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26 novembre 2013

Peut-on facilement redéployer des milliards de dépenses publiques?

Une remarque souvent entendue dans le débat public est qu'il serait possible, sans difficulté extraordinaire, de redéployer des crédits au sein du budget de l'état — en général, quelques milliards d'euros — pour favoriser une mission particulière. Je m'étais par exemple fait l'écho des difficultés de l’institution judiciaire en France dont le budget est d'un peu plus de 7.6G€. On pourrait penser affecter 1 ou 2 milliards de plus par an pour aider à résoudre les problèmes qui se posent (engorgement des tribunaux, prisons vétustes, etc.). Dans le même ordres d'idées, Thomas Piketty proposait la semaine dernière dans une tribune dans le journal Libération d'augmenter le budget de l'enseignement supérieur de 6G€ soit à peu près 50% des 12.7G€ prévus en loi de finances 2013.

À première vue, il semble en effet aisé de trouver de tels montants dans le budget de l'état ou des divers organismes publics: la dépense publique s'élève à plus de 56% du PIB de sorte que 1G€, c'est moins de 0.1% de la dépense publique. La proposition de Thomas Piketty reviendrait alors à redistribuer un peu plus de 0.5% des dépenses, ce qui ne semble pas bien difficile a priori.

La première chose qui rend difficile une telle redistribution, c'est qu'il y a des demandes dans d'autres domaines. Rien que dans le premier paragraphe, j'ai réussi à citer 2 causes où il existe une demande de crédits supplémentaires. Or, il en existe quasiment autant que de missions de l'État! On peut aussi constater que François Hollande a promis d'embaucher des professeurs, des policiers et des personnels supplémentaires pour la justice pendant sa campagne présidentielle. La deuxième, c'est qu'il existe des postes budgétaires importants qui ont une grande persistance, comme les dépenses de personnel. Il est compliqué de faire passer des personnels d'une partie à l'autre de l'état en France à cause de besoins en compétences et de l'existence de statuts différents … et aussi sans doute d'une faible appétence pour quitter certaines administrations. Cette inertie explique en partie pourquoi les annonces d'économies dans les budgets publics se traduisent par une ribambelle de petites économies mises bout à bout. La troisième, c'est qu'il existe déjà un courant obligatoire de dépenses publiques supplémentaires: il y a alors une substitution obligatoire des dépenses de l'état en cours et il n'est pas forcément si évident qu'on puisse en rajouter.

Dépenses de Sécu et de retraites Sur le graphe ci-dessus, on constate que la somme des dépenses de retraites et d'assurance maladie croissent presque linéairement d'année en année. En une dizaine d'années, elles ont augmenté de 150G€, soit 15G€/an, plus du double de ce que revendique Thomas Piketty pour l'université. Mais contrairement à ce qu'il demande, cette augmentation se produit tous les ans! Sauf changements de règles, il faut donc trouver tous les ans des crédits à redistribuer parmi les dépenses publiques, ce qui diminue d'autant le potentiel d'augmentation pour d'autres missions.

Même s'il y avait plus de croissance que dans la période actuelle, ces conclusions seraient sans doute encore valables. En période de croissance, les fonctionnaires demanderaient plus d'augmentations de salaire, le remplacement des équipements qui ont vieilli. Et on peut aussi constater qu'en moyenne, les dépenses de protection sociales augmentent en proportion du PIB — d'environ 0.2% par an —, ce qui rend toujours la tache difficile pour trouver des fonds pour d'autres activités. Dépenses de Sécu et de retraites en %age du PIB

En conséquence, il ne me semble pas si facile de trouver 6G€ à affecter à l'université. Quel que soit l'intérêt de la cause, la difficulté est que les dépenses sociales imposées par le passé — retraites et une bonne part des dépenses de santé — augmentent d'année en année. Si on pense que la dépense publique a atteint un point haut en France et qu'on ne veuille plus augmenter les impôts, il faut alors soit diminuer les autres dépenses publiques et accepter l'éviction de dépenses utiles par ces nouvelles dépenses forcées, soit stopper cette hausse des dépenses sociales, ce qui est extrêmement difficile. Les dernières décisions sur les retraites montrent quel chemin a été choisi: celui de l'éviction des dépenses publiques par les retraites et les dépenses de santé, ainsi qu'une continuation des hausses d'impôts. Malheureusement, il est prévisible qu'on ne pourra pas trouver de sitôt 6G€ supplémentaires annuels pour financer l'université.

17 mars 2013

Des implications du plan de «sauvetage» chypriote

Ce samedi matin, le gouvernement chypriote a annoncé un plan visant à assainir son secteur bancaire et qu'il allait recevoir 10G€ d'aide — de prêt en fait — des pays de l'UE en état de le faire ainsi que du FMI. Ce plan était attendu depuis 9 mois, une fois que les conséquences de la faillite de l'état grec sur les banques chypriotes connues. Parmi les mesures imposées figure une taxation des dépôts de moins de 100k€ de 6.75%: si vous aviez 1000€ sur votre compte chypriote, il ne vous en restera plus que 932.5€ si le plan est voté par le parlement. Les dépôts supérieurs à 100k€ se voient, eux, amputés par un taux de taxation de 9.9%, digne d'une publicité de supermarché. Sans surprise, les chypriotes se sont donc rués sur les distributeurs automatiques de billets, puisque suite à une coïncidence inexplicable, la décision a été annoncée lors au début d'un long week-end, ce lundi marquant opportunément le début du carême orthodoxe, période de privations. Le plan prévoyait qu'en échange de la confiscation des actions des banques seraient distribuées, mais la perspective d'un bank run a amené le président chypriote à promettre une partie des éventuels revenus gaziers du pays pour ceux qui laisseraient leurs économies dans les banques.

L'échec de l'euro

À l'origine l'euro était prévu pour que les valeurs relatives des sommes placées dans la poche des détenteurs ou déposées sur un compte ne varient plus d'un pays à l'autre en fonction de la conjoncture ou des décisions politiques locales. Le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est raté. De fait, même si cette décision ne transforme pas la zone euro en système monétaire à parités fixes et qu'elle n'est pas équivalente à une dévaluation puisque seules les dettes des banques envers leurs clients sont affectées, il s'agit d'une diminution arbitraire du patrimoine des déposants.

Cette décision fait suite aux diverses avanies qu'a subies la zone euro depuis 2008. Alors que l'euro devait aider à faire converger les niveaux de vie et les économies des divers pays participants, on a vu en fait d'énormes divergences se créer, avec à la clef de graves crises en Grèce, en Irlande, au Portugal, en Espagne et en Italie. Comme le remarquait Verel avant de prendre connaissance du plan, les objectifs politiques ont aussi été manqués et de loin. Il ne manque plus en fait qu'un pays sorte de la zone euro pour cocher toutes les cases des échecs possibles. Il faut à ce propos remarquer que Chypre correspond bien aux types de pays qui pourraient sortir. Chypre est un petit pays, imprimer suffisamment de billets et de pièces prendrait sans doute peu de temps, mais peut-être pas beaucoup plus qu'un mois. On s'achemine aussi vers un bank run. On coche toutes les cases de la liste des prérequis qu'avait préparé Barry Eichengreen il y a un peu plus de 5 ans.

La zone euro continuera sans doute d'exister: malgré la confiscation d'une partie des dépôts à Chypre, la population semble toujours favorable à l'euro à cause de son statut de monnaie forte qui protège de l'inflation. Un certain nombre de pays restent à cause des conséquences très néfastes qu'aurait une sortie: la situation doit vraiment devenir désespérée pour qu'une sortie devienne intéressante. Pour d'autres pays d'Europe du Nord, la situation est au contraire acceptable.

La fin des espoirs fédéralistes

Cette confiscation des dépôts est aussi à mon sens la fin des espoirs fédéralistes en Europe. En juin dernier sur blog, j'avais exprimé ma faveur pour une garantie européenne des dépôts qui mutualiserait les sauvetages bancaires, ce qui les rendait nettement plus faciles à gérer: c'est parfaitement clair dans le cas chypriote où les dépôts sont trop gros pour l'état chypriote mais faibles à l'échelles de l'ensemble de la zone. Il y a déjà une directive en place, selon laquelle la garantie minimale est de 100k€. Mais comme la garantie doit être assumée par l'état où est établie la banque, elle n'est aussi solide que la signature de cet état. En l'occurrence, Chypre est trop petit pour assumer cette obligation, d'où la taxe, spécialement destinée à contourner la législation. On a rarement vu des contribuables recevoir des actions de banques suite à la levée d'un impôt nouveau; recevoir des actions alors qu'on était créancier d'une entreprise en faillite est nettement plus courant. À cet égard, la communication de l'Union Européenne est simplement désastreuse, où un porte-parole assume totalement ce détournement. Le montage de ce plan est donc de la pure real-politik.

C'est important car ce qui différencie l'Union Européenne d'un simple zone de libre-échange, c'est qu'il y a un ensemble étendu de règles communes à respecter, notamment en matière commerciale. Au départ, la CEE édictait des règles techniques communes pour éviter que les obligations du marché commun ne soit vidées de leur sens par les participants. Sans cela, chaque pays pourrait édicter ses propres règles techniques, ce qui permet d'écarter les produits de l'étranger par trop gênants. Ces règles se sont étendues par la suite à de nombreux secteurs au fur et à mesure que le marché commun se développait et que des fonctions traditionnellement souveraines étaient confiés à l'Union, comme par exemple la monnaie. En matière financière, il est donc devenu de facto impossible à une banque d'un petit pays de proposer ses services à ceux de grands pays: les dépôts ne sont pas garantis de la même façon, ils n'ont pas exactement la même valeur. Par contre, les habitants des petits pays peuvent déposer dans les pays jugés les plus sûrs et les banques de ces pays proposer leurs services à tous les habitants de l'union. Ces règles étaient aussi garanties par l'existence d'une Cour de Justice qui avait le pouvoir d'obliger les états à respecter les directives et les traités. Dans ce cas, c'est impossible: Chypre ne peut pas assumer ses obligations s'il n'y a pas de garantie commune. Or, l'Union Européenne est en grande partie fondée sur le droit. Si les habitants des petits pays ne peuvent faire appel à la justice pour se voir reconnaître leurs droits, l'intérêt de l'Union diminue pour eux! Et on voit alors s'éloigner la perspective d'une intégration fédérale qui suppose que le pouvoir central est capable de faire respecter les lois qu'il édicte. Dans la cas présent, il s'avère que le pouvoir central est complice du dévoiement de ces règles.

L'absence de perspectives d'intégration est aussi visible dans les commentaires de certains des plus favorables à une fédération. Ainsi, Jean Pisani-Ferry qui dirige le think tank Bruegel a justifié la taxe par le rendement servi par les banques chypriotes. Ce rendement était lié aux difficultés connues de ces banques: tout le monde savait plus ou moins qu'elles détenaient beaucoup d'obligations d'état grecques, le taux d'emprunt de l'état chypriote a aussi augmenté à cause de la perspective d'avoir à voler au secours de ses banques. Bref, le taux servi était dû à la fragmentation nationale du système bancaire. Avec une garantie commune et le régulateur qui va avec, de tels taux auraient été impossibles, empêchés par le régulateur. Sans compter que, si on suit le tableau, les petits déposants n'ont pas de rémunération mirobolante. Autrement dit, pour Jean Pisani-Ferry, déposer dans un pays en crise est à éviter: tous les épargnants de ces pays se doivent donc de déposer dare-dare leurs économies dans les pays sûrs sous peine d'être responsables de ce qui leur arrive. Difficile de faire plus centré sur les états. Une autre variante était de justifier cela par les dépôts venant de Russie et les pratiques peu reluisantes les accompagnant: une nouvelle fois, c'est un faux-semblant. Dans un état de droit, ce serait une question de police, pas une question de garantie des dépôts. Bref, même les plus fédéralistes des commentateurs rejettent les conséquences d'une fédération, ils rejettent donc la mise en place de cette fédération.

Et la France?

En France, il paraît pour l'heure impossible que le secteur bancaire soit menacé d'une telle confiscation. Cependant, il faut remarquer que l'état français voit sa dette se rapprocher des 100% du PIB. L'ensemble des dépôts à vue représentent 1500G€, soit plus de 75% du PIB. En cas de problème similaire à Chypre, ou même face à un problème de bulle immobilière laissant énormément de créances douteuses comme en Espagne et en Italie, l'état français serait devant un choix similaire à celui de Chypre. Dans ce cas, loin d'être un modèle à éviter le modèle chypriote pourrait s'imposer. Des calculs montrent même qu'il faudrait saisir à peu près 20% des avoirs financiers des ménages si l'état devait intervenir de cette façon pour rétablir la soutenabilité à long terme de l'ensemble des dettes françaises (tant publiques que privées). Dans un pays où il est vu comme normal de taxer les patrimoines et comme acceptable d'imposer des taxes à usage unique sur la même assiette, la réponse de savoir ce qui se passerait dans une situation de réelle crise comme à Chypre ne se pose pas vraiment: la réponse est sans doute qu'il se passerait la même chose ici! Si des vents véritablement mauvais devaient se lever, on ne peut pas dire que les épargnants français seraient spécialement protégés.

Il n'est donc pas certain que ce soit une bonne idée d'avoir montré qu'un pays englué dans une grave crise économique, dont l'état est fortement endetté et dont les banques sont en difficulté pouvait revenir sur la garantie accordée aux épargnants classiques. Si jamais les épargnants des pays en difficulté (Italie...) prennent ce qui se passe à Chypre comme l'exemple de ce qui se passera ailleurs, des moments sportifs se préparent.

10 mars 2013

Les projections du 11ᵉ rapport du Conseil d'Orientation des Retraites

En décembre dernier, le Conseil d'Orientation des Retraites a publié son 11ᵉ rapport qui est une actualisation des projections financières relatives aux divers régimes de retraites français. Il s'était déjà livré à 3 reprises à cet exercice, qui est bien entendu une part majeure du travail qui est attendu de cet organisme: en 2006, fin 2007 et finalement en 2010 pour préparer la dernière réforme. La réforme Fillon de 2003 prévoyait une clause de revoyure tous les 5 ans, mais la crise qui a éclaté en 2007-2008 précipite les échéances. Malgré la dernière réforme, les caisses de l'AGIRC — retraite complémentaire des cadres du privé — sont quasiment vides et une négociation est en cours qui semble s'acheminer vers un gel des pensions et une hausse des cotisations. D'aucuns soupçonnent le gouvernement de chercher à se réfugier derrière le résultat de cette difficile négociation pour annoncer une réforme du régime général très similaire et faire porter ainsi le chapeau aux signataires — probablement la CFDT et les syndicats patronaux. Le sujet revêt donc une certaine actualité.

Le modèle du COR

Pour essayer de savoir quelle sera la situation financière future des régimes de retraites, le COR a bâti un modèle permettant de prendre en compte les diverses variables qui l'affectent. Comme il s'agit d'un exercice où il s'agit de savoir quelles mesures éventuellement prendre pour assurer l'avenir des régimes, on raisonne d'abord à loi constante en établissant différents scénarios macro-économiques avant de voir quels sont les effets des mesures qu'on peut prendre. Comme le rapport contient des tableaux qui les résument très bien, je les reproduis ci-dessous, en commençant par les perspectives à long terme, avec pour comparer les hypothèses prises en 2010, avant la dernière réforme. Hypothèses LT du COR en 2010 Hypothèses LT du COR en 2012 hyp_CT_COR_11.jpg On peut donc voir que les hypothèses à long terme sont sensiblement les mêmes qu'en 2010. Le COR a pris en compte la dernière réforme des retraites, l'allongement de l'espérance de vie — qui tend à rallonger la durée de cotisation d'un trimestre — ainsi que de la natalité constatée en ce moment en France. 2 scénarios macro-économiques sont ajoutés, un plus pessimiste et un autre plus optimiste. Ces hypothèses ne sont en fait valables, grosso modo, qu'après 2020. De 2012 à 2020, les scénarios sont en fait quasiment identiques, pour 2 raisons. La première, c'est que ce sont les hypothèses de croissance de loi de finances de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2013 qui sont prises en compte d'ici 2017. La seconde, c'est que le COR voit ensuite une convergence rapide vers le taux de chômage tendanciel: les 7% de chômage sont atteints en 2020 dans tous les scénarios.

Le COR formules les hypothèses de façon à pouvoir reconstruire de façon naturelle la situation financière du régime en séparant les différents types de variables. Ces différents types se justifient par l'impact réel que peuvent avoir les mesures prises.

  1. La démographie est une donnée qui change — en général — de façon très lente. Les projections s'étendent jusqu'en 2060, ce qui est déjà très éloigné, mais tous les retraités de 2060 sont déjà nés et ont pour l'écrasante majorité entamé leur vie active. De même, tous les travailleurs de 2030 ou presque sont déjà vivants. La situation de ce point de vue est déjà jouée, sauf catastrophe. De plus, on voit mal un gouvernement démocratique prendre des mesures contraignantes dans ce domaine!
  2. Les données macro-économiques sont en partie déterminées par la démographie. Une hausse de la population en âge de travailler doit se traduire par une hausse grosso modo équivalente du PIB. Ce qui explique le choix du COR d'exprimer une hypothèse de productivité, ce qui donne la hausse moyenne annuelle des salaires au dessus de l'inflation.
  3. Les données légales peuvent, elles, changer rapidement, mais leurs effets mettront parfois du temps à se réaliser. Le meilleur exemple est celui de l'indexation des retraites sur les prix, dont l'impact est en fait déterminant sur l'équilibre financier à long terme. Mais il vaut mieux, pour savoir quelles décisions prendre, raisonner dans un premier temps à loi constante.

Les hypothèses économiques prises paraissent très optimistes. L'ajout du scénario A' est tout de même très surprenant, puisqu'il estime qu'une hausse de la productivité par travailleur de 2%/an est possible, alors même que la croissance du PIB français ne cesse de ralentir depuis les années 70. Prévoir 4.5% de chômage tendanciel — c'est-à-dire en moyenne sur un cycle économique — paraît très optimiste dans un pays où l'INSEE indique qu'un tel niveau est dépassé depuis 1978, soit 35 ans. Le chômage a passé la barre des 7% de la population active en 1983, il y a 30 ans. À long terme, contrairement à ce que laisseraient penser les tableaux du COR, l'hypothèse la plus crédible est sans doute le scénario C, voire le C'. Quant aux prévisions à 5 ans, il suffit de remarquer que la croissance a été nulle en 2012 et que la prévision 2013 a déjà été abandonnée. Or toute la communication gouvernementale va s'organiser autour de ces projections et, comme la dernière fois en 2010, il basera ses décisions sur le scénario central qui est à la fois complètement hors des clous à court terme et optimiste à long terme. Ce n'est pas un hasard: tous les gouvernements ont surestimé la croissance ces dix dernières années, ça permet de minimiser la taille des problèmes à résoudre, dans tous les domaines, sous couvert de volontarisme.

Les résultats

Les résultats des simulations sont aussi un rappel des effets attendus de la réforme de 2010. Par exemple, avec des hypothèses assez équivalentes à celles de 2010, on voit qu'il y a 1M de cotisants en plus en 2020 par rapport aux projections de 2010 (p31) soit presque 4% de plus. On voit aussi que c'est un effet équivalent aux différence entre les taux de chômage à long terme des différents scénarios! Projection d'emploi selon le COR en 2012

L'effectif des retraités est réduit d'autant, ce qui ne l'empêche pas d'exploser puisqu'on va passer d'environ 15M aujourd'hui à presque 20M en 2030. retraites_cor.jpg

Les perspectives financières sont mauvaises dans les scénarios les plus réalistes (C et C'), où les régimes sont constamment en déficit. La situation est réellement tragique pour le scénario C', où malgré des hypothèses à court terme optimistes — et communes aux autres scénarios — le déficit est de 2% du PIB par an à partir de 2030. situation_financiere.jpg On voit aussi qu'au lieu d'être à l'équilibre, comme escompté lors de la dernière réforme, en 2017, il y aura un trou de 1% du PIB. Par contre la situation dans le scénario A' paraît gérable: on constate des déficits jusqu'en 2030, compensés par la suite par des excédents. On peut donc prévoir à ce graphe une longue vie auprès de ceux qui pensent qu'il n'y a pas de problèmes de retraites en France, spécialement auprès de l'extrême gauche et de certains syndicats pas forcément très réalistes. Dans le scénario B, qui va sans doute servir de scénario central, l'équilibre n'est rétabli qu'à l'horizon 2057, l'équivalent des calendes grecques. La poursuite de la crise a donc creusé un trou très important et ce malgré l'impact important du relèvement de l'âge légal.
On voit aussi que dans tous les cas, après 2030, la situation est soit stabilisée soit en amélioration. On comprend donc que les réformes vont se succéder jusqu'en 2030 et qu'ensuite le système pourrait se figer.

Le 12ᵉ rapport du COR donne comme pension moyenne mensuelle la somme de 1431€ en 2008, l'INSEE donne un revenu salarial moyen mensuel de 1624€. Le ratio des deux vaut actuellement 88%. Les simulations du COR donnent aussi l'évolution de ce ratio suivant les divers scénarios (p57), d'où on peut tirer le graphe suivant. Pensions_COR.jpg On y voit clairement que ce qui fait basculer l'équilibre du système, c'est le ratio pension/salaire. Dans le cas du scénario A', l'indexation des retraites sur les prix diminue suffisamment les pensions pour assurer l'équilibre du système. Pour donner sa pleine mesure, l'indexation des pensions sur les prix doit être accompagnée d'une forte croissance: à long terme, l'effet cumulé est très notable et déterminant. Ceux qui se baseront sur le scénario A' pour donner des pronostics roses sur l'avenir seront en fait ceux qui prônent une baisse du niveau relatif des pensions.

Les politiques à mener

Ces simulations permettent au COR de montrer les effet des principales politiques qui ont un effet sur l'équilibre financier du système. Il faut en effet rappeler que le système ne peut s'équilibrer qu'en jouant sur 3 leviers:

  1. le taux de cotisation: en augmentant les cotisations, on augmente les revenus du système, le déficit se comble donc. Cependant, les revenus des actifs baissent et donc le ratio pension/salaire augmente. Les retraités sont favorisés
  2. le ratio entre nombre de retraités et nombre de cotisants: c'est la politique menée par la droite avec les réformes Fillon de 2003 et celle menée en 2010. L'idée est d'augmenter l'âge légal de départ ou le nombre d'annuités pour obtenir une retraite à taux plein. Si la première mesure est d'effet direct — puisque les gens ne peuvent plus partir à la retraite —, la deuxième peut se transformer en baisse effective des pensions.
  3. le niveau relatif des pensions: c'est le levier qui regroupe le plus de tactiques. Il a été employé dans la réforme menée par Balladur en 1993. On peut donc changer le mode d'indexation des pensions voire les geler, changer le mode calcul pour baisser petit à petit la pension versée, etc.

Tous les autres leviers ne rapportent pas suffisamment. Les revenus du capital ne suffisent en effet pas à renflouer les caisses de retraite. Dans les 35% du PIB qui rémunèrent le capital, on trouve en fait les loyers fictifs que se versent à eux-mêmes les propriétaires de leur logement (10% sur les 35) ainsi que l'amortissement des investissements des entreprises et des particuliers. Les flux réels monétaires sont inférieurs à 10% du PIB. On voit donc que faire porter, en plus des impôts actuels, le poids du déficit prévisible des retraites éliminerait à peu près totalement l'intérêt de recevoir personnellement des revenus du capital.

Les abaques sont situées dans l'annexe 4, à partir de la page 130. Les points w donnent l'effet d'un équilibre qui ne compte que sur une hausse des cotisations accompagné d'un allongement déjà prévu de la durée de cotisation. L'intersection des droites diagonales avec l'axe des abscisses donne le niveau relatif des pensions par rapport aux salaires qui assure l'équilibre à prélèvement constant. Les points y donnent la hausse des cotisations qu'il faut acter si on veut préserver le niveau relatif des pensions.

Les abaques portant sur 2020 donnent une information importante: si on voulait équilibrer les régimes à cet horizon uniquement par des hausses de cotisation, la pension moyenne serait réévaluée de 5% par rapport au salaire moyen, alors même que les niveaux de vie entre retraités et actifs sont aujourd'hui équivalents! À cet horizon, il me semble qu'un gel des pensions soit indispensable: tout prélèvement supplémentaire diminuerait les revenus des actifs, il n'y a pas assez de temps pour qu'un allongement de la durée de travail ait suffisamment d'effets, la réforme de 2010 ayant un calendrier s'étirant jusqu'en 2017. Et cela avec une abaque basée sur un scénario macro-économique très optimiste!

Comme je l'ai dit plus haut, je considère que les scénarios C et C' sont les plus crédibles. Par ailleurs, la baisse du chômage vers une moyenne sur un cycle de 7% étant franchement très hypothétique, je ne pense pas qu'on puisse compter sur une quelconque baisse des cotisations chômage: on devrait éviter autant que possible les hausses de cotisation pour les retraites. Pour savoir quelles politiques mener, on peut se reporter à l'abaque suivante: abaque2040c.jpg On y voit que pour équilibrer le système de retraites, une augmentation de la durée de travail de 6 ans est nécessaire pour préserver le ratio pension/salaire (point z). Ce n'est pas très crédible. Le point y donne la hausse de cotisation nécessaire pour préserver le système avec les réformes déjà actées: 5.5 points. Autant dire que les revenus des actifs en prendraient un sacré coup. Le point x donne la baisse relative des pensions pour assurer l'équilibre sans hausse de cotisation ni de durée de cotisation: une baisse de 20%. Les points w donnent l'effet de la politique actuelle: il faudrait augmenter les cotisations de 3.5 points, les pensions baisseraient de 10% par rapport aux salaires par l'effet de l'indexation sur les prix. Pour situer les données du problème, 3.5 points de cotisation c'est 15% des ressources actuelles du systèmes; si on prend un taux de prélèvements obligatoires de 50%, ça correspond à une baisse relative de 7% du niveau de vie des actifs. C'est donc loin d'être neutre. On voit aussi que le point x requiert un gel durable des pensions, l'indexation sur les prix n'apportant qu'une baisse relative de 10%! Dans ce contexte, la politique qui me semble préférable est celle consistant à allonger la durée de cotisation de 2 ans. De cette façon, l'indexation sur les prix amène à proximité de l'équilibre, surtout combiné au gel sans doute indispensable à court terme des pensions. Le reste pourrait être assuré par une hausse des cotisations, très limitée — inférieure à 1 point.

Conclusions

Les abaques du COR sont très utiles, mais cette utilité est entravée par l'utilisation de scénarios immodérément optimistes. Suivre le scénario B ainsi que les hypothèses du PLFSS 2013 amène à sous-dimensionner les changements. Mais c'est sans doute ce qui se passera, le gouvernement PS aura énormément de mal à faire accepter un gel des pensions, un allongement de la durée de cotisation et un relèvement de l'âge de la retraite après avoir combattu toutes ces mesures depuis 20 ans. Pourtant, il semble qu'il soit nécessaire pour assurer l'équilibre du système de geler les pensions pendant quelques années ainsi que d'acter un allongement de la durée de cotisation de 2 ans de plus, pour aller vers les 44 ans de cotisation.

25 juin 2012

Évolution prévisible des effectifs de l'état

Dans son programme, François Hollande a annoncé qu'il créera 60000 emplois dans l'Éducation Nationale ainsi que 5000 dans la police, la gendarmerie et la justice. Mais dans le même temps, il a annoncé que le nombre de fonctionnaire resterait stable. Maintenant que les législatives sont passées, les projets du gouvernement commencent à prendre forme et à fuiter, ce qui amène des articles sur la manière de concilier ces deux objectifs. Il serait donc question qu'en dehors des ministères où on embaucherait, il faudrait ne pas remplacer 2 fonctionnaires sur 3 partant en retraite.

Comme les lois de finances incluent toujours un état des effectifs et des plafonds d'emplois ventilés par missions, on peut essayer de savoir si l'ordre de grandeur est le bon. Dans le rapport sur la loi de finances pour 2012, on trouve un développement consacré à la politique du précédent gouvernement, le non remplacement d'un départ sur deux pour tous les ministères ou presque. On y lit qu'à périmètre constant, le plafond global descendra d'environ 30500 équivalent temps pleins: par rapport au graphe de l'article du Figaro, on voit que déjà les effets des départs à la retraites diminuent, ce qui n'est déjà pas de très bon augure.

On y trouve aussi un tableau détaillant les plafonds d'emplois par mission. Il permet d'avoir une idée de la répartition des effectifs, elle est représentée ci-dessous: Répartition des effectifs de l'état en 2012 On voit donc que les ministères qui vont embaucher représentent déjà les 2/3 des effectifs de l'état. Si on fait l'hypothèse que le nombre de départs à la retraite sera constant chaque année et que le taux d'érosion pour les ministères qui subiront les coupes est le taux d'érosion global, on arrive à une estimation de 100k départs à la retraite dans les 5 ans à venir pour lesquels on peut faire jouer la politique de non-remplacement. Comme il va y avoir 65k embauches par ailleurs, il faudra donc ne pas remplacer 2 départs sur 3. En plus, le nombre de départs tend à baisser!

On peut se dire aussi que les ministères où on embauchera ont des fonctions de support, des gens qui ne sont pas présents directement au contact du public et qu'on peut alors traiter ces fonctions d'arrière-boutique de la même façon que les ministères non favorisés. On ne connaît pas pour la police et la gendarmerie les effectifs employés à de telles tâches. Par contre, on le sait pour l'éducation nationale et la justice; le total se monte à environ 26k emplois. Mais de l'autre côté, il y a des mission qui échapperont sans doute à la règle commune: l'enseignement supérieur et la mission qui regroupe la Cour des Comptes et le Conseil d'État. On trouve là un peu moins de 27k emplois. Les deux se compensent donc.

Interrogé sur le sujet à Rio en marge d'un sommet dont il n'est rien sorti, comme prévu, le Président de la République, François Hollande, a jugé que l'hypothèse du non remplacement de 2 fonctionnaires sur 3 pour les missions hors éducation, justice et police était invraisemblable et que si c'était le cas, (il) en aurai(t) été informé tout de même. Le lendemain matin, Michel Sapin confirmait à demi-mot. On ne dit visiblement pas tout à François Hollande. Et vue la difficulté qu'a eue le précédent gouvernement pour tenir le non-remplacement d'un départ sur deux, on peut parier que ce gouvernement n'aura pas la tâche facile et que l'issue la plus probable est l'échec sur ce plan.

11 novembre 2011

De la dernière rectification du budget 2012

Le 7 novembre dernier, François Fillon, premier ministre, a présenté un plan visant à contenir le déficit public à 4.5% du PIB malgré la révision à la baisse des prévisions de croissance. Il fait suite à un autre plan du même type présenté fin août — dont il a été question ici même — et le complète, à tel point que le gouvernement propose au téléchargement une archive contenant les fiches des deux plans.

Comme le plan précédent, il s'agit avant tout pour le court terme d'un plan de hausses d'impôts. Le gouvernement prévoit que son plan diminuera le déficit de 7G€ en 2012, les mesures d'économies devant rapporter 1.7G€ soit un peu moins de 25% du total. À plus long terme, en 2016, elles représentent 9G€ sur 17.4G€, soit plus de la moitié, même si les promesses de mesures d'économie discrétionnaires qui doivent compter pour plus de 7G€ n'engagent que ceux qui y croient, d'autant que des élections approchent. Comme le plan précédent, des mesures fiscales vont frapper les détenteurs de capitaux avec un supplément d'impôt sur les bénéfices et la quasi-fin du prélèvement forfaitaire. Il inclut aussi la promesse de continuer sur le chemin menant à la suppression de certaines niches fiscales.

Quelques évolutions sont malgré tout présentes. Tout d'abord, le gouvernement accélère la mise en place de la réforme des retraites et met plus l'accent sur des économies budgétaires à moyen terme. Que la moitié environ de la réduction du déficit public en 2016 soit due à des économies diminue en effet le risque de voir revenir le thème de la cagnotte. Le gouvernement Jospin s'était livré à diverses baisses d'impôts pour revenir peu ou prou sur les mesures prises par le gouvernement Juppé en 1995, échangeant au passage un point de TVA contre une baisse de l'IRPP. Cependant, l'origine de ces économies restant obscures et les échéances électorales approchant, on peut considérer ces annonces sont faiblement crédibles. Ensuite, la fin de certaines niches fiscales est vraiment actée. Contrairement à ce qui est dit parfois dans la presse, la fin des avantages fiscaux liés à l'immobilier n'est pas qu'une hypocrisie: après plus de 15 ans d'existence de ces réductions d'IRPP, les professionnels de la promotion immobilière pensaient toujours pouvoir bénéficier d'un régime équivalent dans le futur. Enfin, le gouvernement se résout à prendre des mesures fiscales générales, contrairement aux promesses faites jusqu'ici, et alors que la campagne présidentielle approche. Ces mesures préfigurent sans doute ce que sera le programme de la droite en cas de victoire, une augmentation générale de la TVA, de la CSG et de l'IRPP, sans véritable changement de structure de ces impôts. Cela montre aussi que le gouvernement a épuisé les mesures de poche lors de son dernier plan, après les avoir largement utilisées au cours de ce quinquennat.

Au total, ce plan ne me paraît pas pouvoir éviter l'obstacle de la cagnotte. Les mesures d'économies sont obscures et seront certainement appliquées de façon uniquement quantitative, à la manière du non remplacement de fonctionnaire, ce qui va mener à une réduction générale de la qualité des services publics, au lieu d'opérer de véritables choix préservant les services essentiels. Les épisodes de demandes de réduction d'impôt viennent du fait que la pression fiscale est vue comme trop importante, la perte de qualité des services publics et la hausse concomitante des impôts ne fera rien pour dissiper cette impression. Le gouvernement serait cela dit bien en peine de faire ces choix, sa légitimité est, à six mois des élections, bien diminuée, ce qui explique en partie qu'il ne puisse pas faire grand chose d'autre qu’accélérer l'implémentation de mesures déjà prises, comme la réforme des retraites. Cette impossibilité de faire des choix mène aussi à l'absence de mesure qui pourraient mener à un surcroît d'activité à l'avenir. L'accélération de la réforme des retraites peut à nouveau rentrer dans ce cadre, puisque les salariés qui ne partent pas à la retraite non seulement ne touchent pas leur retraite mais continuent aussi pour une grande part leur activité et le paiement d'impôts qui vont avec.

C'est sans doute peu dire que ce plan a été fraîchement reçu. Il faut bien dire qu'acter un plan d'austérité alors que l'activité économique ahane ne va certainement pas aider à sa relance. C'est ainsi que Charles Wiplosz décerne un triple 0 à ce plan qui sacrifie l'activité économique pour finalement aboutir à une situation budgétaire pire qu'avant. Et de proposer sa solution habituelle: promettre que, demain, une fois la croissance revenue, on redeviendra sérieux dans la gestion des finances publiques. Si, malheureusement, il a sans doute raison sur les conséquences directes de ce plan, les perspectives qu'il donne sont illusoires en France.

D'une part, la croissance potentielle, même à long terme est probablement basse, autour de 1.5% par an. La crise financière va continuer à peser durablement sur la croissance et une fois ses effets dissipés, les perspectives démographiques ne portent pas spécialement à l'enthousiasme. Se pose donc la question de savoir combien de temps on est disposé à attendre le retour de la croissance et quel est le niveau de croissance à partir duquel les efforts devront être fournis.

D'autre part, ce type de proposition se compare à l'attitude de Saint Augustin qui voulait la chasteté, mais pas encore, ou, si on est moins aimable, à celle du pilier de bar qui annonce son intention de cesser de boire. On ne peut que constater que la crédibilité de ces propos ne peut que diminuer à force d'usages non suivis d'effets. Dans le domaine budgétaire, on peut citer en France:

  • la promesse que la CADES ne reprendrait plus de dettes après 2006. La réforme des retraites et la la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 ont acté une nouvelle reprise de dette.
  • la promesse de stabilité des dépenses en euros constants. La lecture des rapports de la Cour des Comptes montre que cela a mené à l'explosion des niches fiscales.
  • le traité de Maastricht et le pacte de stabilité qui prévoyaient qu'on ne pouvait dépasser 3% du PIB de déficit sauf grave récession et que la dette publique devait rester sous les 60% du PIB. Cela voulait donc dire qu'on devait rester proche de l'équilibre en temps normal et essayer d'obtenir une marge de sécurité pour ce qui est de la dette publique. Force est de constater que ça n'a pas été la priorité des gouvernements qui se sont succédé depuis 1992 et qu'au contraire le pacte a été saboté en 2004-2005 lorsque cela s'est trouvé expédient.

L'épisode du sabordage du pacte de stabilité est éloquent: après cela, l'Allemagne a adopté une règle constitutionnelle et s'y est tenue en faisant des efforts immédiats en la matière. La France, elle, a continué comme avant. De fait, l'adoption d'une règle similaire en France mènerait surtout à des acrobaties comptables. Finalement, ce n'est pas un hasard si l'Allemagne annonce des baisses d'impôts alors que la France annonce un plan d'austérité. La parole publique française n'est certes pas aussi démonétisée qu'en Grèce ou en Italie, mais qui peut croire à des promesses de sérieux en matière fiscale qui ne sont pas accompagnées d'actes? C'est aussi ce que montre ce plan d'austérité: pendant des années les Cassandre ont dit que l'incurie budgétaire finirait par avoir des conséquences néfastes, en vain. Ces conséquences commencent seulement à poindre.

2 novembre 2011

Du référendum en Grèce, une folie rationnelle?

L'annonce par le premier ministre grec d'un référendum sur le dernier plan d'ajustement a semé la panique depuis lundi soir. Les pays de la zone euro ont peiné pour trouver un accord; un référendum va au mieux retarder son application, au pire l'envoyer à la poubelle et précipiter une sortie de la zone euro de la Grèce dans le désordre. En fait, il est même possible qu'on n'aille pas jusqu'au référendum, les évènements et le besoin de liquidités à court terme forçant la décision de l'état grec.

La Grèce a accumulé une dette de l'ordre de son PIB au cours des années 80. Après la récession de 92-93, le ratio dette/PIB s'est stabilisé, une sorte de maximum possible étant atteint. Cependant, comme la dette est restée élevée, à cause la crise financière des dernières années et de son incurie, le gouvernement grec s'est trouvé confronté à un effet de levier important, le déficit public a explosé. Lorsque les taux d'intérêt sur sa dette publique ont atteint des niveaux intolérables en 2010, la plupart des pays de la zone euro ont alors décidé de prêter l'argent nécessaire pour que l'état grec ne fasse pas défaut et mette progressivement en œuvre des mesures d'adaptation, comme l'ouverture à la concurrence de certains secteurs de l'économie, une réforme des services fiscaux et un plan de réduction des dépenses. Déjà à l'époque ce plan paraissait très optimiste car la dette publique grecque serait tout de même devenue très élevée — autour de 160% du PIB — sans espoir de diminution rapide ensuite.

Mais comme cela a aggravé la récession et que le gouvernement grec s'est avéré incapable de réformer suffisamment vite son administration et de changer le cadre légal de son économie, un autre plan s'est avéré nécessaire, incluant cette fois un défaut partiel, camouflé sous le vocable technocratique d'implication du secteur privé. Évidemment, cela n'a rien fait pour calmer les appels à la sortie de l'euro de la Grèce et a en fait renforcé leurs arguments pour un retour à la drachme.

Il faut bien dire que le cas de la Grèce ressemble de plus en plus au portrait robot du pays qui va faire défaut sur sa dette publique et sortir d'une union monétaire en force. Tout d'abord, le pays traverse une grave crise économique, son PIB réel se sera probablement bientôt contracté de 10% par rapport à son point haut, la crise se perpétuant depuis 3 ans. La dette va atteindre 4 fois les recettes fiscales de l'état (cf par exemple ce rapport de la troïka). La situation est semblable à celle décrite dans le Reinhart & Rogoff, respectivement p130 et 121. Il est aussi prévu que le budget de l'état grec soit en excédent primaire — avant paiement des intérêts — l'année prochaine. Cela veut dire que l'état grec n'aura sans doute besoin que de financements à court terme en cas de défaut, ou alors de financements à maturité plus longue relativement raisonnables par rapport à son PIB.

Si on en croit la commission européenne, les pays de la zone euro auraient déboursé 47G€, le FMI 18. La dette publique grecque devrait atteindre 160% du PIB cette année soit en gros 350G€. Le plan actuel prévoit que la dette détenue par les acteurs privés soit réduite de moitié, sans doute accompagné d'un mécanisme de type Brady Bonds, ce qui diminuerait le dette de 100G€. Or, si jamais la Grèce venait à sortir de la zone euro, ce n'est peut-être pas l'accord le plus favorable du point de vue des grecs. En effet, la réduction du principal toucherait les épargnants grecs de plein fouet et les pays de la zone euro seraient préservés. De plus, se passer du mécanisme d'assurance des Brady Bonds, par exemple en forçant la conversion en drachmes et diminuant d'autorité le capital dû, permettrait peut-être d'obtenir une dette plus basse vis-à-vis du PIB. Cette éventualité a sans doute effleuré certains états, vu la confiance toute relative exprimée depuis cette été.

Cela pourrait ressembler à quelque chose de ce type:

  • La dette due au FMI est laissée intacte. Le FMI n'a jamais enregistré aucune perte sur ses prêts, avoir une ardoise auprès du FMI pourrait transformer la Grèce en véritable paria. De toute façon, en l'état actuel des choses, cela représente environ 8% du PIB de la Grèce. Les intérêts annuels doivent tourner autour de 0.3% du PIB.
  • Par contre le reste de la dette officielle envers les pays de la zone euro subit le même destin que la dette publique due aux créditeurs privés sis à l'extérieur de la Grèce
  • Les créanciers grecs se voient allouer un régime de faveur lors de la transition. L'avantage de ce genre de tactique est de ne pas avoir à recapitaliser les banques aussi fortement que dans le cas présent et de se prévaloir auprès des électeurs de la défense de leurs intérêts.
  • Évidemment sortir de l'euro en convertissant sa dette en monnaie locale, instaurer des contrôles des changes et interdire tout mouvement hors des banques, dévaluer.
  • Créer de l'inflation pour liquider une bonne part de la dette restante.

Les partenaires européens auront très certainement envie de mettre la Grèce à la porte de l'Union, mais cela doit aussi faire partie du plan. Le gouvernement grec aura besoin de suspendre la liberté de circulation des capitaux et sans doute celle des personnes. Les problèmes de financement peuvent se régler alors, de façon certes fort imparfaite, grâce à l'émission de nouvelles pièces et billets et sans doute aussi par diverses mesures d'emprunt forcé. De plus, en faisant subir un sort plus doux aux créanciers locaux qu'aux horribles étrangers, le gouvernement grec peut espérer s'attirer quelques sympathies ou en tout cas une moindre haine de la part de ses administrés. Comme rester dans l'euro impose des sacrifices que Papandreou est incapable de faire accepter, susciter l'hostilité de l'étranger avec une proposition irrationnelle est une issue — certes déplorable de populisme — permettant de se draper dans la dignité nationale pour quitter l'euro.

24 août 2011

La dette, c'est à cause de la droite?

À cause des déficits budgétaires importants actuels — 5.7% du PIB prévus cette année —, du niveau maintenant élevé de la dette publique — probablement plus de 85% du PIB à la fin de cette année et de la crise des dettes souveraines dans la zone euro, il est fatal que l'état des finances publiques occupent une certaine place dans le débat public. Avec l'approche des présidentielles de 2012, il est tout aussi certain que la droite et la gauche vont se renvoyer la responsabilité de la situation actuelle. Ainsi, Martine Aubry, dans sa tribune du Monde, souligne que les trois quarts, en pourcentage du PIB, de la dette a été accumulée sous des gouvernements de droite. Le Monde a aussi publié un graphique pouvant se résumer comme le fait Martine Aubry.

Un problème majeur de ces approches est qu'elles ne tiennent absolument pas compte du cycle économique. Ainsi, en 1993, la droite gagne les élections en mars. Or l'économie est en récession, ce qui fait mécaniquement exploser le déficit public et le budget a été préparé par le gouvernement précédent, de gauche: il est quelque peu difficile de qualifier d'honnête les déclarations imputant l'augmentation de la dette à cette époque à la mauvaise gestion de la droite. Il est en effet de bon aloi d'accepter un déficit en période récession, cela permet d'amortir la chute de l'activité en assurant un niveau d'activité fixé à l'avance et aussi en laissant l'état providence jouer son rôle de filet de sécurité pour ceux qui sont directement frappés par les revers économiques. Ce déficit en période de récession doit toutefois être résorbé dès que l'économie se porte mieux et on doit même faire des réserves pour justement pouvoir amortir les éventuelles récessions futures.

De fait, on constate que l'évolution du déficit public par rapport au PIB est très corrélée à la croissance économique. Lors d'une récession, l'inflation s'écroule parallèlement à l'activité économique, ce qui fait que le PIB augmente très lentement ou même baisse en valeur, tandis que le déficit se creuse sous l'effet de dépenses de relance et de solidarité en hausse et de recettes en baisse. Inversement, en période de croissance, les recettes croissent plus vite que le PIB ce qui résorbe le déficit. C'est le sujet de ce billet sur le blog de FredericLN. Cette analyse se base sur le déficit primaire — le déficit hors intérêts de la dette. Sa conclusion est qu'il semble bien difficile de départager gauche et droite.

Cela m'a incité à regarder les choses sous deux angles différents. Il est vrai que le déficit primaire donne de l'aspect soutenable de l'évolution de la dette publique: si un gouvernement dégage un excédent primaire et que le taux d'intérêt est égal à sa valeur «canonique» de la croissance du PIB en valeur alors le ratio dette sur PIB diminue. Il me semble cependant que l'évolution des taux d'intérêts doit aussi être intégrée aux décisions politiques, si la réduction de la dette publique est vraiment une priorité cela doit aussi se faire dans des conditions adverses. J'ai aussi réduit la période d'analyse à 1990-2010: les périodes précédentes sont très différentes sur le plan des contraintes budgétaires (1950-1980) et en 1980, la dette était très basse, ce qui rendait les gaspillages relativement bénins.

On peut commencer par regarder directement l'évolution de la dette publique en fonction de la croissance. Comme dit plus haut, leurs évolutions sont très liées: dette vs croissance On constate qu'il est bien difficile de distinguer des groupes bien différents. De plus, il semble que les gouvernements aient le plus grand mal à réduire la dette lorsque la croissance est inférieure à 3% par an, ce qui pose quelques problèmes quand la croissance moyenne sur une décennie est de l'ordre de 2%/an et tend à diminuer. La réduction de la dette n'a pas été la priorité des différents gouvernements que se sont succédés, c'est le moins qu'on puisse dire.

Un autre point problématique est que le solde primaire devient «naturellement» positif après une longue période de croissance: le déficit provenant de la récession précédente se comble peu à peu. Inversement, si une crise survient après un long épisode de discipline budgétaire, le déficit public sera moins important qu'après une période laxiste. C'est ce qu'on a pu constater dans la récession actuelle: l'Allemagne prévoit de ramener son déficit à 1.5% du PIB cette année, la France prévoit 5.7%. Une idée pour voir quel est l'effort réellement fourni est de regarder la variation du déficit public en fonction de la croissance, cette fois-ci en prenant la peine de colorer les points suivant le gouvernement à la fin de l'année. évolution du déficit vs croissance On voit que le PS a relativement plus de points en dessous de la droite de tendance, mais ce sont soit des dates maintenant anciennes (1990, 1992) ou pas trop éloignés de la droite de tendance (1998, 1999). De leur côté les gouvernements de droite ont aussi eu leurs années laxistes (2002, 2007), comme par hasard des années électorales. On remarque aussi que, parmi les années les plus vertueuses — ou les moins laxistes, il y a les années immédiatement après les récessions (1994, 2010) sans doute du fait d'un effet de rebond. On constate aussi que les années 1994, 1996 et 1997 sont parmi les vertueuses, de façon remarquable pour 1996, il faut dire qu'il fallait que le déficit soit inférieur à 3% du PIB pour adhérer à l'euro. L'année 1996 rattrapait une année 1995 marquée par une élection dont la campagne s'est caractérisée par une grande dose de mystification économique de la part du vainqueur, Jacques Chirac. Dès l'adhésion acquise, ces dispositions se sont volatilisées.

Ces considérations montrent que ce n'est pas la couleur politique du gouvernement qui entraîne plus ou moins de rigueur budgétaire, mais au contraire les nécessités politiques du moment. Il est vrai que les décisions prises par les gouvernement ont respecté les diverses vaches sacrées. Les gouvernements de droite ont réformé les retraites pour diminuer les dépenses en ce domaine, les socialistes ont tenté de maintenir l'assurance maladie à l'équilibre. De l'autre côté, les socialistes ont décidé des programmes d'emploi public non financés à terme — les emplois jeunes, les gouvernements de droite ont baissé les impôts alors que le déficit était encore élevé. Mais quand une nécessité politique s'impose, comme l'adhésion à l'euro, le déficit se réduit rapidement. Il faut dire que le niveau historiquement bas des taux d'intérêts une fois l'adhésion à l'euro acquise n'a pas incité les gouvernements à prendre des décisions que la discipline et la volonté de s'assurer contre une forte récession auraient imposées. Aujourd'hui, le coût de l'emprunt ne se limite plus aux seuls intérêts comme le montre la crise des dettes souveraines: on s'est aperçu qu'avoir des marges pour faire face à une contraction majeure était (re)devenu nécessaire à la fois pour nous-même mais aussi pour porter assistance aux autres membres de la zone euro. Il faut donc s'attendre à une certaine période de discipline fiscale, au moins tant que la crise de la zone euro perdurera.

20 août 2011

Cave canem

Le 12 août dernier, Martine Aubry, candidate aux primaires du parti socialiste et première secrétaire du PS, a publié une tribune intitulée Contre la dette, pour l'emploi, ma règle d'or où elle expliquait les raisons de son refus de voter les propositions actuelles de «règles d'or» du gouvernement et où elle présentait son propre programme fiscal, très proche du programme du PS.

Attaquant la politique fiscale du gouvernement, elle affirme que la majorité actuelle a accordé depuis 2002 70G€ de cadeaux fiscaux. J'ai essayé de vérifier ce chiffre en consultant divers rapports de la Cour des Comptes.

  • Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de 2010 pointe une augmentation de 17G€ (p110) des dépenses fiscales pour le budget de l'état proprement dit. Ce rapport pointe aussi que l'augmentation a débuté à partir du moment où les dépenses de l'état se sont vues fixées un objectif restrictif de progression, en 2004 (cf graphique p111). Il semble donc qu'il s'agisse avant tout de contourner cet objectif de dépenses publiques, les dépenses fiscales pouvant se substituer à de vraies dépenses budgétaires tout en n'en apparaissant que comme de moindres recettes.
  • Le même rapport précise que des mesures totalisant 80G€ en 2008 ont été retirées de la liste des dépenses fiscales. Le ministère du budget a en effet une grande latitude pour définir ce qu'est une dépense fiscale en définissant quelle est la façon «normale» de calculer l'impôt. La Cour relève que ces dispositions ont vu leur coût augmenter de 10% par an depuis 2000, ce qui donne une augmentation de 43G€.
  • La baisse de l'impôt sur le revenu décidée par le gouvernement Villepin a coûté environ 4G€ si on en croit le rapport sur la fiscalité des ménages.
  • La réforme de la taxe professionnelle coûte environ 5G€ si on ne prend en compte que les impôts pérennes qui ne seront plus versés à l'état, d'après le rapport sur la gestion budgétaire 2010 (tableau 1 p22).
  • L’exonération des heures supplémentaires coûte environ 3G€ si on en croit le rapport de gestion de la sécurité sociale 2010 (p101). Toutefois le tableau montre qu'entre les créations et les suppressions de mesures, le coût total est de 1G€.
  • Les changements concernant les droits de succession et l'ISF ont coûté environ 1G€. L'allègement des droits de succession contenu dans la loi TEPA peut être estimé à 1G€ (cf comparaison entre l'imposition en France et en Allemagne p151). Les mesures prises sur l'ISF devraient être neutres relativement aux cadeaux fiscaux dont il est question.

On peut retrouver plus de 70G€ de dépenses fiscales ou d'allègements d'impôts supplémentaires. Cela dit, il est impossible de savoir en détail ce qui relève de l'évolution naturelle des niches fiscales qui ont le don d'attirer les contribuables et ce qui relève des changements dans la politique fiscale du gouvernement. Il faut d'ailleurs noter que la Cour des Comptes reconnaît que les évaluations sont compliquées par le besoin de se fixer une norme de calcul de l'impôt. Le gouvernement s'en est servi pour faire sortir de la liste un certain nombre de dispositions; à tel point que certaines des niches que le gouvernement a supprimées pour l'année 2011 ne figuraient pas dans la liste officielle et n'y ont jamais figuré, comme par exemple la double déclaration pour les mariés (rapport annuel 2011 de la Cour, p65 sq). Inversement, les allègement de charges sociales pour les bas salaires sont en fait une façon de calculer l'impôt: le montant dépend uniquement de la base taxable; mais pour des raisons de compensation entre l'état stricto sensu et la sécurité sociale, cette mesure est comptée dans les niches sociales. Bref, la liste des niches est en fait établie de façon largement arbitraire.

On ne prend pas en compte non plus d'éventuelles hausses d'impôts qui viendraient compenser ces baisses. D'ailleurs, si on adopte un point de vue global, les cadeaux fiscaux sont moindres. Ainsi le rapport Champsaur-Cotis sur la situation des finances publiques pointe une baisse du taux de prélèvements obligatoires de 2.8% du PIB entre 1999 et 2008 du fait des changements législatifs. Cela conduit à estimer que les baisses d'impôts ont plutôt été de l'ordre de 54G€ sur la période. Cela inclut d'ailleurs la baisse d'impôt sur le revenu décidée par le gouvernement Jospin.

Martine Aubry annonce vouloir revenir sur 50 de ces 70G€. Mais comme ces 70G€ sont censés être inefficaces économiquement et injustes socialement, la question se pose de savoir pourquoi ne pas supprimer l'ensemble de ces 70G€. Peut-être aurait-on un début de réponse si le parti socialiste publiait la liste des dispositions à revoir et leur coût actuel estimé — ainsi que la source de l'estimation. Cependant, cette liste n'est pas fournie par le PS à ma connaissance. On ne peut alors que se risquer à des hypothèses.

D'abord, ce n'est pas parce qu'on supprime une niche que son coût disparaît immédiatement. Du fait de la non-rétroactivité de la loi, certaines mesures auront des effets sur les finances publiques bien après leur suppression, comme c'est le cas pour toutes les incitations à la construction de logement (Scellier & autres avatars qui l'ont précédé,...).

Ensuite, ce n'est pas parce qu'une niche paraît avoir un coût important que sa suppression rapporte beaucoup. Si on part du principe que ces niches provoquent surtout des effets d'aubaine, il est fort possible que lors de la suppression de la niche, ceux qui en profitaient modifient leur comportement pour ne rien payer. Le cas le plus patent en la matière, c'est la «niche Copé». Selon des calculs directs, elle a coûté 12.5G€ en 2010 (cf rapport annuel 2011, p88), mais en fait, en l'absence de cette mesure, une autre niche s'appliquerait, celle concernant les participations à long terme. Si on prend en compte cela, le coût tombe à 6G€. Même ainsi, il est certain que cela rapporte bien moins, la base taxable étant largement dans les mains de l'entreprise à taxer. En l'occurrence, le coût avait été évalué à 1G€ initialement, probablement en négligeant la réaction des entreprises. Le plus probable est que la suppression de cette niche ne rapporte pas plus!

Enfin, certaines des niches et allègements sont très difficiles politiquement à supprimer. Ainsi, l'exonération des heures supplémentaires a beau se caractériser uniquement par un effet d'aubaine et sa suppression rapporter sans doute le coût actuel, essayer de la supprimer va certainement entraîner des protestations de la part de ceux qui en profitent et qui ne sont pas tous des «riches». On peut même aller plus loin: les niches fiscales ont un attrait irrésistible pour les politiques. Ils ont tous des buts particuliers à atteindre ou veulent favoriser certaines actions par rapport à d'autres. Les niches fiscales présentent l'avantage de pouvoir donner des incitations financières dans ce sens, sans avoir rien à dépenser officiellement et aussi d'être parfois plus rapides puisque l'argent ne quitte plus la poche du contribuable. Cette attraction est si forte que dans ce même article, Martine Aubry propose une niche fiscale à destination des entreprises: abaisser à 20% l’impôt sur les sociétés des entreprises qui réinvestissent leurs bénéfices, et l’augmenter sur celles qui privilégient les dividendes. Ainsi, les entreprises seront incitées à ne plus verser de dividendes, mais à investir, moyen qu'elles utiliseront sans doute pour racheter leurs propres actions via des montages financiers. L'utilité réelle d'une telle mesure me paraît donc extraordinairement douteuse.

Martine Aubry propose aussi de réutiliser la moitié de ces hausses d'impôts pour ce qu'elle veut faire. Parmi les 25G€ qu'elle propose de dépenser, il y aura certainement la niche «investissements» et peut-être d'autres. Comme il est en fait extrêmement difficile d'anticiper les réactions des contribuables concernés, l'estimation de dépenses sera sous-estimée. La partie de dépense budgétaire, elle, restera sans doute fixée. On aura ainsi très certainement des recettes surestimée et des dépenses sous-estimées. Les 25G€ de réduction du déficit représentent à peine 1.3% du PIB. Le gouvernement prévoit que de faire voter un budget 2012 en déficit de 4.6% du PIB. En d'autres termes, l'effort proposé par Martine Aubry paraît faible et compte certainement sur une hypothétique croissance que provoquerait son programme ou qui se manifesterait telle une divine surprise. En plus, comme l'a vu, son plan surestime certainement les recettes et sous-estime les dépenses, la réduction effective du déficit sera nettement inférieure.

Si les plans du gouvernement en ce qui concerne les finances publiques sont très peu clairs après juin 2012, on peut déjà voir que ce que propose le PS n'est pas à la hauteur de ce qui est promis. Martine Aubry a certainement raison de ne pas vouloir de la proposition de «règle d'or» du gouvernement: une telle approche a déjà été essayée avec le pacte de stabilité, la norme d'évolution des dépenses, etc. Mais si elle est sincère dans sa volonté de réduire le déficit, ses propositions devront se faire nettement plus précises et réalistes. On peut y voir sans peine une grande liberté dans le chiffrage des recettes, une dénonciation de méchantes personnes qui optimisent leurs impôts et, que demain comme hier, on n'arrivera pas à faire payer, une volonté de dépenser des montants finalement indéterminés, via des mesures très douteuses, pour diriger le citoyen vers les projets qui lui sont chers. Actuellement, elle ne se départit pas de la politique fiscale française actuelle: ses propositions paraissent superficielles et incohérentes.

8 décembre 2010

This time is different, Reinhart & Rogoff

Dans leur ouvrage ''This time is different'', Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff dressent un historique général des crises financières. Leur travail est extraordinaire, en ce qu'il comprend des données remontant loin dans le temps — jusqu'au Moyen-Âge pour les questions monétaires, jusqu'au début du 19e siècle et parfois au-delà pour les données de dette publique — et couvrant un grand nombre de pays — seuls des pays ayant une présence négligeable dans la finance sont ignorés, faute de données. En établissant une telle base de données, ils peuvent donner un aperçu des différents types de crises, de leur prévalence, de leurs liens réciproques, des éventuels remèdes et aussi des raisons pour lesquelles les crises financières n'ont pas cessé et ne cesseront probablement jamais. Ce dernier point donne d'ailleurs son titre au livre: les crises sont en partie dues à la capacité qu'ont les hommes à se convaincre que, cette fois-ci, les choses seront différentes, qu'aujourd'hui, les causes des crises passées n'en entraînent plus du fait de circonstances nouvelles. Bien souvent, il s'avère bien qu'aux mêmes causes, il faille bien voir les mêmes conséquences et que ces circonstances nouvelles n'ont rien de fondamental.

Les auteurs commencent par définir les différents types de crises, s'intéressent au phénomène de répétition des défauts de paiements par les états, à la constitution de leur base de données. Ils passent ensuite à l'étude des crises proprement dites. Dans l'ordre de traitement, on trouve la répudiation de dette publique externe puis interne, les crises bancaires et enfin, les crises monétaires: forte inflation et hyperinflation, krachs monétaires. Les auteurs concluent leur ouvrage en étudiant la crise financière actuelle et tirent des conclusions.

La dette publique et sa répudiation

Le propos sur la dette publique et sa répudiation constitue sans doute le cœur du livre. La dette publique est une dette qui n'apparaît qu'à partir du moment où l'institution de l'état se sépare de la personne propre de son dirigeant. Cela est une nécessité pour les républiques et les auteurs situent ainsi en conséquence la naissance du marché international de la dette publique en Italie. Cette évolution institutionnelle a aussi lieu dans les monarchies européennes, ce qui fait que dès le 14e siècle les auteurs signalent la répudiation de sa dette extérieure, principalement due aux banquiers italiens, par la couronne d'Angleterre. Auparavant, les états cherchant des ressources monétaires rapidement ont parfois recours à des méthodes plus frustres qui se sont poursuivies longtemps. À partir du 19e siècle avec le décollage financier des principaux états européens et le délitement de l'empire colonial espagnol, le marché dette publique se développe et avec lui le cortège de répudiations.

Les auteurs différencient deux types de dette publique, la dette extérieure, émise sous la loi d'un autre pays, de la dette intérieure. Ils ont sans doute rassemblé la quasi-totalité des cessations de paiement sur la dette extérieure qui présente l'avantage d'être bien suivie. Ils ont par contre constaté qu'un tel travail était nettement plus ardu pour la dette interne. Même pour des états démocratiques de longue date et au système financier développé, ils ont rencontré des difficultés pour rassembler des données exhaustives. Il apparaît ainsi que les engagements internes ont aussi un caractère opaque pour une partie. La dette intérieure est aussi presque toujours importante du fait des outils dont bénéficie l'état pour forcer ses citoyens à lui confier — souvent via les banques — leur argent.

Un élément qui apparaît nettement dans le livre, c'est que les répudiations interviennent souvent en groupe et ce depuis fort longtemps. Ainsi, l'Espagne répudie sa dette en 1557, la France suit en 1558. Les états sud-américains sont aussi de bons exemples de ces cycles. Les auteurs dégagent une cause de répudiations: la guerre, surtout quand elle est perdue. Les autres paraissent plus obscures, mais sont liées au montant total de dettes et aux inversion de flux de capitaux. Se dégage en effet l'idée que la dette totale comparée aux revenus de l'état est un point important: il semble que les gouvernements répudient leurs dettes lorsque celle-ci franchit 3.5 ou 4 fois les revenus annuels. Un phénomène est aussi pointé, celui des séries de répudiations par certains pays. Si un pays répudie sa dette, il a de grandes chances de le refaire dans un futur assez proche créant ainsi une longue suite de répudiations. On constate cela pour les monarchies absolutistes européennes (France, Espagne), les pays d'Amérique Latine, bref tous ce qu'on pourrait appeler des pays "émergents". Ces pays ont aussi tendance à répudier les dettes à des niveaux plus faibles. Les auteurs expliquent cela par un phénomène d'intolérance à la dette qui se comprend relativement bien: ces pays paient des taux plus élevés et ont sans doute une réticence moindre à employer cet outil. On retrouve le thème du livre, les investisseurs comme les gouvernements semblent régulièrement penser que les choses ont changé pour retomber dans les mêmes travers.

Pour finir, on peut sortir de l'état de drogué de la faillite. L'exemple de la France en est un bon exemple: après avoir répudié sa dette à de nombreuses reprises sous l'Ancien Régime et un final exubérant lors de la Révolution (assignats, banqueroute des deux-tiers, etc) restructura sa dette une dernière fois en 1812. D'autres exemples sont remarquables: les Pays-Bas n'ont jamais répudié leur dette et, depuis la Glorious Revolution, le Royaume-Uni bénéficie d'institutions financières fortes. La dette britannique a ainsi pu atteindre 300% du PIB (cf ce graphique) d'alors au sortir des guerres napoléoniennes sans provoquer de répudiation. Le fait de repayer ses dettes semble ainsi très lié aux institutions du pays. En retour, le fait de pouvoir s'endetter énormément permet aux états de gagner les guerres longues, en ruinant leurs ennemis et en les dépassant en termes de moyens militaires. Cela permet aussi de mener des politiques contra cycliques en cas de crise, un avantage très substantiel.

Les crises bancaires

Les crises bancaires sont définies comme la faillite ou la prise de contrôle par l'état, à la suite de difficultés financières, d'une grande institution bancaire ou d'une multitude de petites. En consultant ce que les auteurs considèrent comme une crise bancaire, on remarque que cela rassemble des événements catastrophiques, comme la crise argentine de 2001, et des événements plus bénins, comme la faillite du Crédit Lyonnais. En conséquence, l'influence moyenne des crises bancaires sur la croissance du PIB est notable, mais pas extraordinaire. Par contre, les conséquences d'une crise importante sont bien souvent une récession, parfois profonde, suivie d'une croissance plus lente le temps que les dettes soient épongées.

Les crises bancaires entraînent une augmentation brutale de la dette publique. L'indicateur utilisé par les auteurs est curieux — ils comparent les niveaux relatifs de la dette avant et après la crise — mais il semble bien montrer que les états sont conduit à connaître de forts déficits en période de crise bancaire. Ce n'est pas tant à cause du coût du sauvetage en tant que tel, puisqu'il arrive même aux gouvernements de faire un profit sur ce type de plan proprement dit. La cause principale de la hausse de la dette publique est la crise économique qui est entraînée par la crise bancaire. Ainsi, les coûts du sauvetage peuvent presqu'être considérés comme mineurs.

Les crises bancaires frappent principalement les centres financiers internationaux, elles semblent plus courantes quand la circulation des capitaux est plus libre. Cela semble logique car d'une part, la libéralisation permet de prendre plus de risques dans des endroits éloignés et d'autre part, elle favorise les afflux de capitaux qui servent à alimenter les bulles de crédit généralement à la base des crises bancaires. Un corollaire de ceci est qu'aucun pays ne peut se targuer d'être vacciné contre les crises bancaires.

Les crises monétaires

Le dernier type de crises abordé est celui des crises monétaires, décomposé en chute du taux de change ou dévaluation, forte inflation et altération de la monnaie. Ici aussi leur gravité est variable: en systèmes de changes flottant, les mouvements de change sont erratique et le seuil fixé par les auteurs couramment dépassé. Ainsi l'euro a connu un crash vis-à-vis du dollar après la faillite de Lehmann Brothers, suivi d'un crash du dollar vis-à-vis de l'euro! Si elles ne sont pas forcément dramatiques en changes flottants, les dévaluations sont plus néfastes dans les systèmes où un taux de change est fixé par avance. Les dettes sont alors souvent contractées dans la monnaie suivie ce qui créée ensuite des problèmes de dettes. Cela dit, la baisse de la valeur de la monnaie permet aussi au pays victime de cela d'exporter plus et de profiter de la demande étrangère pour relancer son économie lors d'une crise. Les dévaluations paraissent ainsi des événements relativement bénins sauf lors d'événements particulièrement sévères où ils s'accompagnent d'une forte inflation.

L'inflation est la perte de valeur réelle de la monnaie. En conséquence, elle est utilisée depuis l'époque où les monnaies métalliques ont commencées à être frappées. Le livre contient ainsi un historique du contenu en argent des monnaies européennes depuis le Moyen-Âge jusqu'au 19 siècle, la perte moyenne est de 90%. Il faut aussi noter que certaines années ont vu des dévaluation de l'ordre de 50%, surtout après des défaites militaires, mais aussi des réévaluations lors de retours à meilleure fortune. L'intérêt pour les états était clair: ainsi on peut faire mine d'honorer les engagements pris. De nos jours le lien avec les métaux précieux a disparu et il est aisé de pratiquer ce genre de sport. Les gouvernements ne s'en sont pas privés, car cela permet bien d'alléger la charge de la dette, d'une part en diminuant son poids réel, d'autre part en collectant des revenus de nulle part. Même si l'inflation n'a pas des conséquences caractérisées par leur justice, elle a au moins le mérite d'une certaine efficacité sans avoir d'effets extraordinairement délétères lorsqu'elle est utilisée à dose élevée mais raisonnable. Mais si le gouvernement est surtout endetté à court terme, cela peut ne pas suffire et la fuite en avant jette le pays dans l'hyperinflation. Les effets sont alors dramatiques puisque, de fait, les moyens de paiement deviennent sans valeur et cela empêche tout commerce. Une autre cause de l'hyperinflation est la défaite militaire, comme le montre le cas de l'Allemagne en 1923 et de la Hongrie en 1945. Les états qui ont connu des épisodes d'hyperinflation voient souvent, de nos jours, leur monnaie disparaître au profit du dollar ou d'une monnaie vue comme non manipulable par le gouvernement. Ce qui n'empêche pas le gouvernement de forcer la conversion des dépôts lors des crises les plus graves ensuite, comme en 2001 en Argentine. On peut constater que les épisodes de forte inflation ont été réglés dans les pays développés avec l'indépendance des banques centrales.

Le livre se poursuit ensuite par une description de la crise actuelle qui est un parfait exemple de crise bancaire et une illustration du propos des auteurs.

Conclusion

Ce livre est principalement descriptif. Dans ce domaine, il est sans doute inégalé jusqu'ici au point que les tableaux occupent une bonne part des pages du livre. L'avantage est que cela permet d'avoir une vision d'ensemble et voir des corrélations de long terme. Le désavantage est que cela semble prendre un peu le pas sur l'explication des phénomènes et la détermination des causes. Cela dit il n'est pas sûr qu'il soit possible de dégager des causes, les différents types de crises se produisant parfois en même temps lors des événements les plus graves, et aussi, du fait de l'importance des choix des gouvernements sur la survenue de certains événements — comme l'hyperinflation. Les propositions de remèdes sont principalement institutionnelles: tant le problème de l'inflation que des répudiations de dette leur semble avoir été résolu de cette façon. Ils appellent aussi à plus de transparence dans les engagements des états, mais cela semble bien difficile à obtenir, surtout quand on constate que les dettes bancaires peuvent constituer de gigantesques engagements "hors bilan" et que les banques ont souvent intérêt à masquer une partie de leurs engagements.

À la suite de la répudiation équatorienne, les auteurs finissent pas une prédiction comme quoi les répudiations dans les pays émergents pourraient reprendre. Cela dit, il semble plutôt que les problèmes de dettes sont concentrés dans les pays développés.