En décembre dernier, le Conseil d'Orientation des Retraites a publié son 13ᵉ rapport intitulé Les retraités : un état des lieux de leur situation en France
, accompagné de planches en résumant l'essentiel. Il en ressort que les retraités ont en moyenne un niveau de vie plus élevé que le reste de la population, et ce quasiment quelque soit l'indicateur retenu pour effectuer la comparaison.
Le niveau de vie des retraités
Le rapport commence par donner des éléments sur la démographie des retraités et les montants perçus par les pensionnés des systèmes de retraite français. 16.7 millions de personnes touchent une pension de droit direct ou dérivé — les pensions de réversion — dont 15.6 de droit direct, dont 14.5 millions vivent en France. Pour ces derniers, en 2013, la pension moyenne brute totale est de 1578€/mois. Si on se limite aux retraités qui ont eu une carrière complète, la pension moyenne de droit direct est de 1730€ brut par mois. Le rapport s'intéresse à la génération 1946 — 69 ans en 2015 — pour quantifier le taux de remplacement de la retraite: le taux médian de remplacement est de 73%.
Pour avoir une idée des conditions de vie des retraités, ces seules indications ne suffisent pas: il existe d'autre sources de revenus, les impôts ne sont pas les mêmes pour les actifs et les retraités et enfin, cela ne tient pas compte de la taille des ménages. L'INSEE mesure aussi les revenus du capital, ceux provenant des aides sociales ainsi que les impôts directs pour calculer le revenu disponible. Seul manque en fait pour évaluer le niveau de vie complet une évaluation des loyers imputés — le gain que procure le fait d'être propriétaire de son logement. Pour neutraliser l'effet de la taille des ménages, le niveau de vie d'un ménage est défini par l'INSEE comme le revenu disponible par unité de consommation. Une unité de consommation retranscrit en termes mathématiques l'intuition selon laquelle il y a des économies d'échelle lorsqu'on vit à plusieurs et que les enfants coûtent moins cher à entretenir que les adultes. Ainsi, la notion de niveau de vie permet de comparer les niveaux de revenu en tenant compte de la taille du ménage et d'effectuer des comparaisons entre les ménages de célibataires et ceux de couples avec enfants.
Le niveau de vie moyen des retraités est ainsi évalué à 2049€/mois et par unité de consommation, alors que celui des actifs s'élève à 2062€ et celui de l'ensemble de la population à 1946€ (p35). Comme l'ensemble des retraités rassemble d'anciens actifs mais aussi de vieux inactifs comme les femmes au foyer, la véritable comparaison doit s'effectuer avec l'ensemble de la population. On voit donc que les retraités ont en moyenne un niveau de vie supérieur de 5% à la population en général. Comme les retraités sont nettement plus souvent propriétaires de leur logement, compter les loyers imputés augmenterait encore la différence en faveur des retraités. Le rapport signale aussi (p36-37) que la différence s'est accrue depuis 2012 … il faut dire que le niveau de vie des actifs a été affecté par les conditions économiques dégradées suite à la crise de 2008, alors que celui des retraités a été largement protégé (cf graphe p38).
On pourrait croire qu'il s'agit d'un effet provoqué par un faible nombre de très riches retraités profitant d'un capital accumulé important. Il n'en est rien: le ratio de revenus entre les 10% de retraités les plus pauvres et les 10% les plus riches est moins élevé que pour l'ensemble de la population: pour l'ensemble de la population, le ratio est de 3.5; pour les retraités, il est de 3.1. En fait, d'après le tableau de la page 40, le faible nombre de retraités pauvres explique en partie le différentiel de niveau de vie moyen! En 2013, le taux de pauvreté — défini comme la proportion de gens vivant avec moins de 60% du revenu médian de population — est d'environ 8% chez les retraités, alors qu'il est de presque 14% pour l'ensemble de la population (graphe p41).
Le rapport montre ensuite le graphe ci-dessous (p43) qui montre bien les raisons du meilleur niveau de vie. En fait, une bonne part du problème provient de l'entretien des enfants. Ce n'est pas un secret: les enfants sont plutôt à la charge de gens dans la force de l'âge, ils quittent le foyer familial une fois les études terminées. Pendant ce temps-là, ils diminuent le niveau de vie du ménage dans lequel ils vivent par rapport à celui d'un couple sans enfant. Sur le graphe décrivant l'évolution du niveau de vie au cours du temps pour le cas type d'un couple avec 2 enfants, il est très net que le niveau de vie pendant la vie active est limité par le nombre d'enfants. On voit aussi clairement, qu'en termes réels, le niveau de vie à la retraite est meilleur que pendant presque toute la vie active du couple! Quand on compare au salaire moyen par tête — censé représenter l'évolution du niveau de vie moyen et qui est supposé augmenter au rythme de 1% minimum par an — on constate que le niveau de vie est d'abord meilleur puis ensuite équivalent après 75 ans au niveau de vie pendant la vie active. Il faut aussi noter que les revenus du capital sont exclus de ce cas type, alors qu'ils sont a priori plus élevés quand l'âge augmente.
Pour compléter le graphe, le tableau qui vient ensuite (p44) donne divers ratios entre pension et salaire pour ce cas type. On constate que, même en tenant compte d'une certaine hausse des salaires tout au long de la retraite, le niveau de vie à la retraite est supérieur à celui obtenu entre 40 et 48 ans, représentatif du niveau de vie pendant la plus grosse partie de la vie active…
La France est le pays qui fait le meilleur sort à ses retraités: quand on compare le niveau de vie relatif des plus de 65 ans, on constate qu'il est significativement plus élevé qu'ailleurs. Les 2 pays les plus proches sont l'Espagne et l'Italie. Ces 2 pays vivent une crise économique prolongée et en Espagne, le chômage dépasse les 20% de la population active, ce qui grève le niveau de vie de l'ensemble de la population!
L'évolution passée et future du niveau de vie relatif des retraités est présentée à partir de la p67, mais on peut en résumer une grande partie par le graphe de la p73.
La situation actuelle perdure peu ou prou depuis au moins 1996, date à laquelle l'INSEE a inclus les revenus du capital pour calculer les niveaux de vie. Avant le milieu des années 90, le niveau de vie relatif des retraités s'élevait rapidement sous l'effet de la mort des générations n'ayant que peu cotisé et leur remplacement par des générations avec des carrières complètes. Depuis 1996, le niveau de vie relatif des retraités fluctue légèrement en fonction de la conjoncture économique: lors des crises, les actifs voient leurs revenus baisser, alors que ceux des retraités se maintiennent. Dans le futur, il est prévu que le niveau de vie relatif des retraités baisse. Mais l'amplitude dépend de l'évolution du salaire moyen par personne: les pensions ne sont revalorisées de l'inflation. Comme je l'avais déjà évoqué à propos du rapport de 2013, les scénarios les plus optimistes prévoient une forte baisse relative de la pension moyenne par rapport au salaire moyen. Cette baisse est par contre nettement moindre pour les scénarios qui se veulent pessimistes. 2 scénarios ont une pertinence particulière: le scénario B où les régimes de retraite s'équilibrent globalement à terme et le scénario C', qui se veut le scénario noir, mais qui est en fait optimiste par rapport à ce qui s'est passé.
Dans le scénario B, la situation actuelle ne perdurerait pas plus de 10 ans et finalement, vers 2040, le niveau de vie relatif des retraités rejoindrait peu ou prou ce qui se fait ailleurs qu'en France. Comme l'étude prospective se fait à législation constante, le scénario B donne l'évolution du niveau de vie relative qu'il faudrait constater pour qu'on puisse s'épargner des hausses d'impôts et un allongement supplémentaire de la durée de cotisation. Dans le scénario C', on voit que la baisse est nettement plus limitée et plus lente. La situation actuelle perdurerait jusqu'en 2030 environ et le niveau de vie relatif se stabiliserait aux alentours de ceux de l'Espagne ou de l'Italie. Cependant, dans le scénario C', les régimes de retraite présentent un déficit important, de l'ordre de 2% du PIB par an. Comme je l'avais noté l'an dernier, le scénario C' est déjà relativement optimiste. Le rapport mentionne même p77 qu'alors que le scénario C' prévoit une hausse du salaire brut moyen par tête de 1% par an en sus de l'inflation, la hausse constatée entre 1990 et 2014 n'a été que de 0.7% par an. La question qui se pose alors est de savoir comment seront comblés les déficits. Si on choisit de baisser les pensions, la courbe peut rejoindre celle du scénario B. Par contre, si des hausses d'impôts sont privilégiées, la situation actuelle peut très bien perdurer à très long terme puisque ces augmentations d'impôts pèseraient sur le niveau de vie des actifs! On peut modestement constater que tous les plans visant à combler le déficit des régimes de retraites comptent un volet d'augmentations d'impôts, mais jamais de baisse directe des pensions.
Le reste du rapport apporte des éléments qui vont dans le sens du renforcement de la thèse de la situation favorable des retraités. Pages 83 et suivantes, le rapport s'intéresse à la consommation des retraités. Le constat principal est qu'à niveau de vie comparable, les retraités consomment moins (cf graphe p90). À mon sens, c'est d'abord lié au fait que les besoins sont moindres quand on n'a plus à travailler ni à s'occuper d'enfants au jour le jour. En conséquence (p129 et suivantes), les retraités ont la capacité non seulement d'épargner, mais aussi d'aider leurs descendants: le taux d'épargne constaté est similaire à celui du reste de la population (environ 15% du revenu), et il faut y ajouter des transferts des retraités vers les plus jeunes (environ 4%). Les retraités sont aussi propriétaires de leur logement dans leur très grande majorité (environ les 3/4) contre environ la moitié pour le reste de la population (p97 et 173). Ils ont souvent fini de rembourser leurs emprunts, ce qui leur apporte un surplus de niveau de vie par rapport au reste de la population, mais qui échappe aux statistiques. Seule ombre au tableau: comme leurs logements sont souvent dimensionnés pour accueillir leurs enfants, les coûts d'entretiens sont plus élevés que pour les ménages plus jeunes comparables. Pages 209 et suivantes, de façon cohérente avec leur moindre taux de pauvreté, les retraités sont moins pauvres en conditions de vie: parmi les retraités, il y a moins de ménages en permanence à découvert par exemple. La difficulté principale qu'ils semblent rencontrer est l'impossibilité d'accéder à des crédits après 75 ans, car les banques craignent les décès. Pages 159 et suivantes, le rapport s'intéresse à la santé des retraités. On constate que bien loin de ce que disent les Cassandre, l'espérance de vie en bonne santé augmente aussi — dès lors qu'on ne fait pas que demander aux gens s'ils se sentent bien. Quant à la perte d'autonomie, elle ne se produit en moyenne que 2 à 3 ans avant le décès. L'existence de l'APA permet d'estimer l'espérance de vie sans perte d'autonomie à 65 ans: elle est d'à peu près 18 ans (p171).
Enfin, le tableau de la page 152 mérite qu'on s'y attarde. On constate qu'entre 1996 et 2009, le taux d'imposition des retraités a fortement augmenté en passant de 9% à 13%. Les transferts sociaux ont, eux, diminué d'un tiers. Les revenus d'activité sont aussi moins présents. Tout ceci laisse penser que la situation des retraités s'est améliorée au-delà de ce que laissent penser les simples niveaux de vie. En effet, il est extraordinaire de constater que le niveau de vie relatif a augmenté alors qu'il y avait de forts freins!
Quelques réflexions
Le première réflexion que m'inspire ce rapport ne porte pas tant sur son contenu que sur son impact. Mis à part le quotidien Les Échos, aucun journal n'a relayé la parution de ce rapport et de son contenu. Pourtant, ce qui y est relaté me semble apporter un éclairage important sur la structure de la société français aujourd'hui. On ne peut aussi que constater que ce rapport va à l'encontre des idées reçues sur les retraités qui seraient nécessairement plus pauvres que le reste de la population. Ces préjugés ne peuvent donc que perdurer, on y reviendra peut-être.
Quant au contenu du rapport, je pense qu'il apporte une clef de compréhension des enquêtes où les Français se montrent pessimistes et disent que les enfants vivront moins bien que leurs parents (voir ici et là, par exemple). Une hypothèse est que les réponses à ces sondages dressent un constat sur la situation présente: aujourd'hui retraités comme actifs peuvent souvent constater en regardant la situation de leurs proches que le niveau de vie des retraités est plus élevé que celui des actifs. De plus, cette situation dure depuis 20 ans, alors même que les conditions des régimes de retraites se sont durcies. Les résultats de ces enquêtes deviennent compatibles avec la forte natalité française: les jeunes parents constatent que la société française est organisée de telle sorte que le niveau de vie est maximal après 50 ans, et plus élevé à la retraite que pendant la plupart de la vie active.
Sur un plan plus polémique, on voit divers hommes politiques, plus à droite qu'à gauche, railler contre ce que d'aucuns ont présenté comme le cancer de l'assistanat
. En septembre 2015, il y avait ainsi 1.6 millions de ménages touchant le RSA socle. Suivant la composition des ménages au RSA, ça doit représenter entre 2.5 millions et 3 millions de personnes soit à peu près 4% de la population française. Certes, les retraités ne sont plus censés assumer de charge de travail contrairement aux gens dans la force de l'âge. Cependant, le minimum vieillesse est nettement plus élevé que le RSA, de nombreux retraités sont toujours largement assez en forme pour continuer à travailler et leur niveau de vie est plus élevé que la moyenne de la population alors qu'ils sont ce qu'autrefois on appelait des oisifs. On a donc d'un côté des hommes politiques qui se scandalisent de 4% de la population qui se complairait dans la perception d'aides sociales parce que le SMIC n'est pas assez élevé, mais de l'autre presque aucun ne préoccupe de ce que plus de 20% de la population française ait un meilleur niveau de vie moyen que les 80% restants sans travailler. On pourrait tout de même espérer que certains hommes politiques disent au moins que les impôts doivent être les mêmes pour les vieux, arrêter de privilégier le paiement des suppléments de retraites pour familles nombreuses à l'encontre des allocations familiales et enfin que les revenus des retraités cessent d'être sanctuarisés lorsque ceux des actifs souffrent de la crise. Mais force est de constater qu'il n'y en a que très peu, ce qui fait que, même s'ils le voulaient, les jeunes ne pourraient voter pour des gens ayant pour programme de ne plus favoriser les vieux!
En tout état de cause, même si certains continuent de prétendre que ce n'est pas le cas, ce rapport apporte une fois de plus un argument au soutien de la thèse de Louis Chauvel que la jeunesse française est maltraitée — et que c'est au bénéfice des retraités.
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