Mot-clé - énergies renouvelables

Fil des billets - Fil des commentaires

27 juillet 2016

Solar Impulse, ou pourquoi brûler du pétrole

L'avion Solar Impulse s'est posé à Dubai avant le lever du jour le 26 juillet, bouclant ainsi un tour du monde commencé il y a 15 mois. Il est clair qu'il s'agit d'une prouesse technologique, puisque l'avion rassemblait des cellules photovoltaïques à la fois minces et efficaces — avec un rendement de 23% — et des moteurs très performants — avec un rendement de 93%. C'est aussi un exploit d'endurance pour les pilotes qui devaient être capables de rester éveillés pendant une bonne partie des trajets au dessus des océans.

Cependant, Solar Impulse apparaît plus aujourd'hui comme une démonstration de la supériorité du pétrole que du potentiel de l'énergie solaire. En effet, on peut déjà remarquer qu'à la voile, on a déjà réussi à faire le tour du monde en 45 jours en équipage, et 78 jours en solitaire. Il est vrai que Solar Impulse n'est resté en l'air qu'un peu plus de 23 jours, mais le fait qu'il doive s'arrêter est dû aux contraintes de l'avion qui ne peut emporter suffisamment de nourriture et doit être piloté en permanence ou presque. Face au pétrole, on voit que Solar Impulse est en fait inférieur à l'avion de Lindbergh Spirit of St. Louis qui a rallié Paris depuis New York en 33h, contre 71h pour Solar Impulse pour rallier Séville. La raison en est simple: Solar Impulse ne dispose que de 70ch (environ 50kW) contre 223 pour Lindbergh.

Les comparaisons sont encore plus cruelles avec les avions actuels destinés au transport de passagers, qui volent à une vitesse de l'ordre de 800km/h, permettent de voyager dans une cabine pressurisée et climatisée ainsi que d'emmener des bagages. Pour cela, ils sont équipés de réacteurs ayant une poussée de 150 à 400kN: cela signifie que pour faire décoller un A320, il faut au minimum développer 12MW de puissance mécanique; pour un A380, c'est 70MW. Cela est tout à fait possible quand on utilise du kérosène: la densité de puissance d'énergie est de l'ordre de 12kWh/kg, contre 0.26kWh/kg pour les batteries de Solar Impulse. Même en comptant sur l'amélioration des technologies, il existe un gouffre entre Solar Impulse et les avions modernes qu'il sera difficile de combler. À surface couverte de cellules photovoltaïques constante, on ne peut espérer au maximum qu'une multiplication par 4 de la puissance disponible; inversement pour disposer de 70MW avec des cellules efficaces à 100%, l'ordre de grandeur de la surface à couvrir est 70 000 m², sachant qu'un A380 tient dans un rectangle de 6000m² … et ce ne sont que 2 exemples!

On comprend que pour le transport de matériels et de passagers, les énergies renouvelables comme le solaire ne sont pas assez denses. Les bio-carburants constituent la seule alternative viables et ils sont en fait une manière de rassembler en un petit volume l'énergie reçue sur une grande surface. Mais l'énergie solaire permet d'envisager de faire voler des drones pendant très longtemps. Cependant, qu'ils se déplacent n'est sans doute pas la priorité, ce qui leur sera demandé est sans doute des missions d'observation ou de relais télécoms. Pour cela, le dirigeable est nettement meilleur, puisqu'il ne dépense que très peu d'énergie pour rester en l'air. En fait, Piccard a surtout offert un beau joujou aux militaires et aux autres météorologues, pas vraiment une solution pour des transports sans pétrole…

28 octobre 2015

Tract ou journal?

Mardi après-midi, est paru sur le site du Monde un article intitulé Le nucléaire, une solution pour le climat ?, signé par Pierre Le Hir. A priori, on s'attendrait à une comparaison des émissions de CO₂ entre diverses technologies, mais en fait, il semble bien qu'il s'agit en fait de relayer la parution d'un argumentaire anti-nucléaire par diverses associations opposée à cette technologie. En effet, la structure de l'article est composée d'une introduction où on parle de la position d'EDF, puis un corps où l'argumentaire des opposants est développé, pour terminer pour citer le GIEC, mais surtout dans ses remarques les plus négatives.

Évidemment, le nucléaire ne règlera pas à lui tout seul le problème des émissions de CO₂ et du réchauffement climatique, mais comme personne ne prétend qu'une technologie peut y parvenir seule, la question est plutôt de savoir s'il peut apporter quelque chose. On peut alors se retourner vers quelques faits simples. Tous les ans, l'AIE publie un inventaire mondial des émissions de CO₂ venant de la production d'énergie, ainsi que son résumé, gratuit et accompagné d'un tableur. La dernière édition disponible aujourd'hui, celle de 2014, recense les émissions de 2012. On y constate une différence d'émissions de 4 tonnes de CO₂ par habitant entre la France et l'Allemagne, dont 3.3 pour le seul poste «production de chaleur & d'électricité». La source de cette différence est bien connue: en Allemagne, presque 50% de la production d'électricité est assurée par du charbon et les 2/3 à partir de combustibles fossiles, alors qu'en France, les moyens décarbonnés assurent plus de 90% de la production et le nucléaire entre 75 et 80%. Comme on peut le constater, cette expérience montre que le nucléaire a bien le potentiel de réduire substantiellement les émissions dans certains pays, et non des moindres! CO2_FRvsDE.jpg

Un autre argument avancé est que le nucléaire émet lui aussi du CO₂. Ce n'est pas faux: lors de la construction, on a besoin de ciment et d'acier, qui nécessitent d'émettre du CO₂ pour les produire. Afin de comparer tous les effets, le concept d'émissions sur le cycle de vie a été développé. Il s'agit de comptabiliser toutes les émissions qui ont servi à produire de l'énergie, du début de la construction à la démolition. Le GIEC fournit dans le résumé technique de la partie sur les solutions possibles au problème du réchauffement climatique le graphe suivant p41 (coupé pour ne tenir compte que des technologies actuellement disponibles). LCA_technos.jpg On constate que le nucléaire est parmi les moins émetteurs: la médiane des études le met à égalité ou presque avec l'éolien. On est donc bien en peine de trouver le moyen de production d'électricité qui produirait vraiment moins de CO₂ par unité d'énergie, ce qui est quand même l'essentiel pour lutter contre le réchauffement climatique. Le solaire phovoltaïque, par exemple, émet plus que le nucléaire, ce qui ne l'empêche pas d'être apprécié par les opposants au nucléaire. C'est à peine si l'auteur de l'article mentionne cela, tout au plus il mentionne que le GIEC classe le nucléaire parmi les sources à faibles émissions de carbone.

Les autres problèmes du nucléaire existent bien, mais aucun des problèmes des alternatives ne sont exposés. Par exemple, nulle mention du problème de l'intermittence de l'éolien ou du solaire. Le scénario de l'ADEME qui prévoit un mix électrique 100% renouvelable est mentionné, sans dire que certaines technologies nécessaires n'existent pas à l'heure actuelle. Enfin, quand on mentionne les problèmes d'acceptation par la population, c'est évident que tout dépend de la perception qu'en ont les gens … qui serait peut-être améliorée par une information impartiale qui éviterait de n'instruire qu'à charge.

Cet article semble donc être avant tout une reprise de la communication des associations anti-nucléaires. Même pour un «compte-rendu», on serait tout de même en droit d'attendre que les inexactitudes dans leurs positions ne soient pas relayées complaisamment. Et qu'à la question posée dans le titre, on apporte la véritable réponse que les faits appellent: Oui, le nucléaire est une solution pour le climat, mais seulement partielle et s'il devient mieux accepté et moins cher!

2 mai 2015

Le scénario d'électricité 100% renouvelable de l'ADEME

Médiapart a publié sur son site un pré-rapport d'une étude commandée par l'ADEME sur la faisabilité d'une production d'électricité totalement renouvelable en France. Par la suite, devant cette fuite, l'ADEME n'a guère eu d'autre choix que de publier elle-même ce document provisoire sur son site web. Ce post concerne le contenu de ce document, et il fait suite à celui concernant d'autres scénarios de production électrique 100% renouvelable (ou quasiment).

Comme explique dans le post précédent, le scénario de l'ADEME peut s'appuyer sur des précédents et ne sort pas de nulle part. En fait, pour faire le scénario le plus crédible possible, on peut déduire de ces précédents les choses suivantes:

  1. L'éolien terrestre va constituer la première source d'électricité. La production est répartie tout au long de l'année avec en moyenne un surplus en hiver, ce qui ressemble à la consommation. De plus, c'est aujourd'hui la source renouvelable d'électricité la moins chère aujourd'hui; les baisses de prix à prévoir pour en faire l'acteur dominant peuvent se révéler faibles. La France bénéficie aussi d'une situation relativement favorable du point de vue de l'intermittence avec une forte différenciation entre les régimes de vent au sud (Mistral et Tramontane) et au nord (vents d'Ouest venant de l'Atlantique). En supposant une amélioration de la technologie, le facteur de charge — la quantité produite rapporté au maximum possible — augmente à conditions météorologiques constantes, ce qui limite les besoins de stockage ou de lignes THT.
  2. Comme l'éolien ne suffit pas à lui tout seul, il faut lui adjoindre une autre source: en général, le photovoltaïque est indiqué car on peut en installer un peu partout, sur les toits dans le pire des cas. Comme une baisse des prix importante s'est produite ces dernières années, il suffit de prolonger la tendance pour obtenir des prix bas. Cependant, le photovoltaïque et l'énergie solaire en général présentent 2 gros défauts: la production est concentrée l'été et en milieu de journée ce qui provoque des pics de production.
  3. En conséquence, il va falloir mobiliser de la demande mobile au cours de la journée ou de la semaine. En invoquant un mix de smart grid, de chauffage électrique et de voitures électriques, comme dans le scénario du Fraunhofer Institut, c'est réalisable. Il faut cependant rester à des puissances déplaçables raisonnables sous peine de paraître peu crédible.
  4. Pour compléter la gestion dynamique de la demande, il faudra du stockage. En effet, il est impossible de s'affranchir totalement de l'intermittence rien qu'avec le solaire et l'éolien: pour passer les périodes sans vent ni soleil, il faudrait construire énormément plus de capacités de production que l'énergie totale consommée ne le nécessite. Il faut aussi limiter cette composante, car cela coûte cher, tant en production qu'en argent. De ce côté, la France présente un atout avec ses lacs de barrage qui permettent de limiter cet appel au stockage.
  5. Construire des lignes THT et se reposer sur le commerce international est aussi utile: c'est une façon relativement économique d'éponger les surplus et de remplir les creux. Une nouvelle fois, une minimisation des besoins est importante, non pas tant à cause des coûts que de l'opposition générale que la construction de ces lignes suscite
  6. Enfin, évidemment, il faut que les coûts des technologies favorisées soient présentés comme plutôt faibles, sinon le scénario ne semblerait pas très intéressant.

Le scénario de référence

Pour sélectionner la répartition entre technologies ainsi que la répartition spatiale des installations, un logiciel d'optimisation est utilisé pour minimiser les coûts totaux avec en entrée les coûts de chaque technologie par région ainsi que les coûts des lignes THT à installer. Les puissances à installer sont calculées région par région, les réseau THT est optimisé en minimisant les liens entre régions. Les conditions aux bornes sont que la situation commerciale de la France est neutre — autant d'imports que d'exports sur l'année — avec une capacité d'import-export fixée à l'avance au niveau actuel, que le stockage est équilibré sur l'année — autant d'entrées que de sorties — et que la consommation totale annuelle est de 422TWh.

Pour couvrir cela dans le scénario de référence, environ 106GW d'éolien et 63GW de solaire PV sont installés pour compléter les installations hydro-électriques déjà présentes aujourd'hui, 3 GW de bois ainsi que diverses technologies plus ou moins obligatoires à présenter (solaire à concentration, géothermie, ordures ménagères …) mais qui n'ont aucun impact substantiel sur le résultat de la simulation. Le réseau THT modélisé a une capacité de 68GW, une augmentation a priori raisonnable de 30% par rapport à ce qui serait nécessaire aujourd'hui selon le même modèle. Le stockage est représenté par les 7GW de stations de pompage — plus ou moins ce qui existe déjà en France —, 12GW nouveaux de stockage court terme ainsi que 17GW de stockage long terme sous forme de méthane pour servir l'hiver. On peut voir la répartition complète pour les moyens de production «primaires» ci-dessous, ainsi que la répartition de la production qui en découle. mix_install_reference.jpg mix_prod_reference.jpg

Comme on peut le voir, l'éolien sous ses diverses formes représente l'essentiel de la production primaire avec environ les 2/3 du total, l'éolien terrestre en assurant plus de la moitié à lui seul. Le solaire PV et l'hydraulique se partagent quasiment le reste à part presque égales avec une petite place pour les autres technologies. L'importance de l'hydraulique permet à ce scénario de partir sur des bases plus sympathiques que ceux étudiant l'Allemagne: avec les autres technologies renouvelables plus ou moins pilotables ou fonctionnant de façon continue, presque 25% de la demande est couverte. L'importance du stockage n'apparaît pas sur ces graphes — dommage! Mais la façon de le gérer est la principale innovation, me semble-t-il, de cette étude et ce qui permet de la rendre réaliste. En effet, les études passées en revue dans le post précédent achoppent sur deux points: s'il n'y a qu'un seul moyen de stockage adaptable, la puissance installée augmente fortement pour aller chercher l'ensemble du surplus dans les heures de forte production intermittente. En conséquence, le facteur de charge finit par baisser de façon dramatique ce qui fait exploser les coûts: une bonne partie des installations est de fait à l'arrêt toute l'année ou presque. Si on ne met pas de stockage, on doit alors utiliser du réseau à foison, ce qui finit par devenir irréaliste à cause de l'impopularité des lignes THT.

Le stockage est réparti en 3 classes: le court terme, le moyen terme (pompage) et le long terme (méthane). Un des points les plus importants est que le stockage de long terme coûte plus cher que les autres et il faut absolument en minimiser la puissance installée. De même pour les autres, même s'ils sont modélisés avec un coût nettement plus faible, les faire tourner le plus possible minimise les coûts totaux. Pour minimiser la puissance installée de l'entrée et de la sortie en stockage de long terme, l'étude autorise largement le recours aux transvasements entre stockages ainsi que le recours aux importations, même pour le remplissage (cf par exemple les figures 53 et 54 p44). On peut dire que c'est un succès: le facteur de charge de la transformation électricité vers gaz est d'environ 40% avec des mois où elle tourne en permanence comme le mois de juin (cf figure 72 p67) et pour le mois de février, c'est la sortie qui fonctionne à plein régime tout le mois. La flexibilité du stockage associé à son coût raisonnable est à mon avis ce qui explique, avec la proximité des coûts des technologies utilisées, le tir groupé sur les coûts qu'on constate dans l'étude. Cette façon de gérer le stockage permet aussi de limiter la gestion de la demande à une dizaine de GW. Associé aux 30GW de stockage, ça permet d'absorber l'ensemble des à-coups tout en restant dans une zone qui semble à peu près réaliste: c'est la première étude 100% renouvelable que je lis qui entre dans cette catégorie.

Le scénario de référence est complété par des variantes ou des concurrents:

  1. Un scénario où la demande est plus forte: 510 TWh contre 422TWh. C'est le 3e pire cas au niveau des coûts à cause de l'usage de certaines des technologies les plus chères qui sont écartées de ce fait du scénario de référence. Mais on reste à 5% du coût au MWh du scénario de référence, contrairement à ce que disent les titres (cf plus bas).
  2. Un scénario où il y a moins d'hydroélectricté disponible. En conséquence, c'est plus cher car il faut à la fois installer des moyens de production supplémentaires, accompagnés d'un peu de stockage et de réseau. Le MWh est 3% plus cher que dans le scénario de référence.
  3. Un scénario où les énergies marines sont nettement moins chères. Surprise: le coût au MWh est moins élevé en conséquence (-5%). Ça permet de constater que quand les prix baissent, on paie moins cher. C'est un scénario qui pourra laisser un peu d'espoir aux partisans de ces énergies, dont les perspectives sont pratiquement inexistantes si elles restent aussi chères et que le stockage baisse ses prix comme prévu par le scénario de référence.
  4. Un scénario où le coût des lignes THT est doublé. C'est le pire cas au niveau des coûts au MWh (+8%)! Ça s'explique par le fait que la simulation se met à installer des moyens de production chers et à renforcer le stockage. Combiné au dernier scénario, ça montre que le NIMBY est potentiellement très toxique pour les énergies renouvelables électriques (cf plus bas).
  5. Un scénario où on accepte 5% d'électricité non-EnR fabriquée en France et un autre où on en accepte 20%. Ces scénarios permettent de s'apercevoir que le stockage, même avec les hypothèses les plus optimistes ne fait pas vraiment le poids face aux combustibles fossiles, même frappés par un prix du carbone de 100€/tonne. Le scénario avec 80% d'EnR est le moins cher à coût du capital constant (-6%). Le stockage de long terme disparaît totalement au profit des turbines à gaz: c'est peut-être la meilleure preuve qu'il est très difficile de se débarrasser des combustibles fossiles. Les combustibles fossiles remplissent actuellement la fonction qui est dévolue au stockage de long terme, puisque le stockage d'énergie est juste une sorte de tas avec des choses à brûler quand on besoin d'énergie
  6. Un scénario avec 40% d'EnR où le nucléaire apparaît en force. Arrive à rester moins cher malgré le prix du nucléaire dans la fourchette haute des énergies: le stockage est quasi-totalement éliminé à part le pompage, le réseau est fortement diminué, ce qui compense le coût du nucléaire.
  7. Un scénario sans solaire PV. C'est un des plus chers (presqu'autant que le scénario haute consommation), car il faut recourir aux énergies marines — les plus chères de l'étude — et augmenter les capacités de stockage. Cette variante montre le côté relativement complémentaire du PV avec l'éolien.
  8. Un scénario sans éolien avec de grands rotors. Un peu plus cher (+2%), il suffit juste de jouer à la marge sur le PV, le réseau et le stockage. Cette variante montre à mon sens — même s'il est difficile d'en être sûr vue qu'elle n'est pas très détaillée — que la flexibilité du stockage permet d'amortir le profil plus intermittent.
  9. Un scénario avec un taux d'actualisation de 2%, extraordinairement faible. Sans surprise, c'est le moins dispendieux des scénarios: quand des moyens de production à coûts fixes sont financés presque gratuitement, c'est forcément moins cher!
  10. Un scénario où l'éolien terrestre est plafonné à 47GW environ, soit 2 fois moins que l'optimum de la simulation, et le PV de grandes dimensions à 24GW, une baisse d'un tiers. C'est le 2e scénario le plus cher (+7%) car ce sont les moyens de production les moins chers de l'étude. Il faut recourir aux énergies marines pour combler le manque. Dans ce scénario, le NIMBY est un gros problème pour tout le monde, y compris pour bâtir le réseau (cf variante 4.) d'où sa forte toxicité potentielle.

Les problèmes du document

Le premier problème de ce document, c'est qu'il n'est pas fini. Outre qu'il n'y a pas de résumé et qu'on peut facilement noter la présence de coquilles et de phrases bizarres, cela donne sans doute lieu à un contre-sens. Une des conclusions du rapport est que la maîtrise de la demande est un élément clé pour limiter le coût (titre p84) mais que les contraintes d'acceptabilité liées au réseau ne sont pas un obstacle (titre p86) ou encore que de fortes contraintes d’acceptabilité sociale sont compatibles avec un mix 100% renouvelable (titre p81). Ces phrases sont assez attendues dans un rapport de ce type, qui est après tout souvent commandé pour montrer la faisabilité du scénario étudié et relayer ce que pense le commanditaire. Mais en fait, la figure 77 (p71, oui, il faut suivre) qui sert de base à la publicité pour la maîtrise de la demande est fausse: le MWh ne coûte pas 151€ dans le cas de la haute consommation mais 125€ comme indiqué p112 dans le dernier tableau ainsi que dans la discussion p85. La différence est due au fait que sur la figure 71, le coût total est divisé par une consommation fixe de 422TWh et non par la consommation de la variante… D'ailleurs si on lit le dernier tableau pour les coûts totaux — qui paraît coller avec les hypothèses, lui — on voit que toutes les variantes, sauf une, se tiennent dans ±8% du scénario de référence. L'exception est le cas où le coût du capital est de 2%. On peut trouver la répartition des coûts pour certains scénarios sur le graphe ci-dessous: cout_MWh3_annote.jpg

Que l'augmentation de la consommation ne soit pas un gros problème découle en fait des hypothèses prises. Régulièrement des études sur le potentiel des énergies renouvelables trouvent qu'il y a potentiellement assez d'énergie à capter pour couvrir les besoins de consommation de n'importe quel pays développé. Donc tant que les gisements d'énergie peu chères ne sont pas épuisés, l'augmentation du volume d'énergie produite n'est pas un problème de coûts. C'est donc naturellement que dans le scénario à forte consommation, où les énergies chères sont peu utilisées, que le coût de production de l'électricité «primaire» augmente dans des proportions raisonnables (+6%). D'ailleurs, il est important de remarquer que la contradiction dans le discours plaidant à la fois pour de fortes économies d'énergie et assurant que les énergies renouvelables vont devenir peu chères très bientôt: les économies d'énergies ne sont nécessaires que si toutes les sources d'énergies sont chères dans le cas contraire, elles ne servent que comme une sorte d'assurance contre une forte hausse des prix. gisements_utilises.png Par contre, ce qui pourrait se produire, c'est une forte hausse des besoins de stockage et de renforcement du réseau. On note effectivement une augmentation du coût du stockage dans le scénario à haute consommation … mais la modélisation du réseau, qui inclut des frais fixes, a pour conséquence que le scénario à haute consommation a les coûts de réseau par MWh consommé les plus bas! Les deux se compensent à peu près et on touche là à une des limites de la simulation.

En effet, le modèle suppose que le coût du réseau de distribution jusqu'aux lignes haute tension de 63 et 90kV est supposé fixe (p69). Or, plus il y a de moyens de production décentralisés, comme l'éolien ou le solaire PV, plus il faut renforcer le réseau, de la basse tension aux lignes haute tension, et non seulement les lignes THT pour le transport à grande distance. En effet, le solaire PV sur toiture est branché sur le réseau de distribution mais la puissance produite dépasse facilement la puissance couramment consommée pour une habitation, les grandes centrales solaires et l'éolien sont souvent connectés au réseau haute tension. L'étude ignore donc ce poste de coûts, pour être réellement représentatif, il aurait sans doute ajouter un petit quelque chose. C'est en tout cas ce que laisse penser un document de la Dena allemande dont on peut simplement extraire un graphe, en se rappelant que le réseau basse tension est tout de même moins cher au km que les lignes THT: expansion_reseau_allemand.jpg

Quant aux prix, il est important de se rappeler que ce sont les hypothèses de départ et non les conclusions de l'étude: en d'autres termes, le mix final et les coûts donnés à la fin dépendent directement de ces paramètres. Or, il s'avère que les projections à long terme sont dans le domaine de l'énergie le plus souvent fausses; il n'est qu'à voir la qualité des prévisions en ce qui concerne le prix du pétrole. Les hypothèses prises sont résumées par les figures suivantes: prix_sources_enr.jpg prix_stockage.jpg Il est aussi important de connaître le taux d'actualisation pris pour estimer ces coûts: 5.25%. Malheureusement, pour des installations de production, le taux le plus souvent choisi est 8%, en sus de l'inflation. C'est par exemple le taux pris par la Cour des Comptes et EDF pour évaluer les coûts du nucléaire actuel. Avec un taux aussi bas, et en prenant pour base une note du Syndicat des Énergies Renouvelables, on trouve qu'actuellement avec un taux de 5.25%, l'éolien devrait coûter aux alentours de 60€/MWh… La note du Syndicat des Énergies Renouvelables, venant en réponse à un rapport de la CRE trouvant en substance que les rentabilités étaient trop élevées, malgré un rythme d'installation atone, montre que peu sont prêts à investir avec une rentabilité aussi faible. D'un autre côté on voit des technologies fort chères ou quasiment inexistantes baisser radicalement leurs prix. C'est ainsi le cas de sources comme la biomasse ou l'éolien en mer. L'éolien en mer a fait l'objet d'appel d'offres et le prix est ressorti à environ 200€/MWh (sans compter l'indexation) par deux fois. De même les technologies de stockage sont actuellement quasi inexistantes, une seule existe vraiment: les stations de pompage. Dans ce cadre, la technologie de conversion par électrolyse semble se voir attribuer une baisse de prix d'un facteur 4 par rapport à ce qui attendu pour une construction aujourd'hui. Quant au stockage de court terme, il s'agit selon les propres termes du rapport d'une méta-technologie. Pour le dire simplement, il s'agit donc bien là d'hypothèses, qui servent de point de départ à la simulation: en déduire qu'un système 100% renouvelable serait bon marché est une erreur de logique, le système est à un prix raisonnable si ces hypothèses se vérifient.

Le nucléaire se voit attribuer un prix de 80€/MWh pour un facteur de charge de 80%. Avec l'utilisation réelle, le prix ressort d'ailleurs plutôt à 85€/MWh soit environ 30% de plus que l'éolien terrestre dans le modèle. Ce prix correspond grosso modo au prix de Flammanville 3 avant les derniers retards annoncés, soit 9.5G€, avec le taux d'actualisation annoncé (5.25%). La simulation avec peu d'énergie renouvelables est aussi désavantagée par divers facteurs: par exemple, il y a une limite basse pour l'installation de solaire PV sur toiture, une technologie chère dans le modèle, qu'on peut remplacer par l'alternative similaire des grandes centrales PV. Ça coûte environ 400M€ annuels avec les hypothèses du modèle, soit 1€/MWh. Ça peut sembler dérisoire, mais dans une simulation où tous les scénarios se tiennent dans quelques pourcents, ça a son importance. Mais un scénario avec 55% de nucléaire reste alors compétitif malgré le surcoût et les hypothèses de prix enthousiastes pour le stockage. Enfin, il est remarquable que le scénario le moins cher soit celui où les combustibles fossiles produisent quasiment autant qu'en 2012 … les émissions ne baissent que grâce à la fin du charbon et du fioul dans la production d'électricité. C'est la preuve s'il en fallait une qu'il sera difficile de se débarrasser des combustibles fossiles.

Quelques conclusions

Cette étude est la plus réaliste des diverses études modélisant une production d'électricité 100% renouvelable que j'aie lue. Grâce aux installations hydrauliques déjà présentes aujourd'hui et la gestion du stockage — innovante me semble-t-il — la puissance d'entrée des moyens de stockage reste limitée, de même que l'utilisation de la gestion active de la demande. La somme des deux ne dépasse pas 40GW, ordre de grandeur de la puissance moyenne consommée. On reste dans un domaine raisonnable, contrairement par exemple à l'étude du Fraunhofer Institut, où la somme des deux atteignait parfois 100GW, à peu près 2 fois la puissance moyenne consommée. Même si tout n'est pas parfait, cette étude permet de déterminer quels sont les éléments de succès ou de d'échec d'une production nationale d'électricité basée entièrement sur les énergies renouvelables. Il faut donc de l'éolien et du solaire PV abordable, une capacité d'importation intacte, du stockage peu cher et découpé en catégories d'utilisation (court terme, semaine, long terme), de la demande gérable à distance, typiquement basée sur le chauffage électrique. Les facteurs d'échec sont, à part la non-réalisation des facteurs de succès, le développement d'une réaction de NIMBY qui empêcherait la construction de nombreuses éoliennes et de lignes THT.

Comme les capacités à prévoir les inventions et les prix dans le futur sont très limitées, la question à laquelle répond cette étude est en fait: «que faut-il changer pour que la production d'électricité en France se fasse totalement à partir d'énergies renouvelables?». La réponse est donc que l'éolien terrestre doit baisser ses prix de 25%, l'éolien en mer d'un facteur 3 environ, le solaire PV d'un facteur 2, et surtout des technologies de stockage doivent apparaître et devenir compétitives. On doit aussi interdire quasiment les combustibles fossiles, faute de quoi leur utilisation ne serait pas très différente d'aujourd'hui. En outre, une gestion dynamique de la demande doit être mise en place, en grande partie basée sur le chauffage électrique — qu'on ne doit donc pas décourager — et pour le reste sur les voitures électriques — qui doivent encore se tailler une part de marché significative. Enfin, aucun mouvement de NIMBY ne doit apparaître.

Il n'est pas certain que tous ces points puissent se réaliser aisément tous en même temps: pour prendre un exemple, parmi les supporters des éoliennes, on ne trouve pas spécialement de supporters du chauffage électrique ou des lignes à haute tension. Dans un autre genre, la Cour des Comptes avait constaté que 40% des permis de construire d'éoliennes étaient retoqués par l'administration et sur ceux qui passaient ce filtre, un tiers était attaqué par des personnes privées. Au Royaume-Uni, les éoliennes sont suffisamment impopulaires pour que le parti conservateur compte en son sein de nombreux opposants à leur déploiement dans ses rangs, et cette opposition sert de justification au développement de l'éolien en mer pour lequel, d'ailleurs, l'opposition populaire aux éoliennes terrestre est en ce moment à peu près la seule justification.

Pour finir, il reste à répondre la question «Que faire à la vue de cette étude?». La réponse est en fait «pas grand-chose!». Si chercher à faire que les prix des énergies renouvelables baisse ne veut pas dire en installer massivement. En effet, elles sont aujourd'hui nettement plus chères que les alternatives. Par exemple, la position de départ de d'EDF avant négociation est de demander 55€/MWh pour l'électricité nucléaire venant d'un parc rénové, bien moins cher que ce qui est présenté dans l'étude. En conséquence, d'ici 2035, il n'y a pas besoin de changer grand-chose. De plus, certains tarifs de rachat pour les énergie renouvelables restent très élevés et produiront des effets jusque dans les années 2040, comme par exemple ceux de l'éolien en mer. Dans ce cadre, procéder à un déploiement massif dès aujourd’hui serait se faire mal tout de suite pour espérer que ça aille à peu près bien dans une trentaine d'années!

1 mai 2015

Scénarios d'électricité 100% renouvelable: quelques exemples internationaux

L'ADEME fait réaliser actuellement une étude de modélisation sur la faisabilité d'un système électrique français où la totalité de la production proviendrait d'énergies renouvelables. Une version du document résumant les conclusions de la modélisation a été publiée par Médiapart; c'est clairement une version de travail, puisqu'il n'y a pas de résumé au début du document. Cette publication du document non fini par la presse a amené l'ADEME à le publier à son tour sur son propre site. Avant de se tourner vers les résultats du scénario de l'ADEME, il peut être utile de regarder ce qu'ont donné d'autres modélisations ailleurs dans le monde car ce scénario de l'ADEME ne sort pas de nulle part.

PJM et l'Université du Delaware

PJM Interconnection est le nom d'une entreprise américaine gérant le réseau d'une partie des USA, sa zone de gestion originelle comprenait la Pennsylvanie, le New Jersey et le Maryland, d'où son nom. Au début des années 2000, elle a absorbé des réseaux électriques voisins pour s'agrandir considérablement: le réseau géré aujourd'hui comprend en sus des zones de départ la ville de Chicago, l'Ohio, les 2 Virginies, ainsi que des parties du Kentucky, de l'Illinois, du Michigan et de la Caroline du Nord. Dans son rapport annuel 2013, l’entreprise dit avoir transporté un peu moins de 794TWh annuels, avoir un pic de demande à 165GW et desservir 61M de personnes. Pour résumer, une population légèrement inférieure à celle de la France est desservie avec une consommation annuelle et un pic de puissance supérieurs de 60%.

Un papier de chercheurs de l'Université du Delaware, dont il a été question fin 2012, prétend montrer que les énergies renouvelables peuvent couvrir l'essentiel de la consommation à un coût comparable ou inférieur à celui des technologies classiques, un but finalement très proche de l'étude de l'ADEME. Les 100% d'énergie renouvelable ne sont pas atteints, mais c'est tout comme, puisqu'un scénario avec 99.9% de la consommation d'électricité couverte par les énergies renouvelables. Ce papier souffre cependant de tares certaines.

La première est celle du périmètre. La consommation prise en compte est celle de PJM entre 1999 et 2002: 31.5 GW moyens sur l'année soit à peu près 275TWh. Comme expliqué plus haut, PJM a sur son aire actuelle une consommation de l'ordre de 800TWh: la consommation prévue est 3 fois inférieure à la consommation réelle. Ce ne serait pas grave si l'aire prévue pour installer les moyens de production renouvelables était aussi réduite à l'aire ancienne de PJM mais la Figure 2 montre que les données météo utilisées couvrent toute l'aire actuelle. De fait, une division par 3 de la consommation est prévue par ce papier, sans le dire, bien sûr.

La deuxième est la surévaluation de la production à puissance installée donnée. Les puissances installées et les productions sont donnés dans le tableau n°3. On constate que dans le scénario 99.9% renouvelables, il y a 124GW d'éolien terrestre et une production moyenne de 50.3GW, soit un facteur de charge de 40%. Si on croise les données d'installations en service en Pennsylvanie avec la production constatée, on trouve qu'il est plutôt de l'ordre de 30%. De fait, à peu près toutes les études «100% renouvelables» supposent une augmentation importante du facteur de charge de l'éolien, en faisant l'hypothèse que les éoliennes de grande taille s'imposeront (et auront bien les performances attendues).

La troisième, c'est l'importance de la production jetée. La production moyenne annuelle est de 91.5GW (soit environ 800TWh) pour une consommation de 31.5GW: les 2/3 de ce qui est produit est jeté. La raison est que dans leur modèle, le stockage est cher et il vaut alors mieux construire en de multiples exemplaires que d'installer des capacités de stockage — qui sont tout de même présentes avec des véhicules électriques qui servent de réserve. En conséquence, il est assez difficile de croire que le mix choisi est moins cher que la situation actuelle comme le clament les auteurs. Ils arrivent à cette conclusion en faisant plus que tripler le prix réel payé aux producteurs avec les externalités qui ne sont pas incluses dans le prix actuel, comme les émissions de CO₂. Mais même ainsi, ça semble très difficile et reposer sur des hypothèses très optimistes de réduction des coûts. Actuellement, les coûts des énergies renouvelables font l'hypothèse que la totalité de la production est consommée et rémunérée. Si seuls 1/3 étaient véritablement utilisés et payés, les producteurs d'énergie éolienne réclameraient 3 fois plus pour couvrir leurs frais. Ainsi, la baisse des prix attendue devrait couvrir aussi les coûts de cette énergie jetée: la baisse des prix attendue est donc très forte et les consommateurs paieraient aussi nettement plus.

Energieziel 2050 d'une équipe du Fraunhofer Institut

En 2010, une équipe du Fraunhofer Institut (IWES) a publié une étude, commandée par le gouvernement allemand, sur un scénario 100% renouvelables (résumé en anglais). La totalité de l'énergie consommée en Allemagne, et non seulement l'électricité, devait provenir de sources renouvelables. Une partie du scénario était déjà écrite, puisque les besoins en énergie étaient déterminée à partir d'une étude du WWF. La caractéristique de ce modèle est que l'utilisation de combustibles en dehors des transports — provenant exclusivement de biomasse — est restreinte à moins de 400TWh, contre plus de 1300TWh actuellement, soit une réduction par un facteur supérieur à 3 (p23-24). L'électricité remplit certains besoins pratiquement exclusivement remplis par des combustibles en Allemagne, comme le chauffage des habitations. C'est accompagné de réductions de consommation extraordinaires dans ces domaines: ainsi, pour le chauffage et l'eau chaude, un gain d'un facteur supérieur à 15 est prévu, ce qui est, disons, très ambitieux. Au final, la consommation d'électricité n'est réduite que de 7% en passant d'un peu plus de 500TWh à un peu moins de 470TWh.

La stratégie adoptée dans ce scénario est de se reposer sur un petit socle d'hydraulique et de géothermie, puis d'utiliser massivement de l'éolien et du solaire photovoltaïque. Comme ce sont des sources intermittentes, les «trous» sont bouchés, dans l'ordre d'appel, par la biomasse en cogénération, les importations puis par le déstockage et enfin des centrales à (bio)gaz sans cogénération. Les surplus de solaire et d'éolien sont stockés sous forme de chaleur, dans des batteries — via la gestion de la demande — ou d'hydrogène — via des électrolyseurs avec une alternative où du méthane est stocké. Une utilisation massive de la gestion de la demande est faite, en la déplaçant dans le temps, à relativement court terme pour la plupart, même si une partie de la charge des véhicules électriques est retardée de 5 jours au maximum.

La modèle repose donc notamment sur l'installation de 60GW d'éolien terrestre, 45 GW en mer et de 120 GW de photovoltaïque. 44GW d'électrolyseurs sont utilisés pour éponger les surplus, pour être brûlés dans 28GW de centrales au gaz à cycle combiné. Quant à la demande pilotée, elle peut passer de 0 à plus de 50GW en environ 12h, ce qui n'est pas rien quand on sait que la consommation totale de 470TWh équivaut à une puissance moyenne d'environ 54GW. Les auteurs obtiennent la production globale décrite dans la figure ci-dessous (p98), dans le cas du stockage de l'hydrogène (le cas du méthane est identique à ceci près que 7TWh de pertes de conversion supplémentaires sont contrebalancés par autant d'imports): IWES_H2_prod.jpg

On constate que, comme pour le papier de l'Université du Delaware, le facteur de charge de l'éolien terrestre a été boosté par rapport à l'existant: il atteint 32% pour un facteur de charge constaté qui a rarement dépassé les 20% jusqu'à présent.

Pour ce qui est de la modulation de la demande et de la vitesse de démarrage des électrolyseurs, on peut se rendre compte de ce que ça donne en été en regardant le graphe ci-dessous (p86): il ne faut pas se rater! La courbe de demande totale, le trait plein rouge décolle de la demande incompressible (pointillés) de 50GW en moins de 12h. Les électrolyseurs sont parfois sollicités pour leurs 44GW dans un laps de temps encore plus réduit. On constate aussi qu'il n'y a pas de charge pour les véhicules électriques la nuit: tout se passe de jour. Pour donner deux éléments de comparaison, la différence entre la consommation à 6h du matin et 9h du matin en juin en France est de 12GW, le pic record de consommation de 102GW de 2012 avait une hauteur d'environ 10GW comparé aux heures avoisinantes: les auteurs demandent là au réseau de supporter une pente de consommation à peu près double d'aujourd'hui pendant une durée nettement plus longue. IWES_profil_ete.jpg

Côté stockage, les électrolyseurs nécessaires n'existent pas aujourd'hui. D'abord parce que la production d'hydrogène se fait essentiellement à partir de combustibles fossiles aujourd'hui, mais aussi parce que les électrolyseurs actuels sont plutôt faits pour fonctionner en permanence. Or, on leur demande dans ce scénario d'être disponibles toute l'année mais de ne tourner que l'équivalent de 25% du temps. C'est sans doute possible, mais le fait que les électrolyseurs soient aussi peu répandus aujourd'hui pointent vers un coût certain, voire de réelles difficultés techniques. Ce scénario souffre aussi de la présence de sources «magiques», comme la géothermie ou les imports d'énergie renouvelable. La géothermie est aujourd'hui réservée à des situations géologiques spéciales comme celles de l'Islande ou de la Californie dont il ne semble pas que l'Allemagne se rapproche. Ailleurs les coûts semblent très élevés et le potentiel finalement faible. Mais pourtant c'est une source qui produit dans ce scénario 10% du nécessaire à puissance constante. De même, le profil des importations fait plutôt penser à des centrales thermiques classiques (à combustibles fossiles) qu'à des productions renouvelables.

le SRU et les chemins vers l'électrique 100% renouvelable

Le SRU — littéralement le Conseil des Experts sur les Questions Environnementales — est une émanation du gouvernement allemand, établi comme son nom l'indique pour le conseiller sur les politiques environnementales. En 2011, il a publié un document dont le but est de montrer comment bâtir un système électrique 100% renouvelable (version en allemand). Plusieurs scénarios sont évoqués: l'un qui repose sur une autosuffisance totale de l'Allemagne, sans échanges avec les voisins; un deuxième fait l'hypothèse que 15% des besoins allemands peuvent provenir de Norvège, un dernier repose sur un réseau incluant l'Europe et l'Afrique du Nord, similaire au défunt Desertec.

Ce scénario prévoit des installations étudiées selon des considérations de coûts. Seulement, dans des projections à long terme, les prix sont toujours sujet à caution. Ils le sont particulièrement dans ces scénarios où l'éolien en mer devient moins cher que le terrestre en 2050. Comme on peut le constater sur le graphe de la p77, quelqu'un a peut-être un peu abusé de la fonction exponentielle. En effet, pour l'éolien terrestre devienne plus cher que le marin, il faut que le surplus de production marine compense les surcoûts importants de construction en mer, de déplacement pour entretien, etc. Franchement, ça ne paraît absolument pas crédible. SRU_prices.jpg

Avec un éolien en mer à 42€/MWh, celui-ci figure en bonne place dans tous les scénarios, avec 73GW installés qui produisent 317TWh. À partir de là, il est possible de construire des scénarios où les renouvelables produisent 700TWh annuels à un prix de 115€/MWh quand il n'y a pas d'échange (cf Table 3-5 p98). Mais il existe un moyen de réduire encore les coûts: accepter qu'il y ait des échanges internationaux. Le rapport va même jusqu'à affirmer que à propos d'échanges entre l'Allemagne (p95-96):

A simple model for such cooperation is an energy supply network comprising Germany, Denmark, and Norway (or Sweden), whose interchange and reciprocal dependency even the most hardened skeptics would have to admit will entail little or no risk in terms of ensuring a reliable electricity supply.

Des esprits forts pourraient se dire que tout dépend des quantités à échanger voir à importer. Avec 500TWh, les 15% représentent 75TWh; quand la consommation est de 700TWh, ça représente 105TWh. À titre de comparaison, les exportations (nettes) françaises en 2014 — une excellente année de ce point de vue — représentent 65TWh: avec de tels volumes, l'Allemagne deviendrait le premier importateur mondial d'électricité. Accessoirement, la production électrique norvégienne de 2012 était d'un peu moins de 150TWh: ces importations représenteraient entre la moitié et les 2/3 de la production actuelle de la Norvège, source de ces importations! Il est possible que les Norvégiens ne voient pas forcément d'un très bon œil la construction massive de barrages que cela suppose. Mais dans ce cas, c'est miraculeux (p107): le prix moyen dans le cas d'une consommation de 700TWh est de 72€/MWh, certes deux fois plus élevé que le prix spot actuel … mais moins cher que ce que paie un ménage allemand entre la production «standard» et la taxe EnR. En passant, les capacités d'interconnexion nécessaires entre l'Allemagne sont quelque part entre 40 et 70GW (c'est à dire entre 75 et 90% de la demande moyenne). SRU_interconnect_2050_DKNO.jpg

Cela dit, le scénario pan-européen et incluant les pays d'Afrique du Nord est encore plus extraordinaire, puisque le réseau européen ressemblerait à ça: Path_EUNA_2050.png Pour mémoire, en 2010, les interconnexions de l'Europe de l'Ouest ressemblaient plutôt à ça (avec des valeurs en MW donc 1000 fois plus élevées que sur le graphe ci-dessus): interconnect_EU_2010.png Les choses n'ont pas fondamentalement changé depuis, même si une ligne entre la France et l'Espagne a été inaugurée récemment … 20 ans après que sa construction ait été décidée.

Alors, comment faire un scénario 100% renouvelables?

La lecture des ces scénarios nous renseigne sur la façon de construire un scénario de réseau électrique entièrement alimenté par des énergies renouvelables, autres que l'hydraulique. Les ingrédients semblent être les suivants:

  1. De l'éolien, de préférence en supposant que le facteur de charge va augmenter fortement, notamment en supposant que les pylônes et les rotors seront plus grands dans le futur. L'éolien a l'avantage d'être présent un peu toute l'année et d'avoir un surplus l'hiver, lorsque la consommation est plus élevée — que ce soit à cause du chauffage, de l'éclairage … ou des vacances! Son défaut principal actuel est son intermittence, l'augmentation du facteur de charge amoindrit ce problème
  2. De quoi déplacer de la demande de façon importante. En effet, pour compléter l'éolien, la technologie favorite est le solaire photovoltaïque. Il n'a échappé à personne que, comme le soleil ne brille pas la nuit, l'intermittence est très forte dès lors qu'on installe des puissances importantes. Pour éviter de gaspiller de l'énergie et profiter au maximum de la production solaire, il faut déplacer la demande de façon forte.
  3. Des interconnexions: évidemment, aujourd'hui, le stockage n'existant quasiment pas, la solution toute trouvée est d'exporter les surplus et d'importer pour combler les trous. Pour le futur, supposer que construire des lignes THT est moins cher que le stockage n'est pas une hypothèse forte. Ça permet de diminuer la puissance des installations de stockage et aussi d'exporter une partie des problèmes dus à l'intermittence. Minimiser les constructions de lignes THT est cependant une bonne idée: il n'a échappé à personne que ce sont des projets fondamentalement impopulaires et en prévoir trop serait prêter le flanc aux critiques … et plomber les coûts.
  4. Un peu de stockage de l'électricité: quoi qu'il arrive, à cause de l'intermittence du photovoltaïque et de l'éolien, il faut stocker une partie de l'énergie produite. Il faut le faire à tous les horizons de durée de façon à bien amortir les fluctuations de la production. Dans une simulation économique, il faut aussi supposer que ces moyens qui n'existent pas encore ne sont pas trop chers

Avec cela, on peut construire un système basé totalement sur les énergies renouvelables. Ce n'est donc pas une surprise de constater que le scénario de l'ADEME suit exactement ces principes.

26 octobre 2014

Vers un doublement de la CSPE

Le 15 octobre dernier, Philippe de Ladoucette, le président de la CRE était entendu par la commission d'enquête sur les tarifs de l'électricité à l'Assemblée Nationale (retranscription, vidéo). À l'occasion, la CRE rendait public deux rapports, l'un sur les tarifs régulés d'EDF et un autre sur les perspectives de la CSPE. Ce billet est consacré au rapport sur la CSPE. La CSPE est une taxe un peu fourre-tout qui sert à la fois à financer les tarifs sociaux de l'électricité, la péréquation avec les îles sous administration française (Corse, DOMs, etc.) ainsi que les tarifs de rachats divers dont ceux des énergies renouvelables. L'élément le plus remarquable de ce rapport sur la CSPE est qu'il la voit passer de 16.5€/MWh cette année à 30.2€/MWh en 2025. CSPE_2003-2025.jpg

La situation présente

Ces dernières années, avec notamment la forte hausse du prix du pétrole et la bulle du photovoltaïque en 2010, les charges à couvrir ont fortement augmenté, ce qui a provoqué l'apparition d'un déficit de plus de 4G€ qu'il va falloir résorber. Cette année, avec 16.5€/MWh, la taxe couvre les charges courantes prévues à 6.2G€. L'année prochaine, le stock de dette devrait commencer à se résorber, la CSPE étant augmentée plus vite que les charges courantes. Elle atteindra 19.5€/MWh pour des charges courantes de 17.7€/MWh. Aujourd'hui, plus de 60% des charges relèvent des énergies renouvelables et un gros quart de la péréquation, les tarifs sociaux n'en représentent que 5% environ.

La hausse des prix du pétrole a eu un impact sur le coût de la péréquation: dans les îles, les centrales sont bien souvent des centrales au fioul. De ce fait, le coût de la péréquation atteint environ 1.9G€ en 2014, en incluant les EnR de ces régions. Le plus gros poste relève des tarifs de rachats de toute sortes et aux prix les plus divers, de la cogénération — à base de combustibles fossiles… — au solaire photovoltaïque qui représentent 3.5G€ cette année pour les installations métropolitaines. Le solaire photovoltaïque de métropole absorbe à lui seul 2.1G€ de subventions. Avec 14% de la production éligible aux tarifs de rachat, ce dernier capture à lui seul 62% des subventions! L'explication de cette situation est que les subventions sont accordées sur la base des coûts de chaque type d'énergie subventionnée, sans vraiment prendre en compte l'utilité de chacune. Cette situation paraît amenée à perdurer comme le montrent les prévisions de la CRE.

La situation future

La CRE prévoit une forte hausse de la CSPE, marquée dans un premier temps par une hausse rapide dans les 3 années qui viennent pour combler la dette accumulée, puis par la mise en service de nouvelles installations. Elle devrait atteindre 10.6G€ annuels en 2025, soit une taxe de 30.2€/MWh. La trajectoire prévue figure sur le graphe ci-dessous. evolution_unitaire_2013-2025.jpg

Comme la dette accumulée va être résorbée dans les quelques années qui viennent, la hausse de la taxe unitaire s'explique par la hausse des charges courantes. Comme les tarifs sociaux restent une petite partie du coût, les raisons sont à trouver dans les 2 gros contributeurs actuels: la péréquation et les tarifs de rachat. Le coût de la péréquation passe de 1.7G€ à 2.5G€ (Figure 81 p112) soit une augmentation de 50%. La plus grosse part de l'augmentation est donc causée par l'autre poste important, les tarifs de rachat qui passent de 3.5G€ en 2014 à environ 8G€ en 2025: ils font plus que doubler. evolution_EnR_2013-2025.jpg L'essentiel des subventions va à 2 technologies en 2025: le solaire PV et l'éolien en mer. À eux deux, ils capturent 5G€ sur 8G€ de subventions. Un constat s'impose: aux conséquences de la bulle du photovoltaïque vont se superposer les conséquences des appels d'offres sur l'éolien en mer qui se sont soldés par des tarifs extrêmement onéreux, puisqu'à l'horizon 2020, l'indexation amènera le prix à 220€/MWh environ. Avec 2.1G€ annuels de subventions dédiés aux contrats photovoltaïques signés avant 2013 et qui courent sur 20 ans de production, leur coût total s'élève à 42G€. Pour l'éolien en mer, la CRE prévoit sur la durée de vie des contrats actuellement passés 38G€ de subventions (p5). On voit que ce sont des sommes du même ordre. On peut conclure que la politique menée pour soutenir le secteur des énergies renouvelables électrique ne tient absolument pas compte du coût pour le consommateur.

60% des subventions en 2025 iront à des contrats mis en œuvre après 2013, ce qui montre que la bulle photovoltaïque de 2009-2010 ne sera certainement pas la seule responsable de la forte hausse de la taxe. Les estimations de la CRE conduisent peu ou prou à un chiffres d'affaires des secteurs sous obligation d'achat de 15G€/an pour une production d'environ 85TWh, soit environ 15% de la production d'électricité française. Si EDF obtient les 55€/MWh qu'il demande pour son parc nucléaire dans le futur, le chiffres d'affaires du parc nucléaire sera d'environ 25G€ pour plus de 400TWh de production. Une nouvelle fois, on voit que les coûts des EnR sont loin d'être maîtrisés!

Par ailleurs, durant son audition, le président de la CRE a précisé que ses prévisions étaient conservatrices. En effet, les calculs ont été effectués en prenant des hypothèses qui tendent à minimiser les subventions versées:

  1. La CRE prévoit une hausse du prix spot de l'électricité. Or, comme je l'avais constaté, plus il y a d'énergies subventionnées, plus les cours ont tendance à baisser. Cependant, cet effet est assez faible: une erreur de 10€/MWh (soit environ 20%) sur le prix de gros entraîne une variation de 700M€ des charges. Cela montre une fois de plus que l'essentiel des surcoûts ne vient pas des volumes produits mais des contrats signés en faveur de technologies très loin d'être compétitives
  2. Pas de renouvellement de contrat à terme quand ce n'est pas prévu par la réglementation actuelle. Cela vaut surtout pour l'éolien. Au vu de ce qui se passe aujourd'hui avec le petit hydraulique et la cogénération, la prudence est de mise, même si une nouvelle fois, l'impact devrait être faible, étant donné que l'éolien terrestre fait partie des EnR les moins chères.
  3. Elle prévoit aussi que les installation suivent la programmation effectuée suite au Grenelle de l'Environnement, en l'adaptant suivant ce qui s'est passé depuis et en abaissant les objectifs. C'est ainsi que l'essentiel des capacités nouvelles d'ici 2025 proviennent de l’éolien terrestre, que la progression du photovoltaïque est limitée et qu'il n'y a pas de nouvel appel d'offres pour l'éolien en mer. C'est pratiquement le cas le plus favorable au consommateur.
  4. Cette hypothèse est rendue encore plus optimiste par les projets du gouvernement actuel qui tient absolument à faire baisser la part du nucléaire dans la production d'électricité et à augmenter la part des renouvelables. En tenant compte de la production hydraulique actuelle, cela voudrait dire qu'en 2025, la part de la production électriques provenant des EnR subventionnées serait de 25 à 30%, soit à peu près de 2 fois plus que ce que prévoit la CRE. Même si on ne croit pas ce que raconte le gouvernement, cela va créer une pression à la hausse car pour paraître atteindre les nouveaux objectifs, il va sans doute falloir relever les tarifs de rachat et lancer d'autres appels d'offres particulièrement onéreux.

Quelques conclusions

Il est aussi intéressant qu'aucune des modalités de soutien ne trouve grâce aux yeux de la CRE (voir p3 et suivantes). On comprend qu'à chaque fois, les tarifs lui paraissent en tout ou partie trop élevés par rapport aux bénéfices attendus et aux coûts réels de chaque technologie.

Face à une telle augmentation, il n'est pas très étonnant que cette taxe bien visible par les consommateurs-électeurs devienne un sujet digne d'intérêt pour les parlementaires. Même si le sujet de l'augmentation de cette taxe est peu abordé dans les médias, les plaintes des électeurs au sujet de leur facture doivent remonter auprès des politiques. Quand de l'autre côté les prévisions annoncent une hausse importante de la taxe, la question de l'assiette de la taxe surgit à nouveau. Il faut dire que le but officiel est de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais comme le gaz, par exemple, est exonéré, on voit que plus il y a d'énergies renouvelables dans la production électrique française, plus elle est taxée et plus il est en fait intéressant de se tourner vers le gaz et donc d'émettre du CO₂. Comme les coûts évalués par la CRE relèvent essentiellement de contrats déjà actés, si le gouvernement veut éviter la grogne des consommateurs d'électricité, il ne lui reste guère que l'option d'étaler les coûts sur d'autres consommateurs, comme les consommateurs de fioul et de gaz, qui à leur tour grogneront. Il n'y a donc pas vraiment d'issue favorable possible sur cette question!

Enfin, la question des bénéfices à retirer des énergies renouvelables n'est jamais ou presque abordée. Cela nécessiterait de comparer à des alternatives — par exemple, remplacer les quelques centrales à charbon françaises qui resteront après 2015 par des centrales au gaz coûterait certainement moins cher à la tonne CO₂ évitée. Les énergies renouvelables électriques sont devenues dans le débat public des buts en elles-même. Pas étonnant dans ces conditions que la distribution des subventions montre un grand laisser-aller.

1 octobre 2014

Quel contrôle des coûts pour les EnRs?

Ségolène Royal a répété à de multiples reprises à la radio dimanche dernier que les EnRs et les travaux d'isolation allaient rapporter de l'argent au lieu d'en coûter. Cela implique normalement que les coûts pour la collectivité soient contrôlés de façon à ce qu'on tire le maximum des énergies renouvelables les moins chères. En effet, utiliser les énergies renouvelables les moins chères permet d'en utiliser le maximum pour un montant donné: on maximise de cette façon le rendement des investissements.

Lors de son interview, Ségolène Royal a mentionné une famille habitant dans une habitation nouvelle dont la facture d'énergie était de 96 centimes d'euro par mois. La suite de l'entretien montrait quelle était la recette: une bonne isolation, certes, mais aussi l'installation de panneaux solaires qui permettent de toucher des subsides très intéressants qui s'élèvent dans le cas de cette nouvelle habitation à plus de 280€/MWh produit. On peut comparer cela au coût de la fourniture d'énergie dans le Tarif Bleu d'EDF, destiné aux particuliers: il était en 2012 d'environ 45€/MWh (rapport de la CRE, Figure 54, p78). La différence est évidemment payée par une taxe, la CSPE: autrement dit, si ce ménage ne paye que 96 centimes par mois, c'est que la collectivité paye le reste.

Les charges de la CSPE représentent, pour sa partie finançant les énergies renouvelables, plus de 3.5G€ cette année. Comme l'indique le site de la CRE, le montant de la taxe devrait être de 22.5€/MWh mais elle est limitée à 16.5€/MWh parce que la hausse de la taxe est limitée à 3€/MWh par an. Un déficit de plus en plus important est en train de se creuser, qu'il faudra bien combler un jour. Toujours est-il qu'on peut constater que les seules EnRs électriques réclament un financement de l'ordre de 12€/MWh dont l'essentiel va à 3 sources d'énergie: l'éolien, la biomasse et le solaire PV, ce dernier se taillant la part du lion. Ces 3 sources représentent environ 3% de la production totale d'électricité en France … pour un chiffre d'affaires global égal à 25% de l'ensemble!

En Allemagne, le montant de la taxe a explosé en quelques années à cause du rythme d'installation des panneaux solaires et l'absence de contrôle des coûts. Elle est aujourd'hui de 62.4€/MWh, soit plus que le coût des productions classiques ou encore près de 2 fois le prix spot de l'électricité en Allemagne. La taxe EnR allemande est une des raisons pour lesquelles le prix de l'électricité pour les particuliers atteint 300€/MWh. Comme on le voit, le contrôle des coût devrait constituer une partie essentielle de la politique menée si on veut préserver le pouvoir d'achat des Français — comme l'affirme Ségolène Royal. La Cour des Comptes a aussi publié un rapport très critique à ce sujet l'an dernier.

On pouvait donc s'attendre à ce que des mesures soient prises sur ce terrain. En lisant le projet de loi, on constate qu'il y en a … aucune! Il y a bien des dispositions tenant compte des demandes de la commission européenne — mais dont bien sûr l'essentiel des installations, éoliennes et solaire seront exonérées — et l'article 50 sur un comité de gestion de la CSPE qui sera chargé de faire ce que fait actuellement la CRE. C'est tout. À un député proposant une réforme, il est répondu qu'une mission d'information a été mise en place … alors que le problème est connu depuis plusieurs années: la commission sénatoriale de 2012 sur les coûts de l'électricité a déjà abordé le sujet! Que rien ne soit prévu dans ce projet de loi est donc un pur scandale. À côté de cela, Ségolène Royal continue de chanter les louanges de l'éolien en mer. L'appel d'offres de ce printemps s'est soldé par un prix d'environ 220€/MWh en 2022. Aucun compte ne semble avoir été tenu du rapport de la Cour des Comptes. Bref, le robinet est toujours grand ouvert.

Au-delà de la protection du pouvoir d'achat, un contrôle des coûts est aussi important car plus les sources d'énergies qui incluent des EnRs sont taxées, plus on favorise les autres sources. En effet, le ratio des prix devient plus favorable aux autres énergies et les effets d'éventuelles taxes carbones est neutralisé par l'inflation liée aux EnRs. Aujourd'hui, le gaz est soumis à une taxe carbone minime qui va atteindre 4.45€/MWh en 2016, soit moins de 10% du prix du gaz (hors taxes). La CSPE est de 16.5€/MWh cette année, elle atteindra donc 22.5€/MWh en 2016 soit probablement plus de 20% du prix hors taxes de l'électricité. Autrement dit, l'expansion des renouvelables décourage l'emploi d'une source peu carbonée comme l'électricité française (environ 50g de CO₂ par kWh) en faveur de l'emploi d'un combustible fossile comme le gaz naturel (environ 200g de CO₂ par kWh). L'absence de contrôle des coûts est un encouragement à émettre plus de CO₂, à rebours de tous les objectifs proclamés.

Pour conclure, le manque de dispositions visant à contrôler les coûts dus aux énergies renouvelables, notamment électriques, me semble un pur scandale. Alors que la ministre proclame urbi et orbi que son projet de loi va rapporter de l'argent, qu'elle veut faire baisser les émissions de CO₂, elle acte en approuvant des projets hors de prix et en ne prenant aucune autre mesure des incitations financières exactement inverses. Au fond, c'est significatif des buts de ce projet de loi: il ne s'agit pas tellement de développer au maximum les énergies renouvelables pour un prix raisonnable et de réduire les émissions de CO₂ par ce biais, mais d'en construire pour elles-mêmes, pour des qualités qu'on leur donne a priori, parce que cela va dans le sens de l'idéologie dominante au PS et surtout chez leur allié les Verts.

1 mars 2014

Les subventions à l'éolien et au solaire sont parties pour durer (version 2)

L'année dernière, j'avais regardé si l'éolien et le solaire pourraient avoir une chance de survivre sans les subventions accordées aujourd'hui, à savoir être construites pour l'argent encaissé en revendant l'énergie produite sur le marché de gros. La réponse que j'avais apportée alors était négative: sans subventions ou prix garanti les productions éoliennes et solaires ne pourraient pas survivre ou, en tout cas, aucune nouvelle infrastructure ne serait construite. En regardant sur l'année 2013, ce verdict est confirmé.

L'électricité d'origines éolienne et solaire ont pour caractéristique commune d'être à coût marginal nul. Produire un kWh supplémentaire ne coûte rien de plus au propriétaire qui a déjà investi dans sa machine et paye son entretien qu'elle produise ou pas. La production possible dépend uniquement des caprices de la météo. Les producteurs sont aussi très dispersés car une seule machine n'est pas extrêmement chère à construire. Ces 3 éléments transforment ces formes de production d'électricité en preneurs de prix: ils acceptent tout prix positif, voire même un prix négatif s'ils ne peuvent se déconnecter du réseau. Actuellement, les producteurs d'électricité éolienne ou solaire sont protégés de cette réalité par les tarifs de rachat qui leur assurent un prix de vente à l'avance.

En conséquence, on peut s'attendre à ce que l'éolien dont la production s'effectue grosso modo au hasard reçoive des revenus inférieurs au prix moyen du marché dit aussi prix de base — le prix obtenu en faisant la moyenne non pondérée de tous les prix horaires. Pour le solaire photovoltaïque, la situation est un peu différente: la consommation est supérieure le jour à ce qu'elle est à 4h du matin. Le prix est donc en général plus élevé le jour que la nuit. Mais si la capacité installée de solaire photovoltaïque est suffisamment grande — plus grande en tout cas que la différence de consommation entre le jour et la nuit —, on peut assister au même phénomène. Qualitativement, c'est lié au fait que le prix marginal est nul et aussi que la production est aléatoire … elle a donc une moindre valeur qu'une production prévisible à l'avance.

Pour regarder la situation, j'ai récupéré les prix sur Epexspot à l'aide d'un script perl. Pour la France, on peut récupérer les données détaillées de production sur éco₂mix. En Allemagne, il n'existe rien qui soit aussi détaillé … et gratuit. On connaît les productions éoliennes et solaires grâce à une directive européenne qui oblige à la publication. Ces données sont récupérées par P.-F. Bach, un ingénieur à la retraite danois. Les données récupérées ont été placées dans 2 fichiers LibreOffice: l'un pour la manipulation des données de RTE, l'autre pour les calculs qui donnent les prix.

La situation en Allemagne

L'Allemagne est marquée par une situation de surproduction, causée par la construction de centrales au charbon — dont le prix est bas en ce moment du fait de l'afflux de gaz de schiste aux USA — et par l'ajout de plus de 30GW de panneaux solaires et 30GW d'éoliennes. En conséquence le prix de base est bas (~38€/MWh). Le solaire emporte environ 1€/MWh de moins et l'éolien vaut plutôt 32€/MWh en moyenne. On note, même si la corrélation directe est faible, que chaque GW de production éolienne retire 1.3€/MWh au prix spot de l'électricité.

prix_sources_allemagne.jpg prix_eolien_allemagne.jpg

La situation en France

La France n'est pas marquée par la même situation, car le développement des énergies renouvelables s'y est fait à un rythme nettement moins intense. La crise pèse toutefois sur la consommation et par conséquent sur les prix. Le prix de base est de 43.5€/MWh, le prix pondéré par la consommation ~47€/MWh, l'éolien et le solaire ainsi que la catégorie "autres" fait de productions subventionnées (biomasse, etc.) ou marginales (comme l'usine de la Rance) sont les seules productions dont le prix est inférieur au prix de base (42€/MWh pour l'éolien, 43€/MWh pour le solaire). L'impact de l'éolien paraît relativement plus fort qu'en Allemagne avec un impact de 1.4€/MWh en moins par GW supplémentaire éolien produit, même si la corrélation paraît pour l'instant faible.

prix_sources_france.jpg prix_eolien_france.jpg

Quelles conséquences?

On peut constater avec 2 ans de données que les sources aléatoires d'électricité ont un prix inférieur au prix moyen. En conséquence, l'éolien et le solaire devront avoir un coût inférieur au prix moyen de l'électricité pour que des installations soient construites sans subvention. De plus, ce différentiel à couvrir grandit à mesure que les capacités installées augmentent: au fur et à mesure que des installations — actuellement subventionnées — sont construites, le coût à atteindre diminue et d'une certaine façon le jour où l'éolien et le solaire seront rentables sans subvention s'éloigne. Aujourd'hui en Allemagne, avec une production éolienne qui compte pour 8.5% de la production d'électricité, le différentiel de prix est de l'ordre de 15%: on voit mal ces moyens de production devenir dominants sans que les subventions ne perdurent sous une forme ou une autre.

De plus, en produisant de façon aléatoire, ces sources d'électricité dégradent la rentabilité des autres moyens de production. Ces autres moyens de production sont pour une bonne part pilotables et répondent à la demande. Mais comme leur rentabilité diminue, personne n'a vraiment intérêt à en construire. À terme, l'adéquation entre l'offre et la demande pourrait ne plus être assurée ou, dit autrement, le risque de black-out augmente. Il est douteux que nos démocraties laissent cette situation s'installer et on s'oriente vers un système où ces centrales seraient payées pour leur disponibilité et non pour l'énergie qu'elles produisent.

Au final, on voit mal comment l'organisation actuelle du marché pourra perdurer à long terme. Les productions intermittentes éolienne et solaire ont vocation à se développer, du fait de leur popularité auprès des politiques et de la nécessité de la lutte contre les émissions de CO₂. Le problème est qu'on voit mal comment ces sources intermittentes peuvent trouver un arrangement acceptable en dehors de prix déterminés par l'état: elles n'ont rien d'autre à offrir que l'énergie qu'elles produisent et n'ont aucun pouvoir de marché. Mais cet avenir de prix déterminés par l'état est pour l'instant meilleur que la situation des moyens pilotables. C'est notamment l'analyse de GDF-Suez qui n'envisage plus que de construire des moyens de productions subventionnés ou au prix garanti. Pour les moyens pilotables, on s'orientera vers un marché de capacité où on constate que les combustibles fossiles règnent en maîtres grâce à des coûts d'investissements faibles. Un premier risque est alors que les objectifs de réductions des émissions ne soit pas atteint à l'horizon 2030 ou 2040. Un deuxième risque est que les consommateurs ne veulent pas payer 2 fois pour la même chose, et qu'une confrontation sans fin s'ouvre et que le risque de black-out ne fasse qu'augmenter. Enfin, le risque est que la concurrence soit très limitée dans le domaine des énergies renouvelables: comme le prix sera déterminé par décret, aucune entreprise ne sera incitée à proposer un prix inférieur. Si on voit bien que l'organisation actuelle n'est pas soutenable, celle qui finira bien par apparaître n'est pas nécessairement meilleure que les anciens monopoles nationaux du point de vue du consommateur!

22 septembre 2013

De la réduction de la consommation d'énergie finale de 50% d'ici 2050

Vendredi dernier, François Hollande a annoncé son objectif de voir la consommation finale d'énergie — celle payée par le consommateur final — divisée par 2 d'ici 2050. Je suis fort sceptique que cet objectif puisse être réalisé et certain qu'il est néfaste, ce qui ne doit pas surprendre mes lecteurs réguliers.

Pour bien comprendre à quel point cet objectif est irréaliste, il faut se rappeler que, dans le scénario central du gouvernement allemand, il n'est prévu qu'une baisse de 40% (tableau 1 p7). À ceci, il faut ajouter que la population est attendue en baisse d'un peu plus de 10% (tableau 2-2, p80); en conséquence, la baisse de consommation d'énergie finale par habitant est d'environ 1/3. En France, il est communément admis que la population augmentera d'environ 10% d'ici 2050, l'objectif présidentiel se traduit par une baisse de 55% de la consommation par habitant. L'Allemagne a décidé de s'embarquer vers un modèle où l'essentiel de son énergie proviendrait de sources renouvelables et a exclu de recourir au nucléaire, ce qui limite les quantités disponibles — quoique 15% d'importations d'électricité soient par exemple prévues. Cette simple comparaison devrait amener à avoir des doutes sérieux sur l'éventuelle réflexion qui a précédé cette annonce, ou alors sur les scénarios allemands.

Les sources ne sont pas bien difficiles à trouver, le fameux débat, dont on a dit pis que pendre ici-même, fournit tout de même quelques documents dont un résumant les scénarios considérés. On y voit p8 la liste des scénarios qui correspondraient plus ou moins à l'objectif présidentiel, leurs supporters rassemblent essentiellement des associations écologistes, l'ADEME, ainsi que le gestionnaire du réseau de gaz — point qui peut étonner quand on sait qu'il doit être question de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le groupe de scénarios "Sobriété" est représenté entre autres par le scénario négaWatt où il s'agit d'abord d'être contre le nucléaire et de tout faire pour l'éviter. (On peut lire ma critique de scénario,celle de Sauvons le Climat, ainsi qu'une critique de la partie «biomasse»). Le groupe de scénarios "Efficacité" compte notamment l'ADEME (critique personnelle & celle de Sauvons le Climat, publiées avant que les documents complets ne soient rendus publics). Ces scénarios ont pour caractéristiques communes une contrainte importante placées sur les citoyens: impossible de se déplacer comme on le souhaite, le secteur des transport est soumis à des limitations draconiennes pour quelqu'un vivant en 2013. Des hypothèses bizarres sont faites, ainsi point de développement des deux-roues à moteur pour l'ADEME d'ici à 2030, alors qu'avec la forte hausse du prix du pétrole, ils s'étaient quelque peu développés. Il n'y a pas d'étalement urbain, la surface habitable par habitant est constante — elle a augmentée d'un tiers entre 1984 et 2006 (p129) —, ce qui implique un zonage très strict et des problèmes pour les jeunes générations, les vieux ayant tendance à rester dans leurs grands logements une fois les enfants partis. Bref, les prix élevés de l'immobilier sont garantis dans ce type de scénario. On mange aussi suivant les préconisations de la FAO, c'est à dire nettement moins de viande et plus de petits pois. Dans le même esprit, le système électrique est équilibré de façon quasi-magique en utilisant de fortes doses de sources fatales intermittentes. Il semble ainsi que la manip' qui permet au système électrique d'être équilibré dans le scénario de l'ADEME, c'est qu'un filtre passe-bas limite les fluctuations de l'éolien en mer (p206 du document technique de l'ADEME). On peut dire que c'est un cocktail détonnant d'ingénierie sociale et d'hypothèses audacieuses sur les sources mobilisables, dont rien ne dit que les citoyens et les entreprises les acceptent et les mettent en œuvre.

Pour donner une idée de la contrainte à placer sur la consommation d'énergie, on peut se tourner à nouveau vers l'Allemagne. Comme on le sait, les prix de l'électricité pour les petits consommateurs ont fortement augmenté sous l'effet de l'introduction de la Stromsteuer et de l'explosion de la taxe «renouvelables». Ils sont passés de 14 cents/kWh en 2000 à 26 cents/kWh en 2012 (source: BDEW, p41), soit presque une multiplication par 2. Dans le même temps, la consommation d'électricité par les ménages et le secteur tertiaire, impactés de plein fouet par la hausse des prix, a augmenté de 7% (Source: AG Energiebilanzen p30). En France, les prix sont passés de 12 à 14 cents/kWh et la consommation a augmenté de 25% pour un périmètre comparable. On voit que la consommation d'électricité ne répond que faiblement aux hausses de prix, par ailleurs tous les nouveaux objets ou presque en utilisent. Or, la production d'électricité est fortement contrainte dans les scénarios préférés du Président Hollande. Un rationnement n'est donc pas à exclure.

On pourrait penser que, comme ces déclarations portent sur un terme éloigné où François Hollande aura 96 ans, ces déclarations n'engagent à rien. Malheureusement, elles ont probablement une importance certaine, au contraire. Estimer que la consommation finale va baisser de 50% d'ici 2050 a des conséquences sur les investissements à faire aujourd'hui: pas besoin de capacité électrique pilotable supplémentaire, par exemple. Or, il s'avère que si la croissance repartait, il est fort possible selon RTE qu'on ne puisse éviter un black-out lors des hivers 2016 et 2017. Il faut aussi prendre en compte le fait que construire des centrales électriques, des lignes haute tension, des réseaux de chaleur, tout cela prend du temps et de plus en plus, à cause des consultations qui ne cessent de s'allonger pour les projets d'infrastructure. Si le gouvernement, forcément impliqué dans ces décisions, sous-estime gravement la demande, une pénurie est inévitable car le temps manquera pour construire les infrastructures nécessaires. En fait, estimer que ces déclarations n'ont aucune importance, c'est penser que les transitions énergétiques sont rapides et qu'on peut facilement changer de direction à tout moment. Rien n'est plus faux: historiquement, les nouvelles sources d'énergies ne se sont imposées que lentement, sur plusieurs décennies. Des pays de taille raisonnable comme la France peuvent aller plus vite, mais cette prégnance du long terme reste: dans le secteur électrique, la construction du parc nucléaire qui domine la production d'électricité a été décidée il y a maintenant 40 ans, sa réalisation a pris 20 ans pour l'essentiel. Il en va de même pour le chauffage: de nombreuses maisons restent chauffées au fioul alors que ce dernier n'est plus compétitif au vu des cours actuels, les chaudières gaz à veilleuse sont restées longtemps sur le marché — et sont sans doute toujours en usage — alors que celles à allumage électronique sont plus économiques au total. Il est donc sans doute de bon ton de prévoir une marge sur la consommation d'énergie: il est tout de même nettement plus simple de s'abstenir de construire quelque chose dont on n'a finalement pas besoin que de s'agiter en toute hâte parce qu'une pénurie s'est révélée.

De même, se reposer sur des technologies n'ayant aucune application actuellement, même sous la forme de prototypes est dangereux. Ces installations sont très populaires car parées de toutes les vertus, elles bénéficient en quelque sorte de la prime au rêve: ces installations ont pour principal avantage que personne ne les a vues en vrai ni n'a payé pour. On trouve dans ce genre d'infrastructure le stockage de l'électricité ou, dans un autre registre, les réacteurs au thorium. Il apparaît ainsi que le stockage le plus facile de l'électricité peut se faire via la production de chaleur, aussi connue sous le nom de chauffage électrique. Il semble que malheureusement, l'intersection de l'ensemble des supporters des énergies intermittentes et des supporters du chauffage électrique est vide. Même pour les installations qui n'existent qu'à l'état de prototypes ou connaissant un fort développement, rien n'assure qu'on pourra les déployer à plus grande échelle. Des limites fortes existent aussi pour les énergies renouvelables. Par exemple, 40% du maïs américain et 14% du soja servent à produire de l'éthanol pour une proportion dans l'essence aux USA de 10% seulement. En Allemagne, les cultures destinées à l'énergie représentent déjà 17% de la surface agricole utile. De l'autre côté, le 21e siècle a surtout vu le retour du charbon comme source importante d'énergie, y compris en Europe. Cela veut dire qu'il vaut mieux partir pour diminuer les émissions de CO₂ avec des technologies qui ont déjà fait en grande partie leurs preuves (nucléaire, réduction de la consommation des moteur automobiles…) et qui ont encore une grande marge de progression, quitte à intégrer les nouveautés par la suite, plutôt que de faire le pari de l'apparition d'une technologie miracle.

Au fond, il me semble que cette déclaration confirme que les mauvais traits de la politique énergétique de François Hollande que je craignais dès l'hiver 2011. Il fait des déclarations, en partie pour faire plaisir à ses alliés écologistes, en partie parce qu'il a été convaincu, mais leur réalisation concrète est hautement improbable: l'effort à réaliser est inouï. Un effort comparable à celui de l'Allemagne correspondrait, compte tenu des évolutions démographique, à une baisse limitée à 20% de la consommation d'énergie finale, ce qui correspond aux scénarios écartés. Appliquée telle qu'annoncée, la politique ne laisse aucune marge de manœuvre, sauf à prévoir de rater la cible en termes d'émission de CO₂. Il se trouve qu'on ne peut pas non plus écarter ces déclarations d'un revers de main, car l'approvisionnement en énergie de la France de 2050 se décide en partie aujourd'hui.

22 août 2013

Les objectifs de production d'énergies renouvelables sont intenables

La Cour des Comptes revient dans son rapport sur les objectifs qu'ont fixé les différents gouvernements qui se sont succédé en termes de production d'énergies renouvelables. Ces objectifs ont été formalisés suite au niveau européen avec la politique dite des «3x20» où l'un des termes est de produire 20% de l'énergie consommée en Europe via des moyens renouvelables. La Cour, dans sa conclusion du chapitre 1 (p38), nous dit que ces objectifs sont volontaristes et particulièrement ambitieux, une façon polie de dire qu'ils sont impossibles à atteindre.

La Cour rappelle (p26) le précédent pari pris au comptoir du café du commerce avant de prendre les engagements de la politique des 3x20. Il s'agissait, en 2001, de produire 21% de l'électricité avec des renouvelables à horizon 2010. La base de comparaison était alors 1997, où l'hydroélectricité produisait 15% du total. Le résultat a été qu'au final, en 2010, la production d'électricité de sources renouvelables a atteint … 15% du total — sans correction des effets climatiques — ce qui intègre les effets des premières mesures prises pour tenir l'engagement actuel. Un deuxième round d'engagements plus solennels a été lancé en 2004, pour aboutir aux engagements actuels formalisés en 2009. Ces engagements visent toutes les formes d'énergies et plus seulement la seule électricité. Il s'agit pour la France de produire 23% de l'énergie finale à partir de sources renouvelables.

La Cour remarque que la France est parmi les pays de l'UE le plus ambitieux puisque la proportion d'énergie renouvelable doit augmenter de 12.7 points de pourcentage par rapport à 2005, année prise comme référence. Avec cette façon de mesurer, c'est le 4e objectif le plus ambitieux, après le Royaume-Uni — qui part de presque rien… —, le Danemark et l'Irlande (p31). Cet effort est supérieur à celui promis par la vertueuse Allemagne, où le soutien politique apparaît nettement plus fort. On peut se demander ce qui a mené à une telle décision…

L'objectif global est détaillé par grandes filières: chaleur — un tiers de l'énergie consommée devait venir de renouvelables —, électricité — 27% —, transport — 10%. Les choses se corsent à partir de là:

  • La Cour signalait dans son rapport sur les biocarburants (p43 et p47-48) que la proportion de biocarburants intégrables à l'essence était limité par une directive européenne. Celle-ci fixe un plafond de biocarburants intégrables inférieur aux demandes de la loi française et les distributeurs d'essence doivent donc de ce fait payer une taxe. En 2011, la proportion atteinte était de 6.7% d'EnR dans les transports. En l'absence de modification des normes européennes sur les carburants, il paraît impossible de réaliser l'objectif, même si certains biocarburants comptent double.
  • La France produit à l'heure actuelle environ 80% de son électricité à l'aide du nucléaire. On voit donc que l'objectif correspond à une production où il n'y aurait plus que le nucléaire et les énergies renouvelables. Comme il s'agit essentiellement de s'appuyer sur des moyens de production intermittents pour combler la différence entre la production hydraulique et l'objectif, ça ne paraît pas crédible, même en fermant la centrale de Fessenheim. On pourrait aussi penser augmenter la production totale d'électricité, mais le détail des objectifs montre que ce n'est pas l'option qui a été choisie. Par ailleurs, depuis 2008 et la crise, la consommation d'électricité stagne en France, ce qui est un facteur limitant.
  • La production de chaleur n'est pas normalisée en fonction des conditions climatiques. C'est ainsi qu'on pourrait réaliser les objectifs par filière et manquer l'objectif global, seul officiellement contraignant, de ce fait. Ce n'est pas qu'une considération académique: le bois — alias «biomasse solide» — est censé remplir presque 50% de l'objectif total. La variation de chaleur produite par ce biais est de l'ordre de 10% entre 2011 et 2012.

Même si les objectifs sont libellés en pourcentage de l'énergie finale produite, des objectifs en termes nominaux ont été édictés. La Cour présente l'état des lieux en 2011 en regard des objectifs pour 2020 dans un tableau, reproduit ci-dessous. CComptes_enr_objectifs.jpg On constate que, notamment pour les gros contributeurs attendus que sont l'éolien et le bois pour la chaleur, il y a un grand écart entre ce qui a été réalisé et l'objectif. Même en 2012, année froide, le bois de chauffage reste en deçà de la trajectoire prévue, ce qui n'est pas de bon augure. De plus, l'ADEME dans son scénario, qu'on ne peut pas vraiment soupçonner de sous-estimer les gisements d'énergies renouvelables, estime que le gisement «biomasse solide» accessible en 2030 est de 18Mtep: on voit donc que l'essentiel de l'effort devrait porter dans les quelques années qui viennent. Pour l'éolien l'objectif implique peu ou prou la construction de 30GW d'éoliennes. La tendance actuelle laisse penser qu'il n'y en aura pas la moitié. D'autres filières sont signalées dans le rapport comme très en retard, comme la géothermie électrique, et la différence entre les objectifs nominaux et les réalisations ne sont sans doute pas pour rien au laisser aller que la Cour note dans certaines filières, notamment la production d'électricité à partir de biomasse. Certaines filières ne sont pas trop mal placées par rapport aux objectifs comme le solaire photovoltaïque et le biogaz — qui sont même au delà. Mais ces filières ne peuvent pas de façon réaliste combler le manque que laisseront les gros contributeurs.

La trajectoire prévue au départ voulait aussi qu'environ les deux tiers de l'effort soient produits entre 2012 et 2020. Pour les plus gros contributeurs prévus à cet effort, la biomasse pour la chaleur et l'éolien, on n'en prend a priori pas le chemin. Certains des objectifs sont devenus aussi nettement plus controversés. C'est ainsi le cas des biocarburants, de la production d’électricité à partir de biomasse — qui reste malgré tout le seul moyen pilotable avec des perspectives d'augmentation de la puissance installée. D'autres se font étriller dans le rapport pour leurs coûts, notamment la géothermie électrique, solaires photovoltaïque et thermique.

L'impression qui se dégage est que ces engagements n'ont pas fait l'objet d'une réflexion très poussée avant d'être pris. Il semble que certains décideurs aient décrété que l'intendance suivrait. Malheureusement, en la matière, il existe quelques contraintes comme la physique, l'inertie créée par la base installée, la capacité financière de l'état ou celle des citoyens. Ces derniers peuvent aussi ne pas faire exactement ce qui est attendu d'eux. On ne peut que constater que ces objectifs sont en partie à l'origine des gaspillages d'argent public dénoncés par la Cour dans son rapport: les objectifs ont été détaillés par filières et incluent des filières particulièrement onéreuses comme le solaire photovoltaïque. Par ailleurs, même pour des filières dont l'intérêt est évident — bois pour le chauffage, pompes à chaleur —, les difficultés sont bien présentes, ce qui montre que les énergies renouvelables ne gagneront que progressivement des parts de marché.

20 août 2013

À propos de l'éolien à 60€/MWh

Le rapport de la Cour des Comptes sur les énergies renouvelables contient un chiffre qui a vocation a être abondamment repris à propos des coûts de l'éolien en France. Le coût minimal mentionné par la Cour est de 60€/MWh. Évidemment, il s'agit d'un minimum, dans le calcul duquel les hypothèses prennent une grande part. On peut donc s'attendre à ce que ce chiffre soit abondamment repris, sans la mention des hypothèses.

La Cour écrit dans son rapport la chose suivante:

La Cour a pu examiner des calculs de rentabilité de parcs éoliens terrestres français réalisés par un exploitant dont les éoliennes bénéficient d'implantations géographiques favorables. L'ordre de grandeur des coûts de production calculés par le Cour se situe entre 60€/MWh avec un taux d'actualisation réel de 5% et 68€/MWh pour un taux d'actualisation réel de 7%.

Comme j'ai réalisé en début d'année quelques calculs pour me rendre compte des coûts d'investissements qu'impliquaient les tarifs de rachat des énergies renouvelables, cette donnée a attiré mon attention et m'a permis d'essayer de reproduire les conditions pour arriver à de tels coûts. Il faut rappeler avant toute chose que les calculs effectués par la Cour des Comptes sont des calculs de valeur actuelle nette. Les principaux paramètres qui ont un impact sur le calcul sont les suivants:

  1. Le coût d'exploitation: pour une éolienne, il s'agit de payer l'entretien de la machine, le comptable, les impôts et tout ce qui peut être nécessaire au fonctionnement d'une entreprise.
  2. Le montant investi dans la machine: on construit généralement un équipement de ce genre pour gagner de l'argent et bien sûr plus on paie cher la machine, plus il faut vendre cher pour rentrer dans ses frais
  3. Le taux d'actualisation qui représente la rémunération du capital investi. Une nouvelle fois, il ne s'agit pas d'une entreprise philanthropique, les investisseurs s'attendent à gagner de l'argent. Il en existe 2 types: les créanciers obligataires et les actionnaires. Les actionnaires ne se voient promettre par contrat aucune rémunération, ils prennent le plus de risques et exigent donc une rémunération supérieure aux créanciers obligataires (comprendre: les banques) qui se voient, eux, promettre un certain rendement à l'avance.
  4. La durée d'amortissement. Plus on amortit sur une longue durée, moins les coûts sont élevés. Toutefois à partir d'une certaine durée — qui dépend du taux d'actualisation — on ne gagne presque plus rien à allonger la durée d'amortissement. Cette durée est aussi liée à la durée de vie de la machine.
  5. La quantité de courant produite. Dans le cas qui nous occupe, la Cour précise que les éoliennes bénéficient d'implantations géographiques favorables, dont on peut retirer que la production de ces éoliennes est notablement supérieure à la moyenne française.

On voit qu'il faut faire quelques hypothèses pour pouvoir commencer à faire un calcul, car tout n'est pas dit dans le rapport de la Cour des Comptes. J'ai donc fait l'hypothèse que les coûts d'exploitation étaient de 15€/MWh, que la durée de vie était de 20 ans. J'ai aussi pris un facteur de charge — le ratio de la production réelle à la production maximale théorique si l'éolienne tournait toujours à fond — de 27%, supérieur aux 23% pris habituellement par RTE comme la moyenne française. Pour obtenir un coût de 60€/MWh pour une actualisation à 5% et 68€/MWh pour une actualisation à 7%, j'arrive à un coût d'installation de 1330€/kW, qui correspond grosso modo à ce qu'on peut attendre d'une éolienne. Si on prend ce même coût d'installation mais qu'on estime que le facteur de charge descend à 23% — la moyenne française, donc — et qu'on prend un taux d'actualisation de 8% — conforme à ce qui a été pris dans le rapport sur le nucléaire —, on trouve un coût de 82€/MWh, le tarif de rachat actuellement en vigueur. Inversement, si on applique un taux d'actualisation de 5% à l'EPR de Flamanville, on trouve que le coût du courant est d'environ 68€/MWh, en prenant en compte les coûts annoncés en décembre dernier par EDF. On peut retrouver ces calculs dans une feuille Google docs.

Qu'en conclure? Tout d'abord, bien sûr, que les hypothèses prises pour faire ces calculs sont d'une importance primordiale. Un taux d'actualisation bas va forcément diminuer drastiquement les coûts, d'autant plus que la durée de vie de l'équipement est longue. C'est pourquoi les coûts de l'EPR de Flamanville ont tendance à plus baisser que ceux des éoliennes … Comme rappelé plus haut, la production d'énergie n'est pas une entreprise philanthropique, ce qui signifie que les investisseurs doivent espérer une certaine rémunération avant de se lancer. EDF peut emprunter à un taux nominal de 4%/an, sans doute le taux minimal que peut espérer une entreprise du secteur. EDF a aussi à peu près autant de capitaux propres — qui reviennent aux actionnaires — que de dettes. Dans ce contexte, un rendement réel de 5% revient à une rémunération du capital de 10%/an, ce qui est considéré comme faible … Pour mémoire, la Cour des Comptes a calculé le coût du programme nucléaire sur la base d'un taux réel de près de 8% soit un rendement du capital de presque 16% pour EDF.

Par ailleurs, la quantité de courant produite joue aussi un rôle primordial. Pour calculer des coûts représentatifs, il vaut mieux se baser sur la production moyenne des installations. Ceux qui ont une implantation géographique favorable auront une production plus élevée, sans pour autant avoir des coûts augmentés d'autant, ils seront donc plus rentables. Même si on compte s'installer d'abord sur ces sites, l'installation d'un grand nombre d’éoliennes obligera à s'installer aussi sur des sites moins favorables.

Enfin, le rapport de la Cour signale que les promoteurs d'éoliennes rencontrent des difficultés à obtenir des permis de construire. Presque 40% sont retoqués à bon droit par l'administration, un tiers des permis délivrés sont ensuite contestés par des particuliers. Cela signale une grande difficulté pour les promoteurs à pouvoir véritablement s'installer sur ces fameux sites favorables. De plus, plus il y aura d'éoliennes, plus on peut craindre que le nombre de recours par des particuliers augmente. Ce genre de difficultés n'est pas forcément pris en compte dans les coûts chiffrés, il n'en est pas moins qu'il renchérit sans doute significativement les coûts réels. Pour preuve, depuis quelques années, le rythme d'installation des éoliennes a baissé, ce qui pointe soit vers des difficultés de financement, soit vers difficultés pour trouver des sites où on peut effectivement construire. A contrario, cela montre que le tarif de rachat de 82€/MWh pour les nouvelles installations n'est pas éloigné de la réalité des coûts comme le suggère une lecture hâtive du rapport de la Cour des Comptes.

19 août 2013

Inventaire de cadavres dans les placards

Jeudi 25 juillet, la Cour des Comptes a publié un rapport sur la politique de développement des énergies renouvelables qui complètent les rapports sur les biocarburants ou la CSPE. Le rapport sur les biocarburants dressait un état des lieux sans concessions de cette politique et invitait à revoir ce système d'aides. Sur la CSPE, pour faire face à la hausse prévisible des sommes prélevées, la Cour recommandait d'élargir l'assiette aux autres énergies que la seule électricité. Ce rapport-ci est plus semblable par son amplitude à celui sur les biocarburants, c'est naturellement que ces derniers sont exclus du périmètre et que les recommandations de la Cour sur la CSPE viennent s'y intégrer. Comme dans tout rapport de ce genre, la Cour fait un certain inventaire des cadavres qui trainent et fait un certain nombre de recommandations pour qu'ils soient dûment inhumés et qu'on ne les revoie plus.

Avant de s'aventurer plus avant, j'ai déjà évoqué à quelques reprises le douloureux problème des subventions aux énergies renouvelables électriques (un exemple) et ma position jusqu'à présent est que le coût des nouvelles installations — généralement élevé — n'est pas justifié par leurs bénéfices dans le contexte français — notamment en termes de baisses d'émissions de CO₂.

Les diverses avanies des différentes énergies renouvelables électriques

Commençons par ce qui pourrait sembler anecdotique: la géothermie dans la production d'électricité (p68). La Cour nous signale qu'un important retard a été pris, notamment dans les DOM-TOM. Il n'aura échappé à personne que nombre de territoires d'outre-mer sont des îles volcaniques, dont certaines comptent toujours un volcan en activité (Réunion, Martinique, Guadeloupe). Pour l'instant, les seules usines en service sont celles de Bouillante en Guadeloupe et celle de Soultz-les-Forêts en Alsace. Elles ne sont pas gérées par un industriel, ce sont des projets de recherche. La Cour note que les coûts ne lui ont pas été communiqués, ce qui n'augure rien de bon. On apprend aussi incidemment que le potentiel de la Réunion est grandement obéré par le classement du volcan au patrimoine mondial.

En ce qui concerne l'hydro-électricité, la Cour remarque simplement une certaine évaporation du potentiel nouvellement installable ces 10 dernières années. En 2006, le potentiel était évalué à presque 30TWh supplémentaires, un peu plus de 5% de la production actuelle d'électricité en France. En 2013, il est redescendu à environ 2TWh. La Cour signale aussi qu'en raison de nouvelles règlementations sur l'eau, la production est désormais attendue en baisse avec les ouvrages actuels (p82).

Sur l'éolien terrestre, la Cour s'en prend surtout à la réglementation. La complexité du droit français freinerait l'installation des éoliennes. Il est par exemple pratiquement impossible de construire un éolienne dans les zones côtières, protégées par la loi littoral. Mais on s'aperçoit surtout qu'elles rencontrent une opposition certaine. Elle provient dans un premier temps des administrations locales: 47% des permis de construire sont refusés par les préfets, dont la décision est invalidée dans un refus sur 5 (p61), ce qui fait qu'au total, il y a un refus définitif dans 2 cas sur 5. C'est aussi le fait de particuliers: 31% des permis de construire sont attaqués, pour un taux de succès faible d'environ 1 sur 5 (p62), mais cette action de contestation suffit à ralentir fortement les constructions … ce qui renchérit les installations.

Quant à l'éolien en mer, la Cour traite cette technique de pari industriel coûteux. Il faut dire que les appels d'offres avaient débouché sur un prix de 228€/MWh. La Cour dénonce d'ailleurs cette procédure d'appel d'offres: l'état a accordé un lot à un consortium se basant sur une turbine d'Areva alors qu'il était plus cher que le concurrent pour permettre l'installation d'une usine au Havre (p66). De plus, le prix maximum cible a été dépassé dans 3 des 4 lots accordés — ce qui fait que la note sur le critère prix a été de 0 dans ce cas (p52). On comprend aussi que la concurrence a été très réduite, car les entreprises n'ont pas eu le temps de réaliser les études nécessaires, sauf une: EDF (réponse de la CRE p221). En creux, on lit aussi une explication du prix: assurer une sécurité financière aux usines à construire et qui seront en fait destinées à alimenter le marché anglais — sans aucune assurance sur son existence réelle (p103). À lui tout seul, cet appel d'offres demandera des subventions annuelles estimées à 1.1G€ une fois les champs mis en service. La cour cite aussi un coût de l'électricité produite compris entre 105 et 164€/MWh avec un faible taux d'actualisation réel de 5%. Les coûts sont donc intrinsèquement élevés.

La biomasse retient aussi l'attention de la Cour. Elle constate encore que les appels d'offres ont été particulièrement peu sélectifs, puisque l'état a parfois retenu l'ensemble des offres (p66). Cela peut s'expliquer par un faible taux de réalisation réel, puisque la CRE l'a estimé à 30% pour les appels d'offres précédents (p52 et p224). La Cour note que les projets de biomasse projettent de recourir significativement aux importations: cela représenterait un quart du total, avec des pointes à 77%. Tout ceci trouve une excellente illustration dans un encadré p67 à propos du projet de centrale biomasse d'E.On France. Ce projet était classé bon dernier par la CRE, mais a quand même été sélectionné par le gouvernement; il importera environ la moitié de son combustible.

L'énergie solaire a droit pour sa part à une volée de bois vert. Tout y est réuni: appels d'offres très peu sélectifs qui trouvent un prix plancher dans l'existence de tarifs de rachat, mauvais suivi du marché des panneaux solaires, prix intrinsèquement élevé. À tel point que, cette année, il est prévue que le solaire photovoltaïque absorbe les 2/3 de la CSPE destinées aux énergies renouvelables électriques. Pour une production 3 fois inférieure à l'éolien, il absorbe presque 4 fois plus de subventions. De plus, la Cour note à la suite de la CRE l'existence d'une fraude massive: dans la réponse de la CRE (p228), on apprend qu'en 2010, 99.7% des installations ont été déclarées comme intégrées au bâti, leur donnant droit à une prime. Comme noté dans cette réponse, les résultats des premiers contrôles aléatoires (...) entraînent de fortes suspicions sur la conformité de ce chiffre avec la réalité. On signale aussi des sous-déclarations de puissance — utiles pour bénéficier là encore d'un meilleur prix — de déclarations à la découpe, etc. Par ailleurs, dans le domaine de la production de chaleur, le solaire thermique emporterait une subvention superlative de plus de 10k€/tep produite soit quelques 20 fois plus que le soutien accordé au bois dans le même contexte (p88).

Que faire?

Les recommandations de la Cour se basent sur les avanies rencontrées par les différentes énergies et les divers processus utilisés. Il est clair qu'il y a des problèmes de méthode qui amènent à renchérir les coûts pour le contribuable. C'est donc naturellement que la Cour recommande qu'il faille choisir entre appels d'offres et tarifs de rachat fixes (p84), que les avis de la CRE soient plus systématiquement suivis, de se limiter aux filières les moins chères, à savoir l'éolien pour l'électricité et la biomasse dans la production de chaleur. La Cour recommande aussi de procéder à plus de contrôles dans les filières comme le photovoltaïque et de mettre fin à la prime d'intégration au bâti. La Cour montre aussi un certain penchant pour un système de primes de marché (p111) et elle recommande aussi de faire porter la CSPE sur l'ensemble des énergies et pas la seule électricité.

Un trait marquant des technologies dont le système d'aide est donné pour défaillant par la Cour est que l'État a voulu faire de la politique industrielle. Si le projet d'E.On a été retenu, c'est sans doute parce que des considérations d'emplois étaient en jeu. E.On a pour projet de fermer la plupart des centrales au charbon construites en leur temps par Charbonnages de France, on se doute qu'un projet de transformation permet d'éviter d'éventuels problèmes sociaux. Le prix élevé de l'éolien en mer est expliqué par la volonté de se placer sur un éventuel marché européen et par la nécessité de construire des moyens de production surdimensionnés par rapport aux besoins français qui en découle. La prime d'intégration au bâti dans le solaire photovoltaïque a été édicté pour favoriser l'industrie locale, censée être positionnée sur des produits à plus forte valeur ajoutée, mais semble avoir été principalement exploitée pour des fraudes ou des hangars agricoles. La sensibilité de l'état à des considérations autres que le rapport coût/bénéfice semblent donc être à l'origine des dérapages les plus voyants; c'est d'ailleurs un problème fort classique des politiques publiques dans tous les domaines.

La Cour dénonce aussi cet état de fait en comparant les diverses technologies. Le système d'aide est d'abord basé sur les coûts de chaque technologie: un prix d'achat est déterminé pour chaque technologie, pas pour la contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou la production pure. Cette façon de faire pose problème lorsque des baisses de prix se produisent, ce qui est espéré, particulièrement pour les moyens de production les plus chers. Évidemment, le solaire photovoltaïque a vu ses coûts plonger depuis des niveaux stratosphériques et a surpris tous les gouvernements européens ou presque. Des bulles basées sur de hauts niveaux de subvention se sont formées entre 2008 et 2012, par exemple, en Espagne, en France, en Allemagne et en Italie. Le solaire photovoltaïque est responsable de l'explosion de la taxe «renouvelables» en Allemagne et pose de graves difficultés au gouvernement espagnol. La Cour remarque aussi que ce type de système est fondamentalement vicié, puisqu'il aboutit à soutenir une filière quelqu'en soit le coût (p115). Elle propose donc logiquement de soutenir d'abord les filières les moins chères, l'éolien pour l'électricité, le bois pour la chaleur. Dans le même cadre, elle propose aussi de passer sur un système de prime de marché (p111), de limiter sévèrement le recours aux appels d'offres qui n'ont pas franchement fait la preuve de leur efficacité dans ce domaine et de se baser sur une valeur dite tutélaire de la tonne de CO₂ évitée — c'est dire une valeur déterminée par décret — pour évaluer les bénéfices. C'est une position proche de celle que j'avais exprimée jadis. La Cour approuve aussi l'idée sous-jacente au système de soutien au solaire photovoltaïque rénové: il s'agit en gros de prévoir des baisses de prix à chaque fois que des seuils de capacité installée sont atteints, ce qui revient à prévoir à l'avance combien on veut dépenser sur une technologie.

Il n'aura pas échappé aux habitués de ce blog que j'approuve globalement les conclusions de la Cour en ce qui concerne les problèmes de la politique de soutien aux énergies renouvelables. Le problème majeur est que les prix payés sont déterminés par technologie et en fonction d'impératifs qui n'ont en fait rien à voir avec l'objectif officiellement proclamé, qu'il s'agisse de la proportion d'énergies renouvelables ou de la réduction des émissions de CO₂. Toutefois, il faut bien remarquer que ce type de politique qui ne tient pas compte des coûts est un classique dans le domaine des politiques publiques, mais que cet aspect est renforcé par l'ambition des objectifs à atteindre ainsi que par la difficulté de l'évaluation des bénéfices.

12 juin 2013

Les subventions à l'éolien et au solaire sont parties pour durer

C'est un leitmotiv de ce blog que de s'intéresser aux politiques menées en faveur de l'éolien et du solaire photovoltaïque. J'ai signalé à au moins deux reprises au fait que ces subventions faisaient baisser les prix sur les marchés. La cause immédiate est simplement que les obligations d'achat fournissent une partie de l'électricité, ce qui reste à produire par les autres moyens est plus faible, ce qui fait qu'on a moins besoin de faire appel aux moyens de production les plus chers.

Mais cette situation va en fait perdurer. L'éolien et le photovoltaïque ont pour caractéristique commune d'avoir un coût marginal nul: autrement dit, produire un kWh supplémentaire ne coûte rien de plus au propriétaire que les sommes qu'il a déjà engagées. Il a payé le constructeur de l'éolienne, il paye pour l'entretien de sa machine, qu'elle produise ou non. Sur le marché de l'électricité, le prix est déterminé par les lois de l'offre et la demande qui conduisent grossièrement à faire payer le coût marginal augmenté d'une prime qui dépend du pouvoir de marché des différents intervenants (plus d'explications ici). Cette prime due au pouvoir de marché n'est pas à disposition des producteurs d'énergie solaire ou éolienne, puisqu'ils sont très nombreux et que leur production est avant tout déterminée par les caprices de la météo. Cela les transforme en preneur de prix: ils acceptent tout prix positif, voire même un prix négatif s'ils ne peuvent se déconnecter du réseau.

En conséquence, on peut s'attendre à ce que l'éolien dont la production s'effectue grosso modo au hasard reçoive des revenus inférieurs au prix moyen du marché dit aussi prix de base — le prix obtenu en faisant la moyenne non pondérée de tous les prix horaires. Pour le solaire photovoltaïque, la situation est un peu différente: la consommation est supérieure le jour à ce qu'elle est à 4h du matin. Le prix est donc en général plus élevé le jour que la nuit. Mais si la capacité installée de solaire photovoltaïque est suffisamment grande — plus grande en tout cas que la différence de consommation entre le jour et la nuit —, on peut assister au même phénomène. Qualitativement, c'est lié au fait que le prix marginal est nul et aussi que la production est aléatoire … elle a donc une moindre valeur qu'une production prévisible à l'avance.

Reste toutefois à démontrer cela dans la réalité. C'est possible puisqu'on dispose pour la France et l'Allemagne d'un marché spot dont les prix peuvent être relevés par un script. En France, RTE permet de récupérer en milieu de mois, la production horaire du mois précédent via son programme éco₂mix, collaté tous les mois par Sauvons le Climat. En Allemagne, on ne dispose pas de données aussi détaillées qu'en France, mais on dispose des productions éoliennes et solaires, collatées sur le site de Paul-Frederik Bach. Les données pour 2012 ont été rassemblées dans ce tableur OpenOffice, celles pour le premier trimestre 2013 dans celui-ci.

Durant l'année 2012, en Allemagne, aux prix de marché, l'éolien aurait été rémunéré environ 37.5€/MWh en moyenne, le solaire photovoltaïque 44€/MWh contre un prix de base d'un peu moins de 43€/MWh. de_market_prices_2012.jpg

Pour le premier trimestre 2013, en Allemagne, le prix moyen du photovoltaïque tombe lui aussi en dessous du prix de base. Les prix du solaire est un peu inférieur à 40€/MWh contre un prix de base d'un peu plus de 42€/MWh. Pour la première fois, des prix négatifs ont été notés en journée, le dimanche 24 mars. L'éolien vaut 35€/MWh. de_market_prices_2013.jpg

En France, les données un plus complètes permettent de comparer nombre de sources de production d'électricité. En 2012, on ne dispose pas de données spécifiques pour le solaire qui est classé dans la catégorie «Autre» avec des installation de cogénération, des générateurs au gaz et au fioul situés dans les îles, etc. On constate quand même que l'éolien se verrait rémunéré aux prix de marché un peu moins de 45€/MWh contre un prix de base d'un peu plus de 47€/MWh. Le nucléaire emporte 48.5€/MWh. Le prix moyen pondéré par la consommation est de 50.5€/MWh. Le prix très élevé du fioul s'explique par la vague de froid de février 2012, où on a fait beaucoup appel à ce moyen de production. fr_market_prices_2012.jpg

Au premier trimestre 2013, on dispose de la production solaire. Les centrales à cogénération ont été intégrées pour la plupart dans la catégorie «Gaz», les générateurs au fioul installés sur les îles ont rejoint la catégorie idoine, la catégorie «Autre» ne contient plus que les centrales à biomasse, l'usine de la Rance, etc. Pour éliminer la production de fond crée par les générateurs des îles et les contrats de cogénération, j'ai créé une catégorie «gaz hors fond» et «fioul hors fond» pour tenter de rendre compte des centrales commerciales. L'éolien aurait été rémunéré 52.5€/MWh contre 54.5€/MWh pour la base. Le solaire emporte un peu plus de 57€/MWh. fr_market_prices_2013.jpg

À la fin de 2012, il y avait environ 31GW d'éolien en Allemagne et 7.5GW en France. Les différences d'impacts sont du même ordre de grandeur. Pour le solaire photovoltaïque, il y avait en fin d'année 2012 plus de 32GW installés en Allemagne contre 3.5GW en France. Les effets sont là sans commune mesure.

Cette pression à la baisse sur les prix pose problème pour le futur de ces moyens de production. En effet, les subventions ont été mises en place pour permettre aux renouvelables de devenir compétitives vis-à-vis des autres moyens de production et de pouvoir à terme se passer de ce soutien. Mais comme on le voit, arriver au niveau du prix moyen sur le marché ne suffira pas, il faut que l'éolien et le solaire photovoltaïque deviennent encore moins chères pour être véritablement rentables. Le différentiel de prix en défaveur de l'éolien et du solaire s'agrandit au fur et à mesure que les capacités installées augmentent, ce qui est très problématique si on veut que ces sources de production fournissent une partie importante de l'électricité produite. En 2012, l'éolien a fourni 7.4% de la production allemande et l'effet est déjà notable.

Il semble qu'on s'achemine vers un système où les productions d'électricité d'origine éolienne ou solaire reçoivent des rémunérations décidées à l'avance par les gouvernements et où les moyens de production adaptables à la demande reçoivent une rémunération pour leur véritable intérêt: celui de pouvoir être disponibles quand on a besoin d'eux, sans forcément avoir à produire. Cela revient quelque part à payer deux fois pour la même chose.

5 juin 2013

Delphine Batho raconte n'importe quoi

Alors que le débat organisé par le gouvernement sur l'énergie tire à sa fin et que la CRE publie un rapport qui suggère d'augmenter fortement les tarifs de l'électricité, Delphine Batho donne une interview au Figaro, intitulée Consommer moins d'énergie fabriquera de la croissance. On ne peut que regretter qu'elle y dise en grande partie n'importe quoi.

Elle nous déclare donc, dès la première question, que la nouveauté, c'est que l'investissement dans la réduction de la consommation d'énergie fabriquera de la croissance. Il y a deux façons de comprendre cette phrase, qui mène à deux impasses différentes. La première, c'est que les investissements dans les économies d'énergie permettent de diminuer la quantité d'énergie nécessaire pour créer un 1€ de PIB. En d'autres termes, il s'agit de gains de productivité, qui n'ont absolument rien de nouveau. En 1851, Jevons avait déjà constaté qu'en fait la consommation totale d'énergie augmentait de ce fait dans son livre The Coal Question. La deuxième, c'est que grâce à ces investissements, on aura à la fois croissance et baisse de la consommation d'énergie. Il y a de fortes raisons d'en douter: la croissance économique s'est historiquement toujours accompagnée d'une croissance de la consommation d'énergie (comme on peut le constater là). Il faudrait pour cela que les gains de productivité soient supérieurs à l'effet de rebond, ce qui suppose entre autres une nette accélération des gains de productivité ou que les nouvelles activités dépensent très peu d'énergie, ce qui est très peu probable, toute activité économique se basant sur une transformation de l'existant. Bref, soit D. Batho a découvert un des faits les plus anciennement connus en économie, soit elle tient des propos dont la réalisation est très peu probable.

La donnée du chiffre de 43% d'économie d'énergie dans l'appareil de production en France en est l'exemple parfait: une telle économie d'énergie est peut-être techniquement réalisable, mais elle peut être économiquement néfaste. Pour qu'elle soit bénéfique, il faut que l'investissement nécessaire coûte moins que les dépenses d'énergie évitées. Or c'est là toute la question des économies d'énergie: dans des secteurs concurrentiels, les entreprises ont intérêt à minimiser leurs coûts, ne serait-ce que pour survivre. C'est ainsi qu'on a vu les dépenses énergétiques pour produire une tonne d'aluminium ou d'acier se réduire. Mais si ces investissements ne se font pas, c'est bien souvent qu'ils ne sont pas rentables. Et ils le sont d'autant moins que l'énergie est bon marché, vanter ces possibilités d'économies est donc contradictoire avec le fait de se plaindre de la hausse structurelle du coût de l'énergie. Les mêmes remarques valent aussi pour les particuliers: les investissement pour réduire la consommation du chauffage ne sont rentable qu'à partir d'un certain niveau de prix, lorsque les remboursements d'emprunts sont moins lourds que les dépenses évitées. En fait cela signifie que le pouvoir d'achat est sans nul doute inférieur à celui qui prévalait avant la hausse des prix de l'énergie qui s'est produite depuis 2005.

La ministre nous gratifie ensuite d'un magnifique mensonge. Elle affirme qu'en Allemagne, le kilowattheure y est 87 % plus cher qu'en France, mais grâce aux économies d'énergie sous toutes leurs formes, la facture du consommateur est en moyenne moins élevée. On peut déjà tracer l'origine de ce mensonge: j'en ai déjà parlé au moment où un sénateur Vert a remis le rapport de sa commission d'enquête. Tout part d'une enquête statistique réalisée en 2005 — nous sommes en 2013 — dans tous les pays européens via un suivi de ménages. Cette enquête rapporte des résultats surprenants quant à l'énergie. Tellement que ces résultats ne collent absolument pas avec les résultats qu'on peut tirer des comptes nationaux, et que Global Chance, pas vraiment connue pour ses positions favorables à la politique énergétique française, reconnaît que la facture des Allemands est supérieure à celle des français. J'avais à l'époque tiré le graphe ci-dessous des données de comptes nationaux tels qu'on pouvait les extraire d'Eurostat: Dépenses énergies pour les logements en 2010 On y voit clairement que les dépenses par habitant sont plus faibles en France qu'en Allemagne, que ce soit globalement en incluant toutes les sources d'énergie, qu'en prenant en compte la seule électricité. Comme je ne peux imaginer que D. Batho n'ait pas été correctement briefée sur la question par son administration, il ne reste que l'hypothèse du mensonge.

L'interview se poursuit avec l'inévitable question de Fessenheim, où la ministre se propose de diminuer autoritairement le PIB de la France en fermant une usine rentable. Elle justifie la fermeture de Fessenheim par l'ouverture de la centrale de Flamanville. Mais la construction de l'EPR de Flamanville a été lancée pour faire face à l'augmentation de la demande en électricité. À cause de la crise, la croissance de la demande a été plus faible que prévu, car la chute de la consommation des industries a masqué la hausse continue de la consommation de la part des particuliers et des petites entreprises de services. Mais si la chute de l'industrie s'arrête, la hausse de la demande d'électricité reprendra. À tel point que RTE prévoit un manque de capacité pour les pointes extrêmes de consommation à partir de 2016. L'autre justification est la dépendance au nucléaire et au parc standardisé français. Le problème est alors qu'on ne voit pas bien la différence entre produire 50% et 75%: en cas de défaillance généralisée, la pénurie d'électricité serait extrêmement grave. La seule solution est alors descendre encore plus bas! Elle affirme enfin que nous n'avons pas vocation à faire moins de nucléaire pour faire plus de CO₂. Or il s'avère que les simulations sérieuses montrent qu'en fait une baisse du nucléaire se traduira forcément par une hausse des émissions de CO₂.

Sur la question du gaz de schiste, D. Batho traite le gaz d'énergie du XIXᵉ siècle, alors que l'expansion du gaz date de la deuxième moitié du 20ᵉ siècle, entre 1965 et 2011, la consommation a été multipliée par plus de 5; la consommation a augmenté de presque 50% ces 15 dernières années. gaz_conso_1965-2011.jpg À la question suivante, pourtant, cette énergie datée trouve grâce à ses yeux, puisqu'elle va empêcher les centrales au gaz de fermer! Elle annonce aussi un statut spécial pour les gros consommateurs industriels et des mesures de compétitivité pour eux. On pardonnera les faibles mortels qui ont du mal à comprendre comment les deux déclarations sont conciliables. L'interview se termine sur la reprise du leitmotiv comme quoi le diesel est un problème de santé publique: comme il fallait s'y attendre, la hausse des taxes à venir sera justifiée par des raisons de santé publique inexistantes et non par les véritables raisons, qu'il n'existe aucune raison à cet avantage et qu'une hausse des taxes est une excellente façon de faire baisser les consommations de carburants.

Pour conclure, ce n'est pas cette interview qui va me faire changer d'avis sur la politique du gouvernement en matière d'énergie ni sur Delphine Batho. Il faut dire que la ministre est confrontée à des demandes contradictoires, au milieu desquelles il est difficile de surnager. Vouloir limiter la hausse des prix de l'énergie, grandement déterminés sur des marchés mondiaux, est impossible, surtout quand en plus, on subventionne les énergies renouvelables comme le solaire et l'éolien, plus chère que le parc de production existant. De même, réduire la part du nucléaire s'accompagnera selon toute probabilité d'une hausse des émissions de CO₂ dans la production d'électricité. Elle se retrouve à condamner le gaz à une question avant de lui trouver de nombreuses vertus à la suivante. Tout ceci montre bien que le fameux débat n'a rien éclairci, comme prévu, et que la politique de ce gouvernement est minée par des cadeaux idiots aux Verts et des promesses intenables sur les prix de l'énergie. Les mensonges et les demi-vérités sont alors la seule issue de la communication politique.

16 avril 2013

L'électricité, l'avenir du chauffage (2e épisode)

Après avoir regardé la situation présente du chauffage électrique en France, qui n'a rien d'une horreur écologique, au contraire, je vais me tourner vers la question de l'avenir. En effet, si la situation présente est bonne, c'est largement dû aux politiques menées par le passé, parfois très lointain comme quand il s'est agi de construire des barrages. La question de savoir si ajouter encore du chauffage électrique est la chose à faire, notamment en ce qui concerne les émissions de CO₂.

Quid du futur?

Si pour l'eau chaude sanitaire, il reste sans doute de la place la nuit pour que le bilan carbone soit largement positif, pour le chauffage électrique la situation est différente puisque tout le potentiel nucléaire et hydraulique installés sont utilisés en hiver. On a pu aussi constater que la construction de centrales nucléaires n'est plus tout à fait une spécialité locale. Pour arriver à faire un bilan des émissions probables en cas de hausse de consommation via le chauffage électrique, il faut faire quelques hypothèses sur les moyens de production qui vont servir pour la couvrir.

Une autre étude de l'ADEME s'est essayée à cet exercice, pour conclure à un contenu marginal en CO₂ de 500 à 600g/kWh. Cependant, cette étude faisait l'hypothèse que l'électricité circule sans contrainte sur tout le réseau européen, hypothèse qui est grossièrement fausse. Si c'était vraiment le cas, EDF aurait tout intérêt à augmenter la disponibilité de son parc nucléaire de façon importante en été. EDF n'aurait aussi aucune raison d'arrêter ses centrales nucléaires pendant les vacances de Noël lorsque le vent souffle. C'est pourtant ce qu'on a constaté pas plus tard que pour les congés de fin 2012. Comme la construction de lignes THT prend énormément de temps et fait partie des projets d'infrastructures les plus impopulaires, il est en fait plus réaliste de faire l'hypothèse que toute consommation supplémentaire sera couverte par de nouveaux moyens construits en France.

Il semble que la situation sur d'éventuels moyens de production supplémentaires soit la suivante:

  • L'éolien et le photovoltaïque sont subventionnés et la puissance installée augmente de ce fait. Pour d'évidentes raisons, le photovoltaïque ne sert à rien pour le chauffage.
  • Pas de centrale nucléaire nouvelle à l'horizon. Le charbon et le fioul semblent, en France, se diriger vers la sortie suite à des directives européennes.
  • Le gaz est le moyen de production fossile de choix, appelé pour couvrir ce qu'on ne veut pas ou ne peut pas couvrir avec le reste.

Pour les besoins de cette estimation, je fais l'hypothèse que le surcroît de production serait couvert par entre un tiers et un quart d'éolien et le reste de gaz. L'éolien ne peut pas tout couvrir du fait de son intermittence. Cela conduit à des émissions pour tout kWh de chauffage supplémentaire comprises entre 240g et 270g: le gaz est compté comme émettant 360g/kWh. Pour être équivalent à un chauffage au gaz en termes d'émissions de CO₂, il faudrait alors que la consommation finale d'électricité pour le chauffage soit limitée entre 75 et 80% de celle d'un logement au gaz. Comme en France, il existe un rapport moyen de 2.58 entre l'énergie primaire et finale pour l'électricité, cela correspond à une limite en énergie primaire quasiment 2 fois plus élevée pour l'électricité.

C'était en gros la logique qui prévalait avant le changement de réglementation thermique de 2012. Par exemple, la réglementation de 2005 prévoyait les limites suivantes: rt2005.jpg Il s'avère que la RT2005 s'est révélée très favorable au chauffage électrique puisqu'entre 2006 et 2008 plus de 70% des logements construits étaient dotés d'un chauffage électrique (cf Bilan prévisionnel 2012 de RTE, p9). La situation s'est depuis inversée avec la RT2012 qui prévoit une limite uniforme en énergie primaire quelque soit le type d'énergie mais variable selon les zones géographiques. RT2012.jpg

L'expérience de la période 2006-2008 semble donc montrer qu'il est possible que l'électricité soit économiquement compétitive même si on veut qu'elle n'émette pas plus de CO₂ au m² que le gaz. Le coût modique des radiateurs permet de dépenser plus en isolation. Le problème principal est en fait d'éviter le charbon dans la production d'électricité, or il n'est plus question de construire de nouvelles centrales au charbon en France, mais bien de fermer les plus vieilles, construites dans les années 60 et 70.

Le miracle de la pompe à chaleur

Comme mentionné plus haut, la RT2012 a mis fin à la domination du chauffage électrique dans le neuf, pour le moment du moins. Avec le ratio primaire/final de 2.58 pour l'électricité, il suffirait à une centrale au gaz d'avoir un rendement d'environ 45% pour que le chauffage électrique par effet joule soit plus efficace en termes d'émissions de CO₂ qu'un chauffage utilisant une chaudière murale. Or, il s'avère que les centrales au gaz peuvent atteindre des rendements de 60%, le coefficient d'émissions de RTE suppose d'ailleurs un rendement de l'ordre de 55%. Le problème c'est qu'au bout d'un moment, il devient plus rentable d'installer une chaudière murale et le circuit d'eau chaude qui va avec que d'isoler encore plus, à supposer que ce soit encore possible.

Une autre question qui peut se poser est peut-on émettre moins de CO₂ en se chauffant uniquement à l'électricité, à isolation comparable à un chauffage au gaz, mais en brûlant uniquement du gaz pour produire d'électricité? Encore une fois, la réponse est oui, en utilisant une pompe à chaleur. On s'aperçoit bien qu'avec les conditions données dans la question, il est impossible d'y arriver en dissipant l'énergie électrique dans un radiateur par effet joule: le second principe de la thermodynamique et les réalités de construction imposent au rendement d'une centrale au gaz d'être bien inférieur à 100%. Mais ce même principe n'empêche pas la réalisation d'une machine thermique qui permettrait de prendre de la chaleur dans un milieu «froid» pour la mettre dans un milieu «chaud».

C'est l'idée de base de la pompe à chaleur, dont tout le monde ou presque possède un exemplaire sous la forme d'un réfrigérateur. Le principe est en général le suivant:

  1. on fait s'évaporer un liquide, le fluide calorifique, dans un milieu «froid», ce qui a pour effet de transférer de la chaleur de ce milieu froid vers le liquide puisqu'il faut fournir de l'énergie pour vaporiser un liquide.
  2. on compresse le gaz obtenu, ce qui le chauffe aussi. C'est le moment où on a besoin d'énergie mécanique, apportée en général par l'électricité. Ce compresseur permet aussi de faire circuler le fluide calorifique dans le système, sans quoi il ne se passerait rapidement plus rien.
  3. au contact du milieu «chaud», le gaz se condense. C'est possible car même si la température du milieu chaud qui entoure le gaz (le tuyau qui le contient en fait) est plus élevée que celle du milieu froid, la pression est maintenant plus élevée. Cette fois-ci, le gaz transfère de l'énergie au milieu environnant.
  4. le liquide va ensuite dans un détendeur, ce qui a pour effet de refroidir le liquide en même temps que sa pression chute. Le cycle peut recommencer.

La pompe à chaleur doit disposer de fluides calorifiques pour fonctionner de façon pratique, avec des changements d'états judicieusement placés en température et en pression. L'avantage principal de la pompe est qu'on peut extraire de l'énergie d'un milieu déjà froid — ce qui permet la réfrigération — pour la mettre dans un milieu déjà chaud — ce qui permet un effet de levier pour le chauffage. Cet effet de levier est appelé le coefficient de performance ou COP pour reprendre l'acronyme anglais.

Une chaudière murale à condensation a un rendement d'environ 110% PCI — GDF n'oublie pas ce fait et facture en conséquence des kWh PCS qui incluent en sus la chaleur de condensation de l'eau créée par la combustion du gaz! —, ce qui veut dire qu'un système centrale gaz plus pompe à chaleur devient plus performant en termes d'émissions de CO₂ qu'une chaudière si le COP est supérieur à 2 en moyenne sur l'année.

L'office fédéral de l'énergie suisse a publié une note de questions-réponses en collaboration avec le lobby des pompes à chaleur local. En Suisse, les pompes à chaleur sont devenues populaires ces dernières années, si on en croit les statistiques sur le sujet: la part de marché atteint presque 10%. Il ressort notamment du document de l'OFEN le tableau suivant (p7): copa_suisse.jpg On voit que le COP de 2 est dépassé de façon large pour les nouvelles constructions dans tous les cas et de façon un peu moins nette pour les rénovations. On note aussi que des COP de 4 sont dans l'ordre des choses avec des pompes à chaleur basés sur un système géothermique, où on récupère la chaleur du sol via une circulation d'eau. Le système centrale à gaz et pompe à chaleur est alors 2 fois meilleur en termes d'émissions de CO₂ — et donc de consommation de gaz — que la chaudière murale.

Des esprits chagrins me rappelleraient sans nul doute qu'on peut aussi faire tourner une pompe à chaleur avec du gaz. Mais on s'aperçoit vite que plus on produit d'énergie dite mécanique, plus le système est efficace car c'est là que la pompe à chaleur fournit le plus d'énergie. Or, les moteurs classiques on un rendement de l'ordre de 30%, la moitié du rendement d'une bonne centrale au gaz. Lorsque le COP atteint 4, une production d'électricité seule suffit alors à garder l'avantage — sachant qu'on peut aussi faire de la cogénération.

Évidemment, le gaz n'est pas le seul moyen de produire de l'électricité. Si on y ajoute de l'éolien — à la mode en ce moment —, du nucléaire — nettement moins à la mode — et de l'hydraulique, mais qu'on exclut le charbon, le tableau devient totalement en faveur de l'électricité. Les petits calculs ci-dessus s'appliquent d'ailleurs très bien au biogaz qui est avant tout … du méthane, comme le gaz naturel. Bref, les pompes à chaleur sont sans conteste le meilleur moyen de limiter les émissions de CO₂. Ce n'est pas pour rien que dans un scénario allemand 100% renouvelable, pour compléter des éoliennes au facteur de charge surgonflé, le chauffage des habitations ne s'effectue uniquement à l'aide de pompes à chaleur et que rien ne provient de chaudières murales (p23).

Le problème de genre de système réside dans les coûts d'investissement et de fonctionnement. Contrairement à une chaudière murale reliée au réseau de gaz, les coûts d'investissements dans une pompe à chaleur et le réseau électrique sont nettement plus élevés. Et il faut en plus payer les salariés qui s'occupent de faire fonctionner la centrale. Pour répondre à une demande très saisonnière, une installation qui ne demande que peu d'entretien et fonctionne «toute seule» présente des avantages économiques certains.

Conclusion

Il semble donc bien que, contrairement à ce qu'assènent souvent les écologistes, le chauffage à l'électricité soit celui qui préserve le plus notre environnement. En France, la politique passée a fait qu'il existe un parc nucléaire important, doublé d'un parc hydro-électrique. Cela a rendu le chauffage électrique à simples radiateurs efficace sur le plan des émissions de CO₂ grâce à une combinaison avec une isolation renforcée. Les dernières réglementations thermiques interdisent de fait cet arbitrage en plaçant la barre trop haut: il devient financièrement plus intéressant d'utiliser une chaudière à gaz. Cela montre l'inanité d'une réglementation qui se base uniquement sur l'énergie primaire: en voulant minimiser les consommation d'énergie primaire, on n'atteint pas forcément le minimum d'émissions de CO₂. C'est logique: si on veut minimiser les émissions de CO₂, il faut libeller les normes en termes d'émissions de gaz à effet de serre.

C'est d'autant plus dommage que les pompes à chaleur — qui fonctionnent principalement à l'électricité — sont de fait le mode de chauffage qui est le plus prometteur. Cependant, il est à craindre que des réglementations se basant uniquement sur les consommations d'énergie primaire ne permettent pas leur développement. Des calculs d'ordre de grandeur se basant sur les technologies actuelles montrent pourtant qu'en combinant les pompes à chaleur avec les modes de génération de l'électricité qu'on peut raisonnablement envisager de construire en France, le nucléaire, le gaz et l'éolien, on obtient ce qui est sans doute une façon de se chauffer qu'on peut à la fois déployer à grande échelle et compter parmi les plus bénignes pour le climat. On ne peut que se demander pourquoi la réglementation n'encourage pas plus ce qui est d'ores et déjà la 4e source d'énergie renouvelable en France.

15 avril 2013

L'électricité, l'avenir du chauffage (1er épisode)

Chacun a sans doute déjà entendu dire que le chauffage électrique était un scandale et qu'il a été un succès en France grâce à une alliance inattendue entre technocrates partisans du nucléaire et pubards de génie. Une réponse à leurs arguments a déjà été formulée, mais elle est basée sur de vieilles données.

Les opposants au chauffage électrique avancent principalement 3 arguments contre le chauffage électrique: qu'il est inefficace sur le plan énergétique, qu'il émet plus de CO₂ que les autres formes de chauffage et enfin qu'il met en danger la sécurité d'approvisionnement en électricité en créant des pics de consommation très importants. Si ce dernier argument est vrai, le deuxième est faux et le premier n'a en fait pas vraiment d'importance.

Le faux-semblant du gaspillage dû à l'électricité

Pour arriver à dire que le chauffage électrique gaspille de l'énergie, les opposants prennent en compte le processus de fabrication de l'électricité. En effet, avant de nous vendre des produits énergétiques finis qui servent aux particuliers, les industriels partent de matières brutes et perdent une partie du contenu énergétique utilisable dans cette transformation. La plupart des centrales électriques sont des machines thermiques, ce qui fait que leur rendement est sévèrement limité par le second principe de la thermodynamique. Ce rendement change aussi suivant les technologies utilisées et l'âge de la centrale. C'est ainsi que les centrales nucléaires françaises ont un rendement d'un tiers, alors que les centrales à gaz dernier cri peuvent atteindre les 60%.

Pour compter l'énergie techniquement récupérable au départ dans la matière première, on parle d'énergie primaire; pour compter l'énergie effectivement livrée aux clients finals, on parle d'énergie finale. L'énergie finale ne dit pas forcément quelle est la forme la plus utile d'énergie, elle signale juste qu'on est arrivé en bout de chaîne commerciale et que quelqu'un a donc payé pour cette énergie. L'énergie primaire, elle, ne convoie pas du tout le même concept, elle sert surtout à savoir qu'elles sont les matières premières utilisées. Les contempteurs du chauffage électrique comptent bien sûr en énergie primaire quand ils affirment qu'il est inefficace.

Or, la comptabilité en énergie primaire ne dit rien de la difficulté à mettre cette énergie à notre service, ni des autres inconvénients qui s'y rattachent, qui sont les vraies questions qui se posent à une société humaine. En effet, l'énergie est abondante dans l'univers et sur terre — on entend d'ailleurs souvent les contempteurs du chauffage électrique déclarer qu'il faudrait couvrir de panneaux solaires une petite partie de la surface terrestre pour assouvir l'ensemble des besoins de l'humanité —, le problème est de pouvoir en disposer quand et où nous en avons besoin. Cette difficulté à en disposer est généralement traduite dans le prix de vente de l'énergie finale, qui regroupe les salaires et les rentes qu'il a fallu verser pour se la procurer. Parfois, quand il existe une taxe sur la pollution, le prix rend compte de certains inconvénients. Dans le cas de l'électricité, on peut constater que son prix est environ 2 fois plus élevé que celui du gaz, par exemple. Et que c'était pire dans le passé. prix_energies.jpg

Si le chauffage électrique a rencontré un certain succès ces 30 dernières années, c'est donc qu'il permettait de consommer … moins. Le prix supérieur de l'électricité est partiellement compensé par une consommation facturée moindre, état de fait acté par les différentes normes de constructions de bâtiments qui se sont succédées depuis le choc pétrolier et qui obligent les logements chauffés à l'électricité nouvellement construits à consommer moins d'énergie finale que leurs homologues utilisant des combustibles fossiles. De plus, le chauffage par simples radiateurs coûtait peu en investissements de départ, compensé par une isolation renforcée.

Et le CO₂?

Un autre reproche des contempteurs du chauffage électrique est qu'il rejette plus de CO₂ que les autres formes de chauffage. La logique est la suivante: certes, le nucléaire est une production décarbonée, mais il produit tout le temps, ce n'est donc pas lui qui fournit l'électricité du chauffage, nécessaire uniquement en hiver, mais les centrales à combustible fossile. Comme le rendement n'est pas de 100%, le chauffage électrique ne peut qu'émettre plus de CO₂ qu'un chauffage au gaz, par exemple. En prime, alors que le charbon n'est plus utilisé pour chauffer des habitations, des centrales au charbon sont toujours en service en France. Or, les centrales au charbon émettent quasiment 1kg par kWh d'électricité produite contre environ 200g par kWh de gaz facturé.

Cependant, comme le montrent les graphes suivants extraits du bilan de RTE de décembre 2012, les centrales à combustibles fossiles ne sont pas les seules à voir leur production augmenter en hiver. prod_mensuelles_par_secteur.jpg Comme on peut le constater les centrales à combustible fossile produisent très peu lors de la belle saison, leur production augmente d'environ 4 à 5TWh lors des mois d'hiver normaux par rapport à cet étiage bas et les mois d'une rigueur exceptionnelle, comme le mois de février 2012, voient une production augmentée de 7TWh. Mais dans le même temps, la production nucléaire augmente de 10TWh entre l'hiver et l'été et la production hydraulique voit aussi sa production augmenter d'environ 1 à 2 TWh. On constate donc que l'augmentation de la production des moyens décarbonés est donc 2 fois supérieure à celles des centrales à combustible fossile. Comme il peut rester un doute à cause de la forte variabilité des émissions de CO₂ suivant les moyens appelés, il est intéressant de faire un calcul plus détaillé.

Il se trouve qu'en 2005, une étude de l'ADEME a estimé le contenu carbone de chaque kWh électrique suivant l'usage qui en était fait. Elle donne la valeur moyenne de 180g/kWh pour le chauffage électrique. Les émissions de CO₂ associées au kWh moyen étant stables depuis une dizaine d'année autour de 60g/kWh, l'expansion du chauffage électrique ne paraît pas non plus avoir d'effet néfaste et son contenu carbone est sans doute lui aussi resté stable depuis 2005. Les documents qui servent à calculer le bilan carbone estiment les émissions du gaz à environ 200g/kWh et celles du fioul à 300g/kWh. On voit donc qu'en France, utiliser un kWh d'électricité ou de gaz provoquent l'émission d'à peu près la même quantité de CO₂. Mais comme on l'a rappelé plus tôt, les logements chauffés à l'électricité sont plus économes.

On peut même quantifier cela. Pour commencer, l'électricité chauffe un gros tiers des logements actuellement contre un peu moins de la moitié pour le gaz et 15% pour le fioul, ses principaux concurrents. En passant, le graphique suivant (tiré de ce document, p28) montre, en sus de l'essor du chauffage central, que les 40 dernières années n'ont pas seulement été un âge d'or pour le chauffage électrique mais aussi pour le chauffage au gaz. Ce dernier partage certaines caractéristiques communes avec le chauffage électrique: pas de mauvaises odeurs et pollution fortement diminuée, distribution sans effort par un réseau d'adduction. repartition_mode_chauffage.jpg Par ailleurs, un tableau pioché dans cet autre document de l'ADEME (p45) permet de connaître la répartition de l'énergie consommée pour se chauffer, en dehors du bois. On voit que le chauffage électrique consomme seulement 18% de l'énergie consacrée au chauffage alors qu'il représente 35% des logements. chauffage_energie.jpg Du côté des émissions de CO₂, la performance du fioul est très médiocre, alors que la performance des réseaux de chauffage urbain est à remarquer. Il faut dire qu'ils sont souvent alimentés par l'incinération des ordures, du bois ou encore la géothermie. On voit aussi que le chauffage électrique n'est certainement pas une horreur de ce point de vue. emission_CO2_chauffage.jpg

Mais ce n'est pas tout. Le chauffage des locaux n'est pas le seul usage où on a besoin de produire de la chaleur. À part la cuisine qui représente une faible partie de la consommation énergétique des ménages, il y a la production d'eau chaude. Elle aussi a beaucoup augmenté depuis les années 70s; il paraît aujourd'hui incongru de ne pas pouvoir prendre une douche tous les jours chez soi. Dans ce domaine, l'électricité a acquis une position encore plus forte que pour le chauffage, comme on peut le voir ci-dessous (source Bilan Carbone, Tome Énergie §2.6.2.4, p53): ECS_PdM.jpg Une nouvelle fois, en termes de consommation d'énergie finale, il semble que le chauffage à l’électricité soit plus économe. ECS_EFinale.jpg Et la note de l'ADEME attribue une émission de CO₂ de 40g/kWh à la production d'eau chaude sanitaire par l'électricité: il faut dire que cette consommation a lieu le plus souvent en heures creuses tout au long de l'année, là où le nucléaire est archi-dominant dans la production d'électricité française. En conséquence, les émissions de CO₂ sont très basses. On peut aussi noter l'excellente performance des réseaux de chaleur. ECS_CO2.jpg

Enfin, on peut voir la répartition des émissions de CO₂ pour ces usages thermiques. On constate que l'électricité et les réseaux de chaleur ne compte que pour 15%, les combustibles fossiles utilisés directement pour 85%. C'est dû à la fois au prix de l'électricité qui force à l'économiser plus que le gaz, au rendement de 100% du chauffage électrique — une fois passé le compteur, il n'y a pas de pertes pour un usage en chaleur — alors que le chauffage au gaz est toujours handicapé par la présence de chaudières peu efficaces (veilleuses…) dans une bonne partie du parc de logements. Emissions_thermiques_logements.jpg

Conclusion

On peut constater que le chauffage électrique n'a rien eu d'hérétique jusqu'ici en France. L'argumentation se basant sur un prétendu gaspillage dû au passage par l'électricité passent allègrement sur le fait qu'une chute d'eau ou une bise bien fraîche n'ont jamais réchauffé personne et que tout le monde n'a pas la chance d'avoir un réacteur nucléaire à la maison.

Les performances en termes d'émissions de gaz à effet de serre sont tout à fait honorables par rapport à ce qui se faisait à la même époque dans les logements chauffés autrement. Bien sûr, à la suite du durcissement des normes de construction, les logements chauffés au gaz nouvellement construits sont meilleurs de ce point de vue que les logements chauffés à l'électricité construits dans les années 70. Dans le deuxième épisode, je regarderai quelles sont les perspectives.

28 janvier 2013

Un peu de comptabilité: les tarifs de rachat des énergies renouvelables

Après avoir regardé les coûts de l'EPR de Flamanville, il est intéressant de regarder des tarifs de rachat consentis aux énergies renouvelables, au premier rang desquelles l'éolien et le solaire photovoltaïque. Même si j'ai déjà émis l'opinion que fixer les tarifs en fonction des coûts des différentes technologies plutôt qu'en fonction du bénéfice pour la société était une mauvaise politique, il est intéressant de voir quelle rentabilité du capital est accordée aux exploitants. Elle n'a pas forcément à atteindre de hauts niveaux pour que ces subventions aient un effet: l'état garantit par ces tarifs garantis des rentrées d'argent. Les exploitants n'ont plus qu'à porter le risque météorologique et les risques d'exploitation et de construction, mais se voient exonérés du risque commercial.

L'éolien terrestre

L'éolien terrestre bénéficie de tarifs de rachat pendant 15 ans, grosso modo réévalués chaque année selon l'inflation. Le tarif est de 82€/MWh les 10 premières années, puis il y a nominalement un tarif dégressif en fonction de la quantité produite pour les 5 années suivantes. Mais comme il faut atteindre un facteur de charge de 27% pour que la dégressivité démarre, la plupart des éoliennes se voient donc rémunérées 82€/MWh pendant 15 ans, puis doivent vendre leur production sur le marché, où le prix est actuellement d'environ 50€/MWh.

On peut calculer la valeur actuelle d'un kW d'éolien moyennant quelques hypothèses: durée de vie de l'éolienne de 20 ans, facteur de charge de 23%, coût d'exploitation de 20€/MWh. On obtient le graphe suivant: VA_eolien.jpg Dans un rapport sur l'éolien et le solaire, il est dit (p49) que le coût moyen d'une éolienne est de 1600€/kW. Sur le graphe, on peut donc lire la rentabilité attendue pour un tel prix: c'est l'abscisse où la courbe croise l'ordonnée 1600. On constate donc que la rentabilité est limitée dans ces conditions. Même si on peut estimer qu'une éolienne va durer en fait 25 ou 30 ans, cela ne représente pas un surcroît de rentabilité spectaculaire. Ce n'est donc pas une surprise si les capacités installées diminuent d'année en année, comme on peut le voir ci-dessous (extrait du bilan 2012 de RTE). Si les tarifs ont été fixés à une hauteur permettant, au départ, d'obtenir sans doute une bonne rentabilité, on peut subodorer qu'il y a eu une certaine inflation des coûts de l'éolien ces dernières années. install_eolien.jpg

Le solaire photovoltaïque

La situation sur le solaire photovoltaïque est plus complexe car il est possible d'avoir des installations de petites tailles. Là où une éolienne a puissance nominale de 2MW et plus, les particuliers peuvent installer des panneaux délivrant quelques kW voire quelques dizaines de kW, un module photovoltaïque délivrant environ 100W/m² avec des tarifs différents suivant que le panneau est installé au-dessus du toit ou sert de toit. Comme on peut le constater, l'intégration au bâti — où le module sert de toit — permet d'obtenir au moins 120€/MWh de plus, ce qui est intéressant car le contrôle est difficile. La CRE a noté dans sa dernière délibération sur la CSPE (annexe 2, p9-10) que 98,5% des contrats présentés bénéficient d’une prime d’intégration au bâti et en déduit que compte-tenu des exigences de l’intégration au bâti, il ne peut être exclu qu’une partie de ces contrats présente un caractère frauduleux. En français commun, elle a constaté que le régime de soutien au photovoltaïque a donné lieu à une fraude massive.

À partir de 100kW, pour éviter le rush qui s'est produit quand il est devenu financièrement intéressant d'installer ces panneaux grâce à une chute des prix plus rapide que la baisse du tarif de rachat, le gouvernement procède par appel d'offres. Le dernier appel d'offres accepté a mené à un prix moyen de 208€/MWh, pour des dossiers déposés fin janvier 2012.

Le rapport sur l'éolien et le solaire dit (p59) que le coût d'un système photovoltaïque est de 1300€/kW. En comptant 5€/MWh de coût d'exploitation, 11% de facteur de charge, une durée de vie de 30 ans avec un tarif sur 20 ans, on obtient le graphe suivant: VA_solaire.jpg On voit que 200€/MWh permet une rentabilité tout à fait conséquente: c'est la conséquence de la procédure d'appels d'offres où les dossiers ont été déposés au début 2012 et un lancement de l'appel à l'été 2011. Les prix des modules baisse rapidement, il y a donc un hiatus entre le prix accordé et le prix qu'on pourrait obtenir avec les prix du jour. Mais cela ne suffit pas à expliquer toute la différence. L'état accepte quasiment tous les dossiers complets dans les appels d'offres sur le solaire photovoltaïque, il n'y a donc en fait aucune concurrence et cela n'incite pas à baisser les prix. L'impression qui se dégage est que la rentabilité est très élevée!

Pourtant, on constate que les installations de panneaux ont baissé (cf graphe du bilan 2012 de RTE ci-dessous). Cela peut s'expliquer par la baisse de la rentabilité qui était outrancière avant le moratoire de 2010 et par le fait que le coût des petites installations chez les particuliers est plus élevé que pour celles qui font l'objet d'appels d'offres. install_pv.jpg Cependant malgré cette baisse des prix, il n'est pas sûr que le solaire photovoltaïque devienne vraiment compétitif et permette de produire une partie importante de l'électricité à un coût acceptable — mettons autour de 40€/MWh — car le coût du panneau est déjà minoritaire dans le coût d'une installation. Le coût du travail et de composants plus classiques (acier...) tend à devenir majoritaire, ce qui va rendre de plus en plus compliqué d'obtenir des baisses de prix. Mais on atteindra sans doute les 70€/MWh, où le surcoût dû aux subvention deviendrait relativement faible; le problème viendrait plutôt qu'on ait installé la quantité immédiatement utile avec des tarifs nettement plus élevés.

L'éolien en mer

On se rappelle qu'en avril dernier, l'état avait annoncé les résultats de l'appel d'offres concernant l'éolien en mer. 4 des 5 lots avaient été attribués, pour 1928MW au total et un investissement annoncé de 7G€. Le lot restant n'a pas été attribué pour cause de coûts trop élevés, ce qui n'était pas très bon signe quant aux coûts des autres. On l'a déjà abordé ici, mais les coûts se sont bien avérés extraordinairement élevés à 228€/MWh en moyenne. L'avis de la CRE donnait aussi la production attendue: 6.8TWh/an.

Avant même d'aborder la question de la rentabilité du projet pour les industriels, on peut déjà remarquer qu'on va investir une somme inférieure de 20% à l'EPR de Flamanville, unanimement reconnu comme un échec d'ampleur galactique, pour une production annuelle presque 2 fois inférieure! Certains journaux se sont scandalisés à juste titre des surcoûts de l'EPR de Flamanville, je n'ai, par contre, pas vu un seul titre s'interroger sur le bienfondé de cet investissement dans l'éolien en mer. Si on fait l'hypothèse que le coût d'exploitation est de 25€/MWh — la même hypothèse que j'ai prise pour l'EPR de Flamanville —, que les débours dûs à la construction s'étalent sur 4 ans, que la durée de vie des éoliennes est de 20 ans et en prenant les taux d'actualisation de la Cour des Comptes, je trouve que le coût du courant issu de ces champs est de ... 138€/MWh. On peut essayer de voir quel taux d'actualisation ferait sens avec ces hypothèses et le prix annoncé (cf graphe ci dessous), on s'approche dangereusement de 20%! VA_eolien_mer.jpg On peut avancer les explications suivantes:

  • j'ai fait une erreur dans mes calculs
  • le coût réel de l'investissement est bien supérieur à 7G€, auquel cas on est de nouveau confronté au cas de l'EPR de Flamanville, en bien pire cette fois!
  • le coût réel d'exploitation est bien supérieur à 25€/MWh, ce serait quand même un comble pour une source d'énergie qui est annoncée comme devant remplacer les grandes centrales classiques, d'avoir un coût d'exploitation supérieur à une centrale nucléaire.
  • la production sera bien inférieure à 6.8TWh — qui suppose un facteur de charge de 40% pratiquement 2 fois plus élevé que l'éolien terrestre.
  • les industriels vont effectivement s'en mettre plein les poches, ce qui est étonnant quand on regarde les exigences du cahier des charges en matière de détail des coûts.

Conclusion

Ces petits calculs montrent quelques problèmes de la politique d'aide en faveur des renouvelables électriques. Le système d'appels d'offres semble défavorable au consommateur, car très peu d'offres se présentent et que les prix semblent toujours élevés par rapport aux coûts d'investissement annoncés. Que ce soit dans le domaine du solaire photovoltaïque ou de l'éolien en mer, on peut soupçonner des rentabilités extraordinaires.

Le solaire photovoltaïque voit ses coûts baisser très rapidement et le gouvernement peine à adapter suffisamment vite les tarifs de rachat; il représente déjà la moitié des sommes dépensées au titre des subventions aux renouvelables électriques alors qu'il ne représente que moins de 20% de la production éligible aux subventions à ce titre. On soupçonne une fraude massive dans les installations chez les particuliers. La rentabilité des appels d'offres semble excellente du fait des baisses de prix des panneaux.

L'éolien en mer a vu les appels d'offres se conclure sur des prix délirants. J'ai du mal à comprendre comment les montants d'investissements et la production annoncée peuvent correspondre aux prix annoncés. Quant à l'éolien terrestre, l'inflation des coûts tend à diminuer le rythme de construction.

25 novembre 2012

Les visions du futur de l'ADEME

L'ADEME a effectué un travail de prospective visant à montrer une façon d'atteindre les objectifs de réduction d'émissions de gaz à effet de serre que la France s'est fixée. Le Monde s'en est fait l'écho ainsi qu'une presse plus spécialisée. Les simples mortels semblent toutefois devoir se contenter de la synthèse (lien google), un document plus complet est sans doute adressé au gouvernement.

Ces scénarios ne se veulent pas forcément très réalistes, puisque dès l'introduction, on nous dit qu'ils sont volontaristes. Le président de l'ADEME, François Loos, déclare même dans une réponse à actu-environnement.com qu'à notre avis, la question du prix n'est pas le moteur de l'action. Étant donné la raison d'être de l'ADEME, les scénarios favorisent ouvertement les économies d'énergie et les énergies renouvelables.

Étant donné la longueur de mes élucubrations, une découpe suivant plus ou moins les secteurs abordés par l'agence semble s'imposer, avec les renvois associés:

Les bâtiments

La synthèse commence par aborder le cas des secteurs résidentiel et tertiaire, qui constituent 40% de l'énergie (finale) consommée. La synthèse de l'ADEME est utilement complétée par leur document sur les consommations des bâtiments. L'ADEME considère que la consommation d'électricité dite spécifique, c'est-à-dire en dehors de son usage pour le chauffage, est stable d'ici à 2030, tant dans les services que dans le secteur résidentiel. Cette tendance est prolongée jusqu'en 2050. Elle affirme que cela prend en compte l'apparition de nouveaux usages. C'est déjà en soi un objectif très difficile à atteindre: par exemple, le document sur les consommation des bâtiments montre que, dans le secteur résidentiel, la consommation d'électricité spécifique par m² a augmenté de 90% entre 1976 et 2010 et de 35% entre 1990 et 2010. Le nombre de logements a augmenté de 6M, soit d'environ un tiers entre 1990 et 2010. Au total, la consommation d'électricité spécifique a augmenté d'environ 80% en 20 ans. Si cette consommation n'augmentera pas ainsi ad infinitum, l'hypothèse d'une stabilité sur les 20 ans qui viennent est loin d'être assurée; en tout cas, cela paraît incompatible avec une croissance de 1.8%/an en moyenne.

L'ADEME prévoit la fin du chauffage à l'aide de dérivés du pétrole (fioul et GPL). Ce développement est logique: l'hypothèse que le maximum de production de pétrole soit dépassé d'ici 10 ou 15 ans est la plus probable. De plus, le chauffage au fioul — qui représentait 60% du parc de logements au début des années 70 (source, p28) — est en déclin constant depuis de nombreuses années. Le prix du kWh de fioul a dépassé celui du gaz, ce combustible a une image nettement moins propre que les alternatives. L'agence prévoit aussi un développement des réseaux de chaleur, seul vecteur dont la consommation augmente de façon nominale. On peut inférer du graphe de la page 5 que les logements chauffés au fioul le seront soit par des réseaux de chaleur, soit à l'électricité. Le chauffage électrique est profondément modifié puisqu'une bonne part des logements utiliseraient des pompes à chaleurs: 20% du parc de logements en 2030, l'électricité représentant un gros tiers du parc actuel. Les chaudières au gaz atteindraient un rendement proche du maximum physique (aux alentours de 110% du PCI) avec la généralisation des chaudières à condensation. À l'horizon 2050, un deuxième round de rénovation a lieu, avec des effets grosso modo similaires, sauf que tout ne repose plus que sur une meilleure isolation, vu que les systèmes de chauffage seraient déjà plus ou moins au maximum de rendement physique.

Les chauffe-eau solaires auraient toujours une contribution mineure. Ils ne servent qu'à produire une partie de l'eau chaude sanitaire, pour laquelle la consommation d'énergie est environ 6 fois plus faible que pour le chauffage. Comme il y a toujours besoin d'un système de complément, le système n'est pratiquement jamais rentable en France métropolitaine sans subvention. Autant utiliser ce système de complément en permanence, surtout que l'électricité a déjà une part de marché de presque 50% sur ce segment, avec un contenu carbone très faible (40g/kWh) du fait de l'asservissement au tarif heures pleines/heures creuses.

L'essentiel des économies d'énergie provient en fait du succès des pompes à chaleur ainsi que d'un programme très important de rénovation. Non seulement le nombre de logements rénovés est très important — par exemple 70% des maisons — mais, en plus, ces rénovations sont très importantes comme le montre la chute de la consommation par m². Le gros problème de ce type de programme est la faisabilité économique. Contrairement à ce qu'affirme le président de l'ADEME, les coûts ont un impact déterminant sur les décisions en matière d'installations de chauffage, du fait de l'importance de ce poste budgétaire pour les ménages, mais aussi du fait du coût des rénovations. À cause des problèmes d'agence, comme entre propriétaires et locataires, et des contraintes en termes de capacité d'endettement, il n'est même pas sûr que toutes les rénovations rentables se fassent. Les hypothèses macro-économiques sont alors primordiales. L'ADEME prévoit un prix du pétrole en 2030 pas très différent de celui de 2008 et 20% au-dessus du niveau de 2012 qui semble cohérent avec une disparition du fioul, déjà bien engagée aux prix actuels. Pour le gaz, aujourd'hui le prix livré aux clients résidentiels est d'environ 60€/MWh pour un prix de gros de 20€/MWh dans les hypothèses. Les hypothèses macro-économiques prévoient donc en gros un prix entre 80 et 90€/MWh en 2030 en supposant les coûts de réseau constants. Est-ce suffisant pour motiver les rénovations d'ampleur qu'appelle l'ADEME?

Je remarque aussi que l'ADEME se laisse aller à ce qui me semble être des lubies comme les bâtiments à énergie positive ou la micro-cogénération. Pour les bâtiments à énergie positive, cette énergie serait produite grâce à des panneaux solaires. Le maximum de production aurait donc lieu lors des minima de consommation de juillet & août, et la production serait nettement inférieure pendant des mois travaillés comme novembre et janvier. Pour ce qui est de la micro-cogénération, qui consiste à produire de l'électricité à l'aide de sa chaudière à gaz, quel peut en être l'intérêt lorsque le rendement de production de chaleur de la chaudière est proche du maximum physique? Le rendement de conversion en électricité ne sera pas fameux à cause des limites posées par le second principe.

Les transports

Dans ce domaine, l'ADEME prévoit que les efforts de règlementation vont porter leurs fruits et les consommations de carburants chuter. Les véhicules vendus en 2030 verraient en moyenne leur consommation divisée par presque 3. La consommation moyenne du parc serait réduite de 40%. Comme l'agence prévoit une hausse du transport de marchandises par la route, elle prévoit un changement d'usage des moyens de transports de personnes pour compenser. mode_transport_2030.jpg On peut y voir la haine des 2 roues motorisés de la part des pouvoirs publics: alors que la presse et d'autres mauvais esprits rendent compte d'une forte hausse de l'usage des scooters et autres motos, aucune hausse de la part de marché n'est prévue ces 20 prochaines années. Heureusement, le déferlement de la horde de barbares a été freinée par une règlementation opportune, alors que les Français avaient voté avec leur portefeuille lorsque le prix du pétrole avait atteint des records. Or, même si certaines motos consomment plus que certaines voitures récentes, les scooters 125 peuvent s'avérer nettement plus économiques. Un effort sur les moteurs, similaire à ce que font les constructeurs automobiles, pourrait renforcer ce trait.

À l'horizon 2050, l'ADEME prévoit que le parc automobile aura diminué d'un gros tiers grâce à la mutualisation des véhicules. Ils seraient aussi nettement plus économes, la consommation de carburants aurait diminué d'un facteur supérieur à 3. Bizarrement, les 2 roues motorisés voient leur part de marché augmenter alors qu'ils sont laissés de côté pour 2030. L'agence estime aussi qu'il serait alors possible de se passer de pétrole en se reposant sur du gaz — produit de façon de renouvelable de préférence. Ce serait possible grâce aux gains réalisés sur le chauffage au gaz. Pour le transport de marchandises, il est prévu que le trafic n'augmente plus par rapport à 2030, grâce à une rationalisation, complétée par un développement du transport par voie ferrée. Je remarque que c'est un vœu constamment exprimé mais jamais réalisé.

L'industrie

Pour l'industrie, l'ADEME est fortement contrainte par l'hypothèse de croissance économique. Elle impose un certain maintien d'industrie lourde, même si évidemment elle doit prendre en compte des évolutions dans la répartition de l'activité entre les divers secteurs industriels. Dans le domaine de l'industrie, un certain nombre d'activités sont déjà fortement incitées à économiser l'énergie par la forte compétition mondiale et par le poids de l'énergie dans les coûts et donc dans le prix des produits. C'est ainsi que des industries concurrentielles et développées depuis longtemps se voient affecter des gains par unité produite relativement faibles: sidérurgie, métaux non ferreux, etc. L'agence voit donc le gisement dans les industries où l'énergie représente une part plus faible des coûts de production, comme l'agro-alimentaire. À l'horizon 2030, cela produit une économie globale d'environ 10%. Mais à l'horizon 2050, alors qu'il est écrit qu'il s'agit d'une prolongation de tendance, les économies d'énergie atteindraient 20% par rapport à 2030!

Les questions principales en la matière sont celles de savoir si les hypothèses macro-économiques se réaliseront bien — en cas d'absence de croissance, une partie des industries disparaîtra — ou encore de savoir si certaines industries ne préfèreront pas aller là où le contexte énergétique est meilleur et moins contraignant.

Les sources d'énergie

Il s'agit surtout pour l'agence d'évaluer les gisements d'énergies renouvelables. Elle commence par étudier le cas du bois. Le bois est aujourd'hui la première source d'énergie renouvelable en France: en 2010, la consommation de bois a représenté presque 10Mtep. L'ADEME prévoit 18Mtep en 2030 et la même chose en 2050. Elle compte pour cela sur une plus forte exploitation des forêts françaises, puisqu'elle compte que l'équivalent de 75% de l'accroissement naturel de la forêt soit récolté chaque année contre 48% actuellement. Cela permettrait de plus que doubler la production de bois destiné à être brûlé et aussi d'alimenter un peu plus un circuit de récupération. Une critique du scénario négaWatt montre qu'un tel plan devrait s'accompagner d'une hausse notable du prix du bois. Par ailleurs, si le potentiel théorique de la forêt française n'est exploité qu'à moitié, c'est sans doute aussi qu'une partie importante des propriétaires de forêts n'ont pas envie de les exploiter pour le bois. Il n'est pas dit qu'une simple hausse du prix du bois les y incite suffisamment, car il y a d'autres usages pour une forêt.

Pour ce qui est du secteur de l'électricité, L'ADEME voit en 2030 les EnR produire 48% de l'électricité, le nucléaire 49% et seulement 3% à partir de centrales au gaz. En termes de puissance, elle voit 34GW d'éolien à terre et 12 en mer, 33GW de photovoltaïque, 32GW de nucléaire, 14GW de gaz (fossile), le reste étant soit non précisé (énergies marines ...) soit supposé quasiment constant (hydraulique). L'ADEME donne une production en baisse (environ 445TWh) des exportations stables (environ 45TWh) et une consommation (en incluant les pertes environ 400TWh). Cela représente une baisse de la consommation d'électricité de presque 20% par rapport à aujourd'hui, ce qui me semble très optimiste ou incompatible avec les hypothèses sur le PIB. C'est aussi très différent du scénario privilégié par RTE dans son bilan prévisionnel, dont on a déjà parlé. Autre particularité: si on se replace dans les conditions de la vague de froid de février dernier, moyennant quelques hypothèses, on arrive péniblement à une puissance produite en France de 80GW. Même en escomptant une capacité d'importation de 10GW, la puissance maximale prévue est donc bien inférieure aux 102GW atteints cette année. Inversement, certains jours du mois d'août, on peut s'attendre à un production des EnR intermittentes de l'ordre de 40GW avec le soleil au zénith; à l'heure actuelle, la pointe au mois d'août, aux alentours de midi, est d'environ 50GW, ce qui veut dire que l'essentiel du nucléaire serait à l'arrêt et qu'il y a un risque de surproduction si un jour est venté, les capacités d'exportation étant dépassées. Bref, l'ADEME affirme s'être basée sur des simulations heure par heure mais il semble que des hypothèses m'échappent.

La question qui n'est pas abordée dans cette synthèse est celle des coûts et du modèle économique. Si pour le bois, le modèle serait sans doute le même qu'aujourd'hui, il va de façon autre pour la production d'électricité: actuellement, les producteurs d'électricité renouvelable à partir de biomasse bénéficient des tarifs de rachat et produisent en base. Or le document de l'ADEME laisse penser que la production d'électricité à partir de biomasse devra avoir lieu quand l'éolien et le photovoltaïque feront défaut. De même en 2050, l'ADEME nous dit que des stations de pompage seront construites pour le stockage intersaisonnier. Vus la taille maximale du stockage (il faut compter 1km² pour stocker 10GWh) et le modèle économique (une STEP doit produire 1500h par an), l'utilité pour le stockage intersaisonnier du pompage est plus que douteuse à un coût acceptable! Le modèle de revenus collectés à l'exportation est aussi remis en cause: les exportations auront lieu surtout lors des pics de production renouvelable, ce qui va nécessiter de multiplier les lignes THT et de trouver des clients pour cette électricité produite de façon imprévisible à long terme. Le prix s'en ressentira forcément. On peut aussi simplement se demander si c'est vraiment utile de fermer la moitié du parc nucléaire français pour le remplacer par des moyens qui paraissent nettement plus chers. On pourrait aussi utiliser le nucléaire pour adoucir les hypothèses d'économies d'énergie.

L'ingénierie sociale

Le trait marquant du scénario de l'ADEME est surtout le nombre de prescriptions réglementaires et/ou normatives qu'on y lit. C'est ainsi que le régime alimentaire des français changerait pour se conformer en 2050 aux prescriptions de la FAO pour manger moins de viande mais plus de céréales et de fruits & légumes. Si le niveau de vie des français augmente — ce que l'ADEME prévoit — on se demande pourquoi ils mangeraient moins de viande. Si par contre il baisse, l'expérience montre que les prescriptions de la FAO ne sont pas le résultat le plus probable. Toujours dans le domaine de la nutrition, l'agence prévoit une réduction de 50% des aliments partant à la poubelle («pertes alimentaires évitables»). Je me demande comment cet objectif pourrait être tenu, surtout quand on voit quelles sont les conséquences de vouloir se rapprocher des préconisations standard en matière de nutrition.

Ces hypothèses normatives s'étendent partout, par exemple:

  • Les logements collectifs et les maisons se partageraient les nouvelles constructions à parité, alors que depuis les années 90 au moins le parc de logement est constitué à 56% de maisons (p27 du bilan énergie de l'ADEME). C'est sans doute l'hypothèse structurante pour arriver à stopper l'artificialisation des sols. Dit autrement, l'ADEME prévoit un renforcement du zonage, zonage qui n'est sans doute pas pour rien dans l'inflation immobilière de ces 15 dernières années.
  • Dans le domaine des transports, les moyens collectifs sont nettement favorisés. L'expérience de longues années de développement des transports en commun montre qu'ils ne remplacent pas la voiture. La novlangue administrative frappe d'ailleurs en ce domaine, puisque les moyens faisant appel à la force motrice de l'utilisateur sont appelés moyens de transports doux. Tout utilisateur régulier d'un vélo peut certifier que son usage n'a rien de tel.
  • Les moyens de partage de véhicules voient leur part de marché nettement augmenter. Le problème ici est que, si les voitures ne sont utilisées que 5% du temps, c'est que les moments d'utilisation sont très concentrés, pour aller au travail le matin, en revenir le soir, aller en vancances: pendant des laps de temps courts, la majeure partie de la population se déplace. Ce n'est pas en voyant la fourniture de véhicule comme un service que ces réalités vont changer. La même logique est à l'œuvre quand il s'agit de rationaliser les transports de marchandises.
  • Les exportations d'aluminium sont limitées pour maximiser la part du recyclage

S'il est certain que se passer de pétrole et, plus généralement, de combustibles fossiles va imposer un certain nombre de changements de société, il est loin d'être certain que ce soit ceux prévus par les planificateurs. Et si l'édiction de normes peut remplacer voire faire mieux qu'une augmentation du prix d'énergie, ces normes peuvent aussi revêtir au final l'aspect d'une taxe sur certaines catégories de citoyens. C'est le cas du zonage urbain et des limitations mises sur la construction.

Quelques conclusions

Les visions de l'ADEME constituent une façon d'arriver à remplir les engagements de la France sur le plan des émissions de CO₂: les diviser par 4. Le tropisme de l'agence pour les économies d'énergie l'amène à bâtir ses scénarios dessus. Ces scénarios sont un mélange de continuation de tendances actuelles — disparition du fioul, ratio gaz/électricité changeant lentement dans le secteur du chauffage, etc… —, de rappel des vaches sacrées et des topos des économies d'énergie — réseaux de chaleur, transports en commun, lutte contre le gaspillage de nourriture, etc… —, de ruptures sociales majeures — description des transports en 2050 — et d'éléments susurrés par l'arrivée d'un nouveau pouvoir comme la division par 2 du parc nucléaire, dont on se demande ce qu'elle vient faire là.

Ce qui manque dans cette synthèse, c'est la description des politiques nécessaires selon l'agence pour arriver au but. On ne sait pas s'il agit, selon les cas, de continuer la politique actuelle, de la changer profondément, d'établir de nouvelles taxes, de nouvelles normes contraignantes. Il n'y a pas d'analyse des raisons qui ont fait l'insuccès des moyens prônés par l'agence de longue date, comme les transports en commun ou les réseaux de chaleur, ni des raisons pour lesquelles ces moyens seraient adoptés dans le futur. Tous ces éléments sont pourtant nécessaires pour se rendre compte de la faisabilité de ces scénarios: certaines mesures sont, dans ce domaine, très impopulaires, ce qui grève leur faisabilité politique; d'autres ont des effets pervers, ce qui grève leur efficacité voire les rend contreproductives.

Ces exercices de prospective valent surtout pour montrer la différence de résultats qu'on attend de 2 politiques différentes. Comme il n'y a pas de scénario de référence ou concurrent, que les mesures effectives à prendre ne sont pas détaillées, il est difficile de se faire une idée plus précise. On retrouve tout de même quelques réalités de la lutte contre le réchauffement climatique:

  • la question du chauffage paraît gérable à partir d'une meilleure isolation et en s'appuyant sur un mix électrique décarbonné.
  • la question des transports et de l'industrie lourde, notamment la sidérurgie et le ciment, est nettement plus difficile à gérer, ce qui laisse présager des départs d'industrie, des efforts douloureux ou un surcroît d'effort dans le domaine du chauffage.
  • que diminuer la production nucléaire n'est peut-être pas la meilleure idée, alors qu'on va chercher des marges de manœuvre en matière énergétique!

27 octobre 2012

Explosion de la taxe EnR sur l'électricité en Allemagne

Tous les ans au mois d'octobre, le niveau de la taxe finançant les productions renouvelables d'électricité en Allemagne est ajusté aux besoins. Le système allemand a été copié ailleurs: il s'agit de garantir au producteur un prix de l'électricité déterminé en fonction de la technologie employée. Il est décrit avec force diagrammes dans un document de l'association des réseaux de distribution allemands (BDEW), dont l'essentiel a été traduit par l'association Sauvons le Climat. Les 4 gestionnaires des réseaux THT sont obligés de racheter cette électricité et donc de fournir le fonds de roulement du système. Une partie des coûts est récupéré en revendant immédiatement cette électricité aux distributeurs au prix du marché. Comme, évidemment, le prix garanti au producteur est presque tout le temps supérieur au prix de marché, une taxe prélevée directement sur les consommateurs est nécessaire. Cela permet aussi de financer les coûts de trésorerie du système. Les gros consommateurs industriels sont pratiquement exemptés de cette taxe, ils ne paient qu'un montant de 0.5€/MWh: c'est devenu symbolique au regard de ce que paient les autres consommateurs.

Le système de l'obligation d'achat fonctionne à guichet ouvert, le montant de cette taxe peut donc augmenter très vite:

  • si ce sont les moyens les plus chers qui se développent rapidement. C'est le cas en Allemagne: à la fin de l'année 2011, il y avait 27GW de solaire photovoltaïque installés, presque autant que l'éolien. Même si le solaire photovoltaïque produit 2 fois moins d'énergie sur l'année que l'éolien à puissance égale, les prix d'achats sont quasiment 4 fois plus élevés pour le solaire. C'est ainsi que le solaire photovoltaïque consomme plus de la moitié de la taxe (p41 du document du BDEW).
  • en cas de mauvaise anticipation des installations. Comme la taxe est fixée en octobre, il reste deux mois et demi et une marge d'erreur sur les installations de l'année en cours. En cas de changements de tarifs, comme entre 2011 et 2012, on assiste à un rush pour bénéficier du tarif le plus intéressant. L'année suivante, en 2013 donc, il faut combler un déficit.
  • en cas de baisse des prix de l'électricité sur le marché. Un prix moyen de vente est anticipé en prenant comme référence le marché à terme. Si la conjoncture se dégrade, les prix de l'électricité vont baisser du fait d'une baisse de la demande, notamment des consommateurs industriels. Mais le développement des renouvelables impacte aussi ce prix de marché: comme le gestionnaire de réseau est obligé de revendre immédiatement l'électricité renouvelable, il accepte n'importe quel prix, à la différence des centrales à combustibles fossiles. Le prix peut donc tomber très bas, voire devenir négatif, en cas de forte production renouvelable. Comme il s'agit de passer le coût du système de prix garanti du producteur au consommateur, ce dernier ne peut alors bénéficier en aucune façon de la baisse du prix de marché puisqu'il doit combler la différence. Au contraire même, cette électricité renouvelable vendue à prix cassé profite à ceux qui achètent sur le marché spot et ne paient pas la taxe, c'est-à-dire les industriels. Et de façon perverse, plus la demande est faible, plus la taxe est élevée!

L'année 2012, comme on peut s'en rendre compte cumule ces 3 phénomènes. Suite à un changement de tarifs, un rush s'est produit en fin d'année sur le solaire photovoltaïque: 2GW ont été installés sur le seul mois de décembre 2011. Le solaire photovoltaïque est la plus chère des énergies subventionnées. Le prix de l'électricité est resté bas, d'une part à cause de l'afflux de productions renouvelables et d'autre part à cause de la conjoncture allemande et plus largement européenne. Il ne faisait aucun doute que les prévisions du BDEW pour 2013 seraient dépassées, alors qu'elles étaient de 47.4€/MWh (p65).

L'agence de régulation des réseaux allemande a annoncé le 15 octobre que le montant serait finalement de 52.77€/MWh, soit une hausse de presque 50%. Elle dit aussi que le déficit accumulé est de 2.6G€ sur la seule année 2012: le système était équilibré à la fin 2011. Les causes de ce déficit sont le rush photovoltaïque de fin d'année et le faible prix de l'électricité, comme on vient de l'expliquer. En conséquence, les gestionnaires de réseau vont aussi renforcer le fonds de roulement qu'ils maintiennent, afin d'éviter qu'une telle mésaventure ne se reproduise. On peut voir sur le graphe ci-dessous que depuis 2009, c'est-à-dire depuis qu'il est financièrement intéressant d'installer des panneaux photovoltaïques, la taxe explose. Elle est passée de 13.1€/MWh en 2009 à 52.77€/MWh en 2013, soit une multiplication par 4 à partir d'un montant qui n'était déjà pas ridicule. taxe_EnR_2000-2013.jpg

On peut aussi constater que le prix d'une fourniture constante d'un MW pendant toute l'année 2013 vaut actuellement environ 47€/MWh. Certes, les consommateurs doivent aussi payer une part d'électricité de pointe, mais on peut constater que la taxe a atteint un montant tout à fait comparable avec le prix de production de l'électricité en général, alors même qu'elle n'est due que pour une part minoritaire de la consommation. Pour fixer les ordres de grandeurs, le système exonère environ 20% de la consommation électrique allemande de la taxe, alors que la subvention ne finance environ que 20% de la production totale. Le coût du système de subvention allemand semble donc extrêmement élevé.

Une telle hausse a aussi ravivé le débat sur la nécessité de faire contribuer aussi les gros consommateurs industriels, comme on peut le constater dans la presse allemande. Il y a cependant peu de chances que cela aboutisse vraiment: pour ces consommateurs, l'électricité représente une part importante des coûts de productions. En conséquence, les mettre à contribution de la même façon que les consommateurs domestiques ferait exploser leurs coûts de production, ils ne seraient plus compétitifs. Comme le système est visiblement hors de contrôle, ils pourraient même avoir des difficultés à simplement prévoir leurs coûts de production.

Pour conclure, il n'aura échappé à personne que je suis très sceptique sur l'opportunité de subventionner de la sorte les renouvelables électriques. Le principal problème de ce système de subvention est qu'il repose sur la connaissance des coûts de chaque technologie et non sur le bénéfice apporté à la société ou au consommateur. On constate en Allemagne que la majeure partie des subventions vont au photovoltaïque qui ne représente qu'une partie minoritaire de la production renouvelable. On entend souvent que ces subventions sont destinées à faire atteindre la parité en matière de coûts à ces technologies mais, dans le cas allemand, on va arriver à saturer le réseau en installations solaires avant même d'arriver à proximité de ce point. S'engager sur cette voie en France, où on a déjà décarbonné l'essentiel de la production électrique, apparaît plus que jamais comme une grave erreur.

18 septembre 2012

Le coût exorbitant de la course aux renouvelables: 2e édition

Lors de son discours de clôture de la conférence environnementale, le premier ministre a annoncé diverses mesures envers les producteurs d'électricité renouvelables, ou plus exactement l'éolien et le solaire. Ces mesures ressemblaient pour certaines aux recommandations d'un rapport de l'administration: ainsi Jean-Marc Ayrault a-t-il annoncé un assouplissement du zonage pour faciliter l'implantation d'éoliennes.

Mais ce rapport est aussi intéressant par ce qu'il montre les contradictions de la politique que veut mener le gouvernement ou, en tout cas, qu'elle est contraire aux intérêts des consommateurs et à ce qu'il faudrait faire pour diminuer efficacement les émissions de CO₂ en France. Ces contradictions sont apparentes dès le début du rapport, avec les deux premiers paragraphes de la synthèse. On nous dit au premier paragraphe que l'éolien et le solaire doivent être subventionnés. Au deuxième, on nous explique que l'éolien et le solaire ne pourront, pour des raisons techniques, permettre la réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50%: il ne reste donc que les combustibles fossiles pour combler le manque.

De l'éolien et du solaire à bas prix?

La première recommandation du rapport est de préserver une part conséquente de production d'électricité à bas coût. Des esprits forts pourraient en déduire que le rapport devrait s'arrêter dès son introduction puisque de fait, en France, la production d'électricité combine à la fois bas coûts et faibles émissions de CO₂. Les seuls besoins concernent des installations permettant de répondre à des périodes de forte demande à l'ajustement de la production au cours de la journée, bref, des moyens de production pilotables, ce que ne sont pas l'éolien et le solaire photovoltaïque. On sent aussi les rédacteurs du rapport, qui ont lu le bilan prévisionnel 2011 de RTE, très similaire dans ses conclusions à celui de 2012 en ce qu'il annonce une hausse des émissions de CO₂ en cas de diminution de la part du nucléaire, un peu gênés aux entournures, puisqu'ils recommandent aussi de regarder d'autres sources d'électricité que l'éolien et le photovoltaïque (recommandation n°5). Évidemment, la lettre de mission adressée aux fonctionnaires ne leur permet pas de s'arrêter là.

Ils recommandent donc d'assouplir les contraintes pesant sur l'installation d'éoliennes, de façon à accélérer les procédures, augmenter le nombre de terrains disponibles, changements qui peuvent diminuer le prix de l'électricité éolienne toutes choses égales par ailleurs. Cela dit, l'article du Figaro mentionne que le lobby de l'éolien espérait une augmentation des tarifs de rachat qu'il n'a obtenue que pour les DOM-TOM sous les atours de tarifs spéciaux pour eux et pour les zones cycloniques. Le rapport recommande aussi de mettre fin aux tarifs spéciaux du photovoltaïque prévoyant une prime pour l'intégration au bâti. Du point de vue du consommateur, cette prime ne fait que renchérir inutilement le prix de l'électricité.

Mais le rapport contient aussi tous les éléments qui montrent que la politique menée jusqu'ici va coûter fort cher. On y trouve p39 les prévisions de subventions qui se monteraient à 8G€ en 2020 — contre 2G€ en 2012 — ce qui alourdirait la facture des particuliers de 10€/MWh hors taxes. On y voit que les 2 principaux contributeurs seraient le solaire photovoltaïque et l'éolien en mer. Et de fait, on peut s'apercevoir, au gré des appels d'offres, que le solaire photovoltaïque est payé, pour les nouvelles constructions, 208€/MWh pour les plus grosses installations tandis que l'éolien en mer coûte la bagatelle de 228€/MWh.

Quant à espérer des baisses de prix, en dehors du photovoltaïque, elles risquent de se faire attendre. Ainsi, le BDEW, association industrielle allemande regroupant entre autres les producteurs d'électricité, a publié un document sur les perspectives allemandes de la production d'électricité renouvelable, dont l'essentiel est traduit dans ce document de Sauvons le Climat. On y trouve ce graphe p64: prix_EnR_complet.jpg On y voit qu'à part le photovoltaïque dont le prix d'achat moyen passe de complètement délirant à simplement exorbitant, toutes les autres sources voient leurs prix d'achat moyens augmenter ou stagner.

Les appels d'offres, remède à la dérive des coûts?

Pour essayer de limiter les coûts, les auteurs préconisent d'arrêter les tarifs de rachats à guichet ouvert pour passer sur un régime d'appel d'offres. On voit mal comment une telle politique peut s'adapter à l'installation de panneaux photovoltaïques par les particuliers, les plus chers, et un facteur de dérive des coûts restera donc toujours de ce fait. Mais le problème, c'est que cette politique est à double tranchant. Les appels d'offres peuvent permettre de limiter les coûts pour les technologies dont les coûts baissent rapidement en empêchant qu'un effet d'aubaine ne se crée. Les possibilités de construire sont limitées en volume, seuls les offres les moins chères sont sélectionnées. Mais si au contraire les coûts sont en hausse, c'est l'inverse qui se produit.

Et la lettre de mission adressée aux auteurs est lourde de facteurs de hausses des coûts. En effet, les ministres entendent que l'essor de la production d’électricité renouvelable crée des emplois. Cela se traduit par la recommandation 14 où on nous dit qu'il serait bon qu'il y ait des contraintes en termes de contenu local. On nous dit aussi qu'il faut utiliser à cet égard toutes les possibilités de la réglementation européenne, ce qui laisse entendre que les possibilités ne sont pas si grandes que cela.

Regardons les résultats. Les appels d'offres sont la norme pour les installations photovoltaïques de taille moyenne ou grande (>100kW) depuis que le gouvernement s'est fait déborder par la chute des prix des panneaux. Actuellement, le rapport fait état d'un prix possible de l'électricité photovoltaïque de 170€/MWh (p32) à l'heure actuelle en France. Comme on l'a déjà vu, le prix réellement accordé est de 208€/MWh. On ne peut pas dire que les appels d'offres révèlent le prix cible. Mais il y a mieux: p59, les auteurs déclarent qu'au moins un industriel nous a indiqué qu’il parvenait dans ses installations à 100€/MWh en France. On ne saurait trop conseiller à cet industriel de déposer séance tenante une offre à ce prix et de le faire savoir, histoire de faire taire les critiques. Quant à l'aspect du contenu local, on s'aperçoit que la plupart des fabricants de cellules sont en perte (p65), parfois dans des proportions très importantes vis-à-vis de leur chiffre d'affaires. Un approvisionnement local ne peut alors conduire qu'à un fort renchérissement des offres puisque les fabricants disposeraient d'un marché captif. Pour ce qui est de l'éolien en mer, la France s'est distinguée par un prix délirant de 228€/MWh dans un appel d'offre qui correspond à ce que les auteurs recommandent. En Allemagne, le tarif est de 150€/MWh et des champs se construisent à ce prix. Par contre, pas de baisse des prix en vue, comme le montre le graphe ci-dessus: les prix sont à la hausse. Bref, difficile de croire que les appels d'offres vont véritablement offrir de meilleurs prix pour les consommateurs et contenir l'envolée des subventions.

De façon générale, comme les auteurs le remarquent, la France n'a pas construit d'industrie du photovoltaïque ou de l'éolien: chercher à la construire maintenant semble donc une erreur puisque des acteurs sont déjà bien installés et ont amorti une partie de leurs usines. Cela leur donne un avantage compétitif. Mieux vaudrait donc se lancer dans d'autres filières, comme celles du stockage de l'énergie, vu que celui-ci s'adapte à tous types de mix de production et permettrait de remplacer les centrales à combustibles fossiles en France.

Quid de la prime de marché?

Les auteurs recommandent aussi une autre façon de subventionner les énergies renouvelables: la prime de marché (recommandation n°13 & p41). Il s'agirait, au lieu de racheter l'électricité à prix fixe, de donner le prix du marché plus une prime, ce qui inciterait le producteur à se soucier du moment où il injecte du courant sur le réseau de façon à maximiser ses rentrées d'argent. Évidemment, pour des sources fatales pures, c'est assez inutile: l'injection sur le réseau n'est pas maîtrisable. Les producteurs seront alors incités à réclamer une prime qui va simplement renvoyer au prix garanti d'achat, c'est ce qui s'est passé en Allemagne. Cependant, cette méthode peut pousser le développement de technologies de stockage. Mais elle permet aussi de rémunérer l'électricité renouvelable non pas en fonction des coûts des différentes technologies, comme actuellement, mais en fonction du service rendu. Le bonus pourrait être ainsi fixé en fonction du gain réel attendu en termes d'émissions de CO₂. Si on subventionnait 100€/t de CO₂ évitée — 10 fois le prix du marché actuel — cela conduirait à un bonus maximum situé entre 5 et 10€/MWh pour les sources fatales et qui décroîtrait au fur et à mesure que l'électricité serait moins carbonnée, pour peu, bien sûr, que ces énergies participent réellement à la diminution des émissions de CO₂ en France. En effet, les émissions directes (par opposition à une analyse sur un cycle de vie) de l'électricité seule sont comprises entre 50 et 60g/kWh (source, p225) et environ 80g/kWh si on prend en compte la production de chaleur. L'incitation serait par contre nettement plus forte pour les moyens mobilisables à la demande, ceux dont on a réellement besoin. Évidemment, une telle éventualité n'a pas été envisagée par le premier ministre dans son discours.

La lecture de ce rapport est aussi une improbable publicité en creux pour le parc de production d'électricité actuel en France. Voilà une industrie essentiellement locale: la France possède toutes les installations du cycle nucléaire sauf les mines d'uranium. Les barrages sont aussi une industrie éminemment locale: il s'agit de les construire et de les entretenir. La production est aussi essentiellement décarbonée: le rapport rappelle les analyses de l'ADEME sur le cycle de vie des différentes sources d'électricité (p32): les barrages émettent 4g/kWh, le nucléaire 8g/kWh, l'éolien 15g/kWh, le solaire photovoltaïque 50g/kWh.

En conclusion, on voit que le gouvernement va devoir choisir: soit continuer à subventionner les énergies renouvelables dans la production d'électricité pour obtenir dans le meilleur des cas un gain faible en termes d'émissions de CO₂ — mais plus probablement une hausse — et le faire payer très cher aux Français, soit changer de stratégie et se tourner vers des technologies de stockage — disposer d'un stock d'énergie rapidement et facilement mobilisable est l'atout principal des combustibles fossiles — où il y a des places à prendre, ou encore se tourner vers les secteurs qui constituent actuellement l'essentiel des émissions françaises: le chauffage et les transports qui recèlent sans nul doute des gisements de réduction à plus bas coût. L'amateurisme de ce gouvernement, les décisions annoncées lors de la conférence environnementale et ses projets laissent craindre qu'évidemment, on continuera dans la première voie.

6 septembre 2012

Politique énergétique et réalités du réseau électrique

Chaque année RTE, filiale d'EDF et propriétaire du réseau haute tension, met à jour son bilan prévisionnel, dont l'édition 2012 vient d'être publiée sur son site web. Comme l'année dernière, et malgré la baisse de la consommation constatée, RTE prévoit toujours un risque accru et significatif de défaillance électrique. Malgré un ton factuel et diplomatique, il permet aussi de percevoir les incohérences de la politique énergétique française, caractéristique qui risque malheureusement d'empirer sous la présidence de François Hollande, du fait de promesses malvenues.

Le problème de l'approvisionnement électrique

Comme le signale le document (p89), l’apparition d’une puissance manquante à l’horizon de quatre à cinq ans est une constante des différentes éditions du Bilan Prévisionnel: personne ne souhaite investir trop puisque cela ferait perdre de l'argent. Cependant, la vague de froid de l'hiver dernier montre que ce genre d'exercice n'est pas vain. Cette vague de froid était supérieure en intensité à celle prévue dans le scénario qui ne prévoit que les évènements extrêmes à l'échelle d'une décennie. Au mois de février dernier, la pointe enregistrée a dépassé les valeurs prévues dans les scénarios de RTE, y compris ceux présentés dans ce document. Les importations ont été très élevées à certains moments, avec un maximum de 9GW le 9 février, proche du maximum possible.

Les causes de ce manque sont connues. La consommation d'électricité est toujours sur une pente de long terme croissante, malgré la rupture que constitue la crise et les mesures prises pour augmenter l'efficacité énergétique. En conséquence, RTE prévoit que la pointe "décennale" va continuer à augmenter pour dépasser les 100GW après 2014 dans le scénario central. Les pics de consommation électrique sont principalement déterminés par la température extérieure qui provoque un besoin de chauffage plus important: lors de la vague de froid de février, RTE estime que 40% de la puissance appelée était due au chauffage électrique (p35). L'essor du chauffage électrique est toutefois freiné en ce moment par la nouvelle réglementation thermique 2012: cette réglementation défavorise nettement le chauffage électrique hors pompes à chaleur, ce qui réduit notoirement la compétitivité de ce mode de chauffage à cause du coût de la pompe à chaleur. Mais les usages comme l'informatique sont toujours en très nette croissance, ce qui va pousser à la hausse la pointe totale. De l'autre côté, les baisses de demande sont surtout à prévoir en cas de crise économique: l'importance de l'industrie, notamment de l'industrie lourde, ne cesse de baisser à cause de la recherche constante d'efficacité et encore plus à cause de la crise qui a stoppé nombre d'usines. En tout, RTE prévoit une hausse lente des pointes dans tous les scénarios sauf celui qui prévoit une crise économique durable.

De l'autre côté l'offre voit se développer l'éolien et le solaire, mais disparaître les centrales à combustibles fossiles. Si le solaire ne contribue que faiblement aux besoins lors de la pointe, l'éolien a une contribution lors des épisodes froids. En général, lors des vagues de froid sur la France, l'anticyclone qui en est la cause n'est pas centré sur notre pays, ce qui fait que le vent souffle ... au moins un peu. Mais cette contribution est très variable comme on peut le voir ci dessous (graphe p72, que j'ai annoté) contrib_eolien.jpg Si on voit bien l'intermittence sur ce graphe, on ne voit aucune corrélation entre consommation et production. Entre les 2 jours de consommation maximale, on voit que la production éolienne varie du simple au double, en 24h. De plus, si on regarde le retour d'expérience de RTE sur la vague de froid, on s'aperçoit que les importations (p12) et le prix (p14) ont été maximaux le 9 février, juste au moment d'un trou de vent (p10). Si l'éolien apporte une contribution, elle est foncièrement aléatoire et ne remplace pas vraiment une centrale classique.

Les centrales classiques sont, elles, atteintes par la limite d'âge, en quelque sorte. Les directives européennes anti-pollution vont entraîner la fermeture de nombre de centrales au charbon — 3.6GW sur 6.8 — et au fioul — 4GW sur 5.3. Des centrales à cogénération vont fermer, les subventions se terminant. En face de cela, quelques centrales au gaz se sont confirmées, mais pas suffisamment pour compenser (p79). capa_fossile.jpg Comme en plus la crise a fait s'effondrer les prix des permis d'émission de CO₂, le charbon est redevenu très compétitif, ce qui ne va pas inciter à la construction de centrales au gaz. Les centrales à combustibles fossiles voient aussi leur rentabilité entamée par les énergies intermittentes comme l'éolien. Pour couronner le tout, RTE prévoit que la capacité d'importation sera limitée à 4GW, en grande partie pour la même raison: la mise à la retraite de centrales.

Au total, RTE prévoit un manque de puissance de 1.2GW pour remplir son objectif en 2016, en baisse par rapport à ce qui était prévu l'an dernier (2.7GW), en partie du fait de la conjoncture économique. Pour 2017, le manque est de 2.1GW. Évidemment, on peut songer que des travaux seront sans doute faits soit pour construire des turbines à gaz, soit pour rénover des centrales au fioul pour combler ce manque. Mais on ne peut s'empêcher de penser que fermer la centrale de Fessenheim (1.8GW) n'est sans doute pas la meilleure façon d'assurer l'approvisionnement en électricité de la France.

Les conséquences du développement des renouvelables

Un encart p17 livre des informations très intéressantes en liaison avec le développement des renouvelables. Tout d'abord, RTE nous dit que ce développement va coûter 1G€ pour raccorder l'éolien au sol et la même somme pour connecter 3GW d'éolien en mer. Comme l'éolien en mer est déjà horriblement cher, on ne peut que se demander si c'était une bonne idée que d'allouer des lots aux prix proposés.

RTE nous signale aussi le projet allemand d'expansion du réseau. Celui-ci demande la construction de 4400km de lignes THT, dont 1700km de lignes THT 400kV classiques et 2100km de lignes à courant continu. Le tout pour un coût de 20G€ sur les 10 prochaines années. Mais il y a un hic: construire une ligne THT demande 10 ans actuellement du fait des procédures et de l'opposition des sympathisants d'un certain parti politique. Pour ce qui concerne la France, RTE dit qu'adopter une politique diminuant la part du nucléaire nécessiterait de doubler les interconnections sur 20 ans, pour un coût de 7G€, sachant que la vitesse de construction actuelle est très insuffisante. Ces 20 dernières années n'ont vu la construction que d'environ 1/3 des capacités d'exports de la France et certains projets, comme l'interconnexion France-Espagne, ont suivi un chemin de croix.

Un autre encart p85 nous informe aussi des évolutions commerciales et technologiques dues aux renouvelables. C'est ainsi qu'en Allemagne, où le nucléaire remplissait une offre de base fixe au cours de la journée, les réacteurs ont été modifiés pour fonctionner comme en France: avec une possibilité de modulation pour faire face aux périodes de faible consommation. On y dit aussi que dans la plupart des pays européens, la principale contrainte nouvelle posée par le développement des énergies renouvelables est celle du surplus d'offre lorsque la production renouvelable est forte. Dit autrement, on ne sait pas quoi faire de cette électricité fatale à certains moments et elle dégrade la rentabilité des équipements qui assurent réellement la sécurité d'approvisionnement. On peut par exemple s'interroger sur l'opportunité de produire beaucoup d'électricité à midi en plein mois d'août lorsque la consommation en France est pratiquement au minimum de l'année et de la payer à un prix exorbitant, sachant qu'en plus tous les pays européens sont proches de leur maximum de production au même moment.

Les conséquences de la baisse à 50% de la part du nucléaire

RTE nous propose aussi un certain nombre de scénarios à long terme dont un prend en compte la projet de faire baisser à 50% la part du nucléaire dans la production d'électricité. Tout d'abord, p29, RTE nous montre qu'il y a une excellente corrélation entre croissance économique et évolution de la demande d'électricité. On s'aperçoit aussi p84 que la consommation d'électricité ne dépend finalement pas tellement du prix: les prix allemands sont maintenant 75% plus élevés qu'en France pour les particuliers, alors qu'ils étaient nettement plus proches en 2000, l'évolution de la consommation n'a pas du tout suivi le même chemin. Par contre, la dépression en Espagne a réduit la consommation d'électricité. Une conclusion s'impose: une baisse de la consommation d'électricité est provoquée par une baisse du niveau de vie.

Le graphe de la p146 permet de résumer les différents scénarios: mix_elec_fr_50pc.jpg On constate que quoiqu'en dise RTE, le «nouveau mix» laisse penser que le niveau de vie des Français serait alors proche d'une situation de crise prolongée, même si le solde exportateur absorbe une bonne part de la différence avec le scénario médian. Dans ces conditions, il n'est pas dit que l'idée de payer plus pour le réseau et les moyens de production pour une production très comparable à l'actuelle soit très populaire. Finalement, on paierait plus pour exactement la même chose! On remarque aussi, une fois de plus, que la barre noire représentant la production d'origine fossile est la plus épaisse dans ce scénario «nouveau mix». Et, évidemment, la consultation du résultat des simulations ne laisse aucun doute: ce scénario prévoit des émissions de 30Mt de CO₂ contre 24Mt dans le scénario «consommation forte» et 27Mt en 2011. De même, si jamais on s'avisait de respecter à la lettre le programme de François Hollande — qui proposait d'atteindre cette proportion en 2025, les émissions seraient de 40Mt. Cette hausse des émissions par rapport à l'année 2011 est due au besoin de faire fonctionner plus de centrales au gaz pour pallier l'intermittence de l'éolien et du solaire. Il est difficile de considérer cette issue comme souhaitable: on paierait donc plus cher pour autant d'électricité et plus d'émissions de CO₂ qu'aujourd'hui, sans compter les difficultés d'approvisionnement en gaz.

Pour conclure, on voit donc que la politique française en matière énergétique est face à certaines contradictions. Le modèle économique des installations à combustibles fossiles qui assurent réellement l'équilibre entre l'offre et la demande est durablement affecté par l'éolien et le solaire. Ces énergies sont plus chères mais bénéficient d'un traitement favorable sans aucune contrepartie en termes de disponibilité. Comme la production française d'électricité est déjà largement décarbonée, l'intérêt des renouvelables dans la production d'électricité est clairement douteux, mieux vaudrait investir ailleurs. On voit aussi que les pouvoirs publics ont concentré leurs moyens sur ces énergies, au lieu de s'attacher à la sécurité d'approvisionnement. Bien au contraire, les politiques proposent des mesures qui vont en sens contraire comme des fermetures de centrales nucléaires. Mais en plus, on s'aperçoit que remplacer le nucléaire par des renouvelables va aboutir à l'effet inverse de l'effet recherché: faire baisser les émissions de CO₂. L'idéologie est décidément mauvaise conseillère.

- page 1 de 2