l'ISF ne sont pas obligatoirement faciles à évaluer par l'administration. Cela dit les exonérations sur les terres agricoles ou encore sur la résidence principale n'ont pas de raisons d'être. La fin des niches poserait aussi des problèmes de faisabilité politique: François Bayrou avait proposé de changer le système de l'ISF lors de la dernière campagne présidentielle, notamment en procédant à une extension de l'assiette. Rapidement, il déclara que les biens professionnels et les œuvres d'art garderaient leur exonération. Il faut aussi noter une certaine ironie dans la proposition de supprimer l'exonération des biens professionnels: comment plus se démener qu'en faisant fructifier soi-même son capital?

Sur la question de la fuite des contribuables, ses conclusions devraient être plus mitigées. Elle paraît relativement faible chaque année: il y a bien environ 500 personnes par an qui partiraient pour échapper à l'ISF, pour un peu plus de 450 000 contribuables en 2006 (source: rapport du CPO). La comparaison qu'il fait par rapport à l'ensemble des contribuables est orientée pour vendre son message, puisque il compare une fuite sur les 3 dernières tranches avec l'ensemble des contribuables. Cela dit ces contribuables ne représentent que 3‰ de la base taxable, 5‰ des revenus de l'ISF ou encore 2.5% de la population des 3 dernières tranches. Cela dit sur le long terme le phénomène prend une certaine ampleur: un manque de 5000 contribuables sur les 3 dernières tranches représente un manque d'un cinquième en 2008! Le caractère cumulatif tend ainsi à vider les dernières tranches, quoique moins vite qu'elles ne se sont remplies.

Il affirme aussi gaillardement que l'ISF est assis sur des valeurs de marché. Ceci est une vaste plaisanterie, d'une part à cause justement des différentes niches fiscales qui sont des réductions administratives de la valeur des différents biens, d'autre part parce qu'il existe quelques indices montrant que certains biens sont déclarés à une valeur fantaisiste, comme la villa de Mme Royal à Mougins, déclarée pour moins que la valeur du terrain selon le Canard Enchaîné. Il affirme aussi que l'évaluation administrative des biens mine le consentement à payer. L'expérience française semble quelque peu prouver le contraire. L'ISF est certainement un des impôts les plus contestés en France. Pour preuve, on pourrait justement citer la sous-évaluation notoire de certains patrimoines ainsi que les débats récurrents sur le sujet. Seule la crapuleuse redevance copie-privée doit faire l'objet de plus de contestation. Par contre, les taxes foncières dont les bases taxables n'ont pas fait l'objet de révisions sérieuses depuis les années 1970 ne font pas franchement l'objet de débats passionnés.

Sur le reste des impôts

Camille Landais ne cache pas sa préférence pour un impôt sur les revenus à l'assiette la plus étendue possible et construit de sorte à ce que le système reste globalement progressif. Il a d'ailleurs écrit en commun avec Thomas Piketty et Emmanuel Saez un ouvrage accompagné d'un site internet pour développer ce point. Ils y proposent de fusionner la CSG — assimilée aux impôts qui lui ressemblent comme la CRDS — et l'IRPP en gardant l'assiette, et surtout la quasi-absence de cas particuliers, de la CSG et en lui associant un barème progressif, comme pour l'impôt sur le revenu actuel.

Camille Landier donne des chiffres surprenants. Il affirme qu'un Français qui gagne 1700€ par mois a un taux d'imposition de 45%, TVA comprise. Ce chiffre est surprenant, mais vrai: pour un salaire «super-brut» de 1700€ par mois, on est un peu au-dessus du SMIC. Le taux d'imposition «direct» est d'environ un tiers, ce qui tout à fait compatible avec le taux d'imposition total annoncé. De l'autre côté, les très haut revenus doivent avoir leur source dans un patrimoine important. Or ceux-ci sont imposés à un taux libératoire de 31.3%, ce qui ne semble pas trop éloigné des 35% annoncés, à condition qu'on considère qu'il n'en consomment qu'une petite partie. Les valeurs données doivent sans doute tenir compte du fait que tous les revenus ne sont pas taxés de la même façon, les revenus du travail étant frappés par des impôts très lourds. Dès lors qu'on inclut des personnes qui n'ont que relativement peu de revenus du travail, comme les gros patrimoines, voire pas du tout, comme les retraités, les taux d'imposition baissent très fortement. Cela explique une bonne part de la régressivité du système, mais cela doit aussi faire baisser les taux annoncés, forcément issus de moyennes.

Dans leur proposition de système, les auteurs proposent que le taux moyen pour les hauts revenus soit de 60%, à comparer aux 35% effectif actuels, TVA comprise. Comme remarqué plus haut, cela contredit quelque peu l'objectif d'avoir un impôt sur la fortune qui incite à tirer des revenus de son patrimoine. Quoiqu'on fasse, le nouvel impôt dominera alors tous les autres, vu qu'il prend déjà plus de la moitié des revenus. Camille Landais préconise quand même un impôt sur la fortune, mais c'est en fait pour éviter que les gens fortunés ne logent leur patrimoine dans des sociétés comme Liliane Bettencourt. En effet, le taux de l'IS n'est au maximum que d'un tiers, ce qui représente une substantielle économie par rapport à ses propositions. Ainsi, loin d'être une incitation à faire fructifier son patrimoine, cet impôt devient en fait un impôt alternatif minimal. L'ISF ne peut pas être à la fois un outil pour rendre productif le capital et être une sorte d'anti-fuites.

3 janvier 2011

Supprimer l'ISF?

L'impôt de solidarité sur la fortune est un impôt portant sur le capital détenu par les ménages. La taxation est progressive avec un barème découpé en 6 tranches de patrimoine, les taux s'échelonnent de 0.55 à 1.8%. Il rapporte environ 4G€ et, si on en retranche le coût du bouclier fiscal, seulement 3.3G€ soit moins de 0.2% du PIB, ce qui en fait un impôt financièrement mineur. Cet aspect est encore renforcé par le fait que son recouvrement coûte cher, environ 2% de ce qu'il rapporte. Il a par contre une importance symbolique, en ce qu'il sépare la population en deux catégories, les aristocrates d'un côté, les manants de l'autre.

Les maux de l'ISF

Outre le fait qu'il coûte relativement cher à recouvrer, l'ISF a d'autres caractéristiques qui le rendent difficilement accepté par les redevables. La première est justement de séparer la population en 2 catégories. Indéniablement, les assujettis à l'ISF sont riches puisqu'en 2004, seuls 10% des ménages avaient un patrimoine supérieur à 500k€, alors que le seuil de l'ISF est de 790k€. La plupart des gens se voyant comme normaux, ils voient en fait d'un mauvais œil qu'on les désigne comme riches, sans doute de peur d'être raccourcis. Ainsi, du grand succès de Lionel Jospin lorsqu'il annonça supprimer les allocations familiales pour les 10% les plus riches, à Jean-François Copé qui voit la classe moyenne s'étendre jusqu'à ceux qui gagnent plus de 4000€ nets par mois en passant par François Hollande qui n'aime pas les riches, le discours public révèle ce biais de normalité de façon anecdotique, mais relativement récurrente.

La deuxième est que le patrimoine est en fait peu observable par le gouvernement. En dehors de la déclaration qu'il demande aux redevables potentiels, l'administration fiscale ne peut pas bénéficier d'une double vérification comme pour la plupart des revenus, en dehors des actifs cotés sur des marchés financiers. Or il s'avère que l'impossibilité de frauder explique une bonne part de l'augmentation de la taxation dans les pays riches. De fait, la facilité d'une sous-déclaration doit certainement être irrésistible, d'autant que les contribuables peuvent anticiper que les autres vont faire de même, rendant leur actes acceptables. De nouveau, on bénéficie en l'occurrence d'un superbe exemple. Lors de la campagne présidentielle, Ségolène Royal a révélé l'étendue de son patrimoine, déclaré en commun avec son compagnon d'alors, François Hollande. Il s'est avéré, suite à une enquête du Canard Enchaîné que les demeures étaient souvent sous-évaluées. Ainsi, leur appartement à Boulogne-Billancourt était déclaré pour moins que sa valeur d'achat alors que les prix de l'immobilier étaient d'ores et déjà au-dessus du pic de 1990. Et, summum de la sous-évaluation, une villa à Mougins était déclarée pour 270k€, alors que le terrain seul était évalué à plus de 295k€ et que des villas voisines étaient proposées à la vente pour plus de 1M€! Quoique ce ne soient que des éléments anecdotiques, il semble qu'une sous-évaluation des patrimoines certaine existe. Le problème est que, suivant la composition du patrimoine ou le caractère du déclarant, elle n'est pas toujours du même ordre. Ainsi, en plus des actifs cotés, les biens achetés récemment — ou venant de faire l'objet d'une succession — sont les plus difficiles à sous-évaluer. Cela génère sans nul doute un sentiment de taxation «à la tête du client».

Le troisième est l'importance des taux. Au delà de 16.7M€, le taux marginal est de 1.8% de la valeur. On peut déjà remarquer que c'est plus que les taux à court terme — le taux de la BCE est à 1%. Une obligation d'état à 10 ans rapporte 3.3% environ, ce qui fait qu'en cumulant le prélèvement libératoire — 31.2% des revenus l'année prochaine — et l'ISF, le rendement n'est plus que de 0.5% par an, soit un taux d'imposition de presque 85%. Pour obtenir un taux d'imposition de 50%, le rendement doit dépasser 9.5%, pour une imposition aux 2/3 — le taux marginal pour des revenus du travail élevés —, 5%. Évidemment, pour les premières tranches, c'est plus raisonnable, le taux de 0.55% donne respectivement 3% et 1.5%. Reste qu'à une époque où les rendements faciaux sont faibles, les taux sont élevés, voire punitifs pour les dernières tranches. En exagérant à peine, on pourrait dire que ceux qui cherchent les 15% de rendement pour leurs investissements dans des sociétés sont les contribuables se situant dans la dernière tranche de l'ISF. L'autre conséquence est que masquer son patrimoine devient une pratique rapidement rentable. Ce d'autant plus qu'outre la sous-évaluation, il existe quantité de solutions pour diminuer le patrimoine fiscal, à commencer par l'exonération pour biens professionnels: à partir d'un certain patrimoine, on peut décrire sans rire la gestion de celui-ci comme son activité principale et monter une société idoine.

Où trouver l'argent?

Comme noté plus haut, l'ISF est un impôt mineur par son rendement. N'importe quel excédent budgétaire permettrait de le supprimer. Cette situation ne s'est toutefois plus produite depuis plus de 30 ans, l'état actuel des finances publiques est un déficit important (environ 7.7% du PIB) couplée à une dette imposante (plus de 80% du PIB). Il faut donc trouver des ressources de remplacement.

  • Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir supprimer l'ISF et le remplacer par un impôt sur les revenus du capital. Le plus simple serait alors d'utiliser un impôt proportionnel comme la CSG. Un avantage est que le coût de recouvrement est alors nettement plus faible que celui de l'ISF. En se basant sur les revenus du FRR, on peut inférer qu'un prélèvement de 1% rapporte environ 1.15G€. Pour remplacer l'ISF, il faudrait donc lever un impôt égal à environ 2.9%. Un problème est qu'alors le taux de prélèvement forfaitaire atteindrait 34.1%, plus que le taux de l'impôt sur les sociétés ce qui augure peut-être de schémas d'esquive. Si on veut se limiter à ce niveau, l'impôt supplémentaire serait de 2.1%, le rapport de 2.4G€. Le défaut principal est que les détenteurs de petits patrimoines paieraient à la place de ceux qui ont en un gros.
  • Comme les biens immobiliers utilisés par leur propriétaire n'engendrent pas de flux financiers mais évitent une dépense, ils ne seraient pas taxés. Il n'y a ainsi pas vraiment de raison d'oublier ces heureux propriétaires. Pour ce faire, on pourrait augmenter les taxes foncières. Elles rapportent 26.5G€ (source rapport au conseil des prélèvements obligatoires). Certes, les augmenter frapperait aussi les logements loués, mais ce défaut de justice est compensé par une certaine efficacité puisqu'il est toujours possible de trouver un propriétaire à un immeuble. Augmenter les taxes foncières de 5% rapporterait donc 1G€ de quoi compléter d'autres mesures. Le gros défaut des taxes foncières est que la valeur des immeuble pour les taxes foncières n'a qu'un lointain rapport avec leur valeur réelle, ce qui maintient l'impression de taxation injuste. On pourrait compenser ce fait en ajustant la valeur des immeubles grâce à l'évolution des prix de l'immobilier et en se donnant pour valeur de départ la valeur d'achat. Avec la base des notaires ou même les droits de mutation, l'état dispose ainsi d'une source de données fiable sur la valeur de marché des immeubles. Ce serait aussi certainement l'occasion de commencer la rénovation de la fiscalité locale, dont les bases n'ont pas été révisées depuis les années 70.
  • Revenir sur les mesures successorales de la loi TEPA rapporterait 1.2G€ selon le rapport au conseil des prélèvements obligatoires mentionné plus haut. Cela ne rentre pas dans le cadre de la taxation des revenus du patrimoine, mais l'imposition des successions est sans doute la façon la plus efficace économiquement de taxer le stock de patrimoine et ce d'autant plus qu'il est difficile à ce moment-là de masquer certains biens, souvent ceux qui ont le plus de valeur, pour préserver la paix des ménages et assurer une répartition équitable des biens du défunt. Le fait est aussi qu'il meurt de nos jours que peu de gens, ce qui permet de contrôler plus efficacement les grosses déclarations et d'éviter ainsi les évaluations fantaisistes. Les successions sont d'ailleurs souvent à l'origine des histoires faisant la joie du public et ayant l'ISF comme personnage principal. L'équilibre en termes de type de population qui paie l'impôt serait sans doute ici préservé: ce sont certainement ceux qui paient l'ISF qui engendrent en mourant les successions les plus importantes.
  • Tant qu'à taxer les revenus, pourquoi se limiter aux revenus du capital? C'est pourquoi on peut penser augmenter aussi le taux de l'impôt sur le revenu. Instaurer une tranche à 45% à peu près là où se trouvait le plafonnement de l'abattement de 20% permettrait de lever 1G€ (et aussi de relever le taux du prélèvement obligatoire). Il est certainement difficile de faire pleurer sur les gens qui ont de hauts revenus, ce qui en fait des victimes très attirantes. Ce sont par ailleurs souvent les mêmes qu'on veut atteindre par l'ISF. Cela dit, il ne s'agit plus d'une taxation du patrimoine.

Trouver de l'argent pour remplacer les sommes perdues avec la suppression de l'ISF semble donc relativement faisable, si tant est qu'on veuille réellement supprimer l'ISF et accepter des compromis entre le symbolique et l'équitable d'un côté et l'efficace de l'autre.

Le mythe de la réforme fiscale sans perdant

Le sénateur Philippe Marini, rapporteur du budget au sénat, a donné une interview à un journaliste du Monde. Il y déclare sa préférence pour une suppression de l'ISF accompagnée de la création d'une tranche supplémentaire d'impôt sur le revenu, et il y déclare aussi:

La contrepartie à payer du côté des revenus de l’épargne ne doit pas être telle que la classe moyenne ait l’impression d’une opération de dupes. Une part proportionnée de l’effort doit être reportée sur les détenteurs de revenus et de fortunes qui sont réellement de niveau international. Si la résidence principale est exonérée au titre l’impôt sur le patrimoine par exemple la classe moyenne sera gagnante.

D'une certaine façon, cette déclaration est typique des problèmes que posent toute réforme fiscale quand on ne veut pas perdre de recettes: on cherche à ce qu'il n'y ait pas de perdants, ce qui fait qu'en fait, on voit mal ce qui changera véritablement, sauf à trouver une ressource qui n'est pas dans le seul champ de l'impôt à changer et qui présente l'agréable caractéristique de ne pas pouvoir trop protester. Le sénateur Marini veut ainsi tout et son contraire.

  • Il déclare dans un rapport sénatorial que les tranches supérieures ont des taux potentiellement confiscatoires. La conclusion logique est donc que les fortunes de niveau international paient moins d'ISF.
  • Il déclare dans cette interview que les classes moyennes et moyennes supérieures ne doivent pas payer plus mais plutôt moins et il propose en conséquence de supprimer la première tranche de cet impôt.
  • Que cet impôt au caractère immobilier marqué doit voir disparaître la contribution des résidences principales, pourtant un élément de revenu réel. C'est aussi un élément facilement taxable, les immeubles ne pouvant par définition quitter le territoire.
  • Que la réforme ne doit pas coûter à l'état

En bref, personne ne doit payer plus, mais cela ne doit rien coûter!

Il est évident que dans le contexte actuel, tout changement dans la loi fiscale implique qu'il y ait des perdants. Sans cela, soit l'état y perd, soit il n'y a pas en fait de changement. Si ce sont toujours ceux qui payaient qui paient encore, l'opération de dupes est aussi rapidement démasquée que lorsque ce sont d'autres qui prennent le relais.
Une réforme de l'ISF est aussi plus largement un choix entre efficacité et justice. Lever de l'argent est le premier but des impôts, mais maximiser leur rendement n'est pas forcément juste, surtout si on veut aussi minimiser les efforts pour les lever. Parmi les impôts les plus importants en France figurent la TVA et la CSG, des impôts qui ne s'embarrassent pas spécialement de considérations de justice sociale mais qui l'incroyable avantage d'être difficiles à frauder. En cela, le sénateur Marini me semble commettre une erreur et se contredire. Remarquer que l'impôt est punitif revient à une critique d'efficacité, les gens se mettant à développer des comportements d'évitement. Si on veut plus d'efficacité, il faut taxer plus largement, à des taux plus faibles et donc la classe moyenne doit payer plus. L'impôt foncier — notamment sur la résidence principale — doit être augmenté si on veut plus d'efficacité: il faut bien habiter quelque part...

Conclusions

Pour conclure, l'ISF est un impôt qui est symbolique mais dont l'inefficacité est criante. Le moyen le plus simple de l'éviter semble encore être de minimiser outrageusement son patrimoine ou de le disposer de façon judicieuse. Les contribuables y sont fortement incités, notamment pour les plus riches d'entre eux, du fait des taux marginaux très élevés par rapport aux rendement faciaux actuels. Du fait de sa faible importance, le remplacer semble faisable, même si on se limite aux impôts sur le capital, l'impôt sur les successions pouvant apporter un certain secours. Toutefois se limiter aux revenus réels (par opposition au revenu fictif que procure une résidence principale) paraît un peu juste pour le remplacer sans perte.
L'objectif des parlementaires de la majorité semble être de supprimer l'imposition au titre de la résidence principale, alors même que c'est à la fois un élément de revenu et quelque chose d'aisément taxable. L'objectif avoué de Nicolas Sarkozy est de taxer les seuls revenus. Dans ce cadre, on voit mal comment une suppression de l'ISF peut s'effectuer sans perte pour l'état. À moins que, comme pour bon nombre de changements effectués durant ce quinquennat, la suppression ne soit que de façade et que l'essentiel de cet impôt persiste sous un autre nom ou, encore pire, de multiples petits impôts.

27 septembre 2010

L'imposition du travail en France

Aujourd'hui, lever des impôts sur les salaires est un des moyens les plus efficaces qu'ont les états comme la France pour financer l'action publique. L'obligation de payer les salaires soit par chèque soit par virement sur un compte en banque et l'obligation pour les entreprises de tenir une comptabilité donne au fisc des moyens crédibles et rapides de vérification, ce qui assure un faible nombre de fausses déclarations. On a pu vérifier de façon anecdotique l'importance des vérifications aisées dans le recouvrement de l'impôt par l'exemple grec: les commerces ne délivraient pas toujours de factures et les déclarations de revenus étaient parfois baroques. La montée du salariat et la généralisation de l'usage de la monnaie scripturale expliquent ainsi pour une bonne part la faculté qu'ont eu les états d'augmenter la dépense publique et de mettre en place des états-providence.

Les dépenses publiques en France sont importantes: avec 52.8% du PIB en 2008 et 55.6% en 2009, la France a suivant les années le deuxième ou le premier niveau de dépenses publiques de l'Union Européenne. En conséquence, comme on va le voir, les impôts sur le travail y sont lourds. L'imposition sur le travail se distingue aussi par sa complexité: on distingue ainsi de nombreux impôts ou cotisations sociales. Cette complexité s'explique en partie par l'histoire car ces prélèvements sont en général liés directement à leur usage et aussi car le processus de décision démocratique est souvent fait de compromis, modifiant les impôts par touches successives. Mais cette complexité est aussi un outil pour masquer en partie l'importance des impôts levés. Il est ainsi à noter qu'en fait les cotisations dites patronales sont en fait payées par les salariés et font partie du salaire. C'est naturel: elles dépendent directement du salaire brut versé, aucun employeur ne peut les ignorer lorsqu'il paie son salarié. Ce fait est confirmé par la grande stabilité du partage de la valeur ajouté sur une longue période, alors que les cotisations sociales, notamment patronales, ont énormément augmenté depuis les années 70 comme cela est indiqué dans l'article sur l'incidence fiscale d'écopublix.

Les différents impôts

Pour simplifier, dans la suite on ne considère plus que le cas d'un célibataire, cadre travaillant dans une entreprise de plus de 20 salariés qui ne relève pas d'un secteur ayant une situation particulière vis-à-vis des allègements de charges patronales.

Impôt Limite Taux
«salarial»
Taux
«patronal»
Remarques
Retraite,
régime général
PMSS 6.65%8.3% La retraite de base, liquidée elle vaut au maximum 50% du PMSS
- 0.1%1.6%
Retraite,
AGIRC/ARRCO
PMSS 3%4.5% Retraite complémentaire, par points
entre PMSS
et 8 PMSS
7.7%12.6%
CET 8 PMSS 0.13%0.22% Contribution Exceptionnelle et Temporaire, depuis 1997
AGFF PMSS 0.8%1.2% Financement de la retraite à 60 ans.
4 PMSS 0.9%1.3%
Maladie - 0.1%13.1%
Allocations Familiales - -5.4%
0.3% Raffarin - -0.3% De son vrai nom Contribution Solidarité Autonomie,
le «lundi de Pentecôte»
FNAL - -0.1%1% logement
PMSS -0.4%
Effort de construction - -0.45%
Chômage 4 PMSS 2.4%4%
AGS 4 PMSS -0.4%
APEC entre PMSS
et 4 PMSS
0.024%0.036%
Accidents du travail - -1.2% En fait variable suivant les secteurs, beaucoup de taux.
Taxe d'apprentissage et
de formation professionnelle
- -2.28%
Prévoyance et
taxe sur la prévoyance
PMSS -1.5%+0.12% Eh oui... Une taxe sur un prélèvement obligatoire!
CSG -2.4%+5.1%- Seule une partie de la CSG (5.1%) est déductible du salaire pris en compte pour
le calcul de l'impôt sur le revenu. La CRDS devait initialement cesser en 2009.
CRDS -0.5%-
Impôt sur le revenuLa base est le salaire brut moins les prélèvements précédents, sauf CSG/RDS.
Barème progressif

Les cotisations sociales ont des parties plafonnées et non plafonnées. Les retraites par points (AGIRC/ARRCO) ont un plafond final à 8 fois le plafond mensuel de la sécurité sociale (PMSS), l'assurance chômage à 4 PMSS. Un bon exemple de la complexité est le calcul de la CSG et du RDS. Alors qu'il s'agit d'un impôt très simple a priori, la base de calcul est en fait égale à 97% du salaire brut augmenté des cotisations à un plan de prévoyance (dont le montant est de 1.5% de la portion sous le PMSS). Cet impôt se décompose par ailleurs en deux parties déductible et non-déductible de la base de l'impôt sur le revenu.

Des graphes donnant le taux moyen d'imposition en fonction du salaire brut étaient donnés dans un autre article d'écopublix, mais il négligeait l'influence des allègements de charge pour les bas salaires, la PPE et la décote de l'impôt sur le revenu. Les taux moyens se présentent en fait comme suit: tx_moyen_30k_2010_2.png

On constate aussi que l'imposition devient dégressive — le taux moyen diminue — au-delà de 8 PMSS, lorsque les cotisations retraite s'arrêtent. Le taux moyen d'imposition atteint ainsi 50% pour 1.6 SMIC, le salaire de fin d'allègements de charges patronales, il est minimal au niveau du SMIC à environ 30%. Le taux marginal se présente comme suit: tx_marginal_30k_2010_2.png

Les allègements de charges et les divers dégrèvements comme la PPE ont un impact énorme sur le taux marginal, il atteint 75% pour les bas salaires. Le salarié ne touche réellement que 25 centimes lorsque l'employeur augmente son salaire «superbrut» de 1€. De plus, le taux marginal n'est jamais inférieur à 50%.

Quelques conclusions

Les graphes ci-dessus montrent que les impôts sur le travail sont lourds, mais de façon logique au vu du poids des dépenses publiques en France. D'autre part, les cotisations sociales représentent l'essentiel de l'imposition sur le travail. Cela a pour conséquence d'atténuer voire d'inverser la progressivité de l'impôt sur le revenu ainsi que de concentrer la progressivité sur les salaires en bas de l'échelle.

La complexité du système rend l'ensemble obscur. Il y a un tel empilement de prélèvements différents qu'il est presqu'impossible de savoir à quoi sert chacun d'entre eux. Leur mode de calcul est parfois déroutant et même s'ils semblent posséder une logique interne, la logique d'ensemble est difficile à saisir. L'ampleur des cotisations patronales masque aussi la progressivité réelle du système et concentre la progressivité sur le bas de l'échelle des salaires. Ramener la fin des allègements de charges à 1.3 SMIC, comme l'avait recommandé la Cour des Comptes (suivi des recommandations de 2009), engendrerait une progressivité encore plus forte qu'aujourd'hui. Les taux marginaux atteindraient probablement alors les 85% voire plus. Cette progressivité est d'ailleurs encore renforcée pour ceux qui touchent des aides sociales dont le montant diminue à mesure que le salaire augmente. Pour ceux là, il est déjà possible que des taux marginaux effectifs de l'ordre de 85% soient déjà constatés. L'intérêt de voir son salaire augmenter peut alors devenir assez douteux, surtout si cela doit s'accompagner d'une charge de travail plus importante.