14 février 2015

Les faits n'ont aucune importance

Cette semaine, la mairie de Paris a annoncé des mesures visant à limiter la pollution atmosphérique. La plus remarquée de ces mesures est la décision de restreindre la circulation automobile en interdisant la circulation en dehors du périphérique et des bois à un certain nombre de véhicules autorisés ailleurs, mais trop anciens aux yeux de la maire de Paris.

Après quelques billets sur le sujet, il est intéressant de résumer les quelques épisodes précédents. Il est totalement impossible que les seuls gaz d'échappement, et plus particulièrement ceux des voitures diesel, soient responsables des fameux 42000 décès prématurés, qui ont d'ailleurs une réalité surtout mathématique et non celle de lier une cause à un effet directement tangible. Les émissions de polluants ont fortement baissé depuis 20 ans, ces efforts se poursuivent aujourd'hui, grâce au renouvèlement de toutes sortes de machines et au durcissement des normes. La baisse des concentrations des particules dans l'air parisien est moins rapide, parce qu'une bonne part de ces particules viennent de l'extérieur de la région parisienne. Dernièrement, les effets des concentrations des particules de moins de 1µm ont été comparées au tabagisme passif, dont on estime qu'il est la cause de 1100 décès par an soit environ 40 fois moins que les 42000 morts. Si ces particules de moins de 1µm sont créées par la combustion de carburants divers, elles ne représentent plus que la moitié des émissions de particules provenant du trafic routier.

Les justifications des mesures laissent pantois:

  1. Les éléments techniques sont donnés pèle-mêle sans aucune mise en perspective et sans doute dans l'unique but de faire peur. C'est ainsi que le chiffre de 42000 morts figure en bonne place, mais lorsque la comparaison avec le tabagisme passif est faite, le nombre de morts dus au tabagisme passif, bien plus faible, n'est pas donné. De la même façon, les conclusions qu'on pourrait tirer de la publication de l'InVS ne le sont pas: avec un surplus de décès de 0.5% par 10µg/m³, on peut en déduire qu'il existe en Île de France une corrélation entre la pollution aux particules et environ 1500 décès, essentiellement après 75 ans, d'ailleurs.
  2. Le trafic automobile est donné comme le plus gros émetteur de polluant sans précision, alors qu'évidemment, suivant le type de polluant, cette situation varie beaucoup. Si le trafic automobile est responsable de la plus grande part des émissions de NOx, pour les particules, il est minoritaire.
  3. La mairie de Paris n'hésite pas à déclarer que sa politique de restriction de la circulation est à l'origine de la baisse des émissions de polluants alors qu'elles y évoluent de façon parallèle au reste de du territoire français. Elle s'attribue le mérite de résultats dont elle n'est donc pas à l'origine.
  4. L'importance des pièces d'usure (pneus, plaquettes de freins) dans les émissions de particules n'est mentionné que p6, bien loin de l'avant propos justifiant l'ensemble des mesures … mais juste avant d'énoncer les mesures d'interdiction de circulation prise au vu des normes imposées aux moteurs!

On arrive assez rapidement à la conclusion que les justifications ne sont là que pour la forme, pour pouvoir prendre des mesures qui vont dans le sens de l'idéologie de la majorité municipale. C'est ainsi qu'on y retrouve un certain nombre d'expressions connotées dont l'encouragement des mobilités douces, parmi lesquelles le vélo et la marche à pied, dont tous ceux qui les pratiquent couramment savent qu'elles n'ont rien de tel. Les mesures à prendre sont ainsi connues à l'avance et ne portent que sur le trafic routier: mobilisation de places de parking en surface pour en faire autre chose, subventions diverses à l'achat de véhicules moins polluants et surtout restrictions de circulation suivant l'âge du véhicule — ou la norme respectée, on ne sait trop. C'est bien sûr cette dernière mesure qui frappera le plus de monde, une partie importante du trafic à Paris provenant aussi de banlieue.

Le premier aspect de cette mesure de restriction est son aspect vexatoire: Paris intra-muros possède un réseau dense de transports en communs, les habitants peuvent donc se dispenser de voiture, ce qui est le cas d'environ la moitié des ménages parisiens. De plus, le périphérique n'est pas concerné par ces restrictions, alors que c'est sans doute la route la plus fréquentée de France et par conséquence la plus polluée. Si, véritablement, Anne Hidalgo souhaitait réduire la pollution des automobiles, pourquoi exclure le périphérique de son plan? De même, pourquoi les voitures particulières polluantes seraient autorisées à circuler le week-end? Enfin, pourquoi aucune mesure n'est-elle prise pour les autres émetteurs de polluants que le trafic automobile?

D'un autre côté, cette mesure de restriction ressemble aussi à une gesticulation. En effet, au fur et à mesure du temps qui passe, les véhicules les plus vieux sont mis au rebut. C'est ainsi que fin 2012, les voitures particulières Euro 4 et plus représentaient à peu près 40% du parc selon le rapport 2014 du CITEPA (p145). Cette part est vouée à augmenter, et il semble qu'en fait les restrictions les plus onéreuses portent sur les interdictions faites aux cars ainsi que le dernier niveau d'interdiction de circulation, en 2020, qui portera sur les véhicules inférieurs à la norme Euro 5. L'effet des ces restriction sera de plus probablement limité: le rapport prospectif d'Airparif sur les émissions de polluants prévoyait qu'à réglementation constante les émissions de PM2.5 — de fait celles concernées par les réglementations Euro — diminueraient de 80% entre 2008 et 2020. Les efforts supplémentaires portent donc sur une masse d'émissions fortement réduites. Enfin, réduire les émissions dans Paris intra-muros ne fait rien contre les émissions qui ont lieu juste à côté, en Île de France, et plus largement ailleurs en Europe, ce qui a son importance quand les 2/3 des particules viennent de l'extérieur!

Une politique pragmatique de diminution de la pollution devrait à mon sens suivre certaines grandes lignes:

  1. Pour le secteur des industries et de du trafic routier, reconnaître que les normes élaborées au niveau européen sont le déterminant principal de la réduction à long terme des polluant et qu'il n'y a pas besoin d'en rajouter aux niveaux inférieurs, national et local.
  2. Le diesel n'apportant aucun bénéfice par rapport au super en termes de pollution, les taxes sur les 2 devraient être alignées sur le niveau des taxes sur le super, afin de renforcer l'incitation financière à économiser les carburants. Ça ne se décide pas au niveau de la mairie de Paris.
  3. Le bonus-malus devrait être la seule incitation à acheter des véhicules consommant moins, à condition de ne plus se baser sur le vieux test NEDC mais plutôt sur le WLPT pour éviter que les optimisation des constructeurs ne corrompent trop le système.
  4. Une action locale que pourrait mener la mairie de Paris pour diminuer la pollution est la chasse aux chauffage au fioul et aux cheminées à foyer ouvert. Il ne s'agit pas tellement d'interdire que de faire de la publicité pour les inserts — qui divisent par 4 les émissions de particules provenant du bois par rapport aux foyers ouverts — et de subventionner la fin des vieilles chaudières au fioul, dont certaines des plus grosses sont d'ailleurs celles qui chauffent des HLMs.

Mais comme la parole publique est surtout concentrée sur les méfaits supposés du diesel, qui ont largement disparu et vont continuer à diminuer, peu de temps a été consacré à des propos utiles. Personne ou presque n'a parlé récemment du fait que les cheminées à foyer ouvert étaient les plus gros émetteurs de particules fines en France. Personne pour dire qu'il faudrait aussi remplacer les vieilles chaudières au fioul, qui brûlent essentiellement la même chose que le diesel et émettent aussi des particules. En conséquence de quoi, l'action dans ce domaine a consisté à interdire, ce qui a évidemment échoué devant l'incompréhension générale.

Tout ceci s'explique par la source de ces mesures. Il ne s'agit pas de lutter d'abord contre la pollution, mais surtout de satisfaire une idéologie. Les faits n'ont alors strictement aucune importance: ils peuvent pointer dans le même sens ou dans la direction opposée aux mesures sans impact sur celles-ci. On peut penser que les Parisiens, qui fréquentent assidûment un métro pollué par les particules de pneu et de métal, ne sont pas extraordinairement préoccupés par le niveau actuel de pollution aux particules à l'extérieur. Par contre, ils sont gênés par le trafic routier et ces gens qui viennent envahir les boulevards depuis la banlieue. Les électeurs sont aussi plus favorables qu'ailleurs aux thèses des Verts. La maire de Paris a alors tout intérêt à limiter par tous les moyens la circulation en dehors du périphérique.

30 novembre 2014

Du dieselisme passif

Mardi 25 novembre, les particules fines et le diesel ont refait surface dans les médias, toujours pour dénoncer l'ampleur scandaleuse de la pollution. Cela faisait suite à une présentation à la presse des résultats de mesures effectuées à l'aide d'un instrument embarqué à bord du ballon Generali qui flotte au-dessus du parc André Citroën, dans le 15ᵉ arrondissement de Paris. Cette fois-ci, la comparaison choc est que la pollution aux particules de moins de 1µm de diamètre équivalait aux dommages causés par le tabagisme passif.

Si on se rend sur le site de l'Institut National du Cancer, on constate que 1100 décès sont attribués chaque année au tabagisme passif sur l'ensemble de la France. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, on nous annonçait que la pollution aux particules était responsable de 42000 morts par an en France, ce qui avait suscité mon premier billet sur le sujet. Les articles et la présentation affirment que les particules d'un diamètre de moins de 1µm sont les plus nocives. En conséquence, on ne peut que s'émerveiller des progrès rapides de la lutte contre la pollution aux particules, puisqu'en seulement 2 ans et demi, le nombre de décès a été divisé par un facteur 40. Malheureusement, il semble que personne n'ait remarqué ces progrès dans la presse, puisque les articles sont toujours aussi négatifs et appellent toujours à pourchasser le diesel. Cette estimation est même inférieure à celle à laquelle je m'étais risqué dans mes billets précédents.

De plus, le seul jour du 13 décembre 2013 semble concentrer le feu des critiques, alors que les mesures ont été effectuées entre septembre 2013 et août 2014 et qu'un autre épisode de pollution aux particules a eu lieu en mars 2014. Ce n'est guère étonnant: il s'est avéré par la suite que plus de la moitié des particules n'étaient pas dues à la combustion, mais aux activités agricoles, puisque 51% étaient composées de nitrate d'ammonium et seulement 11% dérivaient de l'usage de combustibles fossiles. En conséquence de quoi, il y a dû y avoir relativement peu de particules de moins de 1µm, car la combustion de matières — dérivés du pétrole, bois — provoque essentiellement l'émission de ces particules. Si d'autres causes sont responsables d'un pic de pollution, la proportion de particules de moins de 1µm est moindre. En mars dernier, le diesel était le premier accusé; qu'il soit apparu après coup que le diesel n'ait joué qu'un rôle marginal dans le pic de pollution n'a pas suscité de retour dans la presse.

Avec les diagrammes publiés sur le blog {sciences²} de Libération, on s'aperçoit que les concentrations varient d'un facteur 30 sur l'année de mesures. En moyenne sur l'année, les concentrations sont plus proches du minimum que du maximum constaté lors d'un pic de pollution: les pics de pollution sont de courte durée et ils comptent relativement peu dans la moyenne. Si on regarde le cas des particules de moins de 10µm, on s'aperçoit que la moyenne est de l'ordre de 2 fois le minimum (cf graphe ci-dessous) PM10_201309_201408.jpg Si on applique la même règle aux particules de moins de 1µm, au lieu d'un studio où on a brûlé 8 clopes, on trouve qu'en moyenne sur l'année, il y a autant de particules que si on avait brûlé 0.5 cigarette. Comme bien sûr on ne peut jamais atteindre le zéro équivalent-clope, il faut bien constater qu'on ne peut pas vraiment dire que la pollution à Paris est équivalente au tabagisme passif.

On peut aussi constater qu'une fois de plus, ce qui a été relayé dans la presse portait sur l'aspect négatif: rapporter la concentration de particules de moins de 1µm en termes de nombre est assez révélateur. En effet, les organismes de mesure de la pollution parlent plutôt en termes de masse globale des particules. Bien évidemment, une grosse particule va peser bien plus lourd qu'une petite: si la masse est proportionnelle au volume, une particule de 2.5µm pèse 15 fois plus qu'une particule de 1µm. On voit que le nombre de petites particules peut rapidement devenir proprement astronomique. Est-ce cela signifie qu'elles sont dangereuses à proportion de leur nombre? Pas forcément! Dans ce cadre, l'affirmation qu'aucun seuil réglementaire d’émissions n’a été encore fixé pour les nanoparticules relève du mensonge pur et simple: comme les normes anti-pollution s'attaquent à la masse de toutes les particules émises lors du test, quelque qu'en soient leurs tailles, les particules de moins de 1µm sont bien évidemment incluses. De plus, la norme Euro 6 impose une limite en nombre, dans le but de s'attaquer directement aux émissions de particules de moins de 0.1µm!

Comme d'habitude, cet évènement a été rapidement récupéré par les opposants au diesel. Il n'est besoin que d'observer que le fioul domestique, qui n'est rien d'autre du diesel auquel on a ajouté un colorant rouge, ne fait l'objet d'aucune mention. Or, l'usage du fioul pour se chauffer en hiver est bien mieux corrélé aux pics de pollution que la consommation de gazole! Inutile donc de rappeler aussi que la combustion du bois est le premier émetteur de particules de moins de 1µm, qu'en moyenne les 2/3 des particules en Île de France viennent d'ailleurs, que les normes anti-pollution mettent les voitures neuves essence et diesel au même niveau ou presque. Le mal est forcément le trafic parisien fortement diésélisé et il faut bannir les voitures diesel. Même si je considère que le diesel bénéficie d'un avantage fiscal infondé et que je suis favorable à l'alignement de la fiscalité du diesel sur celle du super 95, je remarque que la campagne de diabolisation du diesel est mensongère et s'attaque surtout à des problèmes qui se posaient il y a 20 ans.

30 octobre 2013

La taxe des petits malins

Le gouvernement a aujourd'hui décidé de reporter sine die l'application de l'écotaxe, officiellement taxe poids lourds, suite aux manifestations qui se sont déroulées en Bretagne.

À première vue, l'écotaxe ressemble à une taxe d'usage: plus on roule, plus on paie, le produit net de la taxe est affecté à l'organisme étatique chargé des projets d'infrastructures. Cependant, contrairement à une véritable taxe d'usage, les voitures particulières sont exonérées, ainsi que d'autres poids lourds parmi lesquels les véhicules de secours et … les citernes de lait. Des abattements sont prévus pour certains endroits, dont la caractéristique principale est d'être peu pourvus en autoroutes. À part les grandes routes, le reste est exonéré, un des buts avoués de la taxe est de favoriser les canaux et le train. On remarque aussi que plus le poids lourd respecte une norme anti-pollution récente et moins le poids lourd consomme de pétrole, moins il paie. C'est aspect est naturel puisque cette taxe a été décidée après le fameux Grenelle de l'Environnement. Il semble donc qu'il s'agit en fait de taxer la consommation de carburant, on y reviendra.

Un article des Échos sur la genèse de cet impôt particulier, on constate aussi que d'autres raisons ont présidé à cette remarquable invention. L'appât du gain que l'exemple allemand a provoqué: peu importe que le réseau allemand ne connaisse pas le péage. Les reports de trafic vers l'Alsace créent aussi un allié, les élus alsaciens, qui ne veulent pas de ce nouveau trafic. Enfin, la privatisation des autoroutes a privé l'organisme qui s'occupe des infrastructures de la plupart de son financement.

La complexité de la taxe ne cesse d'étonner. Elle nécessite la pose de portiques le long des grandes routes partout en France et l'enregistrement de l'ensemble des camions circulants. Une telle infrastructure demande un entretien important, ce qui fait que la collecte coûte 250M€, soit un quart des recettes totales. Penser qu'une gestion publique aurait fait mieux n'est pas fondé: les radars automatiques coûtent plus de 200M€.

Alors, pourquoi ne pas avoir simplement rogné la ristourne fiscale sur le diesel dont bénéficient les poids lourds? Le risque aurait alors été le blocage de grandes villes ou plus simplement des raffineries. Pour amadouer les éventuels protestataires, les transporteurs routiers ont été autorisés à extérioriser le coût de cette taxe auprès de leurs clients dont la grande distribution, en sus des autres exonérations accordées: aux laitiers, aux Bretons, etc. Le report dans un futur indéterminé en 2008 a aussi permis de reporter à plus tard la protestation et de se lier les mains en préparation de cette contestation très prévisible lorsque le moment de payer allait s'approcher. Enfin, créer une taxe particulière permettait de l'affecter et s'empêcher de déshabiller les investissements dans les infrastructures pour boucler le budget.

Évidemment, l'heure de passer à la caisse a fini par se préciser et il s'avère que la taxe aurait dû s'appliquer à partir de l'année prochaine. Et tout s'est passé de façon défavorable. Les donneurs d'ordres ont négocié comme avant auprès des transporteurs, et la taxe allait se répercuter suivant la théorie de l'incidence fiscale. Il s'avère que dans l'agro-alimentaire, c'est à court terme les agriculteurs qui paient. Comme une bonne part du transport s'effectue en fait dans les derniers kilomètres et que les abords des grandes villes sont dépourvus d'autoroutes à péages, ceux qui pensaient être à l'abri car en «cycle court» se sont aperçus qu'en fait, ils allaient payer.

On a là un concentré de l'impéritie de l'état français. Une taxe pour décourager l'usage d'un produit qui se raréfie — même le PDG de Total dit que les quantités extraites chaque année vont baisser la prochaine décennie — et qui est responsable d'une bonne part du réchauffement climatique — un tiers des émissions dues à la combustion d'hydrocarbures au niveau mondial — est légitime, mais personne ne sait comment la faire accepter. Germe alors l'idée de la faire par une voie détournée, en persuadant ceux qui pourraient bloquer la mesure qu'ils ne paieront pas, en se liant les mains et en reportant l'application à une époque où il est probable que le pouvoir aura changé de mains. Bien sûr, pour que l'illusion fonctionne, la complexité de la taxe est très élevée et demande des investissements pour mettre en place un système de recouvrement. L'illusion se dissipe et le nouveau gouvernement ne sait toujours pas comment faire accepter cette augmentation de taxes. Ce manque d'argent oblige alors à mettre en veilleuse certains projets d'infrastructures, faute de financement. On sait aussi que ces deux aspects, moins de consommation de pétrole et disposer de rentrées fiscales pour financer les infrastructures, font consensus entre les différents partis. Au fond, les politiques ne savent plus comment faire accepter des actions qu'ils jugent légitimes, que ce soit pour financer l'action de l'état ou pour éviter des évènements néfastes.

5 juin 2013

Delphine Batho raconte n'importe quoi

Alors que le débat organisé par le gouvernement sur l'énergie tire à sa fin et que la CRE publie un rapport qui suggère d'augmenter fortement les tarifs de l'électricité, Delphine Batho donne une interview au Figaro, intitulée Consommer moins d'énergie fabriquera de la croissance. On ne peut que regretter qu'elle y dise en grande partie n'importe quoi.

Elle nous déclare donc, dès la première question, que la nouveauté, c'est que l'investissement dans la réduction de la consommation d'énergie fabriquera de la croissance. Il y a deux façons de comprendre cette phrase, qui mène à deux impasses différentes. La première, c'est que les investissements dans les économies d'énergie permettent de diminuer la quantité d'énergie nécessaire pour créer un 1€ de PIB. En d'autres termes, il s'agit de gains de productivité, qui n'ont absolument rien de nouveau. En 1851, Jevons avait déjà constaté qu'en fait la consommation totale d'énergie augmentait de ce fait dans son livre The Coal Question. La deuxième, c'est que grâce à ces investissements, on aura à la fois croissance et baisse de la consommation d'énergie. Il y a de fortes raisons d'en douter: la croissance économique s'est historiquement toujours accompagnée d'une croissance de la consommation d'énergie (comme on peut le constater là). Il faudrait pour cela que les gains de productivité soient supérieurs à l'effet de rebond, ce qui suppose entre autres une nette accélération des gains de productivité ou que les nouvelles activités dépensent très peu d'énergie, ce qui est très peu probable, toute activité économique se basant sur une transformation de l'existant. Bref, soit D. Batho a découvert un des faits les plus anciennement connus en économie, soit elle tient des propos dont la réalisation est très peu probable.

La donnée du chiffre de 43% d'économie d'énergie dans l'appareil de production en France en est l'exemple parfait: une telle économie d'énergie est peut-être techniquement réalisable, mais elle peut être économiquement néfaste. Pour qu'elle soit bénéfique, il faut que l'investissement nécessaire coûte moins que les dépenses d'énergie évitées. Or c'est là toute la question des économies d'énergie: dans des secteurs concurrentiels, les entreprises ont intérêt à minimiser leurs coûts, ne serait-ce que pour survivre. C'est ainsi qu'on a vu les dépenses énergétiques pour produire une tonne d'aluminium ou d'acier se réduire. Mais si ces investissements ne se font pas, c'est bien souvent qu'ils ne sont pas rentables. Et ils le sont d'autant moins que l'énergie est bon marché, vanter ces possibilités d'économies est donc contradictoire avec le fait de se plaindre de la hausse structurelle du coût de l'énergie. Les mêmes remarques valent aussi pour les particuliers: les investissement pour réduire la consommation du chauffage ne sont rentable qu'à partir d'un certain niveau de prix, lorsque les remboursements d'emprunts sont moins lourds que les dépenses évitées. En fait cela signifie que le pouvoir d'achat est sans nul doute inférieur à celui qui prévalait avant la hausse des prix de l'énergie qui s'est produite depuis 2005.

La ministre nous gratifie ensuite d'un magnifique mensonge. Elle affirme qu'en Allemagne, le kilowattheure y est 87 % plus cher qu'en France, mais grâce aux économies d'énergie sous toutes leurs formes, la facture du consommateur est en moyenne moins élevée. On peut déjà tracer l'origine de ce mensonge: j'en ai déjà parlé au moment où un sénateur Vert a remis le rapport de sa commission d'enquête. Tout part d'une enquête statistique réalisée en 2005 — nous sommes en 2013 — dans tous les pays européens via un suivi de ménages. Cette enquête rapporte des résultats surprenants quant à l'énergie. Tellement que ces résultats ne collent absolument pas avec les résultats qu'on peut tirer des comptes nationaux, et que Global Chance, pas vraiment connue pour ses positions favorables à la politique énergétique française, reconnaît que la facture des Allemands est supérieure à celle des français. J'avais à l'époque tiré le graphe ci-dessous des données de comptes nationaux tels qu'on pouvait les extraire d'Eurostat: Dépenses énergies pour les logements en 2010 On y voit clairement que les dépenses par habitant sont plus faibles en France qu'en Allemagne, que ce soit globalement en incluant toutes les sources d'énergie, qu'en prenant en compte la seule électricité. Comme je ne peux imaginer que D. Batho n'ait pas été correctement briefée sur la question par son administration, il ne reste que l'hypothèse du mensonge.

L'interview se poursuit avec l'inévitable question de Fessenheim, où la ministre se propose de diminuer autoritairement le PIB de la France en fermant une usine rentable. Elle justifie la fermeture de Fessenheim par l'ouverture de la centrale de Flamanville. Mais la construction de l'EPR de Flamanville a été lancée pour faire face à l'augmentation de la demande en électricité. À cause de la crise, la croissance de la demande a été plus faible que prévu, car la chute de la consommation des industries a masqué la hausse continue de la consommation de la part des particuliers et des petites entreprises de services. Mais si la chute de l'industrie s'arrête, la hausse de la demande d'électricité reprendra. À tel point que RTE prévoit un manque de capacité pour les pointes extrêmes de consommation à partir de 2016. L'autre justification est la dépendance au nucléaire et au parc standardisé français. Le problème est alors qu'on ne voit pas bien la différence entre produire 50% et 75%: en cas de défaillance généralisée, la pénurie d'électricité serait extrêmement grave. La seule solution est alors descendre encore plus bas! Elle affirme enfin que nous n'avons pas vocation à faire moins de nucléaire pour faire plus de CO₂. Or il s'avère que les simulations sérieuses montrent qu'en fait une baisse du nucléaire se traduira forcément par une hausse des émissions de CO₂.

Sur la question du gaz de schiste, D. Batho traite le gaz d'énergie du XIXᵉ siècle, alors que l'expansion du gaz date de la deuxième moitié du 20ᵉ siècle, entre 1965 et 2011, la consommation a été multipliée par plus de 5; la consommation a augmenté de presque 50% ces 15 dernières années. gaz_conso_1965-2011.jpg À la question suivante, pourtant, cette énergie datée trouve grâce à ses yeux, puisqu'elle va empêcher les centrales au gaz de fermer! Elle annonce aussi un statut spécial pour les gros consommateurs industriels et des mesures de compétitivité pour eux. On pardonnera les faibles mortels qui ont du mal à comprendre comment les deux déclarations sont conciliables. L'interview se termine sur la reprise du leitmotiv comme quoi le diesel est un problème de santé publique: comme il fallait s'y attendre, la hausse des taxes à venir sera justifiée par des raisons de santé publique inexistantes et non par les véritables raisons, qu'il n'existe aucune raison à cet avantage et qu'une hausse des taxes est une excellente façon de faire baisser les consommations de carburants.

Pour conclure, ce n'est pas cette interview qui va me faire changer d'avis sur la politique du gouvernement en matière d'énergie ni sur Delphine Batho. Il faut dire que la ministre est confrontée à des demandes contradictoires, au milieu desquelles il est difficile de surnager. Vouloir limiter la hausse des prix de l'énergie, grandement déterminés sur des marchés mondiaux, est impossible, surtout quand en plus, on subventionne les énergies renouvelables comme le solaire et l'éolien, plus chère que le parc de production existant. De même, réduire la part du nucléaire s'accompagnera selon toute probabilité d'une hausse des émissions de CO₂ dans la production d'électricité. Elle se retrouve à condamner le gaz à une question avant de lui trouver de nombreuses vertus à la suivante. Tout ceci montre bien que le fameux débat n'a rien éclairci, comme prévu, et que la politique de ce gouvernement est minée par des cadeaux idiots aux Verts et des promesses intenables sur les prix de l'énergie. Les mensonges et les demi-vérités sont alors la seule issue de la communication politique.

3 mars 2013

Signé Furax: le diésel qui tue

Le 1er mars dernier, la Cour des Comptes a publié un référé pour faire des remontrances au gouvernement sur la question des taxes sur les carburants. En effet, le gouvernement n'inclut pas dans la liste des dépenses fiscales l'exonération du kérosène pour les avions, la fiscalité avantageuse du diésel ainsi que celle du charbon. Elle remarquait finement que taxer le diésel consommé par les particuliers comme le sans-plomb rapporterait presque 7G€ par an et faisait une allusion tout aussi fine au fameux chiffre de 42000 morts par an dus au diésel en France. Comme l'idée d'aligner la fiscalité du diésel sur celle du sans-plomb semble planer avec insistance, cela a amené le retour vengeur du diésel qui tue dans la presse. Comme je m'étais fendu d'un billet l'an dernier sur le sujet lors de la dernière poussée de fièvre sur le sujet, je me suis donc moi aussi décidé à faire un retour vengeur et à l'actualiser — entre autres à l'aide de ce billet-là — pour bien montrer qu'il n'y a absolument aucune chance pour que le diésel puisse causer 42000 décès chaque année en France.

Comme ce billet s'annonce long et que ton temps, ô lecteur, est certainement précieux, voici un résumé de ce qui va suivre.
Il n'y a aucune chance pour que le diésel soit la cause de 42000 morts par an en France pour les raisons suivantes:

  1. Ce chiffre était donné à l'origine pour l'ensemble des émissions de particules de moins de 2.5µm (PM2.5). Le diésel ne représente que 10% de ces émissions.
  2. Ce chiffre est calculé sur la base des émissions en l'an 2000. Depuis, les émissions ont baissé d'un tiers.
  3. Cette étude a eu une suite dont les conclusions conduisent, via une extrapolation linéaire très incorrecte, à pratiquement 3 fois moins de morts.
  4. Ce chiffre n'a pas la signification qu'on soit capable de relier les pics de pollutions aux morts. Il s'agit d'une donnée mathématique abstraite, qui est mieux exprimée en perte d'espérance de vie.
  5. Pour ce qui est de la liaison directe entre niveau de pollution et mortalité, on se risquera à une évaluation à la louche qui est d'environ 5000 morts pour l'ensemble de la pollution aux particules et de 1000 morts pour le diésel. J'estime même maintenant que c'est une évaluation maximale en ce qui concerne le diésel.

On s'essaiera ensuite à une exégèse de la communication gouvernementale sur le sujet dont il va ressortir qu'il s'attaque au sujet de la fiscalité du diésel par la face de la santé publique par opportunisme et manque d'autres choix. Il s'est en effet fermé diverses portes par ses déclarations précédentes. Ce qui n'est guère étonnant vue l'incompétence dont il a fait preuve jusqu'ici, incompétence largement due au manque de travail sérieux sur les questions énergétiques lorsque le PS était dans l'opposition — ce qui est, accessoirement, un thème récurrent sur ce blog.

Pourquoi le diésel ne peut tout se prendre sur le dos

Commençons par le début: le chiffre de 42000 morts est donné sur le site du ministère de l'environnement comme valable pour l'ensemble de la pollution aux PM2.5. On nous donne aussi la source, le programme CAFE, on y revient plus loin. Pour l'instant, une évidence s'impose: le diésel n'est peut-être pas le seul émetteur de PM2.5. S'il était responsable de la majeure partie des émissions, on pourrait presque tout lui mettre sur le dos; au contraire, s'il n'est qu'un émetteur marginal, c'est gonflé. De plus, le programme CAFE se base sur les émissions de l'an 2000, il faudrait donc tenir compte de l'évolution de la situation puisque ce billet est rédigé en 2013. Par chance, la France dispose d'un organisme qui recense et évalue toutes sortes de pollutions atmosphériques, dont les PM2.5, le CITEPA. Il publie chaque année un rapport qui les compile. On peut alors en tirer cette figure (p90) Émissions de particules de moins de 2.5µm en France On peut voir sur ce graphe que les émissions ont baissé d'un tiers entre 2000 et 2011. Le modèle menant au chiffre honni étant linéaire, le nombre de morts devrait déjà être ajusté d'autant. Mais il y a mieux: on voit distinctement que le transport routier ne compte que pour 19% des émissions totales. Rien qu'avec ça, je peux affirmer qu'il est strictement impossible que le diésel tue 42000 personnes par an en France. Si on continue la lecture de ce précieux tome, on tombe p224 sur un superbe tableau qui détaille les émissions par combustible. Répartition des émissions de PM2.5 par combustible

On y voit que le diésel seul représente 25kt, contre 250kt de PM2.5 émises chaque année. Le biodiésel n'ajoute que 2kt. Dit simplement, le diésel ne représente que 10% des émissions totales de PM2.5. Le reste des émissions du secteur des transports est dû marginalement à l'essence, de façon plus importante à des choses comme l'usure des pneus. Mettre sur le dos du diésel l'ensemble des morts est donc sérieusement gonflé. On constate aussi une particularité des émissions de PM2.5: les premiers émetteurs sont liés au chauffage des locaux avec 39% des émissions liés aux secteurs résidentiel et tertiaire. Le tableau détaillant par combustible nous dénonce 2 autres coupables: le fioul domestique et ... le bois qui émet à lui tout seul quasiment 4 fois plus de PM2.5 que le diésel, concentrés lors des mois froids de l'année.

Mais ce n'est pas tout. Si on se limite aux particules de moins de 1µm, on se limite en fait aux émissions dues au combustible utilisé et on élimine les émissions dues à l'usure. On constate (tableau p205) que les poids lourds émettent 6kt sur 27. Il est laissé à la sagacité du lecteur de savoir si les poids lourds seront concernés par une éventuelle hausse des taxes sur le diésel. Il ne semble pas non plus qu'on empêche les poids lourds de rouler au diésel dans un avenir proche. PM_moytransport.jpg Bref: une éventuelle hausse des taxes sur le diésel ne concernerait que 8% des émissions de PM2.5.

D'où sortent ces 42000 morts?

L'autre point frappant, c'est que 42k morts représentent une part importante de la mortalité en France, c'est presque 8% des décès constatés chaque année. Pour fixer les idées, on estime qu'il y a 60k décès liés au tabagisme et qu'il cause 80% des décès par cancer du poumon. Comme les effets du tabagisme et des particules ne doivent pas être bien différents, il y a un problème de concurrence entre ces deux causes: il n'y a pas assez de morts de maladies respiratoires ou cardiaques pour qu'il n'y ait pas de recouvrement entre causes. Dit autrement, si on additionnait tous les morts qu'on lie à une cause quelconque en France, on aboutirait à une somme supérieure au nombre total de décès annuels en France. D'une certaine façon, il y a des gens qu'il faut tuer plusieurs fois avant qu'ils ne soient définitivement répertoriés comme morts.

En l'occurrence, ce chiffre sort à l'origine d'un programme européen, CAFE. Le chiffre de 42000 figure dans ce fichier excel à la ligne «morts prématurées». Les conclusions de ce programme ont fait par la suite l'objet d'un document de l'OMS. Une lecture cursive du fichier excel ainsi que du document de l'OMS montre d'ailleurs une caractéristique bizarre: il y a plus de morts — 350k/an au niveau de l'Europe — que d'admissions à l'hôpital — 100k/an — pour la même cause (pXII du document de l'OMS). Si ces morts étaient conformes à l'idée naïve qu'on peut s'en faire, ce serait l'inverse: aux dernières nouvelles, on ne laisse pas les gens mourir chez eux sans rien tenter en Europe de l'Ouest. Surtout quand il s'agit de gens qui ont des problèmes respiratoires et vont certainement demander de l'aide. Il est remarquable que ce «détail» n'ait pas eu l'air d'alerter grand monde sur la signification de ce chiffre.

Le programme CAFE a consisté à modéliser la présence de PM2.5 sur l'Europe pour en déduire un certain nombre de conséquences sur la santé à long terme. On a découpé l'Europe en cases, où on pouvait assigner une concentration moyenne en PM2.5 et la population y vivant. À partir de là, le nombre de morts y est calculé en prenant la concentration en PM2.5 (exprimée en µg/m³) et la multipliant par le taux de 0.6% par µg/m³ ainsi que le nombre de décès dans une case. Ce qui revient à dire qu'il y a à long terme un excès de mortalité de 0.6% par µg/m³ de PM2.5. Tout ceci est expliqué dans la notice méthodologique (p57). Il y est dit que cette méthode est ... fausse et qu'elle surévalue notoirement le nombre de morts. Mais qu'elle est utilisée parce qu'elle est facile à mettre en œuvre et rend un résultat facile à comprendre ou, autrement dit, pour des raisons publicitaires. À la page suivante, il nous est clairement dit que la méthode préférée est de compter en termes d'années d'espérance de vie perdues, surtout que la méthode est destinée à faire des évaluations de politiques, menées ou à mener, en fonction de la valeur d'une année d'espérance de vie. La vraie question à laquelle le programme CAFE voulait répondre, c'est de savoir de combien de temps la mort est-elle hâtée, en moyenne, par la faute des particules.

L'autre biais est celui du double comptage: sauf erreur de ma part, il n'y a aucun contrôle pour des comportements individuels comme le tabagisme. Ça favorise aussi l'emploi d'un modèle linéaire. Imaginons que la population soit divisée en 2 catégories, les non-fumeurs, pour qui il existe un seuil en deçà duquel les particules n'ont pas d'effet, et les fumeurs, pour qui toute concentration de PM2.5 hâte des décès parce que le seuil est dépassé à cause du tabagisme. Dans ce cas, toute concentration de PM2.5 va hâter des décès pour l'ensemble de la population puisqu'on aura un mélange indiscernable de fumeurs et de non-fumeurs. À long terme, si un fumeur meurt d'une affection respiratoire, et que les particules n'ont d'effet que sur eux, dira-t-on qu'il est mort du tabac ou des particules? On peut aussi constater que, dans ce cas, la meilleure façon de lutter contre la mortalité par les particules peut devenir … la lutte contre le tabagisme. Un biais supplémentaire est l'effet mémoire: les niveaux de pollution aux particules ont fortement baissé depuis les années 70s, mais nombre de ceux en vie à cette époque sont toujours vivants aujourd'hui. Ces études à long terme observent donc en partie les effets de la pollution du temps jadis. Les émissions de particules ont été divisées par 2 depuis 1990, et l'usage du charbon — autre émetteur de particules historiquement important en Europe et très actuel en Chine — a fortement diminué depuis les années 70s et les centrales à charbon ou au fioul dotées de filtres. Et on peut donc dire que le nombre de morts annoncés n'a rien à voir et est nettement plus élevé que ce qu'on entend généralement par mort à cause de....

De plus un autre programme a succédé à CAFE, Aphekom. Les résultats du programme en ce qui concerne la France ont été chroniqués ailleurs: cette fois-ci, en étudiant des agglomérations rassemblant 12M d'habitants, on ne trouve que 2900 décès attribuables, pour les niveaux de pollution de 2004 à 2006. À la différence de CAFE, ce programme considère qu'il y a un seuil à 10µg/m³ et attribue la diminution de l'espérance de vie à la partie de la concentration dépassant ce seuil. Pour Paris, le site d'Airparif nous dit que ça correspond à une perte de 6 mois. On peut aussi voir que, d'un programme à l'autre l'évaluation, si on l'extrapole violemment par une règle de 3 à l'ensemble de la population française, est passée à 15000 morts. Sans que ceux-ci soient tellement plus rattachables à leur cause que les morts du programme CAFE.

Pour relier directement les effets des particules aux morts, il y a les études à court terme qui lient les hospitalisations et les décès aux pics de pollution pour voir quelle est la variation et en tirer une relation entre concentration de polluants et morts. Un autre document de l'OMS nous donne la relation à court terme (p257): une augmentation des décès de 0.6% tous les 10µg/m³, un facteur 10 de moins que les effets à long terme. On trouve donc à la louche un ordre de grandeur de 5000 décès directement imputables aux particules par an en France dont seulement 1000 maximum peuvent à la rigueur être imputés au diésel, mais plus probablement 500, puisque le diésel ne compte que pour 10% des émissions.

Pourquoi le gouvernement utilise-t-il cet argument?

On peut maintenant se tourner sur les raisons pour lesquelles le gouvernement utilise l'argument de la santé publique pour vouloir pousser une hausse des taxes sur le diésel et les aligner sur celles de l'essence. La première raison, c'est qu'ils croient sincèrement que le diésel fait des morts tous les ans en France. Sans doute pas 42000, sans quoi on aurait des réactions plus violentes comme la recherche d'une interdiction pure et simple des rejets de particules. C'est la politique qui a été menée avec le durcissement constant des normes portant non seulement sur les moteurs d'automobiles, mais aussi sur les installations industrielles comme les centrales au charbon. Aujourd'hui, les filtres à particules des véhicules diésel filtreraient plus de 99% des particules (source: communication de l'Académie de médecine, p3-4). Le problème pourrait donc se régler de lui-même au fur et à mesure du renouvèlement du parc, quitte à le lier à un durcissement du contrôle technique. Comme on l'a noté plus haut, le bois et le fioul domestique constituent aussi une source importante de PM2.5, puisque le bois représente à lui seul 4 fois les émissions de PM2.5 du diésel. À ce sujet, il me souvient d'avoir entendu, dans la même interview de 10 minutes, l'inénarrable Jean-Vincent Placé fustiger le diésel pour ses émissions de particules et porter au pinacle le chauffage au bois. On le voit, il y a une certaine dichotomie entre la réalité de la pollution aux particules et sa représentation dans le discours public. Toutefois, on s'aperçoit que les feux de cheminée sont aussi dans le collimateur en région parisienne. Dans l'article du Parisien, on pouvait lire la réaction appropriée d'une vice-présidente Verte du conseil régional:

« Il n’est pas question de créer une police des feux de cheminée, mais d’alerter tous ceux qui utilisent ce moyen de chauffage sans connaître son impact », réagit Hélène Gassin, vice-présidente (EELV) du conseil régional d’Ile-de-France. « Mais, prévient-elle, il ne faudrait pas se focaliser sur la chasse aux foyers ouverts et laisser les particules de bois cacher la forêt du diesel. »

Au total, il ne me semble pas que les propositions de taxation du diésel pour cause de particules soient particulièrement crédibles dans ces conditions! Les politiques deviendront crédibles sur ce sujet lorsqu'ils proposeront une taxe sur le bois — très probable en cette époque.

Les raisons du retour de l'idée d'aligner les fiscalités de l'essence et du diésel sont donc en partie à chercher ailleurs. Par exemple, Jérôme Cahuzac disait lundi dernier qu'il faudrait trouver 6G€ l'année prochaine, une somme très proche des 7G€ que rapporterait l'alignement des fiscalités. Je constate aussi que les taxes sur le carburants sont presque les seules à n'avoir pas été augmentées dans ce cycle d'austérité. D'autre part, la France entend réduire sa consommation de pétrole, à la fois pour des raisons géopolitiques — le peak oil — et climatiques — puisque la combustion du diésel dégage fatalement du CO₂. Pour cela, il faudra sans doute augmenter de façon conséquente la fiscalité des carburants.

Mais le gouvernement ne peut le dire directement: on a eu droit à un épisode qui a conduit à baisser temporairement les mêmes taxes cet été. Le gouvernement y a été poussé car il s'est fait fort de stopper la hausse du prix des carburants lors de la dernière campagne électorale. Et ce, alors même que les problèmes climatiques et d'approvisionnement pétrolier sont connus depuis longtemps. Le gouvernement s'est donc lié les mains et ne peut plus justifier une hausse des taxes sur les carburants par le besoin de financement de l'état, les problèmes climatiques ou d'approvisionnement. Il ne peut donc plus qu'utiliser des moyens détournés pour arriver à ses fins. La mise en cause du diésel sur le plan sanitaire semble donc représenter une bonne occasion pour enfin réaliser cet objectif. Car enfin, cet objectif d'alignement des fiscalités est légitime: le diésel ne présente aucun avantage sanitaire par rapport à l'essence, émet la même masse de CO₂ par litre brûlé, la différence de consommation étant désormais couverte par le système de bonus-malus. Tout devrait pousser à cet alignement. Mais faute de l'avoir dit dans la campagne électorale voire avant, le gouvernement en est réduit à chercher une issue de secours. Cette voie n'est pas sans danger, car une fois qu'on a mis en cause les effets sanitaires du diésel aujourd'hui, on risque des réactions épidermiques complètement déconnectées de la dangerosité réelle du carburant.

Finalement, tout cela a un air de déjà vu: ces contorsions sont du même tonneau que celle qui entouraient la tarification progressive de l'énergie. Comme on n'avait pas bossé le sujet dans l'opposition ni eu la sincérité d'exposer la situation telle qu'elle est, on s'est fermé la voie vers des solutions intelligentes.

15 juin 2012

Le diesel cause-t-il 42000 morts en France chaque année?

Nota bene: ce billet connait une suite depuis mars 2013.

Depuis quelques temps circule l'idée selon laquelle le diesel ferait 42000 morts par an en France. On en retrouve la trace par exemple dans cet article de l'Express ou cet autre du Parisien. Tout cela accompagne la publication d'une nouvelle monographie du CIRC confirmant le caractère cancérogène des gaz d'échappements des moteurs diesel: ils provoquent des cancers du poumon.

En fait, la véritable estimation semble être que ce sont les émissions de particules fines — de moins de 10µm — dans leur ensemble qui sont à l'origine des 42000 morts. C'est ce qu'on comprend à la lecture de cet article du Figaro. L'indispensable site du CITEPA fournit des données sur les émissions de particules, ventilées par secteurs responsables. On trouve dans le rapport de 2012 ce graphe: Émissions de particules de moins de 2.5µm en France On s'aperçoit que les transports routiers ne sont responsables que de 19% des émissions de particules, derrière par exemple le chauffage des bâtiments — à cause du fioul et du bois — avec 39%. On peut en déduire que le diesel ne peut être impliqué que pour environ 8000 morts, soit 5 fois moins que ce donne à penser la presse.

L'autre question est de savoir si l'estimation de 42000 morts pour l'ensemble des émissions de particules fines est crédible. On peut commencer par consulter le site de l'OMS qui nous offre une superbe carte de la mortalité due à la pollution de l'air extérieur. On y voit que l'estimation est de 7500 morts pour l'année 2008, réparti entre un quart de cancers du poumon et le reste sur les autres maladies non infectieuses. Les particules fines constituant un sous-ensemble de la pollution atmosphérique, le nombre de morts causé par les particules devrait logiquement être inférieur. On peut aussi constater qu'en France, on constate 550k décès par an environ: 42k morts, c'est presque 8% du total, c'est-à-dire une cause particulièrement importante. Pour comparer, on estime souvent que le tabagisme provoque 60k morts chaque année, avec cette fois-ci des cancers bien identifiés, puisqu'on estime qu'environ 80% des décès par cancer du poumon y sont liés. Comme dit dans la brochure de l'Institut National du Cancer et comme on peut le vérifier dans la base du CépiDc, il y a environ 30k décès des suites du cancer du poumon en France, ce qui laisse 6000 cancers du poumon causés par autre chose, ce qui est compatible avec l'estimation de l'OMS citée plus haut.

Ces considérations sur le cancer du poumon rendent déjà peu crédible le chiffre de 42k morts à cause des particules. Même en comptant que tous les cancers du poumon qu'on ne peut pas attribuer au tabac soient dus aux particules, cela laisse plus de 85% des décès à trouver dans d'autres maladies. Les conséquences de l'exposition aux particules doivent pourtant être similaire à l'amiante par exemple: des petites particules qui s'enfoncent profondément dans les bronches et y restent. Les cancers devraient représenter une part relativement importante des décès. On peut aussi additionner les décès des catégories qui semblent se rapporter au problème des particules. Si on additionne les décès dus aux maladies cardiovasculaires, aux maladies respiratoires et aux cancers des voies respiratoires, on obtient environ 200k décès: les particules représenteraient 20% de ces décès, alors même que d'autres causes comme le tabac, l'alcool ou encore les régimes alimentaires (cholestérol) sont des causes connues et très répandues de ces maladies. Bref, il semble peu probable qu'il y ait vraiment 42k morts.

Reste donc à se tourner vers la source de l'information. Apparemment, le ministère de l'Écologie donne ce chiffre comme résultant de la pollution aux particules de moins de 2.5µm ainsi que sa source. Cette donnée trouverait donc sa source dans un rapport d'un programme européen chargé entre autres d'établir des seuils en vue de l'élaboration des règles européennes. On trouve effectivement ce nombre dans un tableau excel, il résulte donc d'un modèle mathématique, c'est la donnée des morts prématurées chez les plus de 30 ans, pour l'année 2000. On note que cette donnée est plus grande que le total des admissions dans les hôpitaux, ce qui me semble surprenant. Depuis les émissions ont baissé, donc même en admettant ce chiffrage, le nombre de morts est environ 1/3 plus bas aujourd'hui. Par ailleurs, si on regarde dans le document de référence de l'OMS sur le sujet de la pollution atmosphérique, les ordres de grandeurs sont de l'ordre de 1% de morts en plus pour une augmentation de la concentration moyenne de particules de 10µg/m³ (p257). L'ordre de grandeur de la concentration moyenne en particules à Paris est de 20µg/m³ d'après Airparif. On peut supposer que l'agglomération parisienne est fortement touchée par le phénomène vue la densité de population. Ce qui amène à penser que la pollution aux particules est la cause de moins de 1% des morts en France: en gros, il y aurait un 0 en trop dans le chiffre de l'étude mandatée par la Commission européenne ... qui s'est donc retrouvé dans les média ces derniers jours.

Pour conclure, non, le diesel ne cause pas 42000 morts par an en France. Il est en fait plus probable que toute la pollution aux particules provoque moins de 5000 morts par an. Le diesel en représente en gros 20%, soit mettons 1000 morts par an. Et si on veut vraiment réduire les effets de la pollution aux particules, le mieux serait sans doute de faire la chasse au chauffage au fioul ... et au bois!