Mot-clé - Retraites

Fil des billets - Fil des commentaires

12 novembre 2017

Le rapport annuel du COR de 2017

Le COR publie un rapport chaque année, comme la loi de réforme des retraites de Hollande l'invite à le faire, pour réactualiser ses projections. La presse s'est essentiellement fait l'écho du constat que l'équilibre des régimes de retraites était renvoyé aux calendes grecques.

Il est vrai qu'une fois de plus, les prévisions sont révisées à la baisse. Cela se passe par des biais plus ou moins subtils. Par exemple, le COR est obligé, par décret, de prendre comme base de prévision le programme de stabilité en cours tel qu'envoyé à la Commission Européenne. À chaque fois que la France révise le programme, c'est à dire chaque année, le COR change la base de ses prévisions. Il se trouve — pur hasard, sans doute — que les révisions de la croissance du PIB dans les différents programmes de stabilité de cette décennie se sont faites à la baisse. Tout ce que peut faire le COR pour contester ces prévisions est d'écrire dans son rapport ce qu'il leur reproche. Cette année, le COR a aussi rallongé l'intervalle dans lequel le modèle économique converge vers une croissance de long terme. Étant donné que la croissance de ces dernières années est inférieure à celle des scénarios optimistes de long terme, cela diminue le solde de presque tous les scénarios. La révision des prévisions démographiques va aussi dans ce sens, puisque le COR prend en compte la diminution du taux d'activité des jeunes gens ainsi que la baisse de l'immigration, toutes choses qui créent un manque de ressources à court et moyen termes. Enfin, on peut mentionner la fin du scénario le plus rose du COR, sans doute victime de la réalité économique qui sévit depuis la crise de 2008 ou plus généralement, du net ralentissement de la hausse de la productivité.

En effet, il fut un temps où il y avait une unique hypothèse de long terme, avec une hausse des revenus d'activité par tête de 1.8% par an, équivalente à la hausse de la productivité. Avec la crise, on a vu apparaître 3 scénarios (2007 & 2010), puis 5 depuis 2012. Tous les scénarios ajoutés étaient plus pessimistes que l'originel, sauf un introduit en 2012. Ce scénario qui prévoyait une hausse tendancielle des revenus d'activité de 2% par an en sus de l'inflation est donc éliminé cette année. On peut donc remarquer que le scénario originel est (de nouveau) le plus optimiste … le scénario le plus pessimiste perdure, quant à lui. Et pour cause, il n'est pas si loin de la réalité constatée ces dernières années. On peut finalement visualiser le degré d'optimisme ou de pessimisme des différents scénarios grâce au graphe suivant: croissance_scenarios.jpg On peut voir que le scénario le plus pessimiste est essentiellement la poursuite des tendances de la décennie, plus un rattrapage entre maintenant et 2025. Les autres scénarios s'échelonnent jusqu'à une croissance annuelle du PIB de 2% par an à peu près. Dans mes précédents articles, je n'ai pas caché que je pensais que le scénario le plus pessimiste était le plus crédible; le présent rapport ne fait que fournir à mon sens que des éléments montrant que les 2 scénarios les plus crédibles sont les 2 plus pessimistes.

Avec ces perspectives en baisse, il n'est pas étonnant de constater que tous les cas annoncent des déficits plus conséquents. Si de fait à l'horizon 2025, tous les scénarios se ressemblent, puisque le gouvernement impose le taux de croissance jusqu'en 2022, à plus longue échéance, on voit que ce sont les simulations dans les cas les plus favorables qui sont les plus touchées. C'est le signe de l'impact important de l'allongement de la période de transition. Cela dit, à l'horizon 2040 — soit un peu moins de 25 ans — le scénario le plus pessimiste voit un solde dégradé de 0.4% du PIB par rapport aux précédentes simulations. Si le scénario anciennement médian arrive toujours à équilibrer le système, il ne le fait plus qu'à partir de 2050 environ. Pour bien comprendre la dégradation des prévisions, fin 2014, le COR prévoyait que dans ce scénario, le système serait légèrement excédentaire à partir de 2030 environ. La comparaison des graphes est parlante. Tout d'abord le graphe des prévisions de décembre 2014: COR-prev2014.jpg Puis maintenant les prévisions de juin 2017. Le scénario B (en vert ci-dessus) est équivalent au scénario "1.5%", la courbe avec des triangles. COR-prev2017.jpg On retrouve bien le fait que le pire scénario est pratiquement celui qui subit le moins de dommages. On voit aussi nettement se dessiner un problème de financement tout le long de la décennie 2020. On eut pu croire que le gouvernement sortant se serait senti le devoir d'éviter cette situation. Malheureusement, il n'en a rien été. Le gouvernement a préféré se féliciter du retour à l'équilibre de la seule CNAV, poursuivant ainsi l'œuvre du quinquennat.

Il faut aussi noter que le COR rappelle désormais, tant dans sa présentation à la presse que sur son site internet, qu'il n'y a que 3 paramètres fondamentaux pour équilibrer le système de retraites: le ratio du nombre de retraités au nombre de cotisants, le ratio de la pension moyenne au salaire moyen et enfin le taux de cotisation. En ce sens, il est inutile d'espérer la fin des réformes paramétriques: une réforme dite «systémique» sert en fait à décider à quels paramètres toucher et comment. Mais évidemment, il existe un engagement — légal (!) — de ne plus augmenter les taux de cotisation; les divers candidats, dont l'élu, se sont bien entendu engagés à ne pas baisser les retraites ainsi que de ne pas repousser l'âge légal. Pour le dire simplement, certains engagements contenaient au minimum des ambiguïtés.

18 janvier 2016

Confortables retraites

En décembre dernier, le Conseil d'Orientation des Retraites a publié son 13ᵉ rapport intitulé Les retraités : un état des lieux de leur situation en France, accompagné de planches en résumant l'essentiel. Il en ressort que les retraités ont en moyenne un niveau de vie plus élevé que le reste de la population, et ce quasiment quelque soit l'indicateur retenu pour effectuer la comparaison.

Le niveau de vie des retraités

Le rapport commence par donner des éléments sur la démographie des retraités et les montants perçus par les pensionnés des systèmes de retraite français. 16.7 millions de personnes touchent une pension de droit direct ou dérivé — les pensions de réversion — dont 15.6 de droit direct, dont 14.5 millions vivent en France. Pour ces derniers, en 2013, la pension moyenne brute totale est de 1578€/mois. Si on se limite aux retraités qui ont eu une carrière complète, la pension moyenne de droit direct est de 1730€ brut par mois. Le rapport s'intéresse à la génération 1946 — 69 ans en 2015 — pour quantifier le taux de remplacement de la retraite: le taux médian de remplacement est de 73%.

Pour avoir une idée des conditions de vie des retraités, ces seules indications ne suffisent pas: il existe d'autre sources de revenus, les impôts ne sont pas les mêmes pour les actifs et les retraités et enfin, cela ne tient pas compte de la taille des ménages. L'INSEE mesure aussi les revenus du capital, ceux provenant des aides sociales ainsi que les impôts directs pour calculer le revenu disponible. Seul manque en fait pour évaluer le niveau de vie complet une évaluation des loyers imputés — le gain que procure le fait d'être propriétaire de son logement. Pour neutraliser l'effet de la taille des ménages, le niveau de vie d'un ménage est défini par l'INSEE comme le revenu disponible par unité de consommation. Une unité de consommation retranscrit en termes mathématiques l'intuition selon laquelle il y a des économies d'échelle lorsqu'on vit à plusieurs et que les enfants coûtent moins cher à entretenir que les adultes. Ainsi, la notion de niveau de vie permet de comparer les niveaux de revenu en tenant compte de la taille du ménage et d'effectuer des comparaisons entre les ménages de célibataires et ceux de couples avec enfants.

Le niveau de vie moyen des retraités est ainsi évalué à 2049€/mois et par unité de consommation, alors que celui des actifs s'élève à 2062€ et celui de l'ensemble de la population à 1946€ (p35). Comme l'ensemble des retraités rassemble d'anciens actifs mais aussi de vieux inactifs comme les femmes au foyer, la véritable comparaison doit s'effectuer avec l'ensemble de la population. On voit donc que les retraités ont en moyenne un niveau de vie supérieur de 5% à la population en général. Comme les retraités sont nettement plus souvent propriétaires de leur logement, compter les loyers imputés augmenterait encore la différence en faveur des retraités. Le rapport signale aussi (p36-37) que la différence s'est accrue depuis 2012 … il faut dire que le niveau de vie des actifs a été affecté par les conditions économiques dégradées suite à la crise de 2008, alors que celui des retraités a été largement protégé (cf graphe p38).

On pourrait croire qu'il s'agit d'un effet provoqué par un faible nombre de très riches retraités profitant d'un capital accumulé important. Il n'en est rien: le ratio de revenus entre les 10% de retraités les plus pauvres et les 10% les plus riches est moins élevé que pour l'ensemble de la population: pour l'ensemble de la population, le ratio est de 3.5; pour les retraités, il est de 3.1. En fait, d'après le tableau de la page 40, le faible nombre de retraités pauvres explique en partie le différentiel de niveau de vie moyen! En 2013, le taux de pauvreté — défini comme la proportion de gens vivant avec moins de 60% du revenu médian de population — est d'environ 8% chez les retraités, alors qu'il est de presque 14% pour l'ensemble de la population (graphe p41).

Le rapport montre ensuite le graphe ci-dessous (p43) qui montre bien les raisons du meilleur niveau de vie. En fait, une bonne part du problème provient de l'entretien des enfants. Ce n'est pas un secret: les enfants sont plutôt à la charge de gens dans la force de l'âge, ils quittent le foyer familial une fois les études terminées. Pendant ce temps-là, ils diminuent le niveau de vie du ménage dans lequel ils vivent par rapport à celui d'un couple sans enfant. Sur le graphe décrivant l'évolution du niveau de vie au cours du temps pour le cas type d'un couple avec 2 enfants, il est très net que le niveau de vie pendant la vie active est limité par le nombre d'enfants. On voit aussi clairement, qu'en termes réels, le niveau de vie à la retraite est meilleur que pendant presque toute la vie active du couple! Quand on compare au salaire moyen par tête — censé représenter l'évolution du niveau de vie moyen et qui est supposé augmenter au rythme de 1% minimum par an — on constate que le niveau de vie est d'abord meilleur puis ensuite équivalent après 75 ans au niveau de vie pendant la vie active. Il faut aussi noter que les revenus du capital sont exclus de ce cas type, alors qu'ils sont a priori plus élevés quand l'âge augmente. retraites_vs_salaires.jpg Pour compléter le graphe, le tableau qui vient ensuite (p44) donne divers ratios entre pension et salaire pour ce cas type. On constate que, même en tenant compte d'une certaine hausse des salaires tout au long de la retraite, le niveau de vie à la retraite est supérieur à celui obtenu entre 40 et 48 ans, représentatif du niveau de vie pendant la plus grosse partie de la vie active… ratio_retraite_salaire_periodes.jpg

La France est le pays qui fait le meilleur sort à ses retraités: quand on compare le niveau de vie relatif des plus de 65 ans, on constate qu'il est significativement plus élevé qu'ailleurs. Les 2 pays les plus proches sont l'Espagne et l'Italie. Ces 2 pays vivent une crise économique prolongée et en Espagne, le chômage dépasse les 20% de la population active, ce qui grève le niveau de vie de l'ensemble de la population! retraites_niveau_vie_comparaison.jpg

L'évolution passée et future du niveau de vie relatif des retraités est présentée à partir de la p67, mais on peut en résumer une grande partie par le graphe de la p73. prospective_niveau_vie_retraites.jpg La situation actuelle perdure peu ou prou depuis au moins 1996, date à laquelle l'INSEE a inclus les revenus du capital pour calculer les niveaux de vie. Avant le milieu des années 90, le niveau de vie relatif des retraités s'élevait rapidement sous l'effet de la mort des générations n'ayant que peu cotisé et leur remplacement par des générations avec des carrières complètes. Depuis 1996, le niveau de vie relatif des retraités fluctue légèrement en fonction de la conjoncture économique: lors des crises, les actifs voient leurs revenus baisser, alors que ceux des retraités se maintiennent. Dans le futur, il est prévu que le niveau de vie relatif des retraités baisse. Mais l'amplitude dépend de l'évolution du salaire moyen par personne: les pensions ne sont revalorisées de l'inflation. Comme je l'avais déjà évoqué à propos du rapport de 2013, les scénarios les plus optimistes prévoient une forte baisse relative de la pension moyenne par rapport au salaire moyen. Cette baisse est par contre nettement moindre pour les scénarios qui se veulent pessimistes. 2 scénarios ont une pertinence particulière: le scénario B où les régimes de retraite s'équilibrent globalement à terme et le scénario C', qui se veut le scénario noir, mais qui est en fait optimiste par rapport à ce qui s'est passé.

Dans le scénario B, la situation actuelle ne perdurerait pas plus de 10 ans et finalement, vers 2040, le niveau de vie relatif des retraités rejoindrait peu ou prou ce qui se fait ailleurs qu'en France. Comme l'étude prospective se fait à législation constante, le scénario B donne l'évolution du niveau de vie relative qu'il faudrait constater pour qu'on puisse s'épargner des hausses d'impôts et un allongement supplémentaire de la durée de cotisation. Dans le scénario C', on voit que la baisse est nettement plus limitée et plus lente. La situation actuelle perdurerait jusqu'en 2030 environ et le niveau de vie relatif se stabiliserait aux alentours de ceux de l'Espagne ou de l'Italie. Cependant, dans le scénario C', les régimes de retraite présentent un déficit important, de l'ordre de 2% du PIB par an. Comme je l'avais noté l'an dernier, le scénario C' est déjà relativement optimiste. Le rapport mentionne même p77 qu'alors que le scénario C' prévoit une hausse du salaire brut moyen par tête de 1% par an en sus de l'inflation, la hausse constatée entre 1990 et 2014 n'a été que de 0.7% par an. La question qui se pose alors est de savoir comment seront comblés les déficits. Si on choisit de baisser les pensions, la courbe peut rejoindre celle du scénario B. Par contre, si des hausses d'impôts sont privilégiées, la situation actuelle peut très bien perdurer à très long terme puisque ces augmentations d'impôts pèseraient sur le niveau de vie des actifs! On peut modestement constater que tous les plans visant à combler le déficit des régimes de retraites comptent un volet d'augmentations d'impôts, mais jamais de baisse directe des pensions.

Le reste du rapport apporte des éléments qui vont dans le sens du renforcement de la thèse de la situation favorable des retraités. Pages 83 et suivantes, le rapport s'intéresse à la consommation des retraités. Le constat principal est qu'à niveau de vie comparable, les retraités consomment moins (cf graphe p90). À mon sens, c'est d'abord lié au fait que les besoins sont moindres quand on n'a plus à travailler ni à s'occuper d'enfants au jour le jour. En conséquence (p129 et suivantes), les retraités ont la capacité non seulement d'épargner, mais aussi d'aider leurs descendants: le taux d'épargne constaté est similaire à celui du reste de la population (environ 15% du revenu), et il faut y ajouter des transferts des retraités vers les plus jeunes (environ 4%). Les retraités sont aussi propriétaires de leur logement dans leur très grande majorité (environ les 3/4) contre environ la moitié pour le reste de la population (p97 et 173). Ils ont souvent fini de rembourser leurs emprunts, ce qui leur apporte un surplus de niveau de vie par rapport au reste de la population, mais qui échappe aux statistiques. Seule ombre au tableau: comme leurs logements sont souvent dimensionnés pour accueillir leurs enfants, les coûts d'entretiens sont plus élevés que pour les ménages plus jeunes comparables. Pages 209 et suivantes, de façon cohérente avec leur moindre taux de pauvreté, les retraités sont moins pauvres en conditions de vie: parmi les retraités, il y a moins de ménages en permanence à découvert par exemple. La difficulté principale qu'ils semblent rencontrer est l'impossibilité d'accéder à des crédits après 75 ans, car les banques craignent les décès. Pages 159 et suivantes, le rapport s'intéresse à la santé des retraités. On constate que bien loin de ce que disent les Cassandre, l'espérance de vie en bonne santé augmente aussi — dès lors qu'on ne fait pas que demander aux gens s'ils se sentent bien. Quant à la perte d'autonomie, elle ne se produit en moyenne que 2 à 3 ans avant le décès. L'existence de l'APA permet d'estimer l'espérance de vie sans perte d'autonomie à 65 ans: elle est d'à peu près 18 ans (p171).

Enfin, le tableau de la page 152 mérite qu'on s'y attarde. On constate qu'entre 1996 et 2009, le taux d'imposition des retraités a fortement augmenté en passant de 9% à 13%. Les transferts sociaux ont, eux, diminué d'un tiers. Les revenus d'activité sont aussi moins présents. Tout ceci laisse penser que la situation des retraités s'est améliorée au-delà de ce que laissent penser les simples niveaux de vie. En effet, il est extraordinaire de constater que le niveau de vie relatif a augmenté alors qu'il y avait de forts freins! decomposition_niveau_vie.jpg

Quelques réflexions

Le première réflexion que m'inspire ce rapport ne porte pas tant sur son contenu que sur son impact. Mis à part le quotidien Les Échos, aucun journal n'a relayé la parution de ce rapport et de son contenu. Pourtant, ce qui y est relaté me semble apporter un éclairage important sur la structure de la société français aujourd'hui. On ne peut aussi que constater que ce rapport va à l'encontre des idées reçues sur les retraités qui seraient nécessairement plus pauvres que le reste de la population. Ces préjugés ne peuvent donc que perdurer, on y reviendra peut-être.

Quant au contenu du rapport, je pense qu'il apporte une clef de compréhension des enquêtes où les Français se montrent pessimistes et disent que les enfants vivront moins bien que leurs parents (voir ici et , par exemple). Une hypothèse est que les réponses à ces sondages dressent un constat sur la situation présente: aujourd'hui retraités comme actifs peuvent souvent constater en regardant la situation de leurs proches que le niveau de vie des retraités est plus élevé que celui des actifs. De plus, cette situation dure depuis 20 ans, alors même que les conditions des régimes de retraites se sont durcies. Les résultats de ces enquêtes deviennent compatibles avec la forte natalité française: les jeunes parents constatent que la société française est organisée de telle sorte que le niveau de vie est maximal après 50 ans, et plus élevé à la retraite que pendant la plupart de la vie active.

Sur un plan plus polémique, on voit divers hommes politiques, plus à droite qu'à gauche, railler contre ce que d'aucuns ont présenté comme le cancer de l'assistanat. En septembre 2015, il y avait ainsi 1.6 millions de ménages touchant le RSA socle. Suivant la composition des ménages au RSA, ça doit représenter entre 2.5 millions et 3 millions de personnes soit à peu près 4% de la population française. Certes, les retraités ne sont plus censés assumer de charge de travail contrairement aux gens dans la force de l'âge. Cependant, le minimum vieillesse est nettement plus élevé que le RSA, de nombreux retraités sont toujours largement assez en forme pour continuer à travailler et leur niveau de vie est plus élevé que la moyenne de la population alors qu'ils sont ce qu'autrefois on appelait des oisifs. On a donc d'un côté des hommes politiques qui se scandalisent de 4% de la population qui se complairait dans la perception d'aides sociales parce que le SMIC n'est pas assez élevé, mais de l'autre presque aucun ne préoccupe de ce que plus de 20% de la population française ait un meilleur niveau de vie moyen que les 80% restants sans travailler. On pourrait tout de même espérer que certains hommes politiques disent au moins que les impôts doivent être les mêmes pour les vieux, arrêter de privilégier le paiement des suppléments de retraites pour familles nombreuses à l'encontre des allocations familiales et enfin que les revenus des retraités cessent d'être sanctuarisés lorsque ceux des actifs souffrent de la crise. Mais force est de constater qu'il n'y en a que très peu, ce qui fait que, même s'ils le voulaient, les jeunes ne pourraient voter pour des gens ayant pour programme de ne plus favoriser les vieux!

En tout état de cause, même si certains continuent de prétendre que ce n'est pas le cas, ce rapport apporte une fois de plus un argument au soutien de la thèse de Louis Chauvel que la jeunesse française est maltraitée — et que c'est au bénéfice des retraités.

2 mars 2015

Sarkozy ou le mandat de la marmotte

Nicolas Sarkozy a donné au Figaro une interview où il évoque la politique qu'il a l'intention de mener si jamais il revenait au pouvoir. Ses intentions peuvent se résumer par la volonté de baisser massivement les impôts ainsi que les dépenses publiques.

Parmi les politiques prônées, figure le recul à 63 ans du départ à la retraite en trois ans après son retour au pouvoir. Malheureusement, comme le rapport de la Cour des Comptes à propos des retraites complémentaires le laisse entendre, reculer d'une seule année l'âge de départ à la retraite est déjà insuffisant. Comme je m'en étais fait l'écho, le plan de base proposé par la Cour pour redresser les comptes des régimes complémentaires passait par un recul de 2 ans de l'âge de départ, en seulement 4 ans. Ce plan comporte aussi des hausses d'impôts, le contraire de ce qu'annonce l'ancien président de la République. Le rapport contient aussi de lourdes allusions à la médiocre gestion du régime général, ses déficits récurrents et sa plus grande générosité qui rend l'équilibre financier plus difficile.

On peut alors voir l'inscription d'une limite de dépenses publique de 50% du PIB dans la Constitution pour ce qu'elle est: une tromperie. En effet, non seulement elle serait nuisible si jamais elle était appliquée, en empêchant par exemple tout plan de relance en cas de crise, mais Nicolas Sarkozy serait aussi bien incapable de la respecter car incapable de faire passer les mesures qui rendraient cet objectif atteignable. Aujourd'hui cela représente un effort à réaliser d'environ 140G€ de réduction des dépenses annuelles dont une grande partie devrait porter sur les dépenses sociales, car on imagine mal Nicolas Sarkozy organiser par exemple une baisse supplémentaire du budget de la défense à l'heure où l'armée est au maximum de ses capacités d'intervention. Mais dans le même temps, il ne sait pas présenter des mesures permettant de faire ces économies sur les dépenses sociales.

Même si cette interview semble essentiellement destinée à la consommation par les troupes de son parti, il est extrêmement déplorable que ses propositions soient déjà périmées dès leur énonciation. On peut en fait craindre une répétition de son premier mandat, où les demi-mesures sur le plan économique ont été masquées par un discours se voulant radical et par l'agitation permanente sur le thème de la sécurité. Bref, un nouveau mandat paraît d'ores et déjà se placer sous le signe de l'éternel retour.

26 janvier 2015

Les prévisions trop optimistes du COR

Le 16 décembre dernier, le COR a présenté une actualisation de ses projections sur l'état des finances des systèmes de retraites français. Comme il apparaît qu'elles prévoient toujours un retour à l'équilibre en 2020, le gouvernement s'est proposé de ne rien faire de plus que les dernières modifications, présentées en 2013. Malheureusement, ces prévisions comportent un énorme biais optimiste.

Les résultats des projections financières dépendent bien sûr d'hypothèses économiques. Quand elles sont optimistes, les résultats laissent penser que la situation financière des régimes de retraite est meilleure qu'elle ne le sera en réalité. Pour les projections à court terme, le COR dépend d'hypothèses actées par les projets de loi de finances pour la sécurité sociale. À plus long terme, il est plus libre de décider, mais les prévisions ne sont pas forcément plus réalistes. Il y a 5 scénarios de long terme, dénommés A', A, B, C et C', du plus optimiste au plus pessimiste.

Pour être jugées réalistes, les hypothèses économiques doivent à mon avis respecter a minima une première contrainte, qui est de s'être réalisée dans un passé relativement récent. Ce n'est pas le cas des hypothèses de chômage: dans les scénarios A', A et B, le COR prévoit un taux de chômage de long terme de 4.5%. Dans les scénarios C et C', le taux de chômage est de 7%. Il faut bien noter qu'il s'agit de taux de long terme, qu'on peut approximer par des moyennes sur longue durée, par exemple 10 ans. En effet, le COR ne fait pas vraiment l'hypothèse que le taux de chômage soit constant à un certain niveau, mais plutôt qu'il oscille autour de cette valeur. Si on regarde le taux de chômage en France sur une longue durée, on s'aperçoit que le taux de 4.5% a été dépassé pour la dernière fois en 1978. Quant au chômage de long terme, les données de l'INSEE permettent de tracer ce graphe: chomageLT.jpg On y voit que le taux de chômage moyen sur 10 ans est supérieur à 7% depuis 1987, soit plus de 25 ans. Le vrai taux de long terme semble être aux alentours de 9% depuis le milieu des années 90, soit à peu près 20 ans. Le COR évalue quand même une hypothèse de 10% de chômage: le surcroît de déficit en 2040 est de 0.3% du PIB dans le scénario C' … sachant que le déficit prévu avec 7% de chômage est déjà de 1.2% du PIB. Même si ce n'est pas le déterminant principal, le surcroît de déficit est tout de même notable.

Une deuxième contrainte me semble devoir être respectée pour que les scénarios soient réalistes: que le scénario central soit cohérent avec la tendance récente et, aussi, que les scénarios pessimistes représentent une situation mauvaise qu'on voit ailleurs. Sur le plan de la croissance économique, cela voudrait dire qu'une stagnation soit sérieusement envisagée. De même, la croissance moyenne sur 10 ans réellement constatée devrait servir de scénario central. Si on regarde la situation française, on constate que depuis 2008, la moyenne est plutôt aux alentours de 1%, soit l'hypothèse du scénario C', le plus pessimiste. CroissanceLT.jpg Quant à la masse salariale, source principale de ressources du système de retraites, elle suit désormais à peu près le PIB. L'expansion du salariat est terminée, les marges des entreprises sont plutôt basses en France en ce moment. Bref, le scénario C ou C' devraient être le scénario central et des scénarios plus pessimistes de stagnation économique devraient être présents parmi les scénarios étudiés. Bien sûr, le scénario C' prévoyant déjà de graves problèmes financiers pour les systèmes de retraite, des scénarios encore plus pessimistes seraient simplement catastrophiques sur ce plan. Cependant, ils ne seraient pas totalement dénués de sens, vu ce qui se passe dans certains pays vieillissants comme le Japon ou l'Italie.

D'ici 2020, grâce à l'intarissable optimisme du gouvernement — qui prévoit jusqu'à 4% de hausse annuelle de la masse salariale — le COR conclut que le déficit du système de retraites diminuera et que l'équilibre financier sera atteint aux alentours de 2020. En conséquence, le gouvernement prévoit de ne rien faire. Mais quelle crédibilité accorder à ces prévisions dont la réalisation semble hors d'atteinte aujourd'hui? Le moins qu'on puisse dire c'est qu'un tel optimisme ne sert qu'à se mettre la tête dans le sable et ne rend absolument pas service aux salariés actuels, qui sont les futurs retraités.

4 janvier 2015

Les graves difficultés financières de l'AGIRC

Le 18 décembre dernier, la Cour des Comptes a publié un rapport sur la situation des retraites complémentaires des salariés du privé, gérées par deux associations siamoises, l'AGIRC et l'ARRCO. L'AGIRC gère la retraite complémentaire des cadres, l'ARRCO celle des autres employés; elles sont gérées par les syndicats de salariés et les organisations patronales. Le système français veut que la retraite de base ne tienne compte que du salaire jusqu'au plafond de la sécurité sociale, la pension versée à ce titre ne peut représenter plus de la moitié de ce plafond. Les retraites complémentaires apportent un complément de revenu et sont indispensables pour atteindre l'objectif d'un taux de remplacement de 66%. Pour les cadres, dont le salaire dépasse généralement le plafond de la sécurité sociale, la pension versée par l'AGIRC représente couramment 50% de la pension totale. Ces deux régimes sont actuellement en déficit. La situation financière est particulièrement difficile pour l'AGIRC dont les réserves seront épuisées d'ici à fin 2017 si rien ne change, comme cela a été annoncé dans la presse à l'été 2014.

Les origines des difficultés actuelles

Les difficultés actuelles des régimes complémentaires trouvent d'abord leur origine dans les situations économique et démographique. Il est bien connu qu'il y a de plus en plus de retraités par rapport aux actifs. Par ailleurs, la croissance de la masse salariale a été de seulement 0.2% par an en termes réels depuis 2009, parallèlement à une croissance économique presque nulle depuis 2012. Malgré les ajustements depuis 2010, le déficit actuel est pire que celui qui était prévu en 2010 si on ne faisait rien. Deficit_AGIRC_ARRCO.jpg

La différence entre les prévisions et la réalité s'explique d'abord par les prévisions systématiquement trop optimistes du gouvernement. Si on pouvait comprendre qu'en 2010, année où la croissance était de 2%, on prévoit une croissance tendancielle de 1.5% par an et une inflation d'environ 2% par an, c'est nettement plus difficile à comprendre en 2013, où la possibilité d'une stagnation économique à long terme et d'une inflation durablement faible étaient plus que des hypothèses. Malheureusement, on l'a encore constaté en 2013, les prévisions du COR sont toujours basées à court terme sur les prévisions économiques du gouvernement ce qui oblige à revenir en permanence sur les ajustements précédents, car ils sont toujours insuffisants.

C'est ainsi que les gestionnaires des retraites complémentaires ont pris des mesures de gel des retraites complémentaires, dont les bénéfices ont été largement amoindris par une inflation quasi nulle, et d'augmentation des impôts (0.25 point). Il s'attendaient aussi à pouvoir demander une plus grande durée de cotisation suite à la réforme de 2013, mais leur espoir a été déçu parce que la réforme de 2013 a prévu de boucher le déficit immédiat essentiellement par des augmentations d'impôts (p27). Cette réforme a été aussi largement sous-dimensionnée, au point d'ailleurs, qu'un gel des retraites de base, non prévu à l'origine, a été mis en place au printemps 2014.

Mais il y a aussi des actes du gouvernement qui minent la santé financière des retraites complémentaires, et plus particulièrement de l'AGIRC. Comme la plafond de la sécurité sociale est réévalué en fonction du salaire moyen et qu'il y a de plus en plus de cadres, les ressources possibles de l'AGIRC sont peu à peu préemptées par le régime de base. En effet, au dessus du plafond les cotisations à l'AGIRC remplacent en totalité les cotisations au régime général et elles y sont nettement plus élevées. L'ARRCO est peu concernée, puisque 94% des cotisations des non-cadres sont prélevées en dessous du plafond de la sécurité sociale (p46). Au total, si le plafond de la sécurité sociale avait été réévalué selon le salaire médian et non moyen depuis les années 1970, les retraites complémentaires toucheraient 2G€ de plus par an en cotisations (p49). D'autre part, en dessous du plafond, le quinquennat Hollande a préempté la plupart des hausses possibles: en arrivant au pouvoir en 2012, il a décrété une augmentation des cotisations de 0.5 point pour financer ses dispositions sur les «carrières longues» puis, en 2013, une augmentation progressive de 0.6 point.

Le cumul des mesures prises sous le quinquennat Hollande pour les retraites de base et retranscrites telles quelles pour les retraites complémentaires conduisent d'ailleurs à un déficit supplémentaire chaque année au moins jusqu'en 2030 (p26). Un certain nombre de charges nouvelles ont été créées comme l'élargissement de l'éligibilité aux «carrières longues» et le compte pénibilité. Si pour le régime général de base un surcroît d'impôt les finance, rien n'a été prévu pour les retraites complémentaires: la hausse des cotisations décidées en 2013 couvre à peine le coût de l'élargissement du dispositif «carrières longues»! Pire encore, la loi de 2013 prévoyait dans son étude d'impact un amélioration de 2G€/an à l'horizon 2030 pour les régimes complémentaires. Mais cela ignorait toutes les mesures qui emportaient un coût pour ces régimes! En fait, selon les organismes de retraite complémentaire, le bénéfice est, en 2030, limité à 570M€ annuels (p103-104). On mesure là l'impéritie et l'amateurisme dont le gouvernement Hollande fait preuve sur la question des retraites.

C'est ainsi que le déficit global des retraites complémentaires est attendu à environ 5G€ en 2014 et que les réserves accumulées pendant la première décennie de ce siècle (60G€ au total) vont être épuisées dès la fin 2017 pour l'AGIRC et en 2023 pour l'ARRCO. Malgré une bonne gestion avant la crise, louée par la Cour, les régimes complémentaires sont dans une mauvaise situation financière.

Les remèdes

Comme d'habitude sur les retraites, il n'y a guère que 3 paramètres sur lesquels on peut jouer: le niveau des pensions, le taux de cotisation et l'âge auquel on passe d'actif à retraité. La mesure la moins douloureuse est le report progressif de l'âge de la retraite: personne ne perd de revenu immédiatement, cela permet aussi de faire rentrer plus d'argent par l'ensemble des autres impôts. Malheureusement, le terme rapproché de l'échéance pour l'AGIRC rend indispensable l'usage des deux autres paramètres. Dans le passé, les utiliser ne signifiait pas une baisse du montant nominal perçu, grâce à l'inflation et à la croissance économique. De plus, le déficit est tel qu'il faudrait baisser les pensions de l'AGIRC d'environ 10% ou augmenter les cotisations de 2 points voire plus. On voit que l'ajustement s'annonce douloureux.

La Cour donne deux exemples et un tableau détaillant l'impact de chacune des mesures à l'horizon 2030. Elle se montre aussi sceptique sur les chances de l'AGIRC à parvenir à sortir seule de l'ornière sans adossement à l'ARRCO. La Cour appelle aussi de façon à peine voilée à mettre fin de facto au système de la «retraite à 60 ans», en enjoignant les gestionnaires à reporter l'âge de la retraite pour bénéficier d'une retraite complémentaire sans abattement sans attendre que le gouvernement daigne prendre des mesures (p40 et 45). Remedes_AGIRC_ARRCO.jpg effets_remede1.jpg

Personnellement, je pense que la majeure partie de l'ajustement à court terme devrait être assumée par les pensions versées. Du fait d'une faible inflation, l'impact sur le pouvoir d'achat des retraités des mesures de gel des pensions a été très limité et ils ont été protégés des effets de la crise. En face, même les cadres ont fait face à des gels de salaires et à l’augmentation des impôts. Une baisse très notable des pensions complémentaires des cadres à court terme est devenue indispensable. À plus long terme, l'ajustement doit se faire via l'allongement de la durée du travail, particulièrement pour les cadres, dont l'espérance de vie est notablement supérieure à celle des autres salariés. Une augmentation de la durée du travail supérieure à celle prônée par la Cour dans son premier scénario me semble nécessaire: il faudrait sans doute augmenter progressivement l'âge de la retraite de 3 ans pour les cadres, peu importe d'ailleurs que le régime général de base suive ou pas.

Ce rapport me semble aussi être un réquisitoire contre la réforme de 2013 et l'impéritie du gouvernement actuel. Il était clair tout au long de l'année 2013 que l'ajustement programmé était sous-dimensionné et ne tenait aucun compte des régimes autres que le régime général de base. Rien n'a été fait pour le régime des fonctionnaires qui pèse de plus en plus sur les finances publiques. Les régimes complémentaires ont été totalement ignorés et les marges de manœuvre financières largement préemptées pour le régime de base. Le gouvernement s'est refusé à allonger immédiatement la durée de cotisation nécessaire à une retraite à taux plein: on peut subodorer qu'il préfère que ce soient d'autres que lui qui portent le chapeau de la fin effective et dans tous les cas — y compris pour les carrières longues — de la «retraite à 60 ans».

5 juillet 2014

Échéances

Ce dimanche, les Échos ont publié un article sur les perspectives financières sinistres du régime de retraites complémentaires des cadres, l'AGIRC. On y apprenait que les réserves de ce régime seront réduites à néant d'ici fin 2018, malgré les modifications intervenues l'année dernière. En regardant ce qui était publié à l'époque, on constate que la fin des réserves avant la réforme était attendue … à la même date ou à peu près. Ce qui a changé? Sans doute les scénarios pris en compte. Le COR avait pris en début d'année dernière des hypothèses très optimistes: le chômage revenait à 7% de la population active d'ici à 2020, une situation qui apparaît hors d'atteinte aujourd'hui. L'article des Échos nous informe que dans le nouveau scénario, le chômage reviendrait à 7% de la population active en … 2030, voire 2035, ce qui paraît nettement plus réaliste.

Le déficit de l'AGIRC s'élevait à 1.2G€ l'an dernier et l'AGIRC annonce disposer de 9G€ de réserves. Ce dernier montant est étonnant, puisque fin 2012, il ne disait disposer que de 6.9G€ de réserves à moyen et long termes. Il est possible que l'AGIRC ne puisse pas épuiser toutes ses réserves: ne pouvant emprunter, il doit constamment disposer d'une trésorerie pour honorer ses versements. Il est aussi possible que le déficit augmente dans le futur si rien n'est fait: la baisse suggérée dans l'article de plus de 10% des pensions servies laisse entendre que le déficit serait de plus de 2G€ en 2019: l'AGIRC verse en effet aujourd'hui 21.7G€ de pensions chaque année.

Cette annonce d'une possibilité d'une baisse de plus de 10% des pensions servies montre aussi que les prévisions utilisées jusque là étaient bien trop optimistes. Le 11ᵉ rapport du COR donnait un déficit à politique inchangée de l'ordre de 6 à 7% des pensions versées (tableau p115). Mais comme on l'a remarqué plus haut, cela supposait une croissance du PIB bien plus forte et un retour à taux de chômage de 7% en 2020. Autrement dit, les mesures prises l'an dernier étaient basées sur un scénario déjà caduc. Cela est l'habitude en la matière, mais cette fois-ci les échéances sont proches: 5 ans. Comme les données démographiques sont connues, il ne reste plus de leviers disponibles: comme le remarque un syndicaliste FO à la fin de l'article, il va être très difficile d'éviter l'obstacle.

Ainsi, même si le problème était connu depuis longtemps — le premier rapport faisant autorité sur le problème des retraites ayant été remis à Michel Rocard en 1991 —, il s'avère qu'à cause de prévisions toujours trop optimistes, la mesure que tout le monde voulait éviter, la baisse des retraites faute de fonds pour les payer, se profile cette fois pour de bon. Évidemment, on peut immédiatement penser l'éviter par des hausses d'impôts, mais il faudrait alors diminuer le salaire des actifs, ce qui n'est pas plus souhaitable. Ce n'est pas une surprise que ce soit l'AGIRC, le régime complémentaire le plus fragile de par sa démographie très défavorable, qui soit le premier concerné. Mais cela annonce que le début d'une période nettement plus difficile pour les régimes de retraites, où toute erreur se traduira par un impact visible immédiatement sur le niveau de vie soit des retraités — via des baisses de pensions — soit des actifs — via des hausses d'impôts. Même si les prestations de l'AGIRC ne représentent certes qu'une partie de la retraite des cadres, qu'une baisse de 10% pensions servies soit envisagée montre aussi le grave échec du volontarisme économique qui se révèle être ce qu'il est vraiment en la matière: une manière de renvoyer les problèmes à plus tard. Malheureusement, pour la retraite des cadres, «plus tard» c'est désormais «bientôt».

26 novembre 2013

Peut-on facilement redéployer des milliards de dépenses publiques?

Une remarque souvent entendue dans le débat public est qu'il serait possible, sans difficulté extraordinaire, de redéployer des crédits au sein du budget de l'état — en général, quelques milliards d'euros — pour favoriser une mission particulière. Je m'étais par exemple fait l'écho des difficultés de l’institution judiciaire en France dont le budget est d'un peu plus de 7.6G€. On pourrait penser affecter 1 ou 2 milliards de plus par an pour aider à résoudre les problèmes qui se posent (engorgement des tribunaux, prisons vétustes, etc.). Dans le même ordres d'idées, Thomas Piketty proposait la semaine dernière dans une tribune dans le journal Libération d'augmenter le budget de l'enseignement supérieur de 6G€ soit à peu près 50% des 12.7G€ prévus en loi de finances 2013.

À première vue, il semble en effet aisé de trouver de tels montants dans le budget de l'état ou des divers organismes publics: la dépense publique s'élève à plus de 56% du PIB de sorte que 1G€, c'est moins de 0.1% de la dépense publique. La proposition de Thomas Piketty reviendrait alors à redistribuer un peu plus de 0.5% des dépenses, ce qui ne semble pas bien difficile a priori.

La première chose qui rend difficile une telle redistribution, c'est qu'il y a des demandes dans d'autres domaines. Rien que dans le premier paragraphe, j'ai réussi à citer 2 causes où il existe une demande de crédits supplémentaires. Or, il en existe quasiment autant que de missions de l'État! On peut aussi constater que François Hollande a promis d'embaucher des professeurs, des policiers et des personnels supplémentaires pour la justice pendant sa campagne présidentielle. La deuxième, c'est qu'il existe des postes budgétaires importants qui ont une grande persistance, comme les dépenses de personnel. Il est compliqué de faire passer des personnels d'une partie à l'autre de l'état en France à cause de besoins en compétences et de l'existence de statuts différents … et aussi sans doute d'une faible appétence pour quitter certaines administrations. Cette inertie explique en partie pourquoi les annonces d'économies dans les budgets publics se traduisent par une ribambelle de petites économies mises bout à bout. La troisième, c'est qu'il existe déjà un courant obligatoire de dépenses publiques supplémentaires: il y a alors une substitution obligatoire des dépenses de l'état en cours et il n'est pas forcément si évident qu'on puisse en rajouter.

Dépenses de Sécu et de retraites Sur le graphe ci-dessus, on constate que la somme des dépenses de retraites et d'assurance maladie croissent presque linéairement d'année en année. En une dizaine d'années, elles ont augmenté de 150G€, soit 15G€/an, plus du double de ce que revendique Thomas Piketty pour l'université. Mais contrairement à ce qu'il demande, cette augmentation se produit tous les ans! Sauf changements de règles, il faut donc trouver tous les ans des crédits à redistribuer parmi les dépenses publiques, ce qui diminue d'autant le potentiel d'augmentation pour d'autres missions.

Même s'il y avait plus de croissance que dans la période actuelle, ces conclusions seraient sans doute encore valables. En période de croissance, les fonctionnaires demanderaient plus d'augmentations de salaire, le remplacement des équipements qui ont vieilli. Et on peut aussi constater qu'en moyenne, les dépenses de protection sociales augmentent en proportion du PIB — d'environ 0.2% par an —, ce qui rend toujours la tache difficile pour trouver des fonds pour d'autres activités. Dépenses de Sécu et de retraites en %age du PIB

En conséquence, il ne me semble pas si facile de trouver 6G€ à affecter à l'université. Quel que soit l'intérêt de la cause, la difficulté est que les dépenses sociales imposées par le passé — retraites et une bonne part des dépenses de santé — augmentent d'année en année. Si on pense que la dépense publique a atteint un point haut en France et qu'on ne veuille plus augmenter les impôts, il faut alors soit diminuer les autres dépenses publiques et accepter l'éviction de dépenses utiles par ces nouvelles dépenses forcées, soit stopper cette hausse des dépenses sociales, ce qui est extrêmement difficile. Les dernières décisions sur les retraites montrent quel chemin a été choisi: celui de l'éviction des dépenses publiques par les retraites et les dépenses de santé, ainsi qu'une continuation des hausses d'impôts. Malheureusement, il est prévisible qu'on ne pourra pas trouver de sitôt 6G€ supplémentaires annuels pour financer l'université.

23 juillet 2013

Le rapport Moreau et les pistes de réforme pour les retraites

Il y a un peu plus d'un mois, la commission installée par le gouvernement pour lui présenter des solutions pour rééquilibrer les comptes des caisses de retraites a rendu son rapport, connu pour faire court sous le nom de la présidente de la commission, Yannick Moreau. Le rapport est découpé en 3 parties, la première sur les réformes précédentes, la seconde sur la situation présente des caisses de retraites et leur avenir si on ne fait rien, la troisième faisant des propositions pour essayer de rétablir l'équilibre financier à court et long terme. Si les 2 premières parties peuvent être considérées comme un résumé de l'histoire récente et des rapports du COR, la troisième est originale et probablement appelée à inspirer en partie les décisions du gouvernement sur la question. C'est surtout à cette dernière que je vais m'intéresser ici.

Combler le trou d'ici 2020

Le rapport comporte un tableau résumant les perspectives financières des régimes de retraite (p49). Elles sont sinistres: des déficits annuels compris entre 15 et 20G€ sont prévus d'ici 2020, si rien n'est fait. Les déficits les plus importants sont prévus pour la fonction publique d'état (7G€/an en 2020) et les retraites complémentaires du privé (8.3G€/an avant la réforme de cette année). Le régime général aura un déficit qui se réduira grâce à des excédent du fonds solidarité vieillesse qui finance les minima. En prenant en compte les régimes «alignés», on arrive à un déficit de 4.8G€ avant prise en compte de la conjoncture de cette année. En effet, les prévisions du COR se basaient sur les prévisions du gouvernement de l'automne 2012… La commission estime qu'il faut escompter un déficit de 2G€ supplémentaire et se fixe l'objectif de trouver 7G€ annuels d'ici 2020 (p86). Les régimes complémentaires, quant à eux, ont pris des mesures permettant de combler un peu plus de la moitié du déficit annuel prévu en 2020 avec des hypothèses de croissance qui ne seront pas réalisées. La commission ne propose pas grand chose à leur sujet, ni d'ailleurs, au sujet des retraites alignées sur le régime de la fonction publique. En d'autres termes, les propositions du rapport Moreau ne concernent qu'un (petit) tiers du déficit prévu en 2020. La réforme qui s'annonce sera donc probablement incomplète; les mesures au sujet de la fonction publique qui sont envisagées restent donc mystérieuses; on entendra sans doute de nouveau parler des retraites complémentaires d'ici 2017.

Comment répartir la douloureuse? Le rapport propose 2 répartitions: un tiers pour les retraités, 2 tiers pour les actifs — ou moitié pour les retraités, moitié pour les actifs. La première répartition est justifiée par le poids démographique relatif, la deuxième par la contribution des actifs qui a constitué l'essentiel de la réponse jusqu'ici et par un marasme économique certain dont les conséquences pèsent d'abord sur les actifs. Le rapport remarque (p100) que les retraites complémentaires ont plus sollicité les retraités que les actifs du moment … mais le rapport n'élabore pas de scénario suivant cette voie.

Côté retraités, il s'agit donc de faire baisser les pensions nettes d'impôts une fois prise en compte l'inflation. Il y a donc des hausses d'impôts qui sont proposées, comme l'amoindrissement du traitement privilégié des retraités vis-à-vis de la CSG, de faire peser l'impôt sur le revenu sur les avantages «familiaux» ou encore de limiter les effets de l'abattement de 10% au titre de l'IRPP. On remarque que c'est l'alignement de la CSG qui rapporterait le plus avec 2G€/an de recettes. L'autre levier est de jouer sur l'indexation des retraites. Elles sont actuellement indexées sur les prix, l'idée est donc de les revaloriser de l'inflation diminuée de 1.2 point pendant 3 ans, au moins pour celles ne relevant pas des minima. Apport en fin de période: 2.8G€/an.

Côté actifs, le rendement des mesures autres que les hausses d'impôts est médiocre. En effet, ces économies ne se font sentir que progressivement, au fur et à mesure que les actifs deviennent des retraités. C'est ainsi qu'augmenter la durée de cotisation de 1.25 année ne rapporterait que 600M€ en 2020, une sous-indexation similaire à celle des retraités 800M€. Le rapport propose ouvertement de fortes hausses d'impôts, via le relèvement de la partie déplafonnée des cotisations retraites de 0.1 point par an. Selon les scénarios proposés, le rendement serait compris entre 3 et 4.2G€/an. Pour comparer, le CICE, instauré par ce gouvernement, est censé représenter 20G€ à partir de 2014. Entre 15 et 20% de cette mesure seraient donc stérilisés en 2017… Cela dit, il faut bien admettre que l'autre mesure à rendement assez rapide, le recul de l'âge légal, a été choisi par le gouvernement Sarkozy pour la dernière réforme. Il ne reste donc guère, comme mesures de trésorerie immédiate, que le relèvement des impôts ou la baisse des pensions.

À la lecture du rapport, on s'aperçoit que la commission favoriserait les mesures de durées de cotisation, malgré leur faible rendement, à cause de leurs effets à long terme et car ce type de mesure est comprise et admise comme un levier naturel (p95). Elle favorise aussi une désindexation des retraites, on lit qu'il s'agit de la seule mesure lisible et aisée de mise en œuvre permettant de limiter l'évolution des dépenses des régimes (p93). Mais tout cela ne suffit pas et on s'achemine ainsi vers une hausse des impôts, que ce soit via l'alignement de la CSG des retraités sur celle des actifs — souhaitable par ailleurs — ou via l'augmentation des taux de cotisation pour les salariés. Un problème connexe qui se posera, sans doute dans un futur proche, est le comblement du déficit de l'assurance maladie, le levier des impôts ayant déjà été actionné un certain nombre de fois ces dernières années.

À plus long terme

À plus long terme, les choses sont relativement claires, la commission écrit dans le rapport les mesures de durée constituent la réponse la plus pertinente pour adapter le système de retraites au progrès social que constitue l'allongement de l'espérance de vie (p105). La commission étudie des scénarios où la durée de cotisation augmenterait à partir de 2020 — on a vu qu'on pourrait commencer avant — pour aller jusqu'à 44 ans suivant divers rythmes. Le scénario où il y a le plus d'économies est bien sûr celui où l'évolution est la plus rapide (1 trimestre par an); ce scénario semble servir de base pour évaluer les autres mesures. Dans ce cas, l'incidence budgétaire totale pour la CNAV serait positive de 8.5G€ annuels, en comptant tant les surplus de cotisations payées par ceux qui restent en activité que les retraites à payer en moins (p108). S'il était acté un tel rythme d'augmentation serait nettement supérieur à celui prévu par la réforme Fillon de 2003 qui rapporte moitié moins. Comme je l'ai déjà signalé, cette augmentation de la durée de cotisation me paraît souhaitable puisque c'est à la fois la mesure la moins douloureuse et celle qui permet non seulement de renflouer les caisses de retraites, mais aussi les autres caisses publiques, comme celles de l'État ou de l'assurance maladie, via un surcroît d'activité.

La commission s'attarde aussi sur les modalités d'indexation des retraites. Quoique pouvant être assez obscur, ce paramètre technique est d'une importance fondamentale. Le rapport contient un exemple édifiant: si les salaires progressent de 1.5% en sus de l'inflation, un calcul de retraite se basant sur les 25 dernières années donne une différence de 16% entre un calcul se basant sur une réévaluation suivant l'inflation et une réévaluation suivant les salaires. Actuellement, la pension moyenne vaut 88% du salaire moyen: autant dire que sans le changement d'indexation la pension moyenne serait sans doute supérieure au salaire moyen aujourd'hui — ce changement s'est produit dans les faits à la fin des années 80 avant d'être rendu automatique par la réforme Balladur en 1993. Dans le langage de la commission cela donne: le maintien de la parité des niveaux de vie entre ménages actifs et ménages retraités a été préservé, au lieu de se déformer en faveur des seconds (p115). La lecture des simulations du COR montre aussi que c'est en fait toute la différence entre les scénarios de forte croissance et les scénarios de marasme économique. L'indexation suivant l'inflation fait diminuer le ratio pension/salaire plus rapidement en cas de forte croissance, ce qui permet dans les cas les optimistes de dégager des excédents. Même si la commission s'attarde aussi sur le cas d'une hypothétique forte croissance, on peut dire qu'en fait, l'indexation sur les prix n'a pas assez bien fonctionné pour permettre d'éviter d'avoir à passer par la case des réformes successives.

La commission propose ainsi un moyen de rendre l'équilibre des régimes moins dépendant de la croissance économique de manière à obtenir le ratio pension/salaire souhaité. La proposition est que les retraites, ainsi que les bases servant à les calculer, ne soient réévaluées suivant les salaires moins 1.5%. Un tableau p117 montre toutefois qu'il ne faut pas en attendre de miracles si elle est utilisée seule. Dans le scénario C', le solde ne serait amélioré que de 0.3 point de PIB. Cependant, combiné aux mesures d'allongement de la durée du travail, le déficit serait significativement réduit par rapport aux simulations du COR. Avec ce nouveau mode d'indexation, les gouvernements se faciliteraient donc un peu la vie. Un bémol toutefois: cette indexation ne serait pas automatique, ce qui laissera au gouvernement la possibilité de déséquilibrer le système à long terme. Cette méthode est faite pour permettre de geler — voire baisser — automatiquement les pensions en cas de crise économique, les caisses de retraites souffriraient d'un gouvernement continuant à revaloriser pour préserver le pouvoir d'achat.

Le rapport comprend aussi une mesure plus originale. Il s'agit d'une combinaison entre âge et durée pour permettre de prendre sa retraite: ce qui compterait ce serait désormais la somme de l'âge de la personne et de la durée cotisée. On pourrait ainsi partir — à terme — sans décote si la somme des deux vaut 106 (p141). La commission mentionne toutefois que malgré un allongement de la durée de cotisation plus rapide encore que dans le cas du «simple» allongement de la durée de cotisation, la situation financière serait moins bonne. Le rapport n'explique pas pourquoi, mais je pense qu'on peut le deviner. Contrairement au scénarios d'allongement de la durée de cotisation, où on suppose grosso modo que tout le monde reste au travail plus longtemps pour éliminer la décote, dans un système «âge + durée», certains peuvent partir en allongeant moins leur durée de cotisation que d'autres. Pour dire les choses simplement, dans un système «âge + durée», les années d'études comptent pour une demi-année de travail salarié. La conséquence est que les cadres n'auraient pas besoin d'atteindre les 44 annuités ou l'âge butoir de 67 ans (ou plus si un changement intervient). Prenons 2 exemples:

  • Dans un cas, quelqu'un commence à travailler à 16 ans. Il travaille ensuite continûment. Il pourra partir à la retraite à 61 ans, après 45 ans de travail.
  • Dans un autre cas, le travail commence une fois les études terminées à 23 ans, après un bac +5. Il pourra toucher une retraite sans décote à 64 ans et demi, soit 41 ans et demi de cotisations.

Ces simples exemples montrent que ce système est plus injuste encore que le système actuel, puisque l'allongement de la durée de cotisation s'appliquerait à plein à ceux qui commencent à travailler jeunes, qui sont aussi les plus mal payés et qui ont l'espérance de vie la plus courte. Par contre, les cadres seraient largement épargnés. Si on veut vraiment un système plus juste et plus compréhensible, autant prendre la durée de cotisation comme seul critère quitte à augmenter rapidement l'âge légal éliminant la décote pour le fixer entre 70 et 75 ans pour lui donner le seul statut de filet de sécurité. On l'aura compris, je suis franchement hostile à un système «âge+durée»!

Quelques conclusions

La lecture de ce rapport montre qu'une grande part du rétablissement des comptes de la CNAV se fera par des hausses d'impôts. Qu'on envisage toujours sérieusement de faire porter les coûts principalement aux actifs après une crise économique d'une ampleur majeure me semble inquiétant pour les choix qui devront aussi être faits sur l'assurance maladie. Par contre, à plus long terme, la commission propose clairement que ce soit l'allongement de la durée de cotisation qui domine, ce qui permet en fait de ne faire payer personne au sens propre, tout en permettant d'augmenter toutes les recettes fiscales. Si le gouvernement souhaite faire une réforme allant au-delà de 2020, il devrait donc acter un passage plus ou moins rapide aux 44 années de cotisations. Le parti socialiste devrait donc manger son chapeau après s'être opposé pendant plus de 20 ans à cette mesure évidente. Le gouvernement pourrait éviter ça en évitant de se prononcer sur le futur.

Par contre, l'idée d'un système «âge+durée» me semble clairement dangereuse, d'une part à cause des problèmes de financement, d'autre part parce qu'il perpétue voire fait empirer l'injustice principale du système actuel qui est que ceux qui ont commencé jeunes doivent travailler plus longtemps avant de toucher une retraite à taux plein.

2 juin 2013

Touche pas au grisby!

Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak, de l'OFCE, ont publié dans Le Monde du 24 mai puis sur le blog de l'OFCE une tribune intitulée Retraites : garantir le système social qui est de fait une sorte de bréviaire d'une partie de la gauche sur les retraites. On y lit une position qui se rapproche de celle d'ATTAC, mais argumentée de façon nettement plus sophistiquée et nettement moins vindicative. Cette tribune permet à mon sens de comprendre quelles sont les fondements du désaccord profond qui existe sur les retraites. Elle recèle pour moi de nombreuses idées fausses et, pire, répand des mensonges.

Dès le départ, avant de reproduire le texte de la tribune telle que publiée dans le journal Le Monde, le texte du blog résume la thèse défendue en affirmant qu'une nouvelle réforme des retraites ne devrait pas être une priorité pour la France à l’heure actuelle. Même si l'OFCE n'est pas connu pour défendre la limitation de la dépense publique, le sujet des retraites est pourtant l'archétype de ce à quoi on peut toucher maintenant pour favoriser un rétablissement progressif des comptes publics, que le même OFCE ne semble pas refuser, même quand il appelle à en finir avec l'austérité (un exemple). Les mesures prises aujourd'hui ne produiront leurs effets que progressivement, car il est toujours prévu que les paramètres s'ajustent progressivement. Par exemple, les effets de la réforme Sarkozy de 2010 vont s'étaler jusqu'en 2022 pour faire passer à 67 ans l'âge légal de la retraite, où chacun peut partir sans décote même s'il n'a pas le nombre de trimestres requis. Si la position de l'OFCE est que le rétablissement des comptes publics ne doit pas se faire maintenant dans l'urgence ni progressivement à l'avenir, la conclusion est qu'en fait, l'OFCE ne veut pas qu'il se produise.

Les buts du système de retraites

Les auteurs donnent les objectifs que doit, selon eux, atteindre le système de retraites:

Ce système doit être contributif (la retraite dépend des cotisations versées), mais aussi rétributif (la retraite rémunère la contribution à la production, mais aussi l’élevage d’enfants ; ceux qui ont connu chômage ou maladie ne doivent pas être pénalisés) et redistributif (la société doit assurer un niveau de vie satisfaisant à toutes les personnes âgés). Il doit être socialement géré : l’âge de fin d’activité doit tenir compte de la situation de l’emploi comme du comportement des entreprises. Ses règles doivent être adaptées en permanence à l’évolution économique et sociale.

L'objectif rétributif est tout sauf évident. L'exemple donné, élever des enfants, montre au contraire combien cet objectif est profondément daté. Historiquement, les enfants ont été élevés par des femmes qui restaient au foyer. C'est au fond la raison des pensions de réversion et des divers compléments de retraite à base «familiale». S'ils n'existaient pas, ces femmes âgées relèveraient du troisième objectif — dont fait partie le minimum retraite — car elles n'auraient acquis aucun droit, faute de travailler. Ce système leur permettait donc de maintenir leur niveau de vie à un niveau acceptable. La situation a pourtant bien changé: aujourd'hui le taux d'activité des femmes a fortement augmenté, les inégalités de retraite de ce fait sont en train de diminuer et vont continuer à le faire. Ainsi, selon le 12ᵉ rapport du COR (p37), les pensions versées aux femmes augmentent deux fois plus vite que celles versées aux hommes.

Ce type de système est fondamentalement vicié et inefficace: qui peut croire que bénéficier d'un complément de retraite, versé quand les enfants seront partis, est la priorité des parents d'aujourd'hui ou de demain? On peut tout de même penser qu'ils préfèreraient toucher plus d'argent maintenant au titre de la politique familiale. Or la réforme précédente a augmenté la part des suppléments familiaux imputée aux allocations familiales et cela va sans doute conduire à la réduction des prestations familiales. De la même façon, les retraites ne sont pas le bon outil pour traiter les conditions de travail. D'abord, il y a un grand risque que les négociations sur la pénibilité débouchent en fait sur un bénéfice pour des professions plus fortement syndicalisées mais dont les conditions de travail ne sont pas si mauvaises. Le risque est aussi très grand que le classement de pénibilité ne change jamais à l'avenir même si les conditions de travail s'améliorent. Enfin, le dernier risque est que cela serve d'excuse à ne pas chercher à améliorer les conditions de travail, car il y aurait une sorte de rétribution après la période de travail. Ce genre de choses est à juste titre vu comme inacceptable; c'est la logique des préretraites pour exposition à l'amiante.

On remarque aussi que pour les auteurs, on doit tenir compte du comportement des entreprises, soupçonnées d'être responsables du chômage des plus de 55 ans. En fait, il y a nombre de raisons de penser que le système a été exploité via des accords entre les salariés et les entreprises, bien heureux de bénéficier de systèmes permettant d'arrêter de travailler plus tôt. La dispense de recherche d'emploi a été un thème récurrent du blog de verel, et il a constaté dernièrement que le taux d'emploi des plus de 55 ans avait augmenté suite à sa suppression. Il est aussi particulièrement scandaleux pour des économistes de propager le mythe selon lequel le travail des vieux se substitue à celui des jeunes, un avatar de l'idée selon laquelle la masse de travail rémunéré dans la société serait un gâteau de taille fixe qu'il faudrait se partager.

Le système des retraites doit se limiter à un système contributif de revenu de substitution lorsqu'on a travaillé suffisamment longtemps ou qu'on arrive à un certain âge, doublé d'un système de protection sociale comme le minimum vieillesse, pour éviter les situations de misère complète. Mais en aucun cas les retraites ne doivent servir de fusil à tirer dans les coins ou de compensations pour des dommages passés. Si compensation il doit y avoir, elle doit autant que possible être versée dès la réalisation du dommage.

L'équilibre financier du système

Les auteurs affirment au cours de la tribune qu'il souhaitent que les pensions soient indexées sur les salaires, au lieu de l'inflation à l'heure actuelle. Ils refusent catégoriquement toute désindexation et tout gel des retraites. Ils souhaitent que les ratios pensions/salaires actuels soient maintenus. Dans le même temps, ils affirment que c'est la croissance qui doit résorber les déficits sociaux. Or les projections contenues dans le 11ᵉ rapport du COR, auxquelles j'ai consacré un billet en mars dernier, montrent que ce sont des assertions incompatibles entre elles. Les scénarios de forte croissance voient les système de retraite s'équilibrer — au cours de la décennie 2030 en cas de plein emploi et hausse de la productivité de 2%/an — que grâce à une baisse importante du ratio pension/salaire (graphe ci-dessous, scénario A')… baisse permise par l'indexation sur les prix et non les salaires. Pensions_COR.jpg Comme il est impossible de croire que les auteurs ne connaissent pas ces projections, on est réduit à constater qu'ils profèrent sciemment un mensonge et camouflent l'ampleur des conséquences de ce qu'ils proposent. De plus la croissance qu'ils appellent de leurs vœux est tout sauf une certitude, même si les recommandations de l'OFCE étaient appliquées.

Car pour financer cela, au lieu de l'adaptation à l’évolution économique et sociale proclamée au départ, ils proposent de figer les durées de cotisation et les âges de départ aux niveaux déjà actés par les réformes de 2003 et de 2010. La seule variable d'ajustement qui trouve grâce à leurs yeux est l'augmentation des cotisations sociales puisqu'ils écrivent que le gouvernement et les syndicats doivent annoncer clairement que c’est par la hausse des cotisations que le système sera équilibré. Comme ils souhaitent une indexation sur les salaires au lieu des prix, la situation du système de retraites serait pire que celle prévue dans le scénario C' du COR qui prévoyait des hausses de salaires 1% supérieures à l'inflation, et donc à l'évolution des retraites. Ce scénario prévoyait des déficits annuels très importants, de l'ordre de 2.5% du PIB au cours de la décennie 2030. L'abaque 2040 proposée p135 montrait un besoin d'augmentation des cotisations de plus de 5 points de pourcentage, soit une baisse très significative du pouvoir d'achat des actifs qui devraient aussi financer des dépenses de santé accrues.

De fait, je pense toujours qu'augmenter l'âge de départ à la retraite est la meilleure option. Non seulement elle permet de limiter les hausses de cotisation et les gels de pension, mais cela permet aussi d'augmenter la population active et donc sans doute le PIB, contrairement à ce qu'annoncent les auteurs. Dans ce cas, les rentrées fiscales seraient supérieures au cas où on laisserait partir les gens à la retraite comme ce qui est déjà acté, ce qui permettrait de financer plus facilement les dépenses de santé et les autres priorités du moment. Mais les auteurs n'en ont cure: toute la tribune est consacrée en fait au maintien du statu quo ou à des hausses de dépenses, pour finalement tout faire financer par des hausses d'impôts. Il faut ajouter pour faire bonne mesure que les auteurs refusent que les hausses d'impôts se produisent quand la croissance est faible. Comme cette situation risque d'être durable, ils préconisent en fait de laisser se creuser le déficit des caisses de retraites. Les conséquences à long terme pourraient être tout simplement désastreuses, notamment pour ceux qui s'approcheraient de la retraite dans une vingtaine d'années. En attendant, les gens de la génération de Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak auront bénéficié de méthodes de calcul très favorables par rapport à ceux qui devront gérer le désastre.

10 mars 2013

Les projections du 11ᵉ rapport du Conseil d'Orientation des Retraites

En décembre dernier, le Conseil d'Orientation des Retraites a publié son 11ᵉ rapport qui est une actualisation des projections financières relatives aux divers régimes de retraites français. Il s'était déjà livré à 3 reprises à cet exercice, qui est bien entendu une part majeure du travail qui est attendu de cet organisme: en 2006, fin 2007 et finalement en 2010 pour préparer la dernière réforme. La réforme Fillon de 2003 prévoyait une clause de revoyure tous les 5 ans, mais la crise qui a éclaté en 2007-2008 précipite les échéances. Malgré la dernière réforme, les caisses de l'AGIRC — retraite complémentaire des cadres du privé — sont quasiment vides et une négociation est en cours qui semble s'acheminer vers un gel des pensions et une hausse des cotisations. D'aucuns soupçonnent le gouvernement de chercher à se réfugier derrière le résultat de cette difficile négociation pour annoncer une réforme du régime général très similaire et faire porter ainsi le chapeau aux signataires — probablement la CFDT et les syndicats patronaux. Le sujet revêt donc une certaine actualité.

Le modèle du COR

Pour essayer de savoir quelle sera la situation financière future des régimes de retraites, le COR a bâti un modèle permettant de prendre en compte les diverses variables qui l'affectent. Comme il s'agit d'un exercice où il s'agit de savoir quelles mesures éventuellement prendre pour assurer l'avenir des régimes, on raisonne d'abord à loi constante en établissant différents scénarios macro-économiques avant de voir quels sont les effets des mesures qu'on peut prendre. Comme le rapport contient des tableaux qui les résument très bien, je les reproduis ci-dessous, en commençant par les perspectives à long terme, avec pour comparer les hypothèses prises en 2010, avant la dernière réforme. Hypothèses LT du COR en 2010 Hypothèses LT du COR en 2012 hyp_CT_COR_11.jpg On peut donc voir que les hypothèses à long terme sont sensiblement les mêmes qu'en 2010. Le COR a pris en compte la dernière réforme des retraites, l'allongement de l'espérance de vie — qui tend à rallonger la durée de cotisation d'un trimestre — ainsi que de la natalité constatée en ce moment en France. 2 scénarios macro-économiques sont ajoutés, un plus pessimiste et un autre plus optimiste. Ces hypothèses ne sont en fait valables, grosso modo, qu'après 2020. De 2012 à 2020, les scénarios sont en fait quasiment identiques, pour 2 raisons. La première, c'est que ce sont les hypothèses de croissance de loi de finances de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2013 qui sont prises en compte d'ici 2017. La seconde, c'est que le COR voit ensuite une convergence rapide vers le taux de chômage tendanciel: les 7% de chômage sont atteints en 2020 dans tous les scénarios.

Le COR formules les hypothèses de façon à pouvoir reconstruire de façon naturelle la situation financière du régime en séparant les différents types de variables. Ces différents types se justifient par l'impact réel que peuvent avoir les mesures prises.

  1. La démographie est une donnée qui change — en général — de façon très lente. Les projections s'étendent jusqu'en 2060, ce qui est déjà très éloigné, mais tous les retraités de 2060 sont déjà nés et ont pour l'écrasante majorité entamé leur vie active. De même, tous les travailleurs de 2030 ou presque sont déjà vivants. La situation de ce point de vue est déjà jouée, sauf catastrophe. De plus, on voit mal un gouvernement démocratique prendre des mesures contraignantes dans ce domaine!
  2. Les données macro-économiques sont en partie déterminées par la démographie. Une hausse de la population en âge de travailler doit se traduire par une hausse grosso modo équivalente du PIB. Ce qui explique le choix du COR d'exprimer une hypothèse de productivité, ce qui donne la hausse moyenne annuelle des salaires au dessus de l'inflation.
  3. Les données légales peuvent, elles, changer rapidement, mais leurs effets mettront parfois du temps à se réaliser. Le meilleur exemple est celui de l'indexation des retraites sur les prix, dont l'impact est en fait déterminant sur l'équilibre financier à long terme. Mais il vaut mieux, pour savoir quelles décisions prendre, raisonner dans un premier temps à loi constante.

Les hypothèses économiques prises paraissent très optimistes. L'ajout du scénario A' est tout de même très surprenant, puisqu'il estime qu'une hausse de la productivité par travailleur de 2%/an est possible, alors même que la croissance du PIB français ne cesse de ralentir depuis les années 70. Prévoir 4.5% de chômage tendanciel — c'est-à-dire en moyenne sur un cycle économique — paraît très optimiste dans un pays où l'INSEE indique qu'un tel niveau est dépassé depuis 1978, soit 35 ans. Le chômage a passé la barre des 7% de la population active en 1983, il y a 30 ans. À long terme, contrairement à ce que laisseraient penser les tableaux du COR, l'hypothèse la plus crédible est sans doute le scénario C, voire le C'. Quant aux prévisions à 5 ans, il suffit de remarquer que la croissance a été nulle en 2012 et que la prévision 2013 a déjà été abandonnée. Or toute la communication gouvernementale va s'organiser autour de ces projections et, comme la dernière fois en 2010, il basera ses décisions sur le scénario central qui est à la fois complètement hors des clous à court terme et optimiste à long terme. Ce n'est pas un hasard: tous les gouvernements ont surestimé la croissance ces dix dernières années, ça permet de minimiser la taille des problèmes à résoudre, dans tous les domaines, sous couvert de volontarisme.

Les résultats

Les résultats des simulations sont aussi un rappel des effets attendus de la réforme de 2010. Par exemple, avec des hypothèses assez équivalentes à celles de 2010, on voit qu'il y a 1M de cotisants en plus en 2020 par rapport aux projections de 2010 (p31) soit presque 4% de plus. On voit aussi que c'est un effet équivalent aux différence entre les taux de chômage à long terme des différents scénarios! Projection d'emploi selon le COR en 2012

L'effectif des retraités est réduit d'autant, ce qui ne l'empêche pas d'exploser puisqu'on va passer d'environ 15M aujourd'hui à presque 20M en 2030. retraites_cor.jpg

Les perspectives financières sont mauvaises dans les scénarios les plus réalistes (C et C'), où les régimes sont constamment en déficit. La situation est réellement tragique pour le scénario C', où malgré des hypothèses à court terme optimistes — et communes aux autres scénarios — le déficit est de 2% du PIB par an à partir de 2030. situation_financiere.jpg On voit aussi qu'au lieu d'être à l'équilibre, comme escompté lors de la dernière réforme, en 2017, il y aura un trou de 1% du PIB. Par contre la situation dans le scénario A' paraît gérable: on constate des déficits jusqu'en 2030, compensés par la suite par des excédents. On peut donc prévoir à ce graphe une longue vie auprès de ceux qui pensent qu'il n'y a pas de problèmes de retraites en France, spécialement auprès de l'extrême gauche et de certains syndicats pas forcément très réalistes. Dans le scénario B, qui va sans doute servir de scénario central, l'équilibre n'est rétabli qu'à l'horizon 2057, l'équivalent des calendes grecques. La poursuite de la crise a donc creusé un trou très important et ce malgré l'impact important du relèvement de l'âge légal.
On voit aussi que dans tous les cas, après 2030, la situation est soit stabilisée soit en amélioration. On comprend donc que les réformes vont se succéder jusqu'en 2030 et qu'ensuite le système pourrait se figer.

Le 12ᵉ rapport du COR donne comme pension moyenne mensuelle la somme de 1431€ en 2008, l'INSEE donne un revenu salarial moyen mensuel de 1624€. Le ratio des deux vaut actuellement 88%. Les simulations du COR donnent aussi l'évolution de ce ratio suivant les divers scénarios (p57), d'où on peut tirer le graphe suivant. Pensions_COR.jpg On y voit clairement que ce qui fait basculer l'équilibre du système, c'est le ratio pension/salaire. Dans le cas du scénario A', l'indexation des retraites sur les prix diminue suffisamment les pensions pour assurer l'équilibre du système. Pour donner sa pleine mesure, l'indexation des pensions sur les prix doit être accompagnée d'une forte croissance: à long terme, l'effet cumulé est très notable et déterminant. Ceux qui se baseront sur le scénario A' pour donner des pronostics roses sur l'avenir seront en fait ceux qui prônent une baisse du niveau relatif des pensions.

Les politiques à mener

Ces simulations permettent au COR de montrer les effet des principales politiques qui ont un effet sur l'équilibre financier du système. Il faut en effet rappeler que le système ne peut s'équilibrer qu'en jouant sur 3 leviers:

  1. le taux de cotisation: en augmentant les cotisations, on augmente les revenus du système, le déficit se comble donc. Cependant, les revenus des actifs baissent et donc le ratio pension/salaire augmente. Les retraités sont favorisés
  2. le ratio entre nombre de retraités et nombre de cotisants: c'est la politique menée par la droite avec les réformes Fillon de 2003 et celle menée en 2010. L'idée est d'augmenter l'âge légal de départ ou le nombre d'annuités pour obtenir une retraite à taux plein. Si la première mesure est d'effet direct — puisque les gens ne peuvent plus partir à la retraite —, la deuxième peut se transformer en baisse effective des pensions.
  3. le niveau relatif des pensions: c'est le levier qui regroupe le plus de tactiques. Il a été employé dans la réforme menée par Balladur en 1993. On peut donc changer le mode d'indexation des pensions voire les geler, changer le mode calcul pour baisser petit à petit la pension versée, etc.

Tous les autres leviers ne rapportent pas suffisamment. Les revenus du capital ne suffisent en effet pas à renflouer les caisses de retraite. Dans les 35% du PIB qui rémunèrent le capital, on trouve en fait les loyers fictifs que se versent à eux-mêmes les propriétaires de leur logement (10% sur les 35) ainsi que l'amortissement des investissements des entreprises et des particuliers. Les flux réels monétaires sont inférieurs à 10% du PIB. On voit donc que faire porter, en plus des impôts actuels, le poids du déficit prévisible des retraites éliminerait à peu près totalement l'intérêt de recevoir personnellement des revenus du capital.

Les abaques sont situées dans l'annexe 4, à partir de la page 130. Les points w donnent l'effet d'un équilibre qui ne compte que sur une hausse des cotisations accompagné d'un allongement déjà prévu de la durée de cotisation. L'intersection des droites diagonales avec l'axe des abscisses donne le niveau relatif des pensions par rapport aux salaires qui assure l'équilibre à prélèvement constant. Les points y donnent la hausse des cotisations qu'il faut acter si on veut préserver le niveau relatif des pensions.

Les abaques portant sur 2020 donnent une information importante: si on voulait équilibrer les régimes à cet horizon uniquement par des hausses de cotisation, la pension moyenne serait réévaluée de 5% par rapport au salaire moyen, alors même que les niveaux de vie entre retraités et actifs sont aujourd'hui équivalents! À cet horizon, il me semble qu'un gel des pensions soit indispensable: tout prélèvement supplémentaire diminuerait les revenus des actifs, il n'y a pas assez de temps pour qu'un allongement de la durée de travail ait suffisamment d'effets, la réforme de 2010 ayant un calendrier s'étirant jusqu'en 2017. Et cela avec une abaque basée sur un scénario macro-économique très optimiste!

Comme je l'ai dit plus haut, je considère que les scénarios C et C' sont les plus crédibles. Par ailleurs, la baisse du chômage vers une moyenne sur un cycle de 7% étant franchement très hypothétique, je ne pense pas qu'on puisse compter sur une quelconque baisse des cotisations chômage: on devrait éviter autant que possible les hausses de cotisation pour les retraites. Pour savoir quelles politiques mener, on peut se reporter à l'abaque suivante: abaque2040c.jpg On y voit que pour équilibrer le système de retraites, une augmentation de la durée de travail de 6 ans est nécessaire pour préserver le ratio pension/salaire (point z). Ce n'est pas très crédible. Le point y donne la hausse de cotisation nécessaire pour préserver le système avec les réformes déjà actées: 5.5 points. Autant dire que les revenus des actifs en prendraient un sacré coup. Le point x donne la baisse relative des pensions pour assurer l'équilibre sans hausse de cotisation ni de durée de cotisation: une baisse de 20%. Les points w donnent l'effet de la politique actuelle: il faudrait augmenter les cotisations de 3.5 points, les pensions baisseraient de 10% par rapport aux salaires par l'effet de l'indexation sur les prix. Pour situer les données du problème, 3.5 points de cotisation c'est 15% des ressources actuelles du systèmes; si on prend un taux de prélèvements obligatoires de 50%, ça correspond à une baisse relative de 7% du niveau de vie des actifs. C'est donc loin d'être neutre. On voit aussi que le point x requiert un gel durable des pensions, l'indexation sur les prix n'apportant qu'une baisse relative de 10%! Dans ce contexte, la politique qui me semble préférable est celle consistant à allonger la durée de cotisation de 2 ans. De cette façon, l'indexation sur les prix amène à proximité de l'équilibre, surtout combiné au gel sans doute indispensable à court terme des pensions. Le reste pourrait être assuré par une hausse des cotisations, très limitée — inférieure à 1 point.

Conclusions

Les abaques du COR sont très utiles, mais cette utilité est entravée par l'utilisation de scénarios immodérément optimistes. Suivre le scénario B ainsi que les hypothèses du PLFSS 2013 amène à sous-dimensionner les changements. Mais c'est sans doute ce qui se passera, le gouvernement PS aura énormément de mal à faire accepter un gel des pensions, un allongement de la durée de cotisation et un relèvement de l'âge de la retraite après avoir combattu toutes ces mesures depuis 20 ans. Pourtant, il semble qu'il soit nécessaire pour assurer l'équilibre du système de geler les pensions pendant quelques années ainsi que d'acter un allongement de la durée de cotisation de 2 ans de plus, pour aller vers les 44 ans de cotisation.

15 mars 2012

Les atermoiements de Sarkozy

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été marquée par des atermoiements, surtout dans le domaine des dépenses publiques ou des dépenses fiscales, ces réductions d'impôts données dans des buts divers et variés. Cela s'explique en partie par la crise et l'ampleur de celle-ci. Cependant de nombreuses mesures, surtout prises en début de mandat, étaient totalement inutiles voire contreproductives.

L'exemple le plus frappant est sans doute la réduction d'impôts accordée au regard des intérêts d'emprunts immobiliers. Il s'agissait de donner un crédit d'impôt égal à 40% des intérêts de la première année et 20% les 4 suivantes. Si on prend pour hypothèse un emprunt sur 20 ans à 4%/an, cette mesure compense environ 3% des sommes remboursées à la banque. De plus, les revenus des emprunteurs augmentant faiblement à cause de la stagnation du pouvoir d'achat, il était prévisible que les banques ne tiennent pas compte de cet avantage fiscal pour calculer la capacité d'emprunt de leurs clients. On voit donc que, dès le départ, on pouvait penser que les effets de la mesure seraient limités. Ça n'empêchait pas que le coût de la mesure était de plusieurs milliards d'euros. Devant les problèmes de finances publiques, le gouvernement a décidé de supprimer cet avantage fiscal pour créer le PTZ+ en 2010, dont il a durci les conditions dès 2011.

Ce parcours est typique de ce qu'il est advenu de la loi TEPA. Seules ont survécu la réduction d'impôt au titre de l'ISF pour l'investissement dans les PME et ce qui concerne les heures supplémentaires. Si la première a sans doute eu des effets sur le financement d'entreprises — pas toujours celles qu'on attendrait — du fait de son ampleur, ce qui concerne les heures supplémentaires n'a été qu'un effet d'aubaine. Il est vrai qu'on pouvait aussi se poser la question de savoir pourquoi il fallait avantager spécifiquement les heures supplémentaires. En fait, ces mesures étaient pour la plupart des ersatz. Le bouclier fiscal remplaçait une suppression de l'ISF, la diminution de l'impôt sur les successions et la réduction sur intérêts d'emprunt devaient plus ou moins compenser les effets de la hausse des prix de l'immobilier, les heures supplémentaires le coût du travail perçu comme trop élevé. Mais aucun de ces ersatz ne pouvaient véritablement remplacer l'effet qu'on recherchait véritablement et, en plus, c'était en grande partie prévisible dès l'été 2007. Les problèmes de déficit ont obligé à plus de sagesse, mais de l'argent a été gaspillé.

Ce type de comportement s'est aussi retrouvé sur la question des retraites. En 2008, était prévu un rendez-vous pour ajuster les lois Fillon. Ç'aurait pu être l'occasion de modifier le système. Certes, à l'automne 2007, le gouvernement Sarkozy avait modifié les régimes spéciaux. Mais ces changements laissent ces régimes avec des avantages de façon durable: la durée de cotisation est par exemple toujours inférieure à celle des fonctionnaires. Et cela s'est fait au prix de concessions qui ont enlevé à ces changements une bonne part de leur intérêt financier, pour ne garder que le symbole. En 2008, le gouvernement a décidé d'augmenter le minimum vieillesse de 25%, augmentant donc les charges de retraites. Même s'il a renoncé à mener cette hausse à bien en totalité à cause de la crise, la lecture du rapport du COR montrait que les actifs pauvres étaient dans une moins bonne situation que les bénéficiaires du minimum vieillesse (p41), ce qui aurait dû porter l'attention ailleurs. L'autre fait marquant est que le gouvernement a mis progressivement fin à la dispense de recherche d'emploi, une évolution bienvenue.

La crise et la démographie ont obligé à une réforme courant 2010. La mesure la plus saillante est le recul de l'âge où on peut faire valoir ses droits à la retraite. C'est un changement bienvenu, car c'est la façon la plus efficace de faire rentrer plus de cotisation tout en contenant la hausse des pensions à verser. Combiné à la hausse prévisible de la durée de cotisation, cela permet de limiter les charges de retraites et de ne pas augmenter les cotisations — même si le gouvernement a prévu de façon incroyable de remplacer à terme une partie des cotisations chômage par des cotisations retraite. Cela permet aussi de financer l'assurance maladie, les retraités bénéficiant d'un régime de faveur, ne payant qu'une CSG allégée. Mais comme d'habitude, la réforme est basée sur des hypothèses trop optimistes et devra être revue lors du prochain quinquennat. Les régimes complémentaires sont d'ailleurs en train d'entamer sérieusement leurs réserves. Par ailleurs, ne pas l'avoir fait en 2008 a obligé à prévoir une transition plus courte.

En conclusion, certaines mesures de Sarkozy ont été clairement nuisibles, comme pour le cas des impôts sur les personnes physiques. Dans le cas des retraites, il a fini par prendre des mesures nécessaires et c'est pourquoi il mérite sur ce sujet un satisfecit. Mais il a montré une tendance à ignorer ce que le raisonnement montrait dès l'origine: la réduction d'impôts au titre des intérêts d'emprunts n'était qu'un gaspillage, augmenter le minimum vieillesse allait à l'encontre de la situation démographique et sociale de la France. On eût espéré un peu plus de rationalité dans la prise de décision.

28 novembre 2010

In memoriam fonds de réserve des retraites

Institué par le gouvernement Jospin dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, le fonds de réserve a reçu pour mission de gérer un capital pour faire face au vieillissement de la population en comblant au moins partiellement les déficits du régime général postérieurs à l'année 2020. Toutefois, le gouvernement a décidé d'utiliser ce capital dès 2011 pour combler au moins en partie les déficits prévus jusqu'en 2018.

Vider le fonds ou quand nécessité fait loi

À l'occasion de la réforme des retraites, le gouvernement a annoncé qu'il utiliserait le capital accumulé dans le fonds de réserve pour combler les déficits qui vont s'accumuler d'ici à 2018 pour la CNAV, date à laquelle le système serait à l'équilibre. Afin de faciliter la vie de chacun, le gouvernement ne précise pas le montant annuel pris sur le capital accumulé sur son site dédié. Il a aussi jugé bon de s'abstenir de mettre ce montant dans le projet de loi sur les retraites, mais le donne dans la loi de financement de la sécu pour 2011 (LFSS) à l'article 9 dont la rédaction mérite un prix pour sa clarté. Cette manière de procéder, d'ailleurs identique pour toutes les mesures financières, a d'ailleurs attiré les réprimandes d'un dangereux révolutionnaire, le rapporteur sénatorial Dominique Leclerc. Le fonds devra ainsi verser 2.1G€ tous les ans à la CADES à partir de 2011 et jusqu'en 2024; il n'aura plus de recettes fiscales.

Comme un calcul le montre, cela nécessite de mobiliser environ 24.5G€ maintenant en obligations d'état français. Au 30 septembre dernier, la valeur du portefeuille du FRR valait 35.1G€ dont 3.5G€ au titre de la soulte des industries énergétiques et gazières. Cette dernière doit être versée à la CNAV en 2020, c'est une contrepartie du soutien du régime général au régime spécial d'EDF-GDF. En fait, seuls 31.6G€ sont mobilisables pour combler les trous futurs. Le fonds ne sera donc pas entièrement liquidé en 2024, il restera un capital d'entre 10 et 20G€ probablement. Ce capital résultera des 7.1G€ actuellement «libres» et sans doute d'une fraction du capital à verser aux échéances les plus lointaines qui permettent de prendre quelques risques.

Les sénateurs s'opposaient, le 18 mai 2010, dans un rapport à l'utilisation du FRR pour combler les déficits actuels en ces termes:

Le FRR est l'un des rares signes adressés aux jeunes générations pour leur montrer que les pouvoirs publics préparent l'avenir en prélevant dès à présent des ressources pour financer les retraites des cotisants d'aujourd'hui. L'utilisation de ses réserves ne pourrait que renforcer l'inquiétude et la méfiance des plus jeunes à l'égard du système de retraite par répartition.

C'était alors. Un peu plus tard:

Certes, la date d'entrée en jeu du FRR est anticipée de neuf ans, mais il n'en reste pas moins que sa finalité est préservée puisqu'il contribuera au financement du système de retraite entre 2011 et 2024 et cela à double titre : (...)

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission vous demande d'adopter les dispositions relatives à l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.

Il faut dire qu'entre temps le gouvernement a fait connaître son projet et publié sa position:

Dans tous les pays où existent des fonds de réserve dédiés au financement des retraites, le principe est de constituer des réserves quand les régimes de retraite sont en excédent et de les utiliser en période de déficit. Le cas français constitue donc une anomalie : le FRR accumule des réserves alors que les régimes de retraite sont confrontés à des déficits importants depuis 2005 : 21,2 Md d'euros de déficit cumulé pour la CNAV entre 2005 et 2009 et 9,3 Md d'euros de déficit prévisionnel pour 2010.

La crise a encore accentué le caractère peu logique de cette situation en augmentant fortement le niveau des déficits. (...)

Le Gouvernement propose donc d’utiliser les ressources du fonds de réserve pour les retraites (FRR) pour financer l'intégralité des déficits du régime général et du FSV pendant la période de montée en charge de la réforme. Les régimes de retraite ont connu une accélération de 20 ans de leurs déficits : il est donc logique de mobiliser plus tôt que prévu le FRR dont le calendrier de décaissement devait débuter en 2020.

Au fameux article 9 de la LFSS pour 2011, le gouvernement prévoit que le montant des dettes que la CADES peut reprendre au titre des déficits des caisses de retraites est de 62G€. Cette somme correspond approximativement au cumul des déficits si on interpole linéairement les données du gouvernement. On s'aperçoit qu'il y a une certaine contradiction avec l'assertion selon laquelle l'intégralité des déficits du FSV et de la CNAV serait financée intégralement par l'utilisation du capital du FRR. Même si on considère que les recettes du FRR sont transférées à la CADES, les recettes pérennes du FRR ne sont que d'environ 1.5G€ par an. La CNAV prévoit aussi d'être en déficit de 4G€ en 2020 (2e §) et qu'il était de 4.6G€ en 2007.
Si ces remarques marginales ne font que peu tiquer les commissions parlementaires, habituées au pipeau gouvernemental, c'est qu'en fait ce qui leur importait, c'était que le FRR serve bien à éponger les déficits du système de retraite. En la matière, l'argumentation du gouvernement porte: il ne sert pas à grand'chose de garder une réserve alors que les déficits importants sont là. Nécessité fait loi.

L'abondement du fonds ou à la recherche de l'argent introuvable

À l'origine, le fonds de réserve devait constituer un capital de 1000 milliards de francs, soit environ 150G€, en 2020. Il s'agissait de francs constants, c'est-à-dire sans prendre en compte l'effet de l'inflation des 20 années postérieures à 2000. Si on prenait une hypothèse d'une inflation de 2% par an de 2000 à 2020 — hypothèse assez bien réalisée de 2000 à 2010 —, le montant réel à obtenir en 2020 aurait été de 225G€ environ. Dès cette époque, il paraissait toutefois peu probable que cet objectif soit réalisé, qu'on prenne en compte l'inflation ou pas, d'ailleurs. Cela dit, il est intéressant de comparer cet objectif à ce qui a finalement été obtenu.

Pour obtenir une somme donnée au bout de 20 ans, il faut commencer par trouver de l'argent pour alimenter le fonds. Vu que l'argent prélevé va être placé, on espère évidemment que les rendements seront positifs et par voie de conséquence qu'il faut prélever moins que la somme finale. Cela dit, des estimations réalistes de prélèvements et de rendement montrent qu'il faut au moins que les sommes prélevées soient égales à la moitié du capital final. En effet:

  • Si on prélève la somme d'un seul coup, obtenir un capital final double au bout de 20 ans implique un rendement de 3.5% par an. Si le rendement paraît relativement réaliste, prélever la moitié de la somme d'un coup l'est nettement moins: les 150G€ représentaient et représentent toujours plusieurs points de PIB. La moitié de cette somme (75G€) est toujours un montant considérable (environ 4% du PIB de 2009) et ce d'autant plus que, si les placements effectués se révèlent mauvais, rien ne peut rattraper cela que des rendements supérieurs les années suivantes.
  • Si on prélève une somme constante jusqu'à l'échéance et que les rendements sont constants, la somme des prélèvements n'est égale à la moitié du capital final que si le rendement est de l'ordre de 7% par an. Si ce rendement est le rendement nominal, cela est presqu'envisageable; s'il s'agit du rendement réel (le rendement nominal duquel on retire l'inflation), cela relève plus du rêve qu'autre chose.

On peut retrouver les calculs sur cette feuille Google.

De fait, on peut se dire que prélever progressivement 80G€ est véritablement un minimum. On peut donc se baser sur un objectif de 4G€ par an. Les rapports parlementaires préparatoires aux lois de finances permettent de retracer l'historique de ces abondements. Cela donne le graphe suivant: abondements frr_2.jpg On remarque immédiatement que les versements n'ont été supérieurs aux 4G€ nécessaires qu'une seule année, en 2002. Ils ne s'en sont rapprochés que 3 fois, entre 2001 et 2003. On est donc très loin des objectifs annoncés à l'origine. Les déficits généralisés dans tous les secteurs de dépense publique, que ce soit le budget général ou l'assurance maladie n'ont à l'évidence pas permis de dégager des financements. L'alimentation du fonds n'est en quelque sorte que la conséquence de l'absence de préparation ou de l'incapacité à se préparer aux problèmes parfaitement prévisibles de déficit des caisses de retraite.
De fait on retrouve ces difficultés dans le type de sommes allouées au FRR. Le fonds a été alimentés par 3 types de sources:

  1. Un part du prélèvement social de 2% sur les revenus du patrimoine. Cette part est fixée à 65% depuis 2003: le FRR a perçu 1.3% de ces revenus ces 7 dernières années. C'est pratiquement la seule ressource de 2004 à 2009.
  2. Les excédents de la CNAV et du FSV. Ce sont respectivement la retraite générale des salariés et le fonds ad hoc qui cotise par exemple à la place des chômeurs pour qu'ils continuent d'accumuler des droits.
  3. Des recettes de privatisation, sous une forme ou une autre. Cela recouvre les privatisations proprement dites ainsi que les ventes de parts de Caisses d'Épargne ou de licences UMTS.

La répartition est donnée ci-dessous. Compo FRR_2.jpg La part du prélèvement de 2% est prépondérante, les excédents ne représentent qu'un peu plus de 20% des versements. Depuis 2006, la CNAV est d'ailleurs en déficit. Cela veut dire que 80% des prélèvements n'ont que peu à voir avec le problème des retraites. On a finalement pris de l'argent là où on en trouvait, c'est-à-dire ailleurs que dans les caisses de retraite.
Cela pose un problème de principe. En effet, un tel fonds se conçoit surtout comme un lissage des conditions dans lesquelles sont accordées les retraites. Sa présence permet d'adoucir la hausse des prélèvements ou la période de transition vers des conditions plus dures. Il doit s'agir de constituer, comme son nom l'indique, une réserve à partir des cotisations présentes de façon à ce que les cotisants préparent leur retraite sans grever outre mesure les revenus de ceux qui resteront au travail après leur départ à la retraite. Cela doit normalement être possible lorsqu'une classe pleine cotise, son nombre devant permettre des excédents. Le raisonnement est un peu le même pour les générations dont l'espérance de vie croît. Si on se situe dans une logique de salaire différé, les fonds doivent provenir au moins majoritairement des cotisations des salariés. On vient de voir que ce n'est pas le cas. Même s'il est marginal par rapport aux sommes allouées aux retraites dans leur ensemble (d'ores et déjà plus de 10% du PIB par an), l'alimentation du fonds de réserve est symptomatique de la façon dont est géré le système de retraite: comme le reste du budget de l'état. On n'accorde finalement des droits que pour se trouver une justification des prélèvements, ces prélèvements servant à honorer une dette que l'état s'est constitué ... en s'engageant à verser des retraites. La constitution de cette dette n'obéit pas de façon logique à des règles définies auparavant: ainsi l'état a pu faire assumer au régime général les retraites de divers régimes spéciaux, évidemment plus généreux dans l'ensemble. Il faut trouver de l'argent pour honorer ces dettes, la provenance importe en fait peu.
Un autre point à souligner est qu'à partir du moment où les caisses de retraites sont en déficit, l'accumulation dans le fonds ne présente un véritable intérêt que si son rendement est supérieur à celui des obligations finançant le déficit.

L'état, un bon investisseur?

Il est toujours intéressant de savoir ce qui est fait de l'argent public: il a été prélevé à des personnes qui aurait pu en faire un autre usage, souvent à leurs yeux plus utile. Dans le cas présent, il s'est agi d'épargner de l'argent pour pouvoir lisser du mieux possible la transition démographique en cours, le vieillissement de la population. Il y a deux critères de jugement. Le premier est de savoir si, en partant d'une stratégie donnée le fonds a fait mieux ou moins bien que ce qu'un investissement indiciel aurait donné. Le deuxième est de savoir si l'arbitrage entre emprunter moins pour l'état et alimenter le fonds de réserve a été favorable ou pas. Étant donné que la période 1999-2010 a été marquée par deux fortes baisses des marchés actions, la réponse est avant tout calcul sans doute défavorable.

Pour effectuer une comparaison, les «placements» concurrents sont les suivants:

  • L'inflation, pour comparer la performance du fonds à l'érosion monétaire. Si le fonds contient plus que ce que donne l'inflation, sa valeur réelle a augmenté. Les données ont été récupérées sur le site de l'INSEE, l'évolution retenue est de mois d'octobre en mois d'octobre.
  • L'EONIA, le rendement du taux au jour le jour. Il est approximé par un rendement moyen mensuel. Les données ont été trouvées sur le site de la BCE.
  • Le taux des obligations d'état français à échéance longue. Ce placement fait sens pour le FRR, étant donné qu'il devait parvenir à échéance en 2020. Pour évaluer la performance, le taux long a été approximé par le taux à 10 ans. Le placement est basé sur des obligations 0 coupon d'échéance 2020 pour se faciliter le calcul. Les données de taux ont été trouvées sur le site de l'INSEE.
  • L'évolution des marchés boursiers. 2 indices ont été utilisés: le CAC40, indice vedette de la place de Paris, et le Stoxx 600, indice large de la zone euro. Les sociétés éditant ces indices ont la bonne idée de publier des indices de retour net à l'investisseur, ce qui facilite les calculs. On s'aperçoit que les performances sont quasiment équivalentes.
  • Un mixte de 50% d'obligations à échéance longue et de 50% d'actions. La répartition moitié-moitié est réajustée en début d'année. Cette stratégie est grosso modo celle adoptée par le FRR.

La valeur du fonds retenue est celle au 30 septembre dernier, la dernière valeur connue hors soulte EDF, de 31.6G€. On peut recréer le graphe ci-dessous grâce à cette feuille. Perfs FRR_2.jpg On s'aperçoit que le fonds a fait à peine mieux que l'inflation, un peu moins bien que l'EONIA et les marchés d'actions (bien que cela puisse être dû aux différentes dates de fin de relevé) et nettement moins bien que la stratégie panachant actions et obligations. Les obligations à long terme ont été le meilleur placement sur la période du fait du rendement supérieur aux placements à court terme et à la baisse des taux d'intérêt. Seuls des placements sur des marchés émergents hors d'Europe auraient pu dépasser ces rendements. Il reste que le fonds a représenté un coût net pour les finances publiques puisqu'il a rapporté moins que d'éviter une dette équivalente.
Le rendement constant menant à la même valorisation du fonds est d'environ 1.8% par an.
On ne peut que conclure que la performance financière du fonds a été peu convaincante. L'état semble être donc un piètre investisseur.

Quelques conclusions

Le fonds de réserve partait d'une analyse juste de la situation démographique. Son but de lissage était et est toujours louable, mais sa gestion rend peu optimiste pour ce genre d'institutions, en tous cas dans la situation politique actuelle en France.
Les objectifs de versement ont été assez largement ignorés. C'est dû à la gestion plus générale des finances publiques françaises, toujours en déficit, souvent important, sur la période d'approvisionnement du fonds. Il faut aussi remarquer que la caisse du régime général n'a pas eu les excédents escomptés, mais c'est grandement lié aux prévisions trop optimistes du gouvernement au moment de la réforme de 2003. Ce biais optimiste se retrouve un peu partout dans la gestion des comptes publics en France. Par exemple, aucun des programmes budgétaires prévisionnels envoyés à la Commission Européenne n'a été respecté, souvent du fait de prévisions de croissance extrêmement optimistes.

Le fonds a été victime des 2 crises boursières de la période. Sa performance aurait donc été médiocre de toutes façons, inférieure au coût correspondant de la dette. Mais sa performance est éloignée de la performance d'une gestion de type indicielle constituée à moitié d'obligations et à moitié d'actions, ce qui est anormal.

Ce type de fonds a aussi vocation à être utilisé juste après une crise. En effet, il est conçu pour absorber les déficits des caisses de retraites. Plus on s'approche de la date prévue d'utilisation, moins il y a de chances que les caisses soient en excédent. Comme leurs recettes dépendent de l'activité économique, le premier moment où on va utiliser le fonds est sans doute juste après que les recettes aient subi l'effet d'une récession ou simplement d'un ralentissement économique. Or ces périodes sont les plus défavorables aux marchés d'action, ce qui fait que le fonds risque de perdre de sa valeur juste avant qu'on s'en serve. Dans le cas présent, l'anticipation de l'usage est très importante du fait de la magnitude historique de la crise, mais aussi des prévisions gonflées des gouvernements successifs. La perte de valeur en 2008 a été très forte et, évidemment, impossible à compenser depuis.

14 octobre 2010

Le mensonge de Martine Aubry sur l'âge de départ à la retraite

Ce soir dans l'émission À vous de juger de France 2, vers 21 heures, Martine Aubry a répondu à Nicolas Beytout qui l'interrogeait qu'il était faux que le deuxième rapport du COR de 2010 affirmait que 63% des français émargeant au régime général des retraites liquidaient leur retraite à l'âge de 60 ans et avant. Elle ajoutait que c'était là reprendre à l'identique les positions du gouvernement et que l'âge moyen de départ était en fait bien plus élevé (61.6 ans), ceci dans le but de discréditer le plan du gouvernement visant à ce qu'on ne puisse plus, selon la règle générale, liquider ses droits avant 62 ans. Malheureusement pour elle, on peut lire page 27 dudit rapport:

Au régime général, l’âge effectif moyen de départ à la retraite augmenterait de 61,8 ans en 2009 à 62,5 ans en 2050 pour les femmes et de 61,4 ans en 2009 à 63,1 ans en 2050 pour les hommes. Tous sexes confondus, il augmenterait ainsi de 61,6 ans en 2009 à 62,8 ans en 2050. Ces âges moyens masquent l’existence d’une assez grande dispersion des âges effectifs de départ, avec une concentration des départs autour des âges légaux de 60 et 65 ans : ainsi, en 2009, 63% des départs se font à l’âge de 60 ans (ou avant) et 17% à 65 ans; en 2050, ces proportions seraient dans les projections respectivement de 38 % et 36 %.

Si, en effet, l'âge moyen de départ à la retraite est bien supérieur à 60 ans, c'est une réalité que de signaler que presque les deux tiers des salariés du privé liquident leur retraite à l'âge légal ou avant. Comme il est difficile de croire que Martine Aubry, titulaire d'une licence de sciences économiques, puisse ignorer la différence entre une moyenne et une médiane, il ne reste plus que le mensonge éhonté. Et comme elle précise au même moment que l'âge de cessation d'activité est de moins de 60 ans (59.1 ans), son objectif est clair: faire comprendre que le problème, c'est le chômage des vieux et non l'âge de butée de 60 ans puisque le départ a lieu en moyenne plus tard. Mais si on regarde de l'autre façon, il s'agit d'une arnaque intellectuelle. Presque les deux tiers des salariés du privés partent en retraite à l'âge de référence ou avant, qui agit comme une sorte d'horizon fini. À ce moment-là, le fait qu'on puisse être indemnisé par l'assurance chômage permet de trouver un accord avec son employeur pour un départ anticipé ou, tout simplement, d'arriver jusqu'à la retraite sans trop se poser de question puisqu'il y a objectivement peu de chances qu'un employeur embauche quelqu'un qui s'en ira bientôt et dont les prétentions salariales sont supérieures aux plus jeunes. Si le deuxième comportement est celui qu'on attend de l'assurance chômage, le premier est un comportement de passager clandestin, malheureusement inévitable.

Reste qu'il est toujours affligeant de constater que des responsables politiques, même avec une réputation de sérieux et de compétence, se vautrent dans le maquillage de la réalité voire le mensonge pur et simple pour faire passer leurs idées et s'abstenir d'expliquer la réalité telle qu'elle est.