Les subventions à l'éolien et au solaire sont parties pour durer
Par proteos le 12 juin 2013, 22:48 - Énergie - Lien permanent
C'est un leitmotiv de ce blog que de s'intéresser aux politiques menées en faveur de l'éolien et du solaire photovoltaïque. J'ai signalé à au moins deux reprises au fait que ces subventions faisaient baisser les prix sur les marchés. La cause immédiate est simplement que les obligations d'achat fournissent une partie de l'électricité, ce qui reste à produire par les autres moyens est plus faible, ce qui fait qu'on a moins besoin de faire appel aux moyens de production les plus chers.
Mais cette situation va en fait perdurer. L'éolien et le photovoltaïque ont pour caractéristique commune d'avoir un coût marginal nul: autrement dit, produire un kWh supplémentaire ne coûte rien de plus au propriétaire que les sommes qu'il a déjà engagées. Il a payé le constructeur de l'éolienne, il paye pour l'entretien de sa machine, qu'elle produise ou non. Sur le marché de l'électricité, le prix est déterminé par les lois de l'offre et la demande qui conduisent grossièrement à faire payer le coût marginal augmenté d'une prime qui dépend du pouvoir de marché des différents intervenants (plus d'explications ici). Cette prime due au pouvoir de marché n'est pas à disposition des producteurs d'énergie solaire ou éolienne, puisqu'ils sont très nombreux et que leur production est avant tout déterminée par les caprices de la météo. Cela les transforme en preneur de prix: ils acceptent tout prix positif, voire même un prix négatif s'ils ne peuvent se déconnecter du réseau.
En conséquence, on peut s'attendre à ce que l'éolien dont la production s'effectue grosso modo au hasard reçoive des revenus inférieurs au prix moyen du marché dit aussi prix de base — le prix obtenu en faisant la moyenne non pondérée de tous les prix horaires. Pour le solaire photovoltaïque, la situation est un peu différente: la consommation est supérieure le jour à ce qu'elle est à 4h du matin. Le prix est donc en général plus élevé le jour que la nuit. Mais si la capacité installée de solaire photovoltaïque est suffisamment grande — plus grande en tout cas que la différence de consommation entre le jour et la nuit —, on peut assister au même phénomène. Qualitativement, c'est lié au fait que le prix marginal est nul et aussi que la production est aléatoire … elle a donc une moindre valeur qu'une production prévisible à l'avance.
Reste toutefois à démontrer cela dans la réalité. C'est possible puisqu'on dispose pour la France et l'Allemagne d'un marché spot dont les prix peuvent être relevés par un script. En France, RTE permet de récupérer en milieu de mois, la production horaire du mois précédent via son programme éco₂mix, collaté tous les mois par Sauvons le Climat. En Allemagne, on ne dispose pas de données aussi détaillées qu'en France, mais on dispose des productions éoliennes et solaires, collatées sur le site de Paul-Frederik Bach. Les données pour 2012 ont été rassemblées dans ce tableur OpenOffice, celles pour le premier trimestre 2013 dans celui-ci.
Durant l'année 2012, en Allemagne, aux prix de marché, l'éolien aurait été rémunéré environ 37.5€/MWh en moyenne, le solaire photovoltaïque 44€/MWh contre un prix de base d'un peu moins de 43€/MWh.
Pour le premier trimestre 2013, en Allemagne, le prix moyen du photovoltaïque tombe lui aussi en dessous du prix de base. Les prix du solaire est un peu inférieur à 40€/MWh contre un prix de base d'un peu plus de 42€/MWh. Pour la première fois, des prix négatifs ont été notés en journée, le dimanche 24 mars. L'éolien vaut 35€/MWh.
En France, les données un plus complètes permettent de comparer nombre de sources de production d'électricité. En 2012, on ne dispose pas de données spécifiques pour le solaire qui est classé dans la catégorie «Autre» avec des installation de cogénération, des générateurs au gaz et au fioul situés dans les îles, etc. On constate quand même que l'éolien se verrait rémunéré aux prix de marché un peu moins de 45€/MWh contre un prix de base d'un peu plus de 47€/MWh. Le nucléaire emporte 48.5€/MWh. Le prix moyen pondéré par la consommation est de 50.5€/MWh. Le prix très élevé du fioul s'explique par la vague de froid de février 2012, où on a fait beaucoup appel à ce moyen de production.
Au premier trimestre 2013, on dispose de la production solaire. Les centrales à cogénération ont été intégrées pour la plupart dans la catégorie «Gaz», les générateurs au fioul installés sur les îles ont rejoint la catégorie idoine, la catégorie «Autre» ne contient plus que les centrales à biomasse, l'usine de la Rance, etc. Pour éliminer la production de fond crée par les générateurs des îles et les contrats de cogénération, j'ai créé une catégorie «gaz hors fond» et «fioul hors fond» pour tenter de rendre compte des centrales commerciales. L'éolien aurait été rémunéré 52.5€/MWh contre 54.5€/MWh pour la base. Le solaire emporte un peu plus de 57€/MWh.
À la fin de 2012, il y avait environ 31GW d'éolien en Allemagne et 7.5GW en France. Les différences d'impacts sont du même ordre de grandeur. Pour le solaire photovoltaïque, il y avait en fin d'année 2012 plus de 32GW installés en Allemagne contre 3.5GW en France. Les effets sont là sans commune mesure.
Cette pression à la baisse sur les prix pose problème pour le futur de ces moyens de production. En effet, les subventions ont été mises en place pour permettre aux renouvelables de devenir compétitives vis-à-vis des autres moyens de production et de pouvoir à terme se passer de ce soutien. Mais comme on le voit, arriver au niveau du prix moyen sur le marché ne suffira pas, il faut que l'éolien et le solaire photovoltaïque deviennent encore moins chères pour être véritablement rentables. Le différentiel de prix en défaveur de l'éolien et du solaire s'agrandit au fur et à mesure que les capacités installées augmentent, ce qui est très problématique si on veut que ces sources de production fournissent une partie importante de l'électricité produite. En 2012, l'éolien a fourni 7.4% de la production allemande et l'effet est déjà notable.
Il semble qu'on s'achemine vers un système où les productions d'électricité d'origine éolienne ou solaire reçoivent des rémunérations décidées à l'avance par les gouvernements et où les moyens de production adaptables à la demande reçoivent une rémunération pour leur véritable intérêt: celui de pouvoir être disponibles quand on a besoin d'eux, sans forcément avoir à produire. Cela revient quelque part à payer deux fois pour la même chose.
Commentaires
Les concepts en jeu ici sont vraiment simples. Pas besoin d'avoir fait l'X pour comprendre qu'un fournisseur qui livre quand on lui demande propose une offre intrinsèquement supérieure à un fournisseur qui livre quand il a envie. Chaque français en fait l'expérience tous les jours : il ne demande pas seulement aux magasins de proposer les produits à des prix raisonnables, mais aussi d'être approvisionnés tous les jours.
Tout le monde sait que le vent est variable à court terme. (Même en mer, les voileux le savent bien : le vent peut être soutenu, mais il arrive aussi des variations très brutales, auxquelles il faut réagir vite sous peine d'avoir quelques problèmes.)
Dans quelle mesure ces idées simple arrivent effectivement à être intégrées par les français?
J'ai l'impression que "tout le monde" acclame les nouveaux renouvelables, notamment les éoliennes. C'est tellement "élégant" (ça a intérêt, vu la taille), c'est tellement silencieux (d'après un reportage où on constatait qu'à l'arrêt une éolienne ne fait aucun bruit), c'est tellement "sans danger" (tant que les pales ne se disloquent pas)...
Est-ce parce que ces moulins modernes sont associés aux vieux moulins?
Il doit bien y avoir une raison profonde qui fait accepter et soutenir financièrement ces machines.
Ca donne envie de voir les résultat pour avril et mai. J'avais pensé à faire cela depuis longtemps, mais je pensais surtout aux valeurs pour l'Allemagne et je bloquais sur le fait de récupérer efficacement l'ensemble des données pour l'Allemagne. Surtout que transparency.eex ne met pas un captcha par hasard, ils ont quand on regarde bien des conditions très strictes sur l'utilisation de leurs données.
Au passage, depuis les dernières semaines, j'ai l'impression de phénomènes un peu surprenant sur les prix, apparemment souvent inférieurs en France à ceux de l'Allemagne, mais difficile d'en dire plus sans analyser plus en détail.
A partir des données brutes, il y a certainement d'autres calculs intéressant à faire, voir l'effet d'1 GW de production de plus sur les prix, s'il y a des effets de seuil. Ce n'est qu'un début, même si la conclusion que le solaire allemand généré pourtant uniquement en période de pointe a un prix inférieur à celui de la base sur l'ensemble de l'année est déjà une découverte assez révolutionnaire.
simple-touriste,
Certes, on peut se douter que les énergies renouvelables fatales et intermittentes ont une moindre valeur que qu'une même production pilotable. Mais encore faut-il le démontrer. Il y a aussi d'autres facteurs qui entrent en jeu. Si l’éolien peut être considéré comme totalement aléatoire en fonction du temps, ce n'est pas le cas de la production solaire. La production solaire est corrélée à l'activité humaine dans une certaine mesure, puisque la consommation est plus forte en journée à midi que la nuit à 4h du matin. Dans ce cas, le problèmes deviennent particulièrement patents lorsque la capacité de production solaire dépasse l'écart qu'il y a entre le creux de la nuit et le maximum du milieu de journée.
jmdesp,
je pense qu'EEX fait aussi du chiffres d'affaires en revendant les données collatées … ce qui explique qu'ils ne souhaitent pas particulièrement qu'on puisse aspirer ces données.
Pour la variation du prix de gros en fonction de l'éolien, la réponse pour l'Allemagne est donnée sur cette page de JM Jancovici (en bas) à propos de la politique allemande. C'est fait à partir des données rassemblées par PFBach, avec les prix de NordPool, donc. Je trouve les mêmes résultats à partir des prix d'epexspot: le prix baisse en moyenne de 1.4€/MWh pour chaque GW supplémentaire d'éolien effectivement produit (pour l'année 2012). Pour le solaire, les choses sont un peu différentes, il faudrait tenir compte des heures de la journée ou en tout cas exclure la nuit pour avoir des résultats significatifs. En enlevant tous les moment où la production était nulle (en gros), je trouve que le prix baisse en moyenne de 0.6€/MWh pour chaque GW de solaire effectivement produit (toujours pour 2012).
Pour finir, le printemps en France a été très arrosé, les barrages ont pu produire de façon massive, mais aussi de façon obligatoire, parce qu'il fallait laisser s'écouler le flot. Il est clair que ça fait baisser les prix autour des moments où il y a une production hydraulique obligée mais une consommation plus faible (week-ends).
Pour info, dans la page téléchargement de données de RTE, il est annoncé que les données définitives 2012 sont maintenant disponibles , et surtout celles-ci distinguent la production du PV dès le 1 janvier, dans un seul fichier qui cumule tous les résultats de 2012.
Au fait, pourquoi ne pas traduire le texte ici en anglais ? Je pense qu'il est susceptible d'intéresser beaucoup, largement au-delà des frontière françaises.
J'ai regardé d'un peu plus près les fichiers de SLC, les Excel que Flocard a préparé sont très intéressants, il ne manque plus que convertir cela automatiquement en PDF pour faire concurrence au fameux fichier du Fraunhofer.
Oui, c'est vrai: il y a un fichier sur le site de RTE. Mais pour l'exploiter de façon pratique, il faut le restructurer … et donc scripter un bon coup pour arriver au but. On y pensera, comme on dit.
Quant à traduire le texte en anglais, ça demande du temps… enfin bref, c'est la 2e fois de la semaine qu'on me dit ça.
On peut aussi le consolider avec des formules Excel, quelques "INDIRECT" bien géré, mais c'est une question de goût.
Au fait, je viens de découvrir un nouveau doc de Fraunhofer qui affiche les courbe de prix en plus de celles de production. Sur http://www.ise.fraunhofer.de/en/ren... le doc "Electricity prices and production data in 2013 (Slides)"
Merci pour le tableau avec lequel j'ai commencé à jouer un peu.
Si le prix de base 2012 en Allemagne est 42,7€, celui pendant les heures où le PV produit est 47€, pour 37€ pendant la nuit. A 43,9€, le PV n'est pas loin déjà d'annuler la différence jour/nuit.
En retirant les 10% les moins productifs du PV, on passe à 0,75€ de baisse de prix par GW produit.
Ce qui est curieux pour les régression de prix, c'est que la valeur est plus faible, du coté de 0,6, pour la somme de l'éolien et du PV, par rapport à chacun des 2 séparément.
J'ai voulu vérifier si vraiment la relation est linéaire sur l'ensemble de la plage. Si on refait les courbes en moyennant sur 100 valeur pour éliminer le bruit local, on obtient de très, très bonnes correspondances linéaires, j'ai même trouvé un R2 de 0,9 pour le PV (en filtrant les 10% les + bas). Mais pour PV+éolien, j'ai l'impression d'un seuil autour de 10GW de production, je continuerais à regarder.
Bon, sur la base des données de PF Bach, je regarde si cela permet de quantifier numérique un autre point central, dans quelle mesure peut-on dire que les productions éolienne et PV allemande contribuent plus aux exportations qu'à la consommation locale. Car il fournit des données de "Load" et de "Net export", en plus des productions éolien et solaire. Malheureusement les données solaire et éolien s'arrêtent toujours aux 3 premier mois, ce qui m'empèche de sortir un résultat de 1S 2013.
Il n’empêche que sur Q1 les coefficients de corrélation par rapport aux exportations sont assez éloquents, sur 24h juste 0,33 pour le PV, mais 0,49 une fois restreint aux heures où il a produit. 0,51 pour l'éolien. 0,59 pour la somme éolien et solaire.
Reste à transcrire cela d'une façon plus compréhensible pour le vulgum pecus, je vais réfléchir à la manière raisonnable de transcrire cet effet sous la forme d'un % de la production exportée.
Et la charge elle par contre a une corrélation de -0.48 avec les exportation ... Curieusement j'ai une corrélation quasi parfaitement nulle entre le solaire et la valeur "load" (aussi pour l'éolien, à -0,01).
PFBach indique que ce sont des valeurs récupérées de l'ENTSOE, et ayant déjà travaillé avec les valeurs de l'ENTSOE, j'ai obtenu des résultats surprenants que je suis tenté d'interpréter comme montrant que cette valeur "load" serait la charge sur le réseau de transport, c-à-d. où la production solaire a effacé une bonne partie de la demande. Mais quoi qu'il en soit, ça n'affecte en rien les premiers coefficients de corrélation, ceux calculés sur l'export.
Pour ce qui est des coefficients de corrélation entre exports et productions éolienne et solaire, ça ne fait pas trop de doute pour ce qui concerne l'Allemagne. Ce pays se caractérise aujourd'hui par un gros parc avec de faibles coûts de production marginaux (le reste de nucléaire, le lignite, le solaire et l'éolien en sus d'un gros parc de charbon «standard»). Donc tant qu'ils peuvent exporter et qu'il reste de la place sur les lignes THT sortantes, ça doit valoir le coup. Les moyens de productions à plus fort coût variable — ou qui peuvent se permettre d'attendre le meilleur moment comme les barrages — étant relativement plus présents ailleurs, ce sont ceux-ci qui doivent s'effacer ou revenir. La situation serait sans doute un peu différente si le charbon était plus cher.