C'est un leitmotiv de ce blog que de s'intéresser aux politiques menées en faveur de l'éolien et du solaire photovoltaïque. J'ai signalé à au moins deux reprises au fait que ces subventions faisaient baisser les prix sur les marchés. La cause immédiate est simplement que les obligations d'achat fournissent une partie de l'électricité, ce qui reste à produire par les autres moyens est plus faible, ce qui fait qu'on a moins besoin de faire appel aux moyens de production les plus chers.

Mais cette situation va en fait perdurer. L'éolien et le photovoltaïque ont pour caractéristique commune d'avoir un coût marginal nul: autrement dit, produire un kWh supplémentaire ne coûte rien de plus au propriétaire que les sommes qu'il a déjà engagées. Il a payé le constructeur de l'éolienne, il paye pour l'entretien de sa machine, qu'elle produise ou non. Sur le marché de l'électricité, le prix est déterminé par les lois de l'offre et la demande qui conduisent grossièrement à faire payer le coût marginal augmenté d'une prime qui dépend du pouvoir de marché des différents intervenants (plus d'explications ici). Cette prime due au pouvoir de marché n'est pas à disposition des producteurs d'énergie solaire ou éolienne, puisqu'ils sont très nombreux et que leur production est avant tout déterminée par les caprices de la météo. Cela les transforme en preneur de prix: ils acceptent tout prix positif, voire même un prix négatif s'ils ne peuvent se déconnecter du réseau.

En conséquence, on peut s'attendre à ce que l'éolien dont la production s'effectue grosso modo au hasard reçoive des revenus inférieurs au prix moyen du marché dit aussi prix de base — le prix obtenu en faisant la moyenne non pondérée de tous les prix horaires. Pour le solaire photovoltaïque, la situation est un peu différente: la consommation est supérieure le jour à ce qu'elle est à 4h du matin. Le prix est donc en général plus élevé le jour que la nuit. Mais si la capacité installée de solaire photovoltaïque est suffisamment grande — plus grande en tout cas que la différence de consommation entre le jour et la nuit —, on peut assister au même phénomène. Qualitativement, c'est lié au fait que le prix marginal est nul et aussi que la production est aléatoire … elle a donc une moindre valeur qu'une production prévisible à l'avance.

Reste toutefois à démontrer cela dans la réalité. C'est possible puisqu'on dispose pour la France et l'Allemagne d'un marché spot dont les prix peuvent être relevés par un script. En France, RTE permet de récupérer en milieu de mois, la production horaire du mois précédent via son programme éco₂mix, collaté tous les mois par Sauvons le Climat. En Allemagne, on ne dispose pas de données aussi détaillées qu'en France, mais on dispose des productions éoliennes et solaires, collatées sur le site de Paul-Frederik Bach. Les données pour 2012 ont été rassemblées dans ce tableur OpenOffice, celles pour le premier trimestre 2013 dans celui-ci.

Durant l'année 2012, en Allemagne, aux prix de marché, l'éolien aurait été rémunéré environ 37.5€/MWh en moyenne, le solaire photovoltaïque 44€/MWh contre un prix de base d'un peu moins de 43€/MWh. de_market_prices_2012.jpg

Pour le premier trimestre 2013, en Allemagne, le prix moyen du photovoltaïque tombe lui aussi en dessous du prix de base. Les prix du solaire est un peu inférieur à 40€/MWh contre un prix de base d'un peu plus de 42€/MWh. Pour la première fois, des prix négatifs ont été notés en journée, le dimanche 24 mars. L'éolien vaut 35€/MWh. de_market_prices_2013.jpg

En France, les données un plus complètes permettent de comparer nombre de sources de production d'électricité. En 2012, on ne dispose pas de données spécifiques pour le solaire qui est classé dans la catégorie «Autre» avec des installation de cogénération, des générateurs au gaz et au fioul situés dans les îles, etc. On constate quand même que l'éolien se verrait rémunéré aux prix de marché un peu moins de 45€/MWh contre un prix de base d'un peu plus de 47€/MWh. Le nucléaire emporte 48.5€/MWh. Le prix moyen pondéré par la consommation est de 50.5€/MWh. Le prix très élevé du fioul s'explique par la vague de froid de février 2012, où on a fait beaucoup appel à ce moyen de production. fr_market_prices_2012.jpg

Au premier trimestre 2013, on dispose de la production solaire. Les centrales à cogénération ont été intégrées pour la plupart dans la catégorie «Gaz», les générateurs au fioul installés sur les îles ont rejoint la catégorie idoine, la catégorie «Autre» ne contient plus que les centrales à biomasse, l'usine de la Rance, etc. Pour éliminer la production de fond crée par les générateurs des îles et les contrats de cogénération, j'ai créé une catégorie «gaz hors fond» et «fioul hors fond» pour tenter de rendre compte des centrales commerciales. L'éolien aurait été rémunéré 52.5€/MWh contre 54.5€/MWh pour la base. Le solaire emporte un peu plus de 57€/MWh. fr_market_prices_2013.jpg

À la fin de 2012, il y avait environ 31GW d'éolien en Allemagne et 7.5GW en France. Les différences d'impacts sont du même ordre de grandeur. Pour le solaire photovoltaïque, il y avait en fin d'année 2012 plus de 32GW installés en Allemagne contre 3.5GW en France. Les effets sont là sans commune mesure.

Cette pression à la baisse sur les prix pose problème pour le futur de ces moyens de production. En effet, les subventions ont été mises en place pour permettre aux renouvelables de devenir compétitives vis-à-vis des autres moyens de production et de pouvoir à terme se passer de ce soutien. Mais comme on le voit, arriver au niveau du prix moyen sur le marché ne suffira pas, il faut que l'éolien et le solaire photovoltaïque deviennent encore moins chères pour être véritablement rentables. Le différentiel de prix en défaveur de l'éolien et du solaire s'agrandit au fur et à mesure que les capacités installées augmentent, ce qui est très problématique si on veut que ces sources de production fournissent une partie importante de l'électricité produite. En 2012, l'éolien a fourni 7.4% de la production allemande et l'effet est déjà notable.

Il semble qu'on s'achemine vers un système où les productions d'électricité d'origine éolienne ou solaire reçoivent des rémunérations décidées à l'avance par les gouvernements et où les moyens de production adaptables à la demande reçoivent une rémunération pour leur véritable intérêt: celui de pouvoir être disponibles quand on a besoin d'eux, sans forcément avoir à produire. Cela revient quelque part à payer deux fois pour la même chose.