Leçon d'enfumage
Par proteos le 1 août 2012, 23:24 - Énergie - Lien permanent
La commission sur le coût de l'électricité a rendu un rapport qui a été à juste titre dénoncé comme relevant de la pure idéologie écologiste ailleurs. Mais leur argument massue, que le consommateur français paie plus au total pour son électricité que ses voisins malgré des prix bas, est basé sur un tableau très probablement faux.
Le rapport consacre en effet un développement aux prix de l'électricité en Europe. Il commence par constater que le prix de l'électricité est bien moins élevé en France que partout ailleurs en Europe de l'Ouest. Il faut aller chercher la Grèce, la Finlande ou les pays de l'est pour trouver des prix équivalents. Avec un coût d'un peu plus de 140€/MWh à fin 2011 pour les particuliers, les prix français sont très compétitifs et n'ont pas suivi la hausse des prix causée par le choc pétrolier d'après 2004 comme ailleurs en Europe.
Mais cela n'arrête pas l'auteur, qui nous donne ensuite à voir le tableau suivant:
On constate que selon ce tableau les ménages français ont la facture d'électricité la plus élevée d'Europe et une facture totale énergétique en ligne avec celle des pays du nord de l'Europe pourtant moins bien lotis du point de vue du climat.
Mais ce tableau est trompeur pour deux raisons au moins. La première, c'est que les données du tableau source d'Eurostat sont exprimées en parité de pouvoir d'achat. C'est sans doute mineur, mais avoir recopié directement ces données puis avoir confondu euros nominaux et parité de pouvoir d'achat n'augure rien de bon. La deuxième, c'est que depuis 2005, les prix des énergies fossiles, celles qui complètent le budget ont subi une forte augmentation des prix. En 2005, le prix moyen du baril de Brent était d'environ 60$, en 2010 de 80$, en 2011 de 100$. L'impact sur les prix du gaz et du fioul sont certains, il doit donc aussi y avoir un impact sur la facture finale.
Ce tableau a aussi — et c'est le vrai problème — toutes les chances d'être faux. On peut s'en rendre compte en partie dès le tableau suivant. Ce tableau-là donne le résultat des calculs de Global Chance, en se basant sur les prix du premier semestre 2011. Et là, surprise: la facture annuelle par ménage n'est plus que de 670€/an environ, en comptant 2 personnes par ménage. Le passage des euros nominaux aux parités de pouvoir d'achat ne peut expliquer une telle différence. On constate aussi que la facture d'un ménage allemand est aussi nettement plus élevée que celle d'un ménage français, contrairement à ce que laissait penser le tableau précédent.
Pour essayer de savoir si cette suspicion est justifiée, on peut se reporter à l'enquête de l'INSEE sur la consommation des ménages. À l'aide des tableaux proposés, on peut calculer que la facture moyenne d'électricité était d'environ 662€ par ménage en 2005. Un nouvelle fois, c'est bien loin des 852€ proclamés par le tableau devant donner les dépenses de consommation par énergie. La même source montre que les dépenses annuelles d'énergie dans les logements — le tableau d'Eurostat ne compte que cela — sont probablement inférieures à 1200€ par ménage: la somme du gaz, de l'électricité et du fioul donne environ 1175€.
On peut aussi procéder à partir des données d'Eurostat. On peut y trouver les données de population, de taille des ménages, une base de données sur l'énergie avec les consommations énergétiques classées par types, un prix typique pour le gaz et l'électricité. La commission fournit les prix du fioul. On trouve alors les résultats suivants, sachant que la précision n'est pas excellente du fait du mode de calcul.
On peut voir que loin d'avoir la facture globale par habitant la plus élevée, la France se place plutôt bien. On remarque aussi que la hausse de la facture a été limitée par rapport à d'autres pays car les prix de l'électricité ne sont pas, en France, indexés sur les cours du pétrole.
Tout ceci ne serait pas très important si les opposants au nucléaire ne faisaient pas de l'argument de la facture totale un argument bizarre: que la forte consommation d'électricité, causée par des prix bas, fasse que la facture totale soit en fait relativement élevée. C'est un argument bizarre car il fait l'impasse sur les investissements qu'il faut faire pour moins consommer mais atteindre un même résultat: ces investissements sont notoirement inutiles financièrement lorsque les prix de l'énergie sont bas. Mais même en regardant la facture globale, on constate que la France est plutôt bien lotie. La cause, en fait, est bien connue: les logements chauffés à l'électricité le sont de façon efficace, à cause justement du prix élevé de l'électricité par rapport au gaz et au fioul; pour le reste, les gains d'efficacité ne sont souvent pas extraordinaires à prestation égale, ce qui fait que la demande d'électricité ne dépend pas beaucoup de son prix. Bref, l'argument de la facture totale relève de l'enfumage total de la part des anti-nucléaires.
Commentaires
De toute façon, partir de la facture électrique des consommateurs pour trouver le prix "réel" de l'électricité, ça relève au mieux de l'incompétence, au pire du charlatanisme. Pourtant, l'un des intervenants (au moins un, donc) que cette commission a auditionnés l'a souligné clairement : dans le cas de l'électricité (parce qu'elle ne se stocke pas), le prix à un instant donné, c'est le prix du fournisseur le plus cher qui propose de l'électricité à ce moment-là. Or même si, entre les prix spot et les prix réellement payés par le consommateur final, un lissage des variations est appliqué, aucun fournisseur ne peut vivre durablement en vendant à perte. Donc si de nouveaux fournisseurs arrivent sur le marché de l'électricité avec des coûts de production plus élevés que ce qui se faisait jusqu'alors, alors mécaniquement, le prix payé par les consommateurs augmentera, alors que même que le coût de production pour les producteurs historiques n'a pas changé, et ce même si l'essentiel (en volume) de l'électricité consommée provient des producteurs historiques dont le coût de production est le plus faible.
Dit autrement, il n'y a pas de lien entre le fait que l'essentiel de l'électricité consommée en France soit d'origine nucléaire (ou autre) et le prix de l'électricité effectivement payé par les consommateurs. Si 99 % de l'électricité provient d'un fournisseur A et coûte 1 unité monétaire le kWh, et 1 % de l'électricité consommée (mais proposée en permanence, tout au long de l'année) provient d'un fournisseur B et coûte 5 unités de monétaire par kWh, alors le consommateur paiera 5 unités monétaires par kWh pour 100 % de son électricité ! (Et le fournisseur A se fera des c... en or sans l'avoir décidé.)
Soit dit en passant, j'adore cette expression complètement foireuse de «prix "réel" de l'électricité» dans l'intitulé de la commission : ce n'est pas comme si, en économie, la notion de «prix réel» n'avait pas déjà un sens bien précis, défini avec précision, et, bien évidemment, différent ce que notre commission entend ici par cette expression... Bref, ça en rajoute dans (au mieux) l'amateurisme.
Hollydays,
La situation où le prix marginal donne le prix facturé est la situation du marché en concurrence pure et parfaite. Or, en France, la réalité pour les consommateurs domestiques est celle des tarifs régulés et du monopole. La théorie économique dit que la bonne idée dans ce cas, c'est la facturation au coût moyen. Pour les industriels, la logique du prix spot s'applique, sur l'ensemble de l'Europe, à ceci près que tous les marchés ne sont pas couplés et qu'il y a des limites aux capacités d'interconnexion entre pays européens. Il faut voir aussi que le prix spot a tendance à ne pas prendre en compte les investissements, ce qui est très problématique quand on veut faire du nucléaire ou ... du renouvelable. Mais comme les consommateurs industriels aiment aussi avoir une certaine prévisibilité, on peut quand même les faire apprécier le nucléaire.
Pour ce qui est du titre de la commission, je ne suis pas totalement d'accord. Bien sûr, tout le monde a bien compris qu'il s'agissait pour les Verts de dénoncer le nucléaire avec des coûts cachés et qui de toute façon s'envolent forcément. Mais la notion de coûts réels peut vouloir dire, dans le dialecte des économistes, qu'on va étudier les externalités pour essayer de les faire payer (ou profiter) à ceux qui les provoquent. C'est aussi connu sous le nom de principe pollueur-payeur. Évidemment, vus les a priori qu'ont les Verts, on ne peut pas mener ce travail sérieusement: la principale externalité négative dans le domaine de l'énergie provient des émissions de gaz à effet de serre, pas du nucléaire. Ce qui veut dire qu'une substitution des uns vers l'autre est souhaitable, contrairement à ce qu'ils racontent.
Même en concurrence pure et parfaite, ce n'est la situation du marché que si 100% de celui-ci est géré en prix spot ce qui n'est jamais le cas. Regardons l'Allemagne qui a de nombreux producteurs d'électricité différents, et aussi de nombreux vendeurs, et qui est un modèle de concurrence nettement plus clair que le cas assez spécifique de la France, de nombreux producteurs souhaite se garantir un revenus en vendant leur production par avance. Rien de nouveau, c'est les contrats à terme, décrit par Aristotle, et déjà utilisés dans une véritable bourse par les paysans japonais au XVIIIème siècle.
En fait si vraiment une part majoritaire de la production allemande était vendue au prix spot, il y a des producteurs qui auraient mis la clé sous la porte ces derniers mois, vu les mouvements des prix.
D'ailleurs le mode de fonctionnement d'enercoop est aussi de ce type, un prix d'achat garantie aux producteurs associés qui n'a tout simplement aucune relation avec le tarif visible sur eex, et une facturation aux clients à un tarif supérieur à celui d'EDF ce qui équilibre ce prix garantit aux producteurs.
jmdesp,
tout d'abord sur le modèle économique d'enercoop: vu qu'enercoop se fournit en énergie renouvelable hors grand hydro, les fournisseurs sont tous éligibles aux tarifs de rachat spécial renouvelables. Donc enercoop ne peut pas faire autrement que de leur proposer ce prix qui est fixé à l'avance pour de longues années, même s'ils voulaient faire autrement. En passant, j'ai regardé sur leur page idoine quels étaient leurs sources d'approvisionnements, et il y a pas mal d'éolien. Je me demande donc comment ils assurent l'équilibre heure par heure production/consommation s'ils ne sont pas excédentaires en permanence.
Pour ce qui est du cas allemand, c'est très net que les volumes échangés sur les marchés sont très supérieurs au cas français, mais qu'une grande part n'est pas traitée directement sur le marché. Mais il faut se méfier des produits à terme: le plus souvent ils sont fortement asservis aux prix spot, via un escompte au taux d'intérêt de l'échéance. Mais effectivement, plus un contrat a un terme éloigné, plus il devrait prendre en compte les coûts d'investissement. Il doit aussi y avoir des contrats passés hors marché.
Par contre, je ne suis pas sûr que les prix spot n'affectent pas les producteurs. Actuellement, les prix sont bas parce que les prix du CO₂ sont bas et que la fin de vie de certaines centrales au charbon approche. Ce qui fait qu'on brûle plein de charbon dans des installations sans doute amorties depuis un certain temps. Il y a aussi des nouvelles comme quoi les centrales à gaz ne sont pas rentables en ce moment, des 2 côtés de la frontière. Les prix spots bas reflètent aussi l'arrêt des installation à prix marginal élevé. Quand il ne reste plus que du lignite et du nucléaire en dehors des renouvelables, le prix spot est forcément très bas. Les producteurs de renouvelables éolien et solaire ont un prix garanti, les producteurs qui ont les grosses centrales peuvent subir ces prix bas un certain temps — surtout sur les vieilles installations — et aussi avoir une moindre rentabilité. E.On a eu des bons résultats dernièrement, mais c'est dû à une renégociation de son contrat de gaz russe; ça va nettement moins bien pour RWE ... qui est aussi un champion du lignite et pour qui la renégociation d'un contrat de gaz a moins d'importance.
D'après les apologistes d'enercoop, ils sont constamment excédentaires pour ne pas acheter de fossile, mais financièrement ça parait difficile à équilibrer. Surtout avec un tarif fixe la nuit.
Je ne sais pas trop quel est vraiment le seuil de douleur des producteurs, à un moment on a eu des journée quasi entière en dessous de 10€, c'était forcément intenable, mais il est vrai que les prix ont déjà remonté, à des valeurs qui restent faibles en moyenne, mais sont plus raisonnables. Il est fort possible effectivement que les prix soient influencés par des centrales charbon qui n'ont plus beaucoup de crédit carbone à payer, et une date limite fixée par l'UE pour leur fermeture. J'ai l'impression de retrouver dans ton commentaire exactement les informations de la note d'HSBC ...