Mot-clé - Bilan Sarko Ier

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2 mars 2015

Sarkozy ou le mandat de la marmotte

Nicolas Sarkozy a donné au Figaro une interview où il évoque la politique qu'il a l'intention de mener si jamais il revenait au pouvoir. Ses intentions peuvent se résumer par la volonté de baisser massivement les impôts ainsi que les dépenses publiques.

Parmi les politiques prônées, figure le recul à 63 ans du départ à la retraite en trois ans après son retour au pouvoir. Malheureusement, comme le rapport de la Cour des Comptes à propos des retraites complémentaires le laisse entendre, reculer d'une seule année l'âge de départ à la retraite est déjà insuffisant. Comme je m'en étais fait l'écho, le plan de base proposé par la Cour pour redresser les comptes des régimes complémentaires passait par un recul de 2 ans de l'âge de départ, en seulement 4 ans. Ce plan comporte aussi des hausses d'impôts, le contraire de ce qu'annonce l'ancien président de la République. Le rapport contient aussi de lourdes allusions à la médiocre gestion du régime général, ses déficits récurrents et sa plus grande générosité qui rend l'équilibre financier plus difficile.

On peut alors voir l'inscription d'une limite de dépenses publique de 50% du PIB dans la Constitution pour ce qu'elle est: une tromperie. En effet, non seulement elle serait nuisible si jamais elle était appliquée, en empêchant par exemple tout plan de relance en cas de crise, mais Nicolas Sarkozy serait aussi bien incapable de la respecter car incapable de faire passer les mesures qui rendraient cet objectif atteignable. Aujourd'hui cela représente un effort à réaliser d'environ 140G€ de réduction des dépenses annuelles dont une grande partie devrait porter sur les dépenses sociales, car on imagine mal Nicolas Sarkozy organiser par exemple une baisse supplémentaire du budget de la défense à l'heure où l'armée est au maximum de ses capacités d'intervention. Mais dans le même temps, il ne sait pas présenter des mesures permettant de faire ces économies sur les dépenses sociales.

Même si cette interview semble essentiellement destinée à la consommation par les troupes de son parti, il est extrêmement déplorable que ses propositions soient déjà périmées dès leur énonciation. On peut en fait craindre une répétition de son premier mandat, où les demi-mesures sur le plan économique ont été masquées par un discours se voulant radical et par l'agitation permanente sur le thème de la sécurité. Bref, un nouveau mandat paraît d'ores et déjà se placer sous le signe de l'éternel retour.

30 mars 2012

Pourquoi je ne voterai pas pour Nicolas Sarkozy

Alors que les élections approchent, il faut se faire un avis sur les différents candidats, si possible raisonné. Nicolas Sarkozy est un de ceux pour lequel on peut avoir un des avis les plus informés, puisqu'il est au pouvoir depuis bientôt 5 ans. Son action passée permet de se faire une idée de ce à quoi s'attendre s'il reste Président de la République ces 5 prochaines années. En l'occurrence, cela semble suffire, il n'a pas jugé bon de publier un début de plateforme électorale.

Contrairement à ce que voudraient faire croire ses détracteurs, il n'a pas fait acter que des mauvaises choses. La meilleure mesure qu'il ait faite passer est sans nul doute la réforme constitutionnelle de 2008. La question prioritaire de constitutionnalité est déjà un instrument qui permet aux gens de faire valoir leurs droits de façon efficace; le reste de la réforme étant soit des ajustements bienvenus, soit a priori peu néfastes. Le seul point qui pose problème est l'apparition de propositions de lois venant de ministère que le gouvernement ne veut pas faire passer au Conseil d'État ou assumer publiquement en Conseil des Ministres. Parmi les autres points positifs, on peut mettre à son crédit la réforme des universités: l'autonomie qu'il donne va conduire à des résultats divers, mais généralement favorables. L'obligation de négocier et de se déclarer pour les grévistes dans les transports publics va aussi dans le bon sens, même si ça na rien à voir avec le terme de service minimum que Sarkozy a voulu coller sur cette mesure.

Il a aussi pris de mesures qui lui étaient plus ou moins imposées par la situation. C'est le cas de l'adoption du Traité de Lisbonne. Il s'agit ni plus ni moins que de l'adoption du plan B de Laurent Fabius. Que ce traité n'ait rien de fondamentalement différent de celui proposé au référendum en 2005 ne fait que révéler la colossale arnaque que fut la campagne du non. L'adoption de ce traité n'en est pas moins une défaite démocratique: on a proposé au vote un traité sans qu'il y ait en fait une véritable alternative, le statu quo ayant été reconnu comme intenable et conduit, justement, au traité de 2005. Il a réformé les retraites dans le sens nécessaire mais seulement sous l'effet de la crise et après avoir pris une mesure néfaste de relèvement du minimum vieillesse. Son action dans la crise financière s'inscrit dans cette lignée: le gouvernement a fourni de l'argent aux banques sans prendre de participation au capital, mais cela n'aurait pas été très pratique pour les banques mutualistes qui représentent une part importante du secteur. Le plan de relance ne mérite pas d'être conspué, il était relativement classique et avait l'avantage de pouvoir s'inverser à terme de façon naturelle, ne comprenant pas trop de mesures de dépenses permanentes.

J'ai plus de mal à me faire une idée sur la modification de la taxe professionnelle, désormais découpée en plusieurs parties, dont celle portant sur les immobilisations non immobilières est plafonnée à 1.5% de la valeur ajoutée. C'est favorable à l'investissement en France mais rend les collectivité locales encore plus dépendantes de l'état et ne facilite pas la compréhension de la fiscalité locale. De même la création du conseiller territorial, croisement entre le conseiller général et régional, est difficile à évaluer, même si cela peut en partie être une solution — quoiqu'improbable — au problème de l'enchevêtrement des responsabilités des collectivités locales.

Il y a aussi des ratés qu'il est difficile de lui imputer, comme l'échec de la taxe carbone, retoquée par le Conseil Constitutionnel en des termes qui la rendent impossible avant 2013.

Mais il y a surtout des échecs et des discours qui sont néfastes. Il n'a pas fait grand chose sur la question du contrat de travail, sauf accepter la rupture conventionnelle. Il n'a pas non plus pris de mesures de libéralisation pouvant amener plus de croissance. L'exemple le plus patent de cela est l'épisode de la commission Attali et plus particulièrement ce qui concerne les taxis. Alors qu'il existait divers moyens, du rachat des licences à leur distribution gratuite à tous ceux qui en demandait une, le gouvernement a choisi de renoncer très rapidement. La réforme des régimes spéciaux de retraites est aussi en trompe l'œil, ils resteront éternellement plus favorables que le régime des fonctionnaires, sans parler du privé, et a été achetée au prix de concessions qui effacent une grande partie des gains.

Il a aussi, de façon plus anecdotique, supprimé la publicité sur les chaînes de télévision publique en compensant cela par une hausse de la redevance et des taxes sur les opérateurs téléphoniques, qui n'ont rien à voir avec cela. Le gain pour les spectateurs est proche de 0, la télévision a fait dans le passé la preuve qu'il est possible de la financer uniquement par des recettes publicitaires. Ce n'était que la première mesure d'une longue liste de mesures imbéciles sur le sujet d'Internet. Sous le gouvernement Sarkozy, on aurait dit que ce n'était qu'un instrument qu'il fallait régenter et taxer d'urgence, alors même qu'il s'agit d'un des principaux domaines de développement économique potentiel. Les mesures allaient toutes dans le même sens: favoriser les acteurs déjà en place au détriment des nouveaux venus. Ainsi, la loi Hadopi a pour but de préserver les revenus de l'industrie du divertissement par des moyens disproportionnées de flicage, aucun frein n'est mis à la frénésie taxatrice de cette industrie. La loi LOPPSI contenait diverses mesures pour faciliter le travail de la police et aussi exclure la revente de billets. La taxation des entreprises opérant sur Internet a paru aussi être un sujet de préoccupation majeure, alors qu'elles peuvent facilement localiser leurs recettes où bon leur semble.

Son action sur le plan fiscal, mis à part la réforme de la taxe professionnelle, a été généralement néfaste, surtout en ce qui concerne la taxation des ménages. La loi TEPA n'a quasiment consisté qu'en des mesures nuisibles. Il a créé des impôts improbables, comme sur les crustacés et les poissons. Cette tendance a continué jusqu'à la fin de ce mandat, avec la TVA sociale.

Il y a ensuite le pire de son action, sur les étrangers et la justice. Il a passé son temps à tenir un discours xénophobe de façon plus ou moins claire, avec des «débats» exutoires qui n'ont mené à rien. Associées à ce discours sont donc venues des mesures de plus en plus dures envers les étrangers, l'action administrative étant à l'avenant: les formulaires dans ce domaines sont sans doute les seuls à ne pas être disponibles sur Internet, de longues queues se créent pour accéder à certaines préfectures. Je considère qu'il s'agit d'une véritable faillite de l'administration. J'ai déjà écrit sur le discours et l'action vis à vis de la justice, mais on peut dire que la tactique du toujours plus de répression a échoué et n'a fait qu'aggraver les maux dont souffre la justice en France.

Pour finir, je juge que le Grenelle de l'Environnement est une catastrophe. Les seules mesures positives dont j'ai connaissance portent sur l'isolation des logements, politique poursuivie depuis les années 70. Et encore celles-ci vont-elles peut-être trop loin, rendant les logements neufs peu compétitifs face à l'ancien. Avec le Grenelle de l'Environnement, le gouvernement a de fait invité les associations écologistes dans le processus de décision. Mais cela ne peut déboucher que sur un blocage, car elles n'ont aucun intérêt à faire des concessions sur quoique ce soit. Un exemple typique porte sur l'électricité hydraulique, dont il est supposément question d'augmenter de 3TWh la production. Or, il s'avère qu'on va surtout démolir des barrages, comme le montre l'exemple de la Sélune. Encore plus scandaleuse a été l'action sur les OGMs, où le gouvernement a interdit l'utilisation du MON810 en prétextant du principe de précaution, alors que tout pointe vers un bénéfice global. De fait, ce gouvernement refuse les innovations techniques et la préservation de certaines installations pourtant nécessaires à la croissance. Seul le nucléaire y a échappé, sans doute à cause de son importance dans le mix énergétique français. Je doute donc que la politique menée pour augmenter l'activité économique à long terme donne beaucoup de fruits.

Bref, le bilan du mandat de Nicolas Sarkozy me semble négatif. Voter pour lui en 2007 relevait d'un pari: qu'au pouvoir, il laisse de côté son discours xénophobe et sécuritaire, tout en reprenant le discours de réformes économiques tenu un instant lors du quinquennat de Jacques Chirac. Ce pari, il faut bien le dire, a été largement perdu. Pour sa campagne de réélection, il a de nouveau choisi un discours xénophobe et sécuritaire, mais cette fois-ci plus un signe réel de ce qu'il voudrait faire sur le plan économique, mis à part courir sus à des catégories marginales de la population, comme les exilés fiscaux. Il faut dire qu'il va s'agir de couper dans les dépenses et d'augmenter les impôts, ce qui n'est guère populaire. Alors, vraiment, je ne vois pas de raison d'aller voter pour Nicolas Sarkozy.

26 mars 2012

La réforme de la constitution de 2008

En juillet 2008, Nicolas Sarkozy a réussi à faire passer une réforme constitutionnelle à 2 voix près. Elle portait sur de nombreux sujets de la limitation des mandats du président de la République à la procédure parlementaire.

Sacrifiant à la tradition, on y trouve de la poudre aux yeux avec des mesures qui ne mènent à rien de concret, comme l'article 75-1, selon lequel les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Dans le même ordre d'idées, on trouve le référendum d'initiative partagée, dont les conditions sont telles que les politiques auront déjà réagi avant qu'il ne soit organisé. Rassembler plus de 4 millions de signatures, même électroniques, en 3 mois relève de l'impossible sur des sujets qui ne sont pas passionnels et si un sujet devait susciter un tel engouement, les politiques voteront rapidement une loi qui barrera la voie au référendum. La loi organique nécessaire à son entrée en vigueur est d'ailleurs scotchée au Sénat où elle restera probablement. Cette modification de l'article 11 est donc allée rejoindre le rayon des modifications constitutionnelles attendant un certain temps leur loi organique.

Les réformes de procédure n'ont pas changé grand chose. Comme prévu, le changement de nom de l'urgence en procédure accélérée n'a en rien freiné la frénésie gouvernementale, mais juste enlevé le côté ridicule d'avoir un tiers des lois «urgentes». La discussion sur la base des textes des commissions oblige surtout le gouvernement à venir défendre sa position en séance publique, ce qui ne l'empêche pas d'y dire n'importe quoi et de compter sur des députés venus, bien chaussés, faire du remplissage loyal. De même, il est difficile de voir ce qu'a changé la modification de composition du Conseil Supérieur de la Magistrature, l'expérience montrant qu'un homme politique trouve toujours, de nos jours, le moyen de dire que la justice est éloignée du peuple.

Certaines mesures se sont avérées néfastes: la logique de la réforme était de donner plus de pouvoir aux parlementaires. La place supplémentaire accordée aux propositions de loi s'est surtout traduite par un surplus de textes idéologiques venant de la gauche et par l'apparition d'une voie détournée permettant au gouvernement de faire passer les textes qu'il avait honte ou peur de faire passer par la voie habituelle

D'autres mesures sont bienvenues, comme la limitation de l'article 16, un certain général ayant pris ses aises après le putsch des généraux en allant jusqu'au bout des 6 mois alloués. De même, la limitation à 2 mandats consécutifs, de fait, l'exercice de la fonction de président de la République est une bonne chose.

Mais la mesure principale, celle dont l'importance ne s'est pas démentie et ne se démentira pas à l'avenir est celle de la question préalable prioritaire de constitutionnalité. Il faut dire que c'est un droit attribué à chacun de faire valoir ses droits. Il est donc naturel que tous ceux qui ont une cause à faire valoir ne s'en laissent pas compter et fassent passer en revue les dispositions qu'ils jugent contestables. En termes d'efficacité, c'est sans doute la meilleure façon de procéder, il ne fait aucun doute que les requérants sont motivés et qu'ils présenteront les arguments de la meilleure façon possible. On lui doit déjà, en partie, la réforme de la garde à vue et la fin du délai d'oubli de 10 ans pour se prévaloir de l'excuse de vérité en cas de procès en diffamation.

À l'époque, il semblait surtout que la gauche s'opposait à cette réforme parce qu'il ne fallait pas laisser Nicolas Sarkozy enregistrer un succès. Les arguments utilisés allaient surtout dans ce sens. Les espoirs d'une tactique de négociation pour modifier le mode d'élection à une assemblée prétendûment éternellement à droite étaient franchement illusoires: si la révision n'était pas passée à l'été 2008, il n'y en aurait pas eu du tout, comme le montre l'exemple de la taxe carbone, remballée quand il est apparu qu'elle était impraticable. Il est clair que cette révision est à mettre au crédit de Nicolas Sarkozy, c'est même sans doute ce qu'il a fait de mieux et qui, grâce à la question préalable prioritaire de constitutionnalité, aura la plus grande postérité et les effets les plus durables.

edit: modifié l'intitulé de la QPC pour sa véritable signification.

15 mars 2012

Les atermoiements de Sarkozy

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été marquée par des atermoiements, surtout dans le domaine des dépenses publiques ou des dépenses fiscales, ces réductions d'impôts données dans des buts divers et variés. Cela s'explique en partie par la crise et l'ampleur de celle-ci. Cependant de nombreuses mesures, surtout prises en début de mandat, étaient totalement inutiles voire contreproductives.

L'exemple le plus frappant est sans doute la réduction d'impôts accordée au regard des intérêts d'emprunts immobiliers. Il s'agissait de donner un crédit d'impôt égal à 40% des intérêts de la première année et 20% les 4 suivantes. Si on prend pour hypothèse un emprunt sur 20 ans à 4%/an, cette mesure compense environ 3% des sommes remboursées à la banque. De plus, les revenus des emprunteurs augmentant faiblement à cause de la stagnation du pouvoir d'achat, il était prévisible que les banques ne tiennent pas compte de cet avantage fiscal pour calculer la capacité d'emprunt de leurs clients. On voit donc que, dès le départ, on pouvait penser que les effets de la mesure seraient limités. Ça n'empêchait pas que le coût de la mesure était de plusieurs milliards d'euros. Devant les problèmes de finances publiques, le gouvernement a décidé de supprimer cet avantage fiscal pour créer le PTZ+ en 2010, dont il a durci les conditions dès 2011.

Ce parcours est typique de ce qu'il est advenu de la loi TEPA. Seules ont survécu la réduction d'impôt au titre de l'ISF pour l'investissement dans les PME et ce qui concerne les heures supplémentaires. Si la première a sans doute eu des effets sur le financement d'entreprises — pas toujours celles qu'on attendrait — du fait de son ampleur, ce qui concerne les heures supplémentaires n'a été qu'un effet d'aubaine. Il est vrai qu'on pouvait aussi se poser la question de savoir pourquoi il fallait avantager spécifiquement les heures supplémentaires. En fait, ces mesures étaient pour la plupart des ersatz. Le bouclier fiscal remplaçait une suppression de l'ISF, la diminution de l'impôt sur les successions et la réduction sur intérêts d'emprunt devaient plus ou moins compenser les effets de la hausse des prix de l'immobilier, les heures supplémentaires le coût du travail perçu comme trop élevé. Mais aucun de ces ersatz ne pouvaient véritablement remplacer l'effet qu'on recherchait véritablement et, en plus, c'était en grande partie prévisible dès l'été 2007. Les problèmes de déficit ont obligé à plus de sagesse, mais de l'argent a été gaspillé.

Ce type de comportement s'est aussi retrouvé sur la question des retraites. En 2008, était prévu un rendez-vous pour ajuster les lois Fillon. Ç'aurait pu être l'occasion de modifier le système. Certes, à l'automne 2007, le gouvernement Sarkozy avait modifié les régimes spéciaux. Mais ces changements laissent ces régimes avec des avantages de façon durable: la durée de cotisation est par exemple toujours inférieure à celle des fonctionnaires. Et cela s'est fait au prix de concessions qui ont enlevé à ces changements une bonne part de leur intérêt financier, pour ne garder que le symbole. En 2008, le gouvernement a décidé d'augmenter le minimum vieillesse de 25%, augmentant donc les charges de retraites. Même s'il a renoncé à mener cette hausse à bien en totalité à cause de la crise, la lecture du rapport du COR montrait que les actifs pauvres étaient dans une moins bonne situation que les bénéficiaires du minimum vieillesse (p41), ce qui aurait dû porter l'attention ailleurs. L'autre fait marquant est que le gouvernement a mis progressivement fin à la dispense de recherche d'emploi, une évolution bienvenue.

La crise et la démographie ont obligé à une réforme courant 2010. La mesure la plus saillante est le recul de l'âge où on peut faire valoir ses droits à la retraite. C'est un changement bienvenu, car c'est la façon la plus efficace de faire rentrer plus de cotisation tout en contenant la hausse des pensions à verser. Combiné à la hausse prévisible de la durée de cotisation, cela permet de limiter les charges de retraites et de ne pas augmenter les cotisations — même si le gouvernement a prévu de façon incroyable de remplacer à terme une partie des cotisations chômage par des cotisations retraite. Cela permet aussi de financer l'assurance maladie, les retraités bénéficiant d'un régime de faveur, ne payant qu'une CSG allégée. Mais comme d'habitude, la réforme est basée sur des hypothèses trop optimistes et devra être revue lors du prochain quinquennat. Les régimes complémentaires sont d'ailleurs en train d'entamer sérieusement leurs réserves. Par ailleurs, ne pas l'avoir fait en 2008 a obligé à prévoir une transition plus courte.

En conclusion, certaines mesures de Sarkozy ont été clairement nuisibles, comme pour le cas des impôts sur les personnes physiques. Dans le cas des retraites, il a fini par prendre des mesures nécessaires et c'est pourquoi il mérite sur ce sujet un satisfecit. Mais il a montré une tendance à ignorer ce que le raisonnement montrait dès l'origine: la réduction d'impôts au titre des intérêts d'emprunts n'était qu'un gaspillage, augmenter le minimum vieillesse allait à l'encontre de la situation démographique et sociale de la France. On eût espéré un peu plus de rationalité dans la prise de décision.

6 mars 2012

Sarkozy et les libertés publiques

Après avoir abordé le thème de l'action de Nicolas Sarkozy vis-à-vis de l'institution judiciaire, il est naturel d'aborder le thème des libertés publiques. Ce champ est large, il ne sera sans doute pas abordé en totalité.

La mesure la plus médiatisée dans ce domaine est sans doute la création de la HADOPI, dont le principe de fonctionnement consiste en la surveillance généralisé des réseaux peer to peer. C'est en fait la poursuite d'une revendication des industries culturelles qui aiment énormément le protectionnisme, qu'elles ont réussi à renommer «exception culturelle». Lors des discussions de la loi DADVSI, un article visant à faire condamner d'une amende les actes de contrefaçon commis par Internet avait été voté, mais retoqué par le conseil constitutionnel. Séparer les contrefaçons par la valeur des biens contrefaits aurait permis de distinguer valablement les grosses des petites, mais cela aurait mécontenté l'industrie du luxe. L'astuce a alors consisté à créer une infraction, le manque de sécurisation de son accès internet, que même les professionnels sont en mal de garantir. Comme il s'agit d'un contentieux qu'on attend massif, cette infraction a été adossée à un système limitant autant que possible les contestations, en obligeant de fait les gens à prouver leur innocence et en recourant à l'ordonnance pénale, spécialement modifiée pour que les industries culturelles puissent demander des dommages et intérêts. Pour finir, il a aussi été décidé de dévier du mode classique de répression et de réparation qui s'est imposé peu à peu depuis la fin de l'Empire romain, les amendes, en décidant d'une sanction en nature, la coupure de l'accès internet. Il est vrai qu'il est tout à fait proportionné de couper un tel service, pour ce qui ne sont finalement que des contentieux pécuniaires, alors qu'internet s'est imposé comme un outil à tout faire.

On ne peut pas dire que les industries culturelles ait fait beaucoup pour mériter un tel soutien: depuis l'arrivée d'algorithmes puissants de compression et pendant la progression de l'ADSL parmi la population, elle n'a rien fait pour monter une offre permettant de séduire des clients. Les plateformes légales ont été créées par des spécialistes du domaine, comme Apple ou Amazon. Les plateformes illégales se distinguaient par l'abondance et la rapidité de leur offre. Au lieu d'essayer de faciliter la vie des clients et d'en attirer plus, les industries ont insulté ces clients potentiels en les traitant de pirates et les ont gênés en tentant d'imposer des verrous divers et variés. Dans ce contexte, imposer un mécanisme aux sanctions disproportionnées, comme la HADOPI, montre le peu d'égards qu'on porte à la liberté d'action des citoyens.

Le gouvernement a fait adopter la LOPPSI, dont une bonne part des articles consiste à donner plus de prérogatives à la police, dont l'aspect le plus connu est celui de censurer tout site qui lui déplairait, ou à procéder à de la répression bête et méchante. Parmi l'augmentation des prérogatives de la police figure la possibilité d'espionner les ordinateurs, et par là leurs utilisateurs. C'est en quelque sorte une adaptation aux goûts du jour des écoutes téléphoniques. Ce n'est pas très rassurant: les magistrats sont extrêmement friands de leur version légale, au point que le ministère ait du mal à toutes les payer et qu'elles sont en forte croissance. Il est aussi apparu en marge de différentes affaires que la loi sur les écoutes n'était pas forcément toujours respectée et que même des hommes politiques de second plan se pensent écoutés, ce qui n'augure rien de bon pour le citoyen lambda.

Depuis le début des années 2000, le gouvernement a aussi singulièrement renforcé les pouvoirs de la police au nom de la lutte contre divers types de criminalité, comme le terrorisme ou la pédophilie. Le plan Vigipirate est au niveau rouge depuis juillet 2005 sans discontinuer. Le gouvernement en a aussi profité pour étendre le fichage de la population sous divers prétextes. C'est ainsi que, comme on peut le voir dans une procédure type décrite sur le blog de Maître Éolas, que le simple fait d'être suspect suffit à voir son ADN prélevé pour alimenter le fichier ad hoc. Cette manie du fichage vient de culminer avec l'adoption à l'assemblée d'une loi visant à ficher la plupart des Français et que la police pourra consulter pour un nombre non négligeable de raisons.

Pour finir, fidèle à lui-même, le parlement français a voté une loi visant à condamner la négation du génocide des Arméniens, heureusement invalidée par le conseil constitutionnel.

Un fois de plus, force est de constater que le gouvernement de Nicolas Sarkozy s'est soldé par une régression. Il n'a peut-être pas engagé la tendance, mais il l'a volontairement perpétuée. On en est arrivé à un point où les exigences de fichage sont devenues délirantes et sans rapport avec le gain en sécurité. Le parlement passe des lois vétilleuses, destinées à pourchasser des nuisances mineures ou simplement pour éviter d'avoir à répéter des faits dans le débat public. Il serait temps que cette tendance s'inverse.

4 mars 2012

Sarkozy et la justice

Les problèmes de la justice en France n'ont rien de nouveau. Le rapport «Quels moyens pour quelle justice?» a une première partie titrée «Le constat: une justice asphyxiée». Il date de 1996. La lecture du rapport laisse à penser que l'encombrement de la justice est surtout dû à l'explosion des contentieux civils: ceux-ci furent multipliés par plus de 3 entre 1974 et 1994. Au delà des complaintes de vieillards cacochymes sur la fin des traditions, on peut penser que la généralisation des divorces, la création de nouvelles missions — comme le surendettement — ainsi que la complexification du droit expliquent cette forte progression. On peut noter aussi que, déjà, on se plaint de la mauvaise qualité de (la) rédaction des textes normatifs.

Si le nombre de contentieux avait explosé, le nombre de magistrats n'avait augmenté que d'environ 20% et le rapport notait que les effectifs de magistrats étaient similaires en 1994 et avant la première guerre mondiale. Étant donné que la situation est peu à peu devenue critique et que le nombre de contentieux a continué à augmenter, les gouvernements n'ont pas eu vraiment le choix: ils ont augmenté le nombre de magistrats comme on peut le voir ci dessous, sur les graphes construits à partir du rapport, des chiffres clés de la justice (2011) et du budget 2011 de la justice. Quelques chiffres sur la justice

Le rapport, quoique vénérable, formule de nombreuses recommandations dont certaines pouvaient être tout à fait d'actualité en 2007, lorsque Nicolas Sarkozy est devenu Président de la République.

Le gouvernement a décidé dès le début du quinquennat de modifier la répartition des tribunaux en France, la carte judiciaire. Après avoir annoncé de grandes ambitions, il n'a finalement été décidé que de supprimer des tribunaux sur des critères qui sont restés obscurs. La comparaison de l'édition 2007 des chiffres clés de la justice avec celle de 2011 montre qu'au final 170 tribunaux d'instance ont été fermés, ainsi que 61 conseils de prud'hommes, 50 tribunaux de commerce et 21 tribunaux de grande instance. Le rapport, quant à lui, préconisait aussi d'en ouvrir de nouveaux, de mettre en place des audiences foraines et d'établir un plan à réaliser sur 10 ans. Le rapport signalait aussi pour le cas de la généralisation du juge unique que des locaux supplémentaires devaient être prévus, remarque qui peut s'étendre au cas de la carte judiciaire. Il ne semble pas que la refonte de la carte judiciaire ait donné lieu à une grande activité constructrice.

Au lieu de stabiliser le droit et de rédiger des textes de plus grande qualité, il a continué dans la ligne «un fait divers, une loi» qui lui avait été testée lors du quinquennat de Jacques Chirac. Ces lois sont uniquement des lois de circonstances destinées à faire accroire qu'on peut supprimer totalement le risque d'assassinats horribles. Leur valeur pratique et juridique est donc en conséquence nulle. La loi sur la rétention de sûreté est ainsi contraire au droit européen. Quant aux lois sur la récidive, elles consistent principalement en l'enfermement prolongé de ceux qui les subissent, ce qui ne fait pas grand chose d'autre que de retarder le moment de la récidive si on souscrit à l'idéologie qui les sous-tend. Cette tactique a créé de nouvelles tâches pour l'institution judiciaire, alors qu'elle est déjà surchargée. La conséquence est que, à la suite du meurtre de Laëtitia Perrais, le gouvernement de Nicolas Sarkozy s'est attaqué aux personnels, mais il est vite apparu que l'institution était gravement sous-dotée.

Le gouvernement de Nicolas Sarkozy a aussi choisi d'ignorer les arrêts de la CEDH sur la garde à vue. L'argumentaire déployé affirmait contre toute logique que les arrêts rendus contre d'autres pays par la CEDH n'avaient aucune conséquence en France (cf ce billet de Maître Éolas par exemple). Si on peut comprendre une attitude de déni temporaire de façon à gagner un peu de temps, ce n'est pas ce à quoi on a assisté. Le premier arrêt signant la mort de l'ancienne procédure date de fin 2008 (Salduz c. Turquie), mais le gouvernement a attendu que le Conseil Constitutionnel rende une décision sur QPC en juillet 2010 pour admettre le besoin de changer les pratiques et la loi. Les condamnations se sont enchaînées, avec pour conséquences que certaines gardes à vue se sont vues annulées et que le gouvernement a demandé l'application de le nouvelle loi avant son entrée en vigueur prévue. Non seulement le gouvernement n'a pas reconnu la vérité, mais il a aussi pris des risques avec des procédures en cours. Cette attitude est irresponsable.

Pour couronner le tout, il a été imposé une taxe de 35€ pour accéder à la justice, avec une longue liste d'exceptions à la logique difficilement perceptible et une autre de 150€ pour faire appel. La première taxe doit financer l'indemnisation des avocats commis d'offices pour leurs interventions en garde à vue, la deuxième pour indemniser les avoués, profession supprimée en cours de législature. On peut noter aussi que le nombre de jurés d'assises a été réduits pour pouvoir décorer certaines chambres correctionnelles avec 2 jurés, sous le prétexte de rapprocher la justice des citoyens.

En guise de conclusion, le bilan de Sarkozy en matière de justice me semble simple: il a tout fait à l'envers de ce qui aurait dû être fait. La justice souffre depuis bientôt 30 ans d'un afflux de dossiers sans que les moyens de les traiter aient été suffisamment augmentés. La priorité devrait alors être de limiter les tâches supplémentaires à ce qui est vraiment nécessaire, les droits de la défense tel que la CEDH les voit au premier rang. Au lieu de cela, il y a eu un déluge de textes mal rédigés, empilant des procédures nouvelles sur une institution déjà incapable de faire face correctement et rapidement à celles qui existent. La démagogie a régné sans partage, d'une part pour flatter la partie la plus répressive de l'électorat, d'autre part pour retarder le plus possible les évolutions qui dérangeaient.