Pourquoi je n'irai pas voter
Par proteos le 19 avril 2012, 22:10 - Politique - Lien permanent
Après avoir expliqué pourquoi je n'étais convaincu par aucun des candidats les plus proches du centre du l'échiquier politique en France, Nicolas Sarkozy, François Bayrou et François Hollande, il est à peu près évident qu'il ne reste personne sur qui porter mon choix et c'est pourquoi je n'irai pas voter.
Tout d'abord, il n'aura sans doute pas échappé au lecteur que la tendance politique de carnet est relativement libérale. Cela m'empêche de voter pour des candidats issus de partis à tendance dictatoriale, que ce soit les trotskistes tendance sectaire ou postmoderne, l'alliance des communistes et de scissionnistes du PS, le Front National, les Verts. Dupont-Aignan est, quant à lui, franchement anti-libéral et Jacques Cheminade, peu sérieux.
Jacques Cheminade, justement, me semble montrer une partie des problèmes de la politique en France. Voilà quelqu'un qui s'était déjà présenté à l'élection présidentielle de 1995 et n'avait pas réussi depuis à refaire surface. Apparemment, il a réussi à convaincre des maires de lui donner des signatures par son discours sur le système financier, compensant ainsi le reste de son programme lunaire. Il est remarquable qu'un candidat aux tendances complotistes, notamment sur le système financier, ne paraisse pas si exceptionnel dans cette campagne: tous les autres candidats se disent contre la finance, en guerre contre elle, etc. C'est une excellente imitation des politiques classiques, son programme spatial mis à part. La similitude me semble en grande partie au manque de rationalité dans le débat public français et à l'omniprésence d'un discours avant tout émotionnel. Le discours sur la finance entre très bien dans ce cadre: une analyse rationnelle commencerait par dire qu'on a besoin de la finance, et qu'elle n'est donc pas un ennemi, mais que c'est la gestion, notamment prudentielle, du secteur qui a pêché. La situation dépeinte serait nettement moins manichéenne, puisqu'on remarquerait sans doute qu'une des origines de la situation actuelle se situe dans le grand nombre de prêts immobiliers accordés qui ont alimenté une bulle immobilière.
Cette omniprésence de l'émotion était déjà largement visible dans la campagne du non
au référendum sur le traité constitutionnel. Les propos les plus irrationnels se sont succédé, les portraits les plus manichéens ont été présentés comme la norme. Une solution alternative a été présentée, elle ne constituait qu'en un maquillage du traité proposé, ce dont on ne peut pas dire que cela ait contribué à la crédibilité des politiques.
Les politiques ont aussi usé d'une vieille tactique: ne pas parler des éléphants qui bloquent le couloir. On les comprend bien: le premier qui annonce une mesure impopulaire mais nécessaire pourra être contré par les autres qui ne s'attacheront plus alors qu'à démonter cette mesure tout en évitant de dire ce qu'ils feront ou bien en tenant des discours totalement démagogique visant à nier la réalité. C'est ainsi qu'on n'a pas beaucoup parlé des dépenses publiques et des façons de les réduire. Les changements qu'il faudra probablement apporter aux régimes des retraites ont été largement mis sous le tapis, pas question d'évoquer les sacrifices à faire de façon un tant soit peu détaillée. On peut éventuellement deviner que Hollande voudrait augmenter les cotisations sociales, Sarkozy plus l'âge de départ en retraite, mais cela n'a jamais été clairement dit. De même, on ne peut pas dire qu'on se soit beaucoup attardé sur les dépenses de santé, l'armée — qui servira sans doute de variable d'ajustement une fois de plus —, etc. Quant à creuser les propositions soit-disant un peu plus détaillées, cela m'a souvent amené à me dire qu'on se moquait de moi et du reste de la population par la même occasion. Et surtout, on a évité de dire des choses qui peuvent faire perdre nombre d'électeurs, en n'utilisant que des formules vagues laissant entendre qu'il y aurait des efforts à faire, mais on s'est au contraire concentré sur ce qui caresse dans le sens du poil et est totalement accessoire, comme la taxation des hauts revenus, l'étiquetage de la viande halal... Comme l'a bien retranscrit la une de The Economist, on a assisté à une campagne de déni.
Ce n'est certainement pas une nouveauté: on a très peu parlé des retraites en 2002 et 2007, alors qu'il était aussi évident que des changements devraient avoir lieu. Ces 2 précédents devraient inciter à demander que les thèmes importants soient réellement abordés, les laisser en friche ne donne finalement pas un véritable mandat démocratique. Il me semble que cela montre un manque de qualité parmi le personnel politique, incapable de dire ce qu'il pense nécessaire ou souhaitable, ou bien se réfugiant réellement dans le déni. Dans tous les cas, on voit mal ce que l'élu pourra tirer réellement comme mandat du résultat des urnes: rien de saillant n'ayant été résolu, il bénéficie à la fois d'un mandat relativement libre, à part sur certaines mesures idéologiques, mais n'aura aucune légitimité pour faire appliquer les décisions dures qu'il devra pendre, n'en ayant pas parlé avant. On parle plus en plus de transparence dans le processus décisionnel, mais, au moment où on doit choisir des élus et donc leurs idées, cette transparence manque cruellement.
Une autre raison est que je suis bien éloigné de l'axe central de la politique française. Le libéralisme a quasiment disparu du radar en France, aucun parti ayant des élus ou une audience certaine ne peut sérieusement s'en revendiquer. Cela distord la perception de ceux qui s'en sentent proches: finalement la majeure partie des hommes politique apparaissent éloignés et il est difficile de les classer par ordre de mérite. Il m'est bien difficile de dire aujourd'hui qui serait le meilleur ou, ce qui est strictement équivalent, le moins mauvais président du fait de la trop grande distance qui me semble séparer leurs opinions, telles qu'elles ressortent de leurs discours, des miennes.
Le manque de qualité et la distance aux idées les plus courantes dans le débat politique rendent finalement inévitable un certain retrait par rapport au choix à faire le jour du vote. Je n'irai donc pas voter dimanche prochain, ni sans doute le dimanche dans 2 semaines.
Commentaires
C'est la conclusion logique de votre tryptique. Pourtant, quand les convictions ne sont pas là il reste les raisons tactiques. Par exemple, un F. Hollande largement devant l'extrême gauche et les verts au premier tour pourrait avoir plus de liberté vis à vis de ces formations. Un petit score serait au contraire remettre en selle M. Aubry, éventuel premier ministre. Tout cela est spéculatif et cynique et bien éloigné de vos considérations fondamentales mais quand ces dernières ne sont guère stimulantes il y a encore des raisons de voter. Une autre pouvant être la personnalité des candidats, à l'évidence bien différente pour les deux principaux.
Au plaisir de lire vos prochains billets.
Comme répétaient à juste titre les Guignols de l'info en 2002, «Ne pas voter peut provoquer un président grave.»
Donc même si, moi non plus, aucun candidat ne me convient, même si à mes yeux aucun candidat ne parle comme il faut des quelques sujets que je crois être structurants pour l'économie, le chômage, le logement, le financement des comptes sociaux, une plus grande égalité des chances, ... j'irai quand même voter, et je ne voterai pas blanc. Parce que c'est aussi ma responsabilité de citoyen de ce pays de ne pas créer les conditions d'une dictature ou d'un régime insurrectionnel à court ou moyen terme en laissant d'autres électeurs mener les extrêmes en situation d'atteindre le pouvoir.
Voter, ce n'est pas seulement choisir, c'est aussi écarter du jeu politique. Et il y a clairement des courants de pensée que je souhaite voir écartés du jeu politique actuel.
Vous avez raison d'aller voter si vous arrivez à faire un choix. Le problème qui se pose à moi, c'est que les difficultés pour choisir s'accumulent, comme je l'ai décrit. Pour ce que je n'ai pas évoqué ce peut être comme la personnalité des candidats, des choses qui m'importent peu ou qui ne font pas apparaître de d'avantage particulier pour l'un ou l'autre.
Les considérations tactiques sont toujours présente dans un scrutin où seul celui qui finit en tête au bout de la course est élu, que ce soit le système anglais à un tour ou les dérivés (comme le système français pour la présidentielle et les législatives). Cela dit, une fois les élections passées, l'élu fait ce qu'il veut, on lui laisse les clefs en quelque sorte. Pour utiliser des termes pompeux, c'est le côté hobbésien de la chose: l'élu est libre de faire ce qu'il veut dans les limites de la loi et de son pouvoir. Bref, je minimiserais le côté tactique.
Pour ce qui est du risque si on ne vote pas, il me semble que la faible qualité que je perçois des candidats me mène naturellement à le considérer plus bas que d'autres. Cela dit, en 2002, le candidat en tête était Chirac, avec des réserves de voix naturelles à droite: même si toute la gauche s'abstenait, il était élu. L'argument du
ne pouvait s'appliquer que si on voulait voir Jospin élu, mais justement, il ne s'est pas trouvé assez de gens pour le vouloir. Je le dis d'autant plus tranquillement que j'ai voté Jospin au premier tour en 2002.Mais il reste, ne pas voter, c'est donner une voix supplémentaire à ceux qui eux se déplaceront.
Autrement dit, l'objectif des candidats est d'obtenir que le maximum de personnes votent pour eux, donc ceux qui ne se déplacent pas ne comptent pas à leurs yeux. Si vous ne votez pas, vous n'existez pas.
Par exemple, ya-t-il un hasard dans le fait que les candidats en fassent autant pour les plus âgés ? Aussi bien Hollande que Sarkozy draguent la première catégorie par de nombreux aspects, retraite le plus tôt possible pour le premier, sécurité pour le second. Ou sont les engagements crédibles pour les jeunes, quels sont les réponses pour faciliter leur accès à l'emploi ?
Ben justement les premiers se déplacent toujours pour aller voter, et les seconds restent sur leur console vidéo même quand les enjeux les concernent. Sarkozy a gagné l'élection de 2002 sur la tranche des plus de 60 ans, sur les autres réunies Ségolène était gagnante. Il le sait parfaitement, depuis le premier jour, et Hollande aussi, qui a dû d'ailleurs en draguer des + de 60 ans en Corrèze, sans insulter la Corrèze, la moyenne d'âge doit y être sacrément élevée.
Bref il y a toujours moyen de choisir entre la poire à lavement et le sandwich au caca (cf southpark), mais surtout de faire savoir à l'un et à l'autre ce qu'on aimerait qu'ils changent.
Particulièrement pour quelqu'un qui a une position réellement susceptible de basculer d'un camp vers l'autre en fonction de l'évolution de leur positions.
Aussi critiquable qu'était la charte de Nicolas Hulot en 2007, l'idée restait bien choisie pour faire prendre en compte au maximum le courant qu'il représentait.
Allez rigolons un peu : Qu'est-ce-qui dit qu'il n'y a pas un cabinet d'expert en stratégie électorale qui a sorti une note comme quoi les électeurs classés libéraux progressistes sociales ne se déplaceront pas et que ce n'est pas la peine de les draguer ? D'autant plus quand on voit un h16 ne pas avoir envie de voter non plus ;-)
Moi je voterais Bayrou en ayant bien noté les critiques précédentes, mais de toute façon elles ne seraient vraiment pertinentes que s'il avait une chance d'être élu, et stratégiquement ça envoie approximativement le message souhaité aux 2 candidats principaux.
Au deuxième tour on verra bien, entre 2 très mauvais choix, j'ai envie de donner la priorité à sanctionner le bilan, sachant qu'à un 81 succède toujours un 83 et là ça devrait être 2 mois au lieu de 2 ans.
Mais on verra bien ce qu'il se passera entre les 2 tours, les évolutions d'Hollande pourraient être vraiment inquiétantes.
Sur le nucléaire, j'ai un peu été rassuré par l'accord avec Chevènement, même si je ne suis pas dupe du fait qu'Hollande n'y a pas vraiment promis des choses précises.
jmdesp,
attention sur l'accord avec le MRC: la phrase positive sur l'énergie nucléaire représente la position du MRC, juste avant le PS maintient sa position de l'accord avec les Verts. On voit là qu'il y a un constat de désaccord sur cette question.
Sur le fait que ne pas aller voter provoque un cercle vicieux, où l'offre n'apparaît pas du fait du manque de personnes motivées pour aller voter, je suis partagé. Il y a en effet un paradoxe: aujourd'hui si l'électeur libéral va voter alors qu'aucun candidat ne rapproche de lui, aucun candidat n'a intérêt à se rapprocher des libéraux puisqu'il obtient quand même leurs votes. D'un autre côté, les libéraux apparaissent en n'allant pas voter comme un courant insaisissable dont les tenants sont notoirement infidèles et geignards, ce qui n'incite pas à aller les chercher.
On peut faire la même remarque sur l'opposition vieux vs jeunes. Sur ce sujet, on peut en plus constater que les jeunes électeurs appartiennent à des classes creuses. Il est donc en fait peu intéressant d'aller les chercher, en plus des difficultés techniques dues à la mobilité, ils rapporteraient de toute façon moins de voix que de s'intéresser aux vieux. Comme à partir de 2000, les classes d'âges se font plus nombreuses, on peut prédire que les générations nées entre 75 et 95 ne susciteront pas forcément l'enthousiasme de la part du personnel politique, voire qu'elles n'exerceront pas le pourvoir, l'essentiel étant assumé par les classes d'âge les plus nombreuses. Cette remarque sur le nombre vaut aussi pour les libéraux: s'ils étaient vraiment nombreux, il y aurait sans doute une offre politique pour eux.
Quant à dire que ne pas aller voter revient à aller voter comme la moyenne des gens (y compris en partie pour des candidats qu'on trouve absolument détestables), elle est tout à fait vraie. Mais cela ne veut pas dire qu'on n'existe pas ou nettement moins que ceux qui vont voter. En allant voter, on choisit, surtout pour la présidentielle, quelqu'un et ses idées, ce qui ne veut pas dire qu'il ira réellement dans le sens des déterminants du choix. En fait, ceux qui existent le plus sont ceux qui vont voter et en plus qui ont la capacité de faire du lobbying efficace quelque soit l'élu pour que leurs options soient adoptées. Si vous ne faites aucun des 2, effectivement, le poids est très faible, mais pas forcément tellement plus faible que celui de l'électeur perdu dans la masse.
C'est pour ça aussi que je suis sceptique sur le fait de voter pour envoyer un message. Quel message est en fait entendu? Est-il seulement entendu pour tous les éliminés? Le cas de Bayrou en 2007 est éclairant de ce point de vue: à peu près rien de ce qu'il proposait n'a eu d'influence par la suite, alors qu'il était 3e, loin devant Le Pen!
Pour une fois, je ne suis pas d'accord avec vous
Ne pas voter, au moins au premier tour, signifie que tous les candidats sont équivalents, alors que ce n'est pas votre avis réel, puisque vous en distinguez 3 sur 10
" Ne pas voter, au moins au premier tour, signifie que tous les candidats sont équivalents, alors que ce n'est pas votre avis réel, puisque vous en distinguez 3 sur 10 "
Voter, c'est distinguer un seul candidat, pas 3.
Franchement, ils sont tous nuls.
Le discours sur les 3 partis non liés aux dictatures ne me convainc pas, le PS à Paris est très copain avec Cuba (surtout la mairie du 14e arrondissement qui organise tous les ans une réunion d'éloge de Cuba).