Alors que le débat organisé par le gouvernement sur l'énergie tire à sa fin et que la CRE publie un rapport qui suggère d'augmenter fortement les tarifs de l'électricité, Delphine Batho donne une interview au Figaro, intitulée Consommer moins d'énergie fabriquera de la croissance. On ne peut que regretter qu'elle y dise en grande partie n'importe quoi.

Elle nous déclare donc, dès la première question, que la nouveauté, c'est que l'investissement dans la réduction de la consommation d'énergie fabriquera de la croissance. Il y a deux façons de comprendre cette phrase, qui mène à deux impasses différentes. La première, c'est que les investissements dans les économies d'énergie permettent de diminuer la quantité d'énergie nécessaire pour créer un 1€ de PIB. En d'autres termes, il s'agit de gains de productivité, qui n'ont absolument rien de nouveau. En 1851, Jevons avait déjà constaté qu'en fait la consommation totale d'énergie augmentait de ce fait dans son livre The Coal Question. La deuxième, c'est que grâce à ces investissements, on aura à la fois croissance et baisse de la consommation d'énergie. Il y a de fortes raisons d'en douter: la croissance économique s'est historiquement toujours accompagnée d'une croissance de la consommation d'énergie (comme on peut le constater là). Il faudrait pour cela que les gains de productivité soient supérieurs à l'effet de rebond, ce qui suppose entre autres une nette accélération des gains de productivité ou que les nouvelles activités dépensent très peu d'énergie, ce qui est très peu probable, toute activité économique se basant sur une transformation de l'existant. Bref, soit D. Batho a découvert un des faits les plus anciennement connus en économie, soit elle tient des propos dont la réalisation est très peu probable.

La donnée du chiffre de 43% d'économie d'énergie dans l'appareil de production en France en est l'exemple parfait: une telle économie d'énergie est peut-être techniquement réalisable, mais elle peut être économiquement néfaste. Pour qu'elle soit bénéfique, il faut que l'investissement nécessaire coûte moins que les dépenses d'énergie évitées. Or c'est là toute la question des économies d'énergie: dans des secteurs concurrentiels, les entreprises ont intérêt à minimiser leurs coûts, ne serait-ce que pour survivre. C'est ainsi qu'on a vu les dépenses énergétiques pour produire une tonne d'aluminium ou d'acier se réduire. Mais si ces investissements ne se font pas, c'est bien souvent qu'ils ne sont pas rentables. Et ils le sont d'autant moins que l'énergie est bon marché, vanter ces possibilités d'économies est donc contradictoire avec le fait de se plaindre de la hausse structurelle du coût de l'énergie. Les mêmes remarques valent aussi pour les particuliers: les investissement pour réduire la consommation du chauffage ne sont rentable qu'à partir d'un certain niveau de prix, lorsque les remboursements d'emprunts sont moins lourds que les dépenses évitées. En fait cela signifie que le pouvoir d'achat est sans nul doute inférieur à celui qui prévalait avant la hausse des prix de l'énergie qui s'est produite depuis 2005.

La ministre nous gratifie ensuite d'un magnifique mensonge. Elle affirme qu'en Allemagne, le kilowattheure y est 87 % plus cher qu'en France, mais grâce aux économies d'énergie sous toutes leurs formes, la facture du consommateur est en moyenne moins élevée. On peut déjà tracer l'origine de ce mensonge: j'en ai déjà parlé au moment où un sénateur Vert a remis le rapport de sa commission d'enquête. Tout part d'une enquête statistique réalisée en 2005 — nous sommes en 2013 — dans tous les pays européens via un suivi de ménages. Cette enquête rapporte des résultats surprenants quant à l'énergie. Tellement que ces résultats ne collent absolument pas avec les résultats qu'on peut tirer des comptes nationaux, et que Global Chance, pas vraiment connue pour ses positions favorables à la politique énergétique française, reconnaît que la facture des Allemands est supérieure à celle des français. J'avais à l'époque tiré le graphe ci-dessous des données de comptes nationaux tels qu'on pouvait les extraire d'Eurostat: Dépenses énergies pour les logements en 2010 On y voit clairement que les dépenses par habitant sont plus faibles en France qu'en Allemagne, que ce soit globalement en incluant toutes les sources d'énergie, qu'en prenant en compte la seule électricité. Comme je ne peux imaginer que D. Batho n'ait pas été correctement briefée sur la question par son administration, il ne reste que l'hypothèse du mensonge.

L'interview se poursuit avec l'inévitable question de Fessenheim, où la ministre se propose de diminuer autoritairement le PIB de la France en fermant une usine rentable. Elle justifie la fermeture de Fessenheim par l'ouverture de la centrale de Flamanville. Mais la construction de l'EPR de Flamanville a été lancée pour faire face à l'augmentation de la demande en électricité. À cause de la crise, la croissance de la demande a été plus faible que prévu, car la chute de la consommation des industries a masqué la hausse continue de la consommation de la part des particuliers et des petites entreprises de services. Mais si la chute de l'industrie s'arrête, la hausse de la demande d'électricité reprendra. À tel point que RTE prévoit un manque de capacité pour les pointes extrêmes de consommation à partir de 2016. L'autre justification est la dépendance au nucléaire et au parc standardisé français. Le problème est alors qu'on ne voit pas bien la différence entre produire 50% et 75%: en cas de défaillance généralisée, la pénurie d'électricité serait extrêmement grave. La seule solution est alors descendre encore plus bas! Elle affirme enfin que nous n'avons pas vocation à faire moins de nucléaire pour faire plus de CO₂. Or il s'avère que les simulations sérieuses montrent qu'en fait une baisse du nucléaire se traduira forcément par une hausse des émissions de CO₂.

Sur la question du gaz de schiste, D. Batho traite le gaz d'énergie du XIXᵉ siècle, alors que l'expansion du gaz date de la deuxième moitié du 20ᵉ siècle, entre 1965 et 2011, la consommation a été multipliée par plus de 5; la consommation a augmenté de presque 50% ces 15 dernières années. gaz_conso_1965-2011.jpg À la question suivante, pourtant, cette énergie datée trouve grâce à ses yeux, puisqu'elle va empêcher les centrales au gaz de fermer! Elle annonce aussi un statut spécial pour les gros consommateurs industriels et des mesures de compétitivité pour eux. On pardonnera les faibles mortels qui ont du mal à comprendre comment les deux déclarations sont conciliables. L'interview se termine sur la reprise du leitmotiv comme quoi le diesel est un problème de santé publique: comme il fallait s'y attendre, la hausse des taxes à venir sera justifiée par des raisons de santé publique inexistantes et non par les véritables raisons, qu'il n'existe aucune raison à cet avantage et qu'une hausse des taxes est une excellente façon de faire baisser les consommations de carburants.

Pour conclure, ce n'est pas cette interview qui va me faire changer d'avis sur la politique du gouvernement en matière d'énergie ni sur Delphine Batho. Il faut dire que la ministre est confrontée à des demandes contradictoires, au milieu desquelles il est difficile de surnager. Vouloir limiter la hausse des prix de l'énergie, grandement déterminés sur des marchés mondiaux, est impossible, surtout quand en plus, on subventionne les énergies renouvelables comme le solaire et l'éolien, plus chère que le parc de production existant. De même, réduire la part du nucléaire s'accompagnera selon toute probabilité d'une hausse des émissions de CO₂ dans la production d'électricité. Elle se retrouve à condamner le gaz à une question avant de lui trouver de nombreuses vertus à la suivante. Tout ceci montre bien que le fameux débat n'a rien éclairci, comme prévu, et que la politique de ce gouvernement est minée par des cadeaux idiots aux Verts et des promesses intenables sur les prix de l'énergie. Les mensonges et les demi-vérités sont alors la seule issue de la communication politique.