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16 février 2016

Éradication

Il n'est pas très courant de voir pousser une logique philosophique à son terme, et c'est pourquoi il me semble intéressant de lire le billet d'Audrey Garric, journaliste au Monde, a publié sur son blog à propos de l'éradication des moustiques. Chacun sait que ces dernières années, le moustique tigre a agrandi son aire de répartition et a amené avec lui les maladies qui l'accompagnent, la dengue, le chikungunya et le zika. Cette dernière maladie est actuellement l'objet d'une attention particulière car de nombreux cas sont apparus au Brésil — avec comme conséquence de nombreux cas de microcéphalie. Une des voies de lutte contre ces maladies est de chercher à développer des vaccins — qui deviennent potentiellement rentables maintenant que ces maladies touchent nettement plus de monde et que la clientèle est plus solvable. Une autre est aussi de lutter contre le vecteur de la maladie: le moustique. Le paludisme, véhiculé par les anophèles, soulève des questions très similaires et on peut soit chercher un remède contre le parasite responsable, soit lutter contre le vecteur.

Le post donne la parole a des entomologistes qui disent carrément qu'on peut se passer des espèces de moustiques qui véhiculent des maladies, parce qu'ils seront soit remplacés par d'autres espèces de moustiques moins dangereuses pour l'homme, soit remplacés par d'autres types d'insectes. Mais en fin de billet on voit apparaître la raison pour laquelle la question n'est pas évacuée comme impossible: il y a de nouvelles techniques pour essayer de diminuer les populations de moustiques. 3 méthodes sont apparues:

  1. Infecter les anophèles avec une bactérie qui rend impossible la transmission du paludisme.
  2. L'utilisation de moustiques transgéniques mâles dont la descendance meurt au stade larvaire, fabriqués grâce à une technique qui a le vent en poupe.
  3. Utiliser des moustiques transgéniques pour rendre impossible la transmission du paludisme, gêne qui se répand grâce à une variante de la même technique.

La deuxième technique a de très bon taux de succès puisque des tests ont montré une chute de 80% de la population de moustiques tigre. Vu la voie d'action du procédé — par lâcher de moustiques mâles qui iront s'accoupler avec des femelles —, il est peu probable qu'une résistance se développe à court terme contrairement aux insecticides. Ce type de technique a d'ailleurs déjà été utilisé avec succès dans la cas de la lucilie bouchère.

La réponse finalement apportée par Audrey Garric est à mon sens résumée dans la dernière phrase du billet: peut-on supprimer des espèces entières, aussi meurtrières soient-elles, quand les humains eux-mêmes constituent un danger pour la nature dans son ensemble ?. Elle paraît donc essentiellement négative; finalement l'homme n'aurait pas le droit d'éradiquer les moustiques vecteurs de maladies parce qu'il est lui même corrompu et fondamentalement mauvais, car il passe son temps à rompre l'équilibre naturel des choses. L'impression qui se dégage est que l'espèce humaine — enfin, pour l'instant, la partie qui vit sous les tropiques — doit accepter la malédiction que sont les maladies véhiculées par les moustiques un peu comme un châtiment pour les destructions qu'il provoque par son activité. Souvent, la biodiversité est présentée par ses défenseurs comme un but en soi, n'ayant pas besoin d'autre justification, ce qui peut amener à se poser la question de savoir si la défense de la biodiversité s'étend aussi à des organismes clairement nuisibles tels que le virus de variole. La réponse suggérée dans le billet s'approche très près d'une telle affirmation.

Qu'on puisse préférer des espèces nuisibles au bien-être de l'homme me dépasse. Surtout dans le cas où, comme ici, il n'y aura sans doute aucune conséquence notable de la disparition de ces espèces de moustiques dangereuses pour l'homme autre qu'un plus grand bien-être pour ce dernier. Les personnes interrogées sont claires sur ce point: les moustiques dangereux seront remplacés par des insectes remplissant des niches écologiques équivalentes. De plus, aujourd'hui, les maladies véhiculées par les moustiques sont absentes de France métropolitaine, ce qui rend confortable de se poser des questions de la sorte. Pendant ce temps-là, on estime qu'il y a 200 millions de malades, et 600 000 morts par an, du paludisme. Pendant ce temps-là, deux théories du complot se sont développées sur le virus zika: la première incriminait les moustiques transgéniques, l'autre sur un produit de traitement de l'eau visant à tuer les larves de moustique. Dans les 2 cas, on incrimine une solution potentielle contre ces maladies en utilisant des arguments dans la droite ligne de ceux des militants écologistes: dénigrer les OGMs et les insecticides. Remettre le bien-être des hommes au centre des préoccupations serait donc sans doute une meilleure idée, à mon avis.

1 août 2014

Lobby

Greenpeace et des organisations aux idéologies similaires ont publié dernièrement une lettre ouverte appelant le futur président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker, à ne pas nommer un nouveau conseiller principal sur les questions scientifiques, création de son prédécesseur, José-Manuel Barroso. Une organisation «rationaliste», Sense About Science, a publié peu après une lettre ouverte en sens opposé, demandant le maintien du poste. Suite à la publication de la lettre, Greenpeace a été accusée d'être une organisation anti-science et s'est alors fendu d'une réponse. Pour ma part, je pense cet épisode ne montre aucunement que Greenpeace soit anti-science, mais qu'elle considère la science comme un outil comme un autre pour parvenir à ses fins: imposer son idéologie dans les décisions politiques.

Pour commencer, le motif de la lettre de Greenpeace est clair: Anne Glover a déplu par ses déclarations sur les OGMs. Même si elle n'a fait que reprendre les conclusions de rapports publiés par l'UE ou des académies des sciences européennes, voire américaines , etc., cela ne peut aller qu'à l'encontre des positions des associations environnementales qui font campagne depuis bientôt 20 ans contre les plantes génétiquement modifiées. Les autres arguments sont creux: aucun conseiller de Barroso ne doit publier l'ensemble des demandes d'avis qu'il a reçues ou les notes qu'il a envoyé en retour. La seule obligation en la matière pour les conseillers est de rendre des comptes sur la compétence et l'honnêteté a priori. L'existence de la déclaration d'intérêts d'Anne Glover n'a d'ailleurs pas empêché les accusations diffamatoires à son encontre.

Cependant, que Greenpeace et les autres signataires veulent remplacer quelqu'un qui leur a déplu malgré avoir rempli fidèlement sa mission de dire où se situait le consensus scientifique ne veut pas dire qu'ils sont «anti-science». En fait, pour de telles organisations, l'important est de faire triompher leur idéologie: elles ne sont pas basées sur le désir de répandre le savoir et les découvertes scientifiques mais sur la volonté des membres d'infléchir le cours des choses sur les thèmes qui leur sont chers. Dans ce cadre, la science est un outil comme un autre, qui peut se révéler fort utile comme il peut nuire. Quand la science apporte des éléments favorables à la position d'une telle association, elle s'en prévaut; si au contraire, la science tend à la contredire, il faut l'ignorer, éviter que ça ne s'ébruite, voire continuer à susciter des résultats inverses pour faire croire à la continuation d'un controverse. Cela apparaît dans les justifications de Greenpeace: ainsi se prévalent-ils de preuves accablantes sur le sujet du réchauffement climatique, mais seulement de préoccupations sur les OGMs et pour cause: on l'a vu le consensus scientifique sur la question est l'exact contraire.

Ce qui peut étonner, c'est la place centrale que semble donner Greenpeace dans son action à la science: Greenpeace cherche souvent à se prévaloir de résultats scientifiques. C'est sans doute lié à l'histoire du mouvement écologiste, fondé par des gens éduqués et déterminés, mais peu nombreux. Leur stratégie a toujours été la même: se prévaloir d'une supériorité morale permettant de recourir à des actions directes et un discours émotionnel mais, en parallèle, recourir à des arguments d'apparence scientifique pour tenir aussi un discours apparemment raisonnable. L'idéologie de Greenpeace n'est pas de promouvoir un gouvernement basé sur des conclusions scientifiques, mais plus prosaïquement, c'est l'opposition au nucléaire, à l'agriculture industrielle et plus généralement, la conviction que l'industrie en général est nuisible. Les tenants de ces techniques et de l'industrie ont souvent un discours technique ou basé sur des prémisses scientifiques, le discours de Greenpeace est donc aussi une réponse à ce fait et dénote une volonté de ne laisser aucun argument sans réponse.

Le succès de cette organisation est aussi une grande illustration des réalités de la politique. Car voilà une organisation qui ne fait que prêcher des valeurs positives comme la paix, l'humanité mais qui n'hésite pas à faire le contraire. Voilà une organisation officiellement non violente qui n'hésite à approuver des destructions de cultures ou l'abordage de navires. Une organisation qui prône l'amélioration des conditions de vie des pauvres s'oppose au riz doré, une potentielle solution à la déficience en vitamine A dans les régions pauvres de l'Asie. On pourrait multiplier les exemples à l'infini, mais Greenpeace est remarquable par sa capacité à ne rien dire qui ne respire la bienveillance, l'intégrité et l'humanisme tout en pouvant démontrer les qualités exactement contraires sans que trop de plaintes ne s'élèvent. En fait, c'est là le lobby rêvé: bénéficiant d'une présomption d'honnêteté irréfragable, maîtrisant un langage respirant la bonté — cette lettre ne fait pas exception — mais capable de déployer les qualités exactement inverses pour parvenir à ses fins sans que cela lui nuise. Ce sont des qualités indispensables en politique, mais on est là très éloigné de la science qui, au fond, n'est qu'un outil comme un autre pour imposer une idéologie.

6 septembre 2013

Dimitris

Ce dimanche, le Monde nous a gratifié d'un article sur ceux qui se nomment électro-hypersensibles. On nous présente le cas de plusieurs personnes. Une femme se dit intolérante à diverses fréquences allant du 50Hz du courant électrique aux micro-ondes, elle semble vivre en permanence avec un bracelet anti-statique. Elle l'utilise pour se mettre à la terre, alors que, marchant pieds nus, sa conductivité électrique, que sous-entend la prise au premier degré de son affection, devrait lui permettre se décharger automatiquement. Un homme est aussi atteint après avoir eu une vie frénétique en travaillant sur plusieurs continents. Un autre se dit aussi atteint, de plus, il ne supporterait aucun produit chimique. À première vue, il s'agit d'un rassemblement de personnes souffrant effectivement d'une ou plusieurs affections handicapantes, puisque, par exemple, l'électricité est devenue omniprésente dans le monde moderne. Cela dit, rien ne dit que le diagnostic que ces personnes portent sur elles-mêmes soit le bon.

On s'aperçoit que la journaliste a tout de même une intime conviction: les téléphones portables sont bien responsables. Elle nous dit que ce sont des symptômes que nombre de médecins, démunis, attribuent encore régulièrement à des troubles psychiatriques ou psychosomatiques et que la controverse est loin d'être tranchée chez les scientifiques et divise la classe politique. Ainsi donc, il semble qu'il ait encore des médecins qui n'ont pas vu la lumière et qui osent encore attribuer ces symptômes à des causes psychiatriques. Il y aurait aussi une controverse scientifique. Les lecteurs réguliers de ce blog se rappelleront sans doute que j'ai déjà abordé ce thème par deux fois. On peut résumer le consensus scientifique en signalant que l'ANSES rappelait que les seuls résultats positifs obtenus à ce jour sur le plan thérapeutique sont ceux obtenus par des thérapies comportementales ou des prises en charge globales et qu'un article scientifique a montré que ces personnes étaient bien incapables de détecter les ondes auxquelles elles imputaient leurs maux. Il est aussi très étonnant qu'aucune explication ne soient apportée au fait qu'après plus d'un siècle d'utilisation du courant alternatif et des techniques utilisant les ondes radio, ce n'est qu'avec le téléphone portable que sont apparus ces électro-sensibles.

On se trouve ainsi dans un cas où la situation est présentée sous un jour tout à fait particulier et on ne peut s'empêcher de remarquer qu'on nous avait déjà fait le coup en 2008. La dispute politique, par contre, est bien réelle; elle est portée par les écologistes. Par une coïncidence extraordinaire, cet article est publié juste après la publication d'un rapport concluant à la multiplication par 3 du nombre d'antennes si on voulait passer en deçà du seuil arbitraire et sans justification de 0.6V/m en gardant une bonne qualité de service. En attendant, dans certains immeubles, on a du mal à capter le signal, alors que le téléphone portable est aujourd'hui le seul téléphone pour un certain nombre de ménages, grâce notamment à son faible coût puisque pour 2€ par mois et un appareil à 20€ on peut appeler de partout, alors qu'un ligne fixe réclame de l'ordre de 15€/mois d'abonnement et oblige à payer un raccordement de 50€.

La revendication qui est porté par le rassemblement qui nous est décrit mérite aussi le détour: la création de zones sans ondes. Cette revendication est impossible à satisfaire depuis que Marconi a inventé la radio, notamment à ondes courtes, que le courant alternatif alimente tous les équipements du confort moderne et que le téléphone satellite a fait son apparition. Elle est directement inverse à celle des élus et de la plupart des habitants qui ont réclamé à cor et à cri une bonne couverture par le téléphone portable, non sans succès puisqu'on a rapporté des cas de personnes sauvées par des messages envoyés depuis un endroit autrefois improbable. Cette revendication s'accompagne d'une menace d'utilisation de la violence puisque la zone blanche, on la prendra s'il le faut. Cette revendication a donc pour principal intérêt de faire passer ceux qui veulent limiter l'exposition pour des modérés préférant la paix.

Cette semaine, un journaliste a aussi fait part des raisons qui l'ont amené à quitter le journal qui l'employait. Son employeur le soupçonnait en fait de n'être guère impartial quand il voulait couvrir les évènements entourant la contestation de la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Il faut dire qu'il qualifie de magnifiques 3 jours sur place en compagnie des contestataires. Pourtant d'autres échos laissent entendre un quotidien de racket et de vols dans les supermarchés pour les habitants, priés d'être contre l'aéroport sous peine de rétorsions bien réelles. On le voit, la réalité montrée dépend fortement du point de vue de celui qui tient le stylo ou, de nos jours, le clavier. Sans surprise, la vision relayée reflète les opinions politiques de l'auteur, sans que le lecteur n'ait de moyens rapides de vérifier quels faits auraient pu être occultés, voire même qu'on lui raconte en fait n'importe quoi. Autrefois, des puissants accréditèrent le récit d'un homme sans qu'il ne fût nécessaire qu'ils y crussent, car c'était expédient pour leur cause politique. Aujourd'hui, les choses n'ont peut être pas tant changé; si la cause politique a des chances de remporter un succès, il est loin d'être sûr que les malades qu'on nous montre bénéficient vraiment, à terme, d'un relais sans critique de leur croyances.

6 février 2013

Envoi au congélateur

Ce jeudi 31 janvier venait en discussion une très prévisible proposition de loi écrite par le groupe écologiste à l'Assemblée Nationale. Il y était donc prétendûment question de faire jouer le principe de précaution en matière d'émission d'ondes électromagnétiques.

On a déjà abordé la question dans le passé, on peut résumer la situation ainsi:

  • Il existe une recommandation internationale qui donne comme limite une superbe formule croissante dans la zone de fréquence du GSM de 61V/m à 137V/m puis constante au-delà, zone où on trouve notamment les bandes de fréquence du Wifi. À 900MHz, bande de fréquence originelle du GSM, la recommandation est de 90V/m. La recommandation est fixée en estimant la densité d'énergie du champ pour augmenter la température du corps de 1°C, puis divisée par un facteur 50 (p16).
  • la réglementation française fixe des seuils encore plus bas, puisqu'ils représentent moins de 50% de la recommandation en termes de champ électrique — donc 4 fois moins en densité d'énergie. À 900MHz, le champ maximal autorisé est d'environ 41V/m.
  • des mesures effectuées en Angleterre n'ont jamais réussi à détecter plus de 0.2% de la recommandation en densité d'énergie.
  • par contre les téléphones portables peuvent émettre nettement plus, jusqu'à 50% et plus de la recommandation, comme on peut le constater avec les informations données par les fabricants. Mais il s'est avéré extrêmement difficile de démontrer un effet nocif de l'usage intensif du téléphone portable du fait du rayonnement électromagnétique: dans mon post sur le sujet, j'avais pu estimer le pire cas à 60 cas de cancers par an.
  • le rapport de l'ANSES de 2009 ne laissait aucun doute sur le fait que les fameux électro hypersensibles relevaient de la psychiatrie. On trouve ainsi dans l'avis le passage suivant (p13): les seuls résultats positifs obtenus à ce jour sur le plan thérapeutique sont ceux obtenus par des thérapies comportementales ou des prises en charge globales
  • ce même avis se montrait surtout préoccupé par les téléphones et pas du tout par les antennes. Quant à la réduction de l'exposition, c'était le service minimum: il estimait que dès lors qu’une exposition environnementale peut être réduite, cette réduction doit être envisagée.

Les écologistes ont profité de leur niche parlementaire pour déposer une proposition de loi sur ce sujet. Étant donné l'utilité réelle de ces niches, qui servent à donner des gages à son électorat quand on n'est pas le parti majoritaire, ils ont, comme prévu, abordé tous les sujets sans impact sur la santé — les antennes, le Wifi, les électro-hypersenibles — et ignoré le seul qui aurait à la rigueur mérité qu'on y passât 5 minutes — le téléphone lui-même. Ce n'est pas un hasard, puisque la partie la plus bruyante de leur électorat n'est absolument pas préoccupée par le combiné, mais veut surtout disposer d'armes juridiques pour s'opposer à l'implantation d'antennes. Ainsi, on aurait obligés les opérateurs à une tracasserie administrative de plus — une étude d'impact — dont on se doute que la non-réalisation ou une réalisation en dehors des formes aurait valu annulation du permis de construire. Ou encore à une baisse du champ maximal autorisé à 0.6V/m — valeur déterminée de façon arbitraire, c'est 1/100e du champ maximal autorisé au delà de 2GHz — obligeant à la multiplication des antennes et, incidemment, à une augmentation des émissions des téléphones. Pour finir, on voit bien quel potentiel peut offrir la reconnaissance du trouble des électro-hypersensibles ainsi que la désignation d'une cause officielle, totalement disjointe de celles déterminées par la science. Les écologistes pouvaient compter sur leurs relais habituels pour faire connaître leur action, aidé en cela par les caractéristiques de l'histoire qu'on peut raconter: un procédé technique mystérieux car invisible, des morts insaisissables mais des malades très visibles, un document à charge sorti opportunément, des industriels forcément mus par leurs seuls intérêts financiers repoussant d'un revers de main les arguments d'activistes bien organisés mais sans gros moyens autres que symboliques.

Lors du débat, les défenseurs de la proposition se sont reposés sur des topos de l'écologie politique ainsi que sur des déformations de faits relevés ailleurs, au grand dam de l'auteur d'un rapport sur la question. Les autres parlementaires semblèrent, en gens de bonne compagnie, presque s'excuser de vouloir vider la proposition de son contenu, ne se laissant aller à des piques qu'à quelques moments comme lorsqu'on demanda à l'auteur de la proposition si elle possédait un téléphone portable. Mais, plus que les mots de la ministre, ce qui montre l'attitude du gouvernement envers cette proposition, c'est que le groupe socialiste, certainement en toute indépendance, a déposé à la dernière minute une motion de renvoi en commission, équivalente à un renvoi au congélateur. Cette mauvaise façon a permis d'abréger les débats et de montrer que, finalement, mieux valait subir jusqu'au bout l'obstruction clairement affichée de l'opposition et appuyée dans l'hémicycle sur des arguments douteux sur un autre sujet que les complaintes des écolos et leur opposition à ce qui est, sans doute, une des plus utiles inventions des 25 dernières années.

10 octobre 2012

Marquer des points

Suite à la publication de l'article de GE Séralini et son orchestration médiatique, tout le monde a pu en prendre connaissance. Dès les premières heures, les critiques allaient bon train et il semblait bien qu'on ne pouvait en fait pas tirer grand'chose de ce papier. Dernièrement, les agences chargées de l'évaluation des risques ont commencé à rendre leurs avis, comme par exemple en Allemagne ou en Australie dont l'agence collecte les réfutations d'études sans lendemain sur une page. L'EFSA a aussi publié un avis préliminaire.

En résumé, tous ces avis reprennent les critiques formulées à l'encontre du papier comme, par exemple, l'insuffisance des effectifs de rats ou du choix de la souche. Ces critiques envers le papier de Séralini ont en commun de s'appuyer sur un raisonnement qui est généralement explicité: les besoin de rats en plus et d'une souche moins prompte à développer des tumeurs s'expliquent par la nécessité de réduire les effets du bruit statistique. À ces critiques, GE Séralini et Corinne Lepage, membres du CRIIGEN qui a subventionné l'étude, répondent sur un tout autre plan.

Séralini a déclaré qu'il ne donnerait pas les données détaillées de son étude à l'EFSA parce que celle-ci ne publie pas les données que Monsanto lui a fournies pour qu'elle autorise le maïs porteur de la modification NK603 à la vente. Il affirme aussi qu'il publierait ses données sur un site web si l'EFSA publiait les données en sa possession sur le NK603. En général, les tenants de la publication ouverte des données tiennent cette action pour bénéfique en elle-même: pas besoin d'exiger une quelconque forme de réciprocité. L'attitude de Séralini revient donc de se point de vue à se prévaloir de la turpitude d'autrui. Les demandes de l'EFSA sont aussi moindres: ne lui transmettre qu'à elle les données, chacun restant propriétaire de ses données. Elle n'a donc sans doute pas le droit de publier ce que lui a fourni Monsanto, par exemple. La demande de Séralini ne pourrait alors être exaucée que si la loi change ... ce qui n'est pas au pouvoir de l'EFSA.

Corinne Lepage, quant à elle, a pris la plume pour publier une tribune où elle dénonce un conflit déontologique: la personne qui a rédigé l'avis de l'EFSA sur le papier de Séralini a aussi rédigé l'avis sur le NK603. On retrouve aussi cette contestation dans les propos de Séralini puisqu'il déclare vouloir être jugé par la vraie communauté scientifique, pas par celle qui s'exprime dans Marianne et qui est composée à 80 % de gens qui ont permis les autorisations de ces produits. Corinne Lepage dénonce aussi le fait que les évaluateurs ne devraient pas être les normalisateurs. Elle fait aussi grief à l'EFSA de ne faire que copier-coller les arguments des détracteurs de Gilles-Eric Séralini sans bien sûr expliquer en quoi c'est incorrect autrement qu'en se prévalant que les autres feraient pire, sans s'expliquer plus avant. Elle expose aussi certaines de ses revendications pour les changements de procédures à l'EFSA.

On voit donc que les opposants aux OGMs ne portent pas leur contestation sur le cœur de ce que sont les avis des instances d'évaluation des risques. En effet, comme le rappelle un exposé d'Yves Bréchet devant l'Académie des Sciences morales & politiques, un avis ne vaut pas seulement par ses conclusions mais surtout parce qu'il est fondé sur un raisonnement critique basé sur l'ensemble des connaissances disponibles, ou au moins le maximum qu'on a pu rassembler. Au fond, répondre uniquement sur les apparences, ce n'est pas répondre à l'avis. Si vraiment l'avis est partial, il doit être possible de pointer des erreurs de raisonnement ou dans la sélection des connaissances qui servent de base à l'avis.

Cependant, comme il est pratiquement impossible de pratiquer une critique approfondie d'un avis si on n'a pas soi-même de connaissances scientifiques ou si on ne dispose pas de temps pour se faire une idée, on demande que l'avis soit rendue de façon à ce que l'étude ait les apparences de l'impartialité. Il ne peut s'agir de demander que les experts n'aient d'attaches avec personne: si c'était le cas, ce ne seraient sans doute pas des experts de leur domaine. De même, on ne peut pas réclamer que les experts n'aient pas exprimé d'avis sur la question — ou une question proche — auparavant: d'une certaine façon, c'est leur métier que d'évaluer l'ensemble des connaissances disponibles sur un sujet. Les métiers techniques et scientifiques réclament souvent de savoir reconnaître les évènements qui changent une situation et donc son jugement sur la question. Prétexter que les experts aient déjà rendu un avis — qui va dans le sens contraire à ce qu'on souhaiterait — pour les disqualifier, c'est de fait mettre en cause leur honnêteté et leur capacité à accomplir leur travail d'expertise. Le nombre d'experts dans un domaine donné n'est pas non plus extensible à l'infini, ce qui fait que ce sont souvent les mêmes personnes qu'on va retrouver lors des expertises, non du fait d'un quelconque complot mais à cause des conséquences de la spécialisation des experts. C'est pourquoi les arguments de Corinne Lepage sont particulièrement infondés. Dans bon nombre de domaines, les normalisateurs — au sens de ceux qui écrivent les normes — sont des spécialistes du domaine, qui ont évalué les différentes technologies, voire qui ont créé la technologie qui est normalisée. On ne peut pas dire que le monde s'en porte si mal! De même, réclamer un changement d'auteur de l'avis parce que cet avis allait dans le sens contraire à un nouveau papier est un non-sens: l'auteur de l'avis est d'abord censé écrire l'avis de l'ensemble des experts consultés et être capable d'incorporer les informations nouvelles.

En fait, ces déclarations ne visent qu'à marquer des points dans l'opinion publique. Le reproche principal fait à l'EFSA est de n'être pas d'accord avec Séralini et Corinne Lepage, non d'être face à un quelconque conflit d'intérêts. Il s'agit de s'attaquer à la crédibilité de ceux qui ne sont simplement pas d'accord avec soi, d'avoir le loisir de choisir par qui on est critiqué, de ralentir les procédures d'autorisation et d'empêcher l'innovation d'émerger par suite de coûts de commercialisation trop importants. C'est la tactique classique qui a été déployée avec succès pour empêcher la culture des OGMs en France. C'est aussi une tactique qui est malheureusement très présente dans le champ de la politique et c'est une des raisons qui conduisent à demander des expertises. Il semble donc bien que la parution du papier soit surtout l'occasion d'une exploitation politique par les détracteurs habituels des OGMs. Il montre aussi une nouvelle fois qu'ils cherchent à pirater les institutions et les procédures mises en place dans le cadre du principe de précaution pour faire avancer leur cause, sans égards pour les faits. C'est la principale faiblesse du principe de précaution: pour que ces institutions fonctionnent bien, un minimum de bonne foi est requis et ceux qui cherchent simplement à marquer des points peuvent s'en servir pour faire campagne sans avoir à en souffrir.