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13 mai 2013

Du rapport Berger-Lefebvre sur l'épargne financière

L'été dernier, j'avais publié un billet sur les rapports que la Cour des Comptes avait consacrés à l'assurance-vie et au financement de l'économie par l'épargne des Français. On pouvait en retirer les points suivants:

  1. L'épargne financière des ménages est d'abord orientée vers les produits sans risque et ce biais s'amplifie. Si les 2/3 du stock d'épargne financière est composé de produits sans risque, ils reçoivent 5/6 des apports
  2. Si les rendements des produits risqués — en premier lieu les actions — ont été décevant, cette orientation s'explique aussi par les incitations fiscales. 42% de l'épargne sans risque bénéficiait d'un régime fiscal favorable, contre 12% à l'épargne risquée.
  3. La réglementation n'aidait pas puisque son durcissement conduisait les assurances et les banques à se détourner des produits risqués
  4. Pour corriger cela, la Cour appelait à ne pas augmenter les plafonds des livrets défiscalisés, ou alors à taxer les intérêts sur la partie supérieure aux plafonds actuels, et d'allonger la période de détention d'un contrat d'assurance vie pour bénéficier de l'avantage fiscal et de modifier la façon dont elle est calculée

J'avais conclu à l'époque que de telles mesures était à peu près sûres de rater leur cible. Ces rapports dénotaient tout de même une intention de changer les règles fiscales et il ne faisait pas de doutes qu'il y aurait une suite, au moins sous la forme de rapports parlementaires pour proposer quelques mesures. On peut aussi remarquer que l'assurance-vie, forme de placement occupant une place prépondérante aujourd'hui, n'a pas été visée par la dernière loi de finances. Cette suite est le rapport signé des députés Berger et Lefebvre.

Le rapport aborde divers sujets. Le premier est celui de l'épargne réglementée suite à la décision de relever les plafonds. Le rapport mentionne que presque 50G€ ont été versés de ce fait sur les livrets. Comme on voit à la fin que le flux net d'épargne financière est en baisse, cela s'est réalisé en stoppant les apports sur l'assurance-vie et en inversant l'augmentation des dépôts qui avait eu lieu en 2012. Le rapport de la Cour des Comptes rappelait que l'augmentation des dépôts était une nécessité créée par le durcissement de la réglementation. Dans leur rapport, les parlementaires déclarent que Les mouvements de réallocation de l'épargne financière intervenus à la suite des relèvements   du   plafond   du   livret   A   et   du   livret   de   développement   durable   ne   sont   pas   de   nature   à   déstabiliser   la   répartition   du   stock   de l'épargne financière (p27) à cause du plafonnement, mais ça ne les empêche pas de dire aussi que la nouvelle réglementation va au-delà de ce qui apparaît nécessaire. On nage donc en pleine schizophrénie, où les gouvernant veulent à la fois un système bancaire sans risque, mais qui ne réduit pas ses prêts ni n'augmente ses dépôts. Par ailleurs, le discours sur l'épargne populaire et la justification du relèvement du plafond surprennent quelque peu lorsqu'on découvre plus loin les remarques sur la concentration des encours de l'assurance-vie … alors que la situation est assez similaire sur les livrets défiscalisés dont seule une petite partie atteint les plafonds de versements.

Le rapport abord aussi vers la fin la question des incitations directes à investir dans les petites entreprises comme l'ISF-PME et les réductions d'impôts sur les plus-values lorsqu'on investit dans un fonds de capital-risque. La position des parlementaires est clairement hostile aux réductions d'impôts accordées à l'entrée, contrairement à celles accordées à la sortie. Si leurs recommandations sont suivies, on devrait donc assister à la fin de l'ISF-PME au profit du maintien des avantages accordés au capital-risque. Une fois de plus, on s'étonne du discours de justice qui émane de ce rapport: les avantages accordés au capital-risque se distinguent par leur confidentialité (4M€ et 1124 foyer fiscaux). Ils obligent à passer par des intermédiaires, alors que les systèmes d'aide à l'entrée permettaient d'investir dans des sociétés en phase de démarrage, ce que ne fait pas le capital risque français. C'est pourquoi les auteurs préconisent de créer un PEA spécial PME, soit une niche fiscale supplémentaire…

C'est sur la question de l'assurance-vie qu'était sans doute le plus attendu le rapport. Il faut dire que les enjeux sont importants, puisque l'assurance vie représente maintenant de l'ordre de 40% de l'épargne financière des ménages, soit environ 1400G€. Les auteurs se sont rendus compte d'un petit problème posé par la dernière loi de finance, même si c'est dit d'une façon très particulière:

Cette réforme d'équité et de justice fiscales suscite des réactions nuancées dès lors que l'alignement de la fiscalité des revenus du capital sur celle des revenus du travail ne va pas forcément de soi au regard des incitations que les pouvoirs publics souhaitent donner aux comportements d'épargne des Français comme au regard des comparaisons internationales sur la fiscalité de l'épargne. Elle pourrait même sans modification des régimes fiscaux avantageux des placements immobiliers ou de l'assurance-vie inciter au report d'une partie de l'épargne vers ces placements au détriment des placements plus risqués potentiellement plus utiles à l'économie productive.

En effet, plus les impôts sur les revenus du capital sont élevés moins il est intéressant de prendre des risques, à cause de la différence de traitement entre gains et pertes. Comme les produits les plus risqués sont aussi ceux qui sont détenus par les ménages les plus riches et donc les plus durement frappés par la réforme de la taxation des revenus du capital, ce risque de désaffection n'est pas qu'une invention. Les auteurs proposent pour contrer cet effet de créer une nouvelle niche fiscale à l'intérieur de la niche: les contrats de plus de 500k€ seraient l'objet de nouvelles contraintes pour bénéficier de l'avantage fiscal de l'assurance-vie. Ça me semble contreproductif: à risque constant sur le patrimoine global, il s'agit d'un alourdissement de la fiscalité, ce qui devrait logiquement conduire … à moins de prise de risque. Ceux qui respectent déjà les conditions ne changeront rien, les autres se verront inciter à diminuer leur prise de risque sur le reste de leur portefeuille.

Plus précisément, les auteurs comptent obliger les gros contrats à posséder un minimum d'unités de compte ou alors à posséder un nouveau type de fonds qui ne garantirait plus le capital qu'à l'échéance et donc qui ressemble furieusement à un fonds à horizon de placement. On ne peut que subodorer que les contrats de plus de 500k€ sont déjà les plus investis en unités de compte. Quant aux fonds à horizon, une enquête approfondie sur un échantillon représentatif de 1 montre que le rendement a été de 3.6%/an depuis le lancement en 2003, sans doute moins qu'un fonds en euro classique. C'est normal: le fait qu'il y ait un risque signifie que le rendement n'est pas forcément au rendez-vous même après 10 ans. Les auteurs ont une version renforcée de leur proposition où une partie des fonds investis devraient l'être ailleurs que dans les grandes entreprises.

On ne peut que remarquer que cette proposition recoupe les besoins des sociétés d'assurance. La gestion en unités de comptes est moins gourmande en capital — il n'y a aucune garantie — et plus rémunératrice par rapport aux fonds investis. Plus généralement, les assureur cherchent à amoindrir la garantie des fonds en euros qui est de plus en plus gourmande en capitaux à cause de la réglementation. Par ailleurs, ces mesures sont ouvertement destinées aux fameux 1% les plus riches dont le contrat moyen serait de 600k€ et qui concentreraient un quart des sommes investies sur l'assurance vie. Les auteurs pensent que ces mesures conduiront diriger 100G€ supplémentaires vers plus de risque en 5 ans. Le seul petit problème est que ça représente un tiers de l'encours actuel visé (qui est donc de 350G€) et que les contrats en euros sont à l'heure actuelle investis à hauteur d'un tiers seulement dans des obligations d'état (p66 du rapport de la Cour des Comptes sur l'assurance vie). Il faudrait donc un fort afflux sur l'assurance-vie pour que l'objectif soit atteint. Ne doutons pas toutefois des possibilités offertes par une comptabilité créative.

L'autre léger problème est qu'une même personne peut légitimement souscrire plusieurs contrats d'assurance-vie — avec par exemple pour bénéficiaires l'époux et chacun des enfants — ce qui ruine quelque peu l'idée de seuil et d'allongement des durées de détention. On va donc assister à la multiplication des contrats de 250k€ (histoire d'être sûr de ne pas dépasser le seuil fatidique).

Bref, une fois de plus, on constate le tropisme dirigiste des politiques français et leur propension à inventer des cas spéciaux. On se rappelle que les économistes préconisent encore et toujours de réduire ces niches fiscales et qu'il y a même eu un rapport d'Olivier Garnier & David Thesmar qui proposait un moyen pratique d'y parvenir tout en préservant les petits patrimoines. Au lieu de cela, les auteurs ont bâti des recommandations qui ressemblent beaucoup aux revendications des sociétés d'assurances tout en assouvissant leurs besoins propres. Les intérêts des souscripteurs semblent étrangement absents de ce rapport, comme si c'était un sujet de peu d'importance. Il faut bien dire aussi qu'il aurait été difficile de préconiser une baisse des impôts sur les placements à risque comme les actions après en avoir dit pis que pendre. Et c'est d'autant plus difficile que l'état est inlassablement à la recherche de fonds supplémentaires. Malheureusement, il me semble que ces mesures ne seront pas à la hauteur des objectifs fixés et qu'elles sont porteuses d'effets pervers manifestes.

17 mars 2013

Des implications du plan de «sauvetage» chypriote

Ce samedi matin, le gouvernement chypriote a annoncé un plan visant à assainir son secteur bancaire et qu'il allait recevoir 10G€ d'aide — de prêt en fait — des pays de l'UE en état de le faire ainsi que du FMI. Ce plan était attendu depuis 9 mois, une fois que les conséquences de la faillite de l'état grec sur les banques chypriotes connues. Parmi les mesures imposées figure une taxation des dépôts de moins de 100k€ de 6.75%: si vous aviez 1000€ sur votre compte chypriote, il ne vous en restera plus que 932.5€ si le plan est voté par le parlement. Les dépôts supérieurs à 100k€ se voient, eux, amputés par un taux de taxation de 9.9%, digne d'une publicité de supermarché. Sans surprise, les chypriotes se sont donc rués sur les distributeurs automatiques de billets, puisque suite à une coïncidence inexplicable, la décision a été annoncée lors au début d'un long week-end, ce lundi marquant opportunément le début du carême orthodoxe, période de privations. Le plan prévoyait qu'en échange de la confiscation des actions des banques seraient distribuées, mais la perspective d'un bank run a amené le président chypriote à promettre une partie des éventuels revenus gaziers du pays pour ceux qui laisseraient leurs économies dans les banques.

L'échec de l'euro

À l'origine l'euro était prévu pour que les valeurs relatives des sommes placées dans la poche des détenteurs ou déposées sur un compte ne varient plus d'un pays à l'autre en fonction de la conjoncture ou des décisions politiques locales. Le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est raté. De fait, même si cette décision ne transforme pas la zone euro en système monétaire à parités fixes et qu'elle n'est pas équivalente à une dévaluation puisque seules les dettes des banques envers leurs clients sont affectées, il s'agit d'une diminution arbitraire du patrimoine des déposants.

Cette décision fait suite aux diverses avanies qu'a subies la zone euro depuis 2008. Alors que l'euro devait aider à faire converger les niveaux de vie et les économies des divers pays participants, on a vu en fait d'énormes divergences se créer, avec à la clef de graves crises en Grèce, en Irlande, au Portugal, en Espagne et en Italie. Comme le remarquait Verel avant de prendre connaissance du plan, les objectifs politiques ont aussi été manqués et de loin. Il ne manque plus en fait qu'un pays sorte de la zone euro pour cocher toutes les cases des échecs possibles. Il faut à ce propos remarquer que Chypre correspond bien aux types de pays qui pourraient sortir. Chypre est un petit pays, imprimer suffisamment de billets et de pièces prendrait sans doute peu de temps, mais peut-être pas beaucoup plus qu'un mois. On s'achemine aussi vers un bank run. On coche toutes les cases de la liste des prérequis qu'avait préparé Barry Eichengreen il y a un peu plus de 5 ans.

La zone euro continuera sans doute d'exister: malgré la confiscation d'une partie des dépôts à Chypre, la population semble toujours favorable à l'euro à cause de son statut de monnaie forte qui protège de l'inflation. Un certain nombre de pays restent à cause des conséquences très néfastes qu'aurait une sortie: la situation doit vraiment devenir désespérée pour qu'une sortie devienne intéressante. Pour d'autres pays d'Europe du Nord, la situation est au contraire acceptable.

La fin des espoirs fédéralistes

Cette confiscation des dépôts est aussi à mon sens la fin des espoirs fédéralistes en Europe. En juin dernier sur blog, j'avais exprimé ma faveur pour une garantie européenne des dépôts qui mutualiserait les sauvetages bancaires, ce qui les rendait nettement plus faciles à gérer: c'est parfaitement clair dans le cas chypriote où les dépôts sont trop gros pour l'état chypriote mais faibles à l'échelles de l'ensemble de la zone. Il y a déjà une directive en place, selon laquelle la garantie minimale est de 100k€. Mais comme la garantie doit être assumée par l'état où est établie la banque, elle n'est aussi solide que la signature de cet état. En l'occurrence, Chypre est trop petit pour assumer cette obligation, d'où la taxe, spécialement destinée à contourner la législation. On a rarement vu des contribuables recevoir des actions de banques suite à la levée d'un impôt nouveau; recevoir des actions alors qu'on était créancier d'une entreprise en faillite est nettement plus courant. À cet égard, la communication de l'Union Européenne est simplement désastreuse, où un porte-parole assume totalement ce détournement. Le montage de ce plan est donc de la pure real-politik.

C'est important car ce qui différencie l'Union Européenne d'un simple zone de libre-échange, c'est qu'il y a un ensemble étendu de règles communes à respecter, notamment en matière commerciale. Au départ, la CEE édictait des règles techniques communes pour éviter que les obligations du marché commun ne soit vidées de leur sens par les participants. Sans cela, chaque pays pourrait édicter ses propres règles techniques, ce qui permet d'écarter les produits de l'étranger par trop gênants. Ces règles se sont étendues par la suite à de nombreux secteurs au fur et à mesure que le marché commun se développait et que des fonctions traditionnellement souveraines étaient confiés à l'Union, comme par exemple la monnaie. En matière financière, il est donc devenu de facto impossible à une banque d'un petit pays de proposer ses services à ceux de grands pays: les dépôts ne sont pas garantis de la même façon, ils n'ont pas exactement la même valeur. Par contre, les habitants des petits pays peuvent déposer dans les pays jugés les plus sûrs et les banques de ces pays proposer leurs services à tous les habitants de l'union. Ces règles étaient aussi garanties par l'existence d'une Cour de Justice qui avait le pouvoir d'obliger les états à respecter les directives et les traités. Dans ce cas, c'est impossible: Chypre ne peut pas assumer ses obligations s'il n'y a pas de garantie commune. Or, l'Union Européenne est en grande partie fondée sur le droit. Si les habitants des petits pays ne peuvent faire appel à la justice pour se voir reconnaître leurs droits, l'intérêt de l'Union diminue pour eux! Et on voit alors s'éloigner la perspective d'une intégration fédérale qui suppose que le pouvoir central est capable de faire respecter les lois qu'il édicte. Dans la cas présent, il s'avère que le pouvoir central est complice du dévoiement de ces règles.

L'absence de perspectives d'intégration est aussi visible dans les commentaires de certains des plus favorables à une fédération. Ainsi, Jean Pisani-Ferry qui dirige le think tank Bruegel a justifié la taxe par le rendement servi par les banques chypriotes. Ce rendement était lié aux difficultés connues de ces banques: tout le monde savait plus ou moins qu'elles détenaient beaucoup d'obligations d'état grecques, le taux d'emprunt de l'état chypriote a aussi augmenté à cause de la perspective d'avoir à voler au secours de ses banques. Bref, le taux servi était dû à la fragmentation nationale du système bancaire. Avec une garantie commune et le régulateur qui va avec, de tels taux auraient été impossibles, empêchés par le régulateur. Sans compter que, si on suit le tableau, les petits déposants n'ont pas de rémunération mirobolante. Autrement dit, pour Jean Pisani-Ferry, déposer dans un pays en crise est à éviter: tous les épargnants de ces pays se doivent donc de déposer dare-dare leurs économies dans les pays sûrs sous peine d'être responsables de ce qui leur arrive. Difficile de faire plus centré sur les états. Une autre variante était de justifier cela par les dépôts venant de Russie et les pratiques peu reluisantes les accompagnant: une nouvelle fois, c'est un faux-semblant. Dans un état de droit, ce serait une question de police, pas une question de garantie des dépôts. Bref, même les plus fédéralistes des commentateurs rejettent les conséquences d'une fédération, ils rejettent donc la mise en place de cette fédération.

Et la France?

En France, il paraît pour l'heure impossible que le secteur bancaire soit menacé d'une telle confiscation. Cependant, il faut remarquer que l'état français voit sa dette se rapprocher des 100% du PIB. L'ensemble des dépôts à vue représentent 1500G€, soit plus de 75% du PIB. En cas de problème similaire à Chypre, ou même face à un problème de bulle immobilière laissant énormément de créances douteuses comme en Espagne et en Italie, l'état français serait devant un choix similaire à celui de Chypre. Dans ce cas, loin d'être un modèle à éviter le modèle chypriote pourrait s'imposer. Des calculs montrent même qu'il faudrait saisir à peu près 20% des avoirs financiers des ménages si l'état devait intervenir de cette façon pour rétablir la soutenabilité à long terme de l'ensemble des dettes françaises (tant publiques que privées). Dans un pays où il est vu comme normal de taxer les patrimoines et comme acceptable d'imposer des taxes à usage unique sur la même assiette, la réponse de savoir ce qui se passerait dans une situation de réelle crise comme à Chypre ne se pose pas vraiment: la réponse est sans doute qu'il se passerait la même chose ici! Si des vents véritablement mauvais devaient se lever, on ne peut pas dire que les épargnants français seraient spécialement protégés.

Il n'est donc pas certain que ce soit une bonne idée d'avoir montré qu'un pays englué dans une grave crise économique, dont l'état est fortement endetté et dont les banques sont en difficulté pouvait revenir sur la garantie accordée aux épargnants classiques. Si jamais les épargnants des pays en difficulté (Italie...) prennent ce qui se passe à Chypre comme l'exemple de ce qui se passera ailleurs, des moments sportifs se préparent.

22 octobre 2012

Défendre sa niche

La saison du budget étant revenue, un marronnier a refait son apparition dans la presse: la question de l'avantage fiscal accordé aux journalistes. Il consiste actuellement en un abattement minorant le revenu fiscal de référence de 7650€. Comme on peut le voir dans l'article, qui donne le résultat de simulations, les conséquences sont substantielles, puisque l'impôt sur le revenu à régler est diminué d'environ 1000€. Cela a aussi des conséquences sur la taxe d'habitation qui est plafonnée en fonction du revenu fiscal de référence. Même si l'article du Monde ne constitue pas à proprement parler une défense de la niche fiscale, il n'en constitue pas moins par certains côtés un bréviaire des arguments avancés pour la perpétuation des ces fameuses modalités particulières de calcul de l'impôt.

Le premier argument qu'on peut distinguer c'est de dire que cet avantage n'en est pas vraiment un ou bien que ceux qui en bénéficient ne sont pas vraiment favorisés. Dans cet article, il s'agit de dire que les journalistes ne sont pas si bien payés. En effet, une bonne part est sans doute d'un bac+5 ou plus et s'attend de ce fait à percevoir une rémunération en conséquence. Un graphe est donné, mais il peut être trompeur parce que donné en brut mensuel, alors que, comme l'article le laisse penser, les journalistes bénéficient d'un 13ᵉ mois. Pour pouvoir comparer, le voici ci-dessous libellé en brut annuel, d'après ce document (p56) fourni par l'association professionnelle idoine. salaires_journalistes_CDI.jpg On y voit que presque les 2/3 des journalistes employés en CDI touchent plus de 39k€ bruts par an, ce qui les met sans doute dans les 20% les mieux payés de France. En recoupant les divers tableaux et graphes donnés dans le document de l'observatoire des métiers de la presse, on voit que plus de 80% tirent des revenus de leur activité de journaliste suffisants pour être dans la moitié de la population la mieux payée. Certes, s'ils se comparent à d'autres professions à bac+5, comme les ingénieurs, les journalistes peuvent se sentir mal payés. Cependant, la lecture des résultats de l'enquête du CNISF montre que c'est surtout le fait d'exercer des fonctions d'encadrement et d'avoir des responsabilités financières qui fait grimper le salaire (p78). La plupart des journalistes ayant sans doute une formation essentiellement littéraire, le marché du travail ne leur est guère favorable comparé à la situation qui prévaut pour les ingénieurs ou ceux qui sortent d'écoles de commerce.
Une autre forme de cet argument figure dans l'article: il y a des niches plus extravagantes que la nôtre, comme par exemple, le Scellier ultra-marin. C'est un représentant des niches fiscales à destination de l'Outre-Mer dont l'efficacité pose question, comme on dit, et fait partie de ces niches dont on se demande comment elles se perpétuent d'année en année, sans jamais être plafonnées.

Le deuxième argument, c'est que ce n'est pas le moment de supprimer cette niche fiscale. Comme l'article le fait bien comprendre, la presse française traverse actuellement une crise suite à une baisse des ventes et au départ des annonceurs suite d'une part à cette baisse des ventes et d'autre part à l'arrivée d'internet comme nouveau support publicitaire. L'article affirme que les salaires sont en baisse, mais en regardant dans le document de l'Observatoire des métiers de la presse, on voit que les salaires sont en fait stables depuis le début des années 2000 en euros constants. L'article compare systématiquement au point haut, mais en fait on voit que les salaires oscillent autour de la même valeur. Depuis 2008, les salaires sont plutôt orientés à la hausse pour chaque catégorie de contrats. Cette stagnation des salaires n'est pas inattendue dans le contexte français actuel: depuis le début de la crise, les salaires stagnent. La presse connaissant une perte de recettes depuis le début des années 2000, les salaires ne sont plus augmentés plus que l'inflation. Par contre, il est vrai que, comme le mentionne l'article, le nombre de CDDs augmente, particulièrement chez les jeunes journalistes. Si les pigistes existent depuis longtemps, les CDDs étaient inexistants avant l'an 2000, et la crise récente a renforcé leurs effectifs. Comme dans bon nombre de secteurs en France, ils semblent jouer le rôle d'antichambre: ils touchent particulièrement les jeunes (p27 sq). Cela s'accompagne d'une féminisation renforcée (p47-48). L'essentiel des difficultés de la presse est bien réel, mais ces difficultés ne datent pas d'hier: la diffusion de la presse quotidienne n'a jamais été extraordinaire en France. L'équilibre économique du secteur dépend peut-être de cette niche fiscale, mais c'est aussi l'argument de nombre de secteurs, comme celui du bâtiment qui a obtenu une nouvelle niche sous la forme du Duflot pour succéder au Scellier.

Le dernier argument, c'est celui de la pression politique ou, dit autrement, du pouvoir de nuisance. L'article mentionne que la niche fiscale a été éliminée par le gouvernement Juppé en 1996 sous sa forme originelle, avant qu'elle ne réapparaisse avec le gouvernement Jospin. L'article précise aussi que des négociations avaient été ouvertes par le gouvernement Juppé ... mais pas avec les autres professions — dont certes certaines avaient disparu — bénéficiant de la même niche fiscale! D'autre part, les mouvements qui réclament la fin de la niche sont clairement de droite. Comme les journalistes sont réputés être majoritairement à gauche, on voit bien que la suppression gêne moins les gouvernement de droite — d'où l'action de Juppé — que ceux de gauche — d'où le rétablissement par Jospin. Pour leur part les gouvernements de droite n'hésitent pas à cajoler des catégories estampillées de droite, comme les restaurateurs. L'accès privilégié des journalistes aux média explique aussi pourquoi ce fut sans doute la seule profession à obtenir des négociations. Cette capacité à créer du grabuge explique aussi la longévité des niches pour l'outre-mer, la Corse ou les œuvres d'art, malgré leur côté extravagant: elles maintiennent une certaine paix sociale. Il est vrai que dans ce cas, l'intérêt général n'est pas forcément la motivation première pour l'instauration ou le maintien de niches fiscales, de même d'ailleurs que pour leur suppression.

L'article est aussi honnête: il précise bien que la justification de la niche est devenue compliquée de nos jours et que certains syndicats de journalistes proposent même — fait rare! — qu'elle soit supprimée. Il n'en constitue pas moins un exemple assez parlant de la difficulté de la suppression de tous ces avantages. Dans le cas présent, on a un groupe de gens qui peut faire beaucoup de bruit s'il le souhaite, pour lequel l'avantage est très tangible (1000€ par personne et par an), qui connaît actuellement des difficultés réelles et dont l'activité dépend au moins en partie de cet avantage. Comme beaucoup de ces niches rassemblent les mêmes caractéristiques: capacité à se faire entendre, importance individuelle de l'avantage, activité organisée autour de la fiscalité avantageuse. Bref, on aurait du mal à trouver meilleur article permettant d'imaginer à quoi les parlementaires et le gouvernement font face à longueur d'année en matière de fiscalité.

30 août 2012

Encourager l'épargne longue?

En juillet dernier, la Cour des Comptes a rendu un rapport intitulé L'État et le financement de l'économie, dont on peut retrouver l'essentiel dans la synthèse. Ce rapport fait suite à celui sur l'assurance-vie (synthèse) et il en reprend nombre de conclusions.

La Cour fait des remarques sur la situation des banques et des assurances. Il n'a échappé à personne que la crise financière avait entraîné des changements réglementaires et plus généralement dans le modèle de fonctionnement des banques. Les banques françaises prêtent plus qu'elles n'ont de dépôts: l'encours des prêts est supérieur de 10% environ aux dépôts (tableau n°12 p107). Les prêteurs sont devenus nettement plus frileux envers les banques qui ont donc plus de mal à se financer sur les marchés. Les dépôts sont aussi favorisés par les règlementations de Bâle III. Les banques sont encouragées à trouver des gens prêts à déposer de l'argent chez eux ou ... à diminuer leur encours de crédit. Du côté des assureurs, la directive Solvabilité II va pousser les assureurs à diminuer encore leurs encours en actions et plus généralement tout ce qui s'apparente à un placement peu liquide ou un apport de fonds propres à une entreprise (p103). Les assureurs ne devraient pas se précipiter pour financer les besoins en capitaux propres des entreprises mais plutôt se concentrer sur leur dette pourvu qu'elle soit négociable.

De leur côté, les Français affichent une préférence marquée pour l'immobilier qui représente les deux tiers du patrimoine des ménages (p73). Il est vrai que la hausse des prix de l'immobilier a pris une part notable à la croissance de la part de l'immobilier de ces 15 dernières années. Pour ce qui est du patrimoine financier, la préférence va à l'épargne sans risque, avec un biais vers des placements a priori peu liquides comme l'assurance-vie, comme le montre le tableau ci-dessous (originellement p67). repartition_risque.jpg La tendance est en défaveur des placements risqués: s'ils représentent un petit tiers du patrimoine, moins d'un sixième du flux d'épargne se dirige vers eux. Il faut dire que la faible performance des actions depuis l'an 2000 n'a sans doute pas encouragé les épargnants. Mais il y a une autre raison: les impôts. La Cour signale que la fiscalité encourage nettement l'épargne non risquée (p76-77). Ainsi, si 42% de l'épargne sans risque bénéficient d'un avantage fiscal, seuls 12% de l'épargne risquée en bénéficient. Ces avantages représentent 9G€ pour l'épargne non risquée contre 2.4G€ pour l'épargne risquée. Ces avantages pour l'épargne non risquée sont aussi accompagnés d'avantages pour la détention d'un bien immobilier: pas de taxe sur les plus-values sur la résidence principale, montages fiscaux divers (Robien, Scellier, etc.) et non imposition de l'économie que représentent le fait de ne pas avoir à payer de loyer. Dans le rapport sur l'assurance-vie, la Cour donne un tableau récapitulant les diverses modalités d'imposition des placements au 1er janvier 2012, les prélèvements sociaux sont depuis passés à 15.5%. Alors que l'imposition des revenus de l'épargne était limitée à 16% au début des années 90, les taux ont très sérieusement augmenté, d'abord sous l'effet des prélèvements sociaux puis sous l'effet du relèvement du taux du prélèvement forfaitaire. imposition_epargne.jpg

La Cour conclut que l'épargne est de moins en moins dirigée vers les entreprises, à cause des évolution réglementaires et de l'évolution des préférences d'épargne des Français. Un autre phénomène important se mêle à cela: depuis la crise financière, les taux des obligations d'état français sont au plus bas: 2% pour les obligations à 10 ans. Dans ces conditions, l'épargne réglementée est extrêmement compétitive: le Livret A rapporte 2.25% net et est parfaitement liquide. Le PEL peut même être plus compétitif que certains fonds en euros alors qu'il ne requiert de bloquer son épargne que 4 ans. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le Livret A batte des records de collecte. Une conséquence de cette succession de collectes record est que les prêts accordés au titre du Livret A sont bien inférieurs aux fonds centralisés: il y a un excès de liquidités de 52G€ (p175). Il faut noter aussi que le Livret A est géré de telle sorte que les dépôts centralisés sont supérieurs aux prêts de 25% au minimum, contrairement à ce qui se passe dans les banques. Un report des dépôts bancaires vers le Livret A signifie donc moins de prêts accordés, globalement.

La Cour fait des propositions pour essayer de corriger cela et permettre d'orienter l'épargne vers le long terme. La première position qu'on peut remarquer est l'opposition franche à l'augmentation du plafond des livrets réglementés (p220). La Cour a demandé de soumettre aux prélèvements sociaux la partie des dépôts supérieure au plafond actuel et de procéder au relèvement du plafond par étapes. Le gouvernement s'est largement assis sur ces recommandations et a décidé de procéder à un relèvement rapide du plafond. On comprend bien pourquoi le gouvernement n'a pas soumis à imposition les livrets réglementés: cela aurait été massivement impopulaire. Les autres propositions principales concernent l'assurance-vie et sont directement reprises du rapport thématique qui est consacré à la question. La Cour propose en fait d'allonger encore l'obligation de détention et de changer le mode décompte en considérant l'historique des dépôts. Ça correspond donc à un alourdissement des conditions fiscales: sans action sur les livrets réglementés, cela ne fera qu'amplifier la fuite déjà apparente vers le livret A.

Ces recommandations me paraissent donc soit demander une certaine témérité politique — pour la taxation des livrets réglementés — soit être carrément contreproductives — spécialement dans un contexte de taux extrêmement bas. Les recommandations formulées, il y a maintenant 3 ans, par Olivier Garnier & David Thesmar dans un rapport au Conseil d'analyse économique, étaient nettement meilleures: si on voulait favoriser l'épargne longue et risquée, il fallait arrêter de subventionner l'épargne sans risque & liquide, mettre tout le monde au même régime, sauf engagements de détention à long terme. À défaut, ils proposaient qu'on ne touche à rien plutôt que d'empiler encore d'autres mesures à l'utilité douteuse. Ces mesures ne sont pas tellement plus réalistes — à cause de la taxation des livret réglementés — mais elles ont au moins une chance d'atteindre leur but!

Au vu de l'état des finances publiques, il est douteux que des allègements d'impôts puissent être actés. Vue l'idéologie du PS et de la classe politique française en général, qui tient un discours massivement anti-détention d'actions et est massivement constituée de propriétaires fonciers, il est tout à fait illusoire de voir aligner la taxation des livrets réglementés sur la taxation des placement plus risqués. On s'achemine plutôt vers la continuation de la hausse inexorable des prélèvements sociaux et un relèvement de la taxation au titre de l'IRPP. Comme dans le même temps les rendements des fonds en euros va continuer à décroître, on peut parier que l'épargne des français se dirigera vers les placements les plus liquides et détaxés. Le gouvernement va encourager cette tendance pour financer sa banque publique d'investissement. Le placement immobilier continuera à avoir un certain succès, malgré le risque: il bénéficie lui aussi d'une fiscalité favorable, tant dans la détention que pour les travaux qui permettent de faire des économies. Dans ces conditions, l'épargne financière à long terme n'augmentera sans doute pas. Avec les annonces récentes sur la fiscalité des carburants, on voit que le gouvernement est plus empressé de respecter ses promesses de campagne les plus démagogiques que d'adopter des discours et des solutions raisonnables.

13 avril 2012

Le coût exorbitant de la course aux renouvelables

Le 6 avril dernier, le gouvernement a dévoilé les résultats de l'appel d'offres sur les premiers champs d'éoliennes en mer. Cette annonce a été précédée de fuites dans la presse sur l'avis que donnait le régulateur: tout confier au consortium emmené par EDF qui aurait été très offensif sur les prix. Finalement, le gouvernement a choisi d'attribuer 3 des lots à EDF, un autre au consortium emmené par Iberdrola et de laisser un dernier lot sans preneur.

Le gouvernement nous donne la puissance prévue sur chaque champ, le montant total des investissements (7G€), le nombre de gens embauchés de ce fait (10000). Il manque toutefois des informations d'importance: combien cela va-t-il coûter en impôts, en l'occurrence connu comme la Contribution au Service Public de l'Électricité ou CSPE et quelle est la production d'électricité prévue. À peine nous précise-t-on combien aurait coûté l'attribution du lot laissé vacant (500M€) en nous disant que c'était le plus cher. On pourrait estimer la production d'électricité prévue par la donnée du nombre de foyers alimentés par la réalisation de l'objectif de 6GW d'éolien. On peut en inférer que les quantités mises en services permettront une production équivalente à la consommation annuelle de 1.5M de ménages. Dans le bilan énergétique pour 2010, on lit (p49) que la consommation électrique résidentielle est d'environ 170TWh, il y a environ 27M de ménages en France, ce qui mène à un facteur de charge de 54%, totalement incroyable pour de l'éolien. Cela ne fait prouver, s'il en était besoin, que donner les productions électriques en nombre de ménages relève de l'enfumage pur et simple.

Pour obtenir ces renseignements, il faut se tourner vers la presse sans confirmation officielle et donc sans moyen de vérification. Pour des investissements financés par l'impôt, c'est totalement anormal. Toujours est-il que la subvention versée au titre de la CSPE serait de 1.1G€ par an pour les champs totalement construits. À noter qu'un post de Sauvons le climat — qui inspire largement ce billet — donne une subvention de 1.2G€ par an, différente de celle donnée par Les Échos, ce qui montre bien qu'il y a un problème de transparence, même si les ordres de grandeur sont les mêmes. La donnée de cette subvention permet de faire quelques calculs sur le prix de l'énergie produite. La CSPE prélevée est reversée à EDF comme différence entre le prix de l'énergie produite et le prix moyen qu'elle aurait valu sur le marché spot. Le prix moyen sur le marché spot est estimé à un peu moins de 57€/MWh (p9 de l'annexe 1 de la délibération sur la CSPE pour 2012).

Au total, on trouve qu'avec un facteur de charge de 35% — élevé pour de l'éolien — le prix moyen de l'électricité produite pour les lots alloués est de 243€/MWh. Pour le lot laissé sans preneur, il est de 290€/MWh. On peut comparer cela à quelques éléments:

  • Le tarif de rachat donné dans la loi — hors appels d'offres, donc — pour l'éolien en mer est de 130€/MWh.
  • Le tarif de rachat pour l'éolien terrestre est de 82€/MWh pour les installations nouvelles. Le prix moyen pondéré de rachat est de 87€/MWh selon la CRE (p6 de l'annexe sur la CSPE)
  • Selon les chiffres donnés à la Cour des Comptes pour son rapport sur la filière nucléaire (p220), le coût pour l'EPR de Flamanville, reconnu comme étant un échec industriel, est compris entre 70 et 90€/MWh. Contrairement aux éoliennes, il est pilotable et peut tourner à pleine puissance plus de 75% du temps.

Le prix payé est donc 3 fois plus élevé que pour l'éolien au sol ou que l'EPR de Flamanville. Il faut dire que les appels d'offres ne sont pas favorables à la maîtrise des coûts. Il y a aussi régulièrement des appels d'offres pour le solaire photovoltaïque pour des installations supérieures à 100kW. Le dernier a débouché sur un prix moyen de 229€/MWh; le prix officiel du photovoltaïque pour de telles installations est légèrement supérieur à 110€/MWh.

La commission Énergies 2050 attendait une réduction des coûts de l'ordre de 25% d'ici à 2030 (cf annexe, p196), ce qui laisserait l'éolien en mer à des niveaux de prix rédhibitoires. Il vaudrait mieux donc se tourner dorénavant vers d'autres sources d'énergies bien plus fiables et ne produisant pas de gaz à effet de serre, comme le nucléaire ou même ne continuer qu'avec l'éolien au sol. On peut même s'interroger s'il ne vaudrait pas mieux dépenser 1.1G€ de subventions annuelles sur d'autres secteurs que l'électricité pour réduire les émissions de CO₂. En dehors du manque de transparence du secteur, il faut bien constater que les prix de l'énergie produite sont affolants. Par dessus le marché, cela concerne des moyens de productions inutiles en France, où la production d'électricité est largement décarbonnée: mieux vaudrait réserver l'argent public à d'autres actions, immédiatement efficaces dans la réduction d'émissions de CO₂.

Ajout du 14 mai 2012: La CRE a publié sur son site son avis début mai. Il en ressort qu'il est prévu un facteur de charge de 40% et que le prix soit d'environ 228€/MWh dont 162€/MWh de subvention.

6 avril 2012

François Hollande et les finances publiques

François Hollande étant le favori de cette élection présidentielle et le principal opposant du sortant, Nicolas Sarkozy, il semble naturel de s'intéresser à son programme. Vu la situation actuelle du budget de l'état et de la sécurité sociale, essayer de se faire une idée de son impact financier est important.

Avec ses 60 engagements, le candidat socialiste présente un chiffrage partiel de ses mesures. On voit qu'il s'y félicite que le taux de prélèvements obligatoires ne dépassera pas 47% du PIB, valeur atteinte quasiment dès le début du mandat, alors qu'il s'agit d'un record en temps de paix. L'affirmation selon laquelle c'est comparable à celui affiché par la majorité sortante est fausse: selon l'INSEE, le taux de prélèvements obligatoires est de 43.8% en 2011; selon un document annexé à la loi de finances pour 2012, il sera de 44.5% (p19).

Il affiche aussi une baisse des dépenses publiques par rapport au PIB, ce qui, compte tenu de ses hypothèses de croissance, conduit à estimer la croissance des dépenses publiques à 1% par an en sus de l'inflation. Il faut remarquer que le candidat socialiste est celui qui prévoit la croissance la plus forte parmi les candidats principaux. Cela pose un problème quand à la stabilité après 2013 du taux de prélèvements obligatoires: ils ont tendance à augmenter plus vite que le PIB à cause de la progressivité de certains impôts (ex: IRPP) et de la corrélation d'autres avec la croissance (ex: IS). On peut donc supposer deux choses: soit les mesures qu'il va acter après sa prise de mandat sont pour une bonne part des mesures de trésorerie qui n'auront donc pas d'effet à long terme, soit il baissera les impôts en cours de mandat si la croissance se réalise, comme Jospin l'avait fait, précédent qui n'incite pas à l'optimisme quant à la qualité de gestion de cette phase. Prévoir la plus forte croissance permet aussi au candidat socialiste d'être celui qui fait les promesses les plus coûteuses et d'être celui qui compte le plus sur la croissance pour réduire le déficit.

Le graphe représentant le financement des mesures principales pose un premier problème: il mélange dans les recettes à la fois des hausses d'impôts et des économies. Les hausses d'impôts comptent pour 15.5G€ des 20G€ de financement. Parmi les économies qu'il compte réaliser, il affirme que la maîtrise des effectifs de l'état lui rapportera 2.1G€. On peut en douter au vu des résultats du non remplacement d'un fonctionnaire sur 2: Hollande promet que le nombre de fonctionnaires restera stable, il ne peut donc que faire moins bien. On voit aussi mal comment des effectifs constants peuvent représenter une économie.

Se reporter au chiffrage d'une officine sans affinité particulière avec le PS est intéressant pour donner un éclairage, je me suis donc tourné vers celui de l'Institut Montaigne. L'institut est en accord global avec le PS pour ce qui est des dépenses nouvelles: en faisant la somme de tous les mesures représentant une perte pour les finances publiques on trouve 19.4G€ contre 20 annoncés par le PS. Quant aux augmentations d'impôts, elles atteignent 38.3G€, il n'y a aucune mesure d'économie chiffrée ou recensée. Comme le candidat socialiste prévoit d'augmenter les prélèvements obligatoires de 2.5% du PIB soit environ 50G€, il manque donc 12G€ dans ce recensement et qui donc devront être annoncés ultérieurement, probablement après juin 2012, puisque François Hollande a annoncé qu'il annulera de fait le dernier collectif budgétaire de Sarkozy.

Parmi les plus gros postes d'imposition supplémentaire, on trouve des alourdissements de charges sociales. Ils concernent l'épargne salariale, les cotisations retraite et les allègements de charges pour les bas salaires. À eux trois, ils forment un gros tiers des alourdissements d'impôts rendus publics. Ils ne sont adoucis par rien, ils vont donc se solder directement par une baisse des revenus des salariés et des indépendants. La même chose peut être dite de la fin des exonérations sur les heures supplémentaires qui, si elles constituaient un pur effet d'aubaine, ne s'en traduisait pas moins par une hausse des revenus de ceux qui en profitaient. Cela trouve une traduction sur l'action de François Hollande sur l'assurance maladie et les retraites: il ne propose aucune mesure d'économie (engagements 18 à 21). C'est particulièrement dommageable. Car plus il y a de retraités, moins il y a de rentrées fiscales. Parce que la base taxable est moindre, qu'ils bénéficient d'un traitement favorable du point de vue de l'assurance maladie — CSG allégée et absence des cotisations patronales — et qu'il y a moins de recettes dues à l'activité économique perdue du fait du faible nombre de travailleurs, le gouvernement devrait s'attacher à repousser l'âge de la retraite. Mais, au contraire, François Hollande propose de faire partir un certain nombre de gens plus rapidement et, en taxant plus sévèrement ceux qui restent, les encourage à faire valoir leurs droits le plus rapidement possible.

Supprimer des niches fiscales en matière sociale est sans doute souhaitable, mais il vaudrait mieux redistribuer le produit de ces recettes sur l'ensemble des salariés. Quant à diminuer les allègements de charges, il s'agit de casser un des principaux moyens de favoriser l'emploi, notamment peu qualifié, en France. En face de cela, le candidat socialiste propose de créer des contrats de mentorat dont on sait très bien qu'ils ont une efficacité nulle et relèveront d'un pur effet d'aubaine. Il propose aussi une resucée des emplois-jeunes et d'embaucher des profs, clientèle obligée du PS. Bref, cette partie du projet socialiste me paraît particulièrement néfaste et comporter des mesures visant à gaspiller de l'argent. Elle va conduire aussi à la perpétuation de la stagnation du pouvoir d'achat des travailleurs, dont une des causes est la hausse des prélèvements sociaux, comme cela a été montré par le rapport Cotis.

Sur l'imposition des entreprises, il propose d'abaisser l'IS pour les petites et de l'augmenter pour les grandes; l'effet prévu par l'Institut Montaigne est négatif: les grandes entreprises iront enregistrer encore plus qu'avant leurs bénéfices ailleurs en Europe. Le candidat socialiste prévoit aussi des mesures de trésorerie sur le report déficitaire: quand une entreprise a fait des pertes, elle a le droit des les imputer sur les bénéfices des années suivantes. Hollande veut limiter l'ampleur de cette imputation pour l'étaler dans le temps. Les entreprises qui ont fait des pertes seront donc ravies de devoir fournir de la trésorerie à l'état, alors même que ces pertes ont diminué la leur. Le candidat socialiste veut aussi augmenter la taxe professionnelle, ce qui va sans doute décourager les investissements. Or, vus les salaires pratiqués en France dans l'industrie, des investissements conséquents en machines sont nécessaires pour que l'embauche soit intéressante. Il veut aussi taxer les banques à 50% sur leurs bénéfices: l'effet final sera de réduire la part des prêts risqués, les PMEs se plaindront donc encore plus qu'aujourd'hui et ne fera que renforcer le poids de la banque d'état qu'il veut créer... À part cela, il veut aussi soudoyer des entreprises pour qu'elles s'installent en France. Peut-être devrait-il commencer par ne pas augmenter les impôts qui les décourageraient de venir. Une nouvelle fois, je pense que ces mesures ne sont pas les bienvenues: les grands groupes internationaux pratiquent l'optimisation fiscale au maximum, les autres entreprises ont des difficultés: leur taux de marge est relativement bas.

Le candidat socialiste veut enfin imposer le capital de façon plus lourde que le travail: non seulement, les revenus seront imposés comme le travail, mais il compte aussi taxer le stock de capital ainsi que les transactions. Cela dit, comme il a annoncé qu'il y aurait une limite à 85% des revenus pour la somme de l'IRPP et de l'ISF, on peut d'ores et déjà prévoir ce qui va se passer: les gens concernés vont minimiser leur revenu taxable, comme cela se faisait avant 1995. Si c'est trop difficile en raison de la chasse aux niches fiscales, on peut prévoir des départs: même dans la situation prévalant avant 2008, Camille Landais avait estimé que les fuites cumulées équivalaient à 20% de l'effectif des 3 dernières tranches de l'ISF, celles pour lesquelles c'était véritablement intéressant. On peut aussi prévoir un grand avenir aux sociétés holding, situées dans des juridictions moins importunes, pour loger les gros patrimoines: on n'y sera pas frappé par la taxe sur les transactions et les revenus y seront préservés. Rappelons aussi qu'investir a pour but de préserver la valeur du capital, ce qui fait que s'il n'y a aucune chance réaliste d'obtenir un rendement après impôt meilleur que l'inflation, les investissements vont diminuer. De même, s'il y a trop d'impôts, la prime de risque réelle va diminuer au point qu'elle ne justifiera plus de se donner la peine de prendre des risques. Une prise en compte des réalités des revenus financiers serait donc peut-être de bon aloi.

Pour conclure, je trouve que le programme en matière fiscale et de dépense publiques de François Hollande me semble néfaste. Il est porté par une désapprobation du capitalisme et des revenus de l'épargne. Il perpétue aussi la hausse des prélèvements sur le travail qui érodent le pouvoir d'achat. Tout cela ne va pas inciter à plus d'activité économique, surtout pour ce qui est des prélèvements sociaux supplémentaires. Il ne prévoit rien ou presque comme économies ou incitations générales à l'activité. Il n'y a notamment aucune proposition sérieuse visant à limiter le coût des retraites et de l'assurance maladie.

15 mars 2012

Les atermoiements de Sarkozy

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été marquée par des atermoiements, surtout dans le domaine des dépenses publiques ou des dépenses fiscales, ces réductions d'impôts données dans des buts divers et variés. Cela s'explique en partie par la crise et l'ampleur de celle-ci. Cependant de nombreuses mesures, surtout prises en début de mandat, étaient totalement inutiles voire contreproductives.

L'exemple le plus frappant est sans doute la réduction d'impôts accordée au regard des intérêts d'emprunts immobiliers. Il s'agissait de donner un crédit d'impôt égal à 40% des intérêts de la première année et 20% les 4 suivantes. Si on prend pour hypothèse un emprunt sur 20 ans à 4%/an, cette mesure compense environ 3% des sommes remboursées à la banque. De plus, les revenus des emprunteurs augmentant faiblement à cause de la stagnation du pouvoir d'achat, il était prévisible que les banques ne tiennent pas compte de cet avantage fiscal pour calculer la capacité d'emprunt de leurs clients. On voit donc que, dès le départ, on pouvait penser que les effets de la mesure seraient limités. Ça n'empêchait pas que le coût de la mesure était de plusieurs milliards d'euros. Devant les problèmes de finances publiques, le gouvernement a décidé de supprimer cet avantage fiscal pour créer le PTZ+ en 2010, dont il a durci les conditions dès 2011.

Ce parcours est typique de ce qu'il est advenu de la loi TEPA. Seules ont survécu la réduction d'impôt au titre de l'ISF pour l'investissement dans les PME et ce qui concerne les heures supplémentaires. Si la première a sans doute eu des effets sur le financement d'entreprises — pas toujours celles qu'on attendrait — du fait de son ampleur, ce qui concerne les heures supplémentaires n'a été qu'un effet d'aubaine. Il est vrai qu'on pouvait aussi se poser la question de savoir pourquoi il fallait avantager spécifiquement les heures supplémentaires. En fait, ces mesures étaient pour la plupart des ersatz. Le bouclier fiscal remplaçait une suppression de l'ISF, la diminution de l'impôt sur les successions et la réduction sur intérêts d'emprunt devaient plus ou moins compenser les effets de la hausse des prix de l'immobilier, les heures supplémentaires le coût du travail perçu comme trop élevé. Mais aucun de ces ersatz ne pouvaient véritablement remplacer l'effet qu'on recherchait véritablement et, en plus, c'était en grande partie prévisible dès l'été 2007. Les problèmes de déficit ont obligé à plus de sagesse, mais de l'argent a été gaspillé.

Ce type de comportement s'est aussi retrouvé sur la question des retraites. En 2008, était prévu un rendez-vous pour ajuster les lois Fillon. Ç'aurait pu être l'occasion de modifier le système. Certes, à l'automne 2007, le gouvernement Sarkozy avait modifié les régimes spéciaux. Mais ces changements laissent ces régimes avec des avantages de façon durable: la durée de cotisation est par exemple toujours inférieure à celle des fonctionnaires. Et cela s'est fait au prix de concessions qui ont enlevé à ces changements une bonne part de leur intérêt financier, pour ne garder que le symbole. En 2008, le gouvernement a décidé d'augmenter le minimum vieillesse de 25%, augmentant donc les charges de retraites. Même s'il a renoncé à mener cette hausse à bien en totalité à cause de la crise, la lecture du rapport du COR montrait que les actifs pauvres étaient dans une moins bonne situation que les bénéficiaires du minimum vieillesse (p41), ce qui aurait dû porter l'attention ailleurs. L'autre fait marquant est que le gouvernement a mis progressivement fin à la dispense de recherche d'emploi, une évolution bienvenue.

La crise et la démographie ont obligé à une réforme courant 2010. La mesure la plus saillante est le recul de l'âge où on peut faire valoir ses droits à la retraite. C'est un changement bienvenu, car c'est la façon la plus efficace de faire rentrer plus de cotisation tout en contenant la hausse des pensions à verser. Combiné à la hausse prévisible de la durée de cotisation, cela permet de limiter les charges de retraites et de ne pas augmenter les cotisations — même si le gouvernement a prévu de façon incroyable de remplacer à terme une partie des cotisations chômage par des cotisations retraite. Cela permet aussi de financer l'assurance maladie, les retraités bénéficiant d'un régime de faveur, ne payant qu'une CSG allégée. Mais comme d'habitude, la réforme est basée sur des hypothèses trop optimistes et devra être revue lors du prochain quinquennat. Les régimes complémentaires sont d'ailleurs en train d'entamer sérieusement leurs réserves. Par ailleurs, ne pas l'avoir fait en 2008 a obligé à prévoir une transition plus courte.

En conclusion, certaines mesures de Sarkozy ont été clairement nuisibles, comme pour le cas des impôts sur les personnes physiques. Dans le cas des retraites, il a fini par prendre des mesures nécessaires et c'est pourquoi il mérite sur ce sujet un satisfecit. Mais il a montré une tendance à ignorer ce que le raisonnement montrait dès l'origine: la réduction d'impôts au titre des intérêts d'emprunts n'était qu'un gaspillage, augmenter le minimum vieillesse allait à l'encontre de la situation démographique et sociale de la France. On eût espéré un peu plus de rationalité dans la prise de décision.

10 janvier 2012

Le quotient familial ou comment rater une occasion de consensus

En exhumant une étude du Trésor, un article des Echos vient de forcer le parti socialiste et François Hollande à se justifier. Les justifications n'ont fait qu'embrouiller les choses, le candidat socialiste préférant rester dans l'ambiguïté le plus longtemps possible sur tous les sujets. La droite et Nicolas Sarkozy ont répondu sur le thème bien connu on menace vos avantages en se gardant bien de dire pourquoi le système actuel était bon.

Après tout, l'intérêt de faire croitre l'avantage fiscal avec les revenus n'est pas dénué de justifications. Un enfant coûte plus cher aux familles avec des revenus élevés, tant en coût d'opportunité pour les femmes qu'en coûts monétaires, les parents aisés tentant de faire plus pour leur progéniture que les parents moins riches. Si on veut les encourager à faire plus d'enfants, il n'est pas illogique de leur donner un peu plus d'argent qu'aux autres. Pour le dire encore plus directement, l'argument socialiste semble être que tous les parents se valent quelque soient leurs revenus, l'envers étant qu'on peut suggérer qu'il vaut mieux faire naître les enfants dans les familles où l'argent ne manque pas, les subsides d'état ne couvrant pas vraiment les dépenses souhaitables pour élever un enfant.

Mais ce débat masque en fait un autre point: le quotient familial est sous-tendu par l'imposition commune au sein du ménage, point que les socialistes ne veulent pas changer selon l'article des Échos. Or, sur ce point les choses sont nettement plus claires: la structure progressive de l'IRPP fait qu'il est relativement défavorable pour celui qui gagne le moins de chercher à augmenter son salaire. En effet, tout supplément de revenu est taxé au taux marginal commun. Il y a aussi dans le système actuel des bizarreries avec la PPE et la décote. Dans un système d'imposition séparée, le membre du couple qui a le plus petit salaire a un intérêt plus important à le voir augmenter, parce que son taux marginal d'imposition y serait plus faible. Les conséquences pratiques à prévoir seraient donc de favoriser le travail des femmes — puisque c'est encore elles qui ont en moyenne des salaires inférieurs —, de façon générale, d'augmenter le volume de travail en France, faisant ainsi rentrer plus d'argent dans les caisses de l'état, et façon plus mesquine, renforcer la situation de celui qui est sans doute en situation de dépendance financière au sein du couple, favorisant le départ en cas de déception ou, plus grave, de violences.

Bref, on voit mal ce qui s'oppose à ce changement particulier, mis à part le fait qu'il y a, comme d'habitude, des perdants aussi bien que des gagnants. Il est tout de même rare de trouver pour une même mesure fiscale des arguments favorables qu'on peut dire de gauche — égalité homme-femme — et d'autres de droite — augmentation du volume de travail en France. Mais, évidemment, il était fatal qu'on passe à côté.

27 novembre 2011

Distraint of Fairness

La Commission sur la Rémunération Copie Privée a été instituée en 1985 pour décider des sommes à lever sur des supports servant à la copie d'œuvres, à l'époque les cassettes audio et vidéo. Elle a depuis largement étendu le nombre de supports taxables. Par ailleurs, le 17 juin dernier, le Conseil d'État a censuré les décisions de la commission décidant entre autres des barèmes suite à une décision dite Padawan de la CJUE. Même si le Conseil d'État avait magnanimement reporté l'application de sa décision à la fin de cette année, le gouvernement, suite aux pressions des ayant-droits, a déposé un projet de loi visant à faire entrer dans la loi les décisions successives du Conseil et aussi à reporter d'un an de plus les effets de la décision.

À cette occasion, Pascal Rogard, directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) nous explique sur son blog combien ce système est différent d'une taxe, combien ce système est juste et combien l'organisme qu'il préside est étranger aux déboires judiciaires de la commission et que par conséquent, il faut que ce projet de loi soit vite voté.

Ceci n'est pas une taxe

M. Rogard nous affirme donc que la rémunération copie privée n’est pas une taxe, mais bien une rémunération de droit d’auteur et de droits voisins contrepartie d’un régime de licence légale. Pour en avoir le cœur net, rien de tel que de consulter des dictionnaires.

Le Petit Robert, dans son édition de 2004, nous annonce:

Rémunération
... 2. Argent reçu pour prix d'un service, d'un travail ...

Taxe
1. Prix fixé d'une manière autoritaire ...
2. Part d'imposition que doit payer un particulier; somme fixée par l'imposition ...

Quant au dictionnaire de l'Académie Française, huitième édition, il déclare:

Rémunération: ... Prix dont on paie des services, un travail; salaire ...

Taxe: Fixation faite officiellement du prix des denrées, des frais de justice, du port des lettres, etc.

L'argument tendant à faire accroire qu'il s'agit d'une rémunération paraît spécieux: pour quel service on paie-t-on? Elle est imposée à cause de l’impossibilité technique de contrôler chaque acte de copie réalisé par le consommateur, nous informe la page d’accueil de la commission. De fait, aucune aide n'est à attendre des ayant-droits pour réaliser une copie. Il s'agit d'une exception du droit d'auteur, pas d'un droit.

Les décisions de la commission portent évidemment sur la fixation d'un prix minimal pour certains biens. Ces sommes doivent être versées aux organismes de répartition. Elle décide assez librement de ce qui peut ou pas être taxé, elle a étendu peu à peu son emprise sur à peu près tous les supports d'enregistrement numérique, à part les disques durs nus et les ordinateurs.

Étant donné que les ayant-droits comptent pour la moitié des membres, rien ne peut se faire sans leur accord. Par ailleurs, en cas d'égalité des voix, le président de la commission dispose du pouvoir de trancher. Il est nommé par le ministère de la Culture, il n'a jamais voté en sens contraire aux ayant-droits. De plus, le représentant de la CFDT semble faire le plus souvent cause commune avec les ayant-droits.

Les décisions sont aussi régulièrement contestées devant le Conseil d'État, ce qui montre que leur contenu n'est pas accepté par tous les participants. Le fait qu'il leur soit donné raison régulièrement montre que la majorité à cette commission fait usage de son pouvoir. Le déroulement des débats montre aussi une ambiance singulière: certains participants répètent en séance des propos tenus par d'autres dans une séance antérieure pour qu'ils figurent sur le compte-rendu.

Le côté autoritaire par rapport à une rémunération peut se voir aussi à l'ampleur des sommes perçues. Un rapide détour par un vendeur sis hors de France et la consultation du barème montrent que la taxe atteint 500% du prix hors taxe pour les CDs et 600% pour les DVDs. Ne pas payer la taxe expose à une amende de 300k€. Les ayant-droit ont accès aux services fiscaux pour aider aux recouvrement des sommes qui leur sont dues à ce titre. Pour le dire simplement, les ayant-droits ont un pouvoir de taxation quasiment équivalent à celui de l'état dont ils ne se privent pas d'user.

Une juste taxe ou juste une taxe?

L'autre versant de l'argumentation de M. Rogard est que cette taxe est juste. C'est étonnant, car même si on s'accorde sur la légitimité du principe, les décisions de la commission sont régulièrement censurées par le Conseil d'État. Ce fut donc le cas dernièrement pour la décision de 2008. Mais ce fut aussi le cas en 2008 pour une décision de 2006. Cette censure était due au fait que les barèmes prenaient en compte les copies contrefaites — notamment réalisées à l'aide de réseaux peer to peer. À la suite de cette censure, la commission a réinstitué les barèmes précédents, en prétextant ne pas avoir pris en compte auparavant le taux de compression des fichiers. Au final, la décision du Conseil d'État n'a eu aucun effet, le taux de compression compensant miraculeusement au centime d'euro près les copies illicites sur tous les types de support. Il paraît tout de même difficile de traiter de juste un système où les décisions de justice n'ont strictement aucun effet concret et où les décisions sont jugées illégales vis-à-vis de règles posées de longue date.

Mais le système de taxe pour copie privée n'est pas vraiment légitime. Le principe de la copie privée veut que les copies restent dans le cercle familial qui de nos jours est restreint. En d'autres termes, il y a peu de chances que cela affecte durement l'exploitation commerciale des œuvres. Aux États-Unis, la doctrine du fair use — qu'on pourrait traduire par usage légitime — prévoit que de tels usages sont purement et simplement autorisés et ils ne donnent lieu à aucun indemnisation. C'est logique: si l'usage est légitime, il n'y a rien à payer en plus au moment de la copie privée, la charge devant être portée sur le prix du support originel destiné à la vente.

Comme on l'a remarqué plus haut, aucune aide des ayant-droits n'est requise, les acheteurs sont livrés à eux-mêmes, les copies sont réalisées pour autant qu'ils en soient capables et autorisés à le faire. D'ailleurs, les ayant-droits ne se sont pas gênés pour entraver les pratiques de copie privée. Ils ont introduit des systèmes de cryptage des données et de gestion des droits (DRMs). Ces systèmes se sont vus attribuer une protection légale particulière avec un présomption d'inviolabilité à la suite de traités (WCT, article 11 et WPPT, article 18) de l'OMPI qui, après quelques péripéties ont été retranscrits en France par la loi DADVSI. C'est ainsi que, vérifiant les conditions pour bénéficier de la protection, le DVD n'est officiellement pas copiable; si aucune sanction n'a été prononcée contre les programmes permettant de le faire, c'est sans doute à cause de la publication maintenant ancienne de la façon de procéder.

Mais ces verrous ont été fraîchement reçus par les consommateurs, peu pressés de payer plus pour pouvoir faire moins avec ce qu'ils achètent, comme l'avait prédit Cory Doctorow. C'est ainsi que les deux plus gros vendeurs de musique en ligne proposent pour l'un des version sans DRM, l'autre des mp3, alors qu'ils furent si longtemps décriés. Si ces verrous ont été adoptés, c'est parce que l'industrie du divertissement malmène ses clients de façon routinière. C'est ainsi qu'elle traite de pirates ceux qui téléchargent des copies illicites, sans chercher à les transformer en clients autrement qu'en leur faisant peur et en les menaçant de sanctions pénales. C'est ainsi que les films sur DVD et BluRay sont cryptés et bénéficient d'une protection légale anti-contournement, pour empêcher les acheteurs de les regarder sur tous les appareils dont ils disposent. Tous ces films légalement achetés sont d'ailleurs accompagnés d'un rappel des textes légaux, chose évidemment absente des films contrefaits. La taxe copie privée s'insère parfaitement dans ce cadre où il n'est question que de punir les clients pour leurs actions légitimes mais que les ayant-droits jugent déplaisantes.

une taxe illégitime

Pouvant prendre souverainement des décisions, la commission a usé largement son pouvoir et a étendu la taxe à tous types de supports. C'est ainsi que les clefs USB et les cartes mémoire d'appareils photo sont taxées. Comme on l'a vu, sur les supports historiques, CDs et DVDs, la taxe est tout simplement punitive. Il serait aussi question maintenant de taxer les supports à distance, pour profiter de la montée en puissance du cloud computing. Ces excès sont directement liés au fait que la commission opère sans contrôle extérieur et que ceux qui profitent du produit de la taxe sont les seuls décisionnaires. Pourtant, des mesures pour limiter le caractère excessif et autoritaires de la taxation existent: il s'agit des débats budgétaires au parlement. On l'oublie parfois, mais tant pour le Royaume-Uni que pour la France, ce sont les questions d'impositions qui ont imposé le système parlementaire. Sans limites à leur pouvoir, les souverains comme Charles I d'Angleterre ont levé des impôts archaïques pour leur seul profit, comme la Distraint of Knighthood. On peut certes avoir une confiance plus que limitée dans la capacité du parlement français à s'opposer aux abus de l'exécutif, il est peu probable que le fait de laisser partir à l'étranger — et donc laisser échapper la TVA afférente — les ventes de produits de grande consommation y jouisse d'une grande popularité.

Pour couronner le tout, les ayant-droits ont obtenu que les effets de la décision du Conseil d'État soient reportés encore un an après la promulgation de la loi actuellement en discussion, alors que le Conseil d'État avait déjà jugé bon de laisser 6 mois à la commission pour prendre en compte la censure. Ils ont aussi obtenu qu'aucune demande de remboursement des redevances perçues indûment ne puisse aboutir. En d'autres termes, ils ont obtenu d'être protégés contre les effets d'une décision de justice. Le citoyen ne peut que constater que les moyens de l'état sont mis au service d'un petit groupe de gens afin de protéger leurs revenus, dont les principes de collection ont été condamnés.

Dans l'idéal, le parlement devrait supprimer cette taxe ou la mettre à un niveau très bas sur un nombre limité de supports, elle est illégitime et le comportement des ayant-droits, en guerre permanente contre leurs clients, doit finir par leur coûter. Une mesure de salubrité publique serait que le barème soit soumis à un vote annuel dans le cadre de la loi de finances. Il serait bon qu'au minimum, les délais impartis par le Conseil d'État soient laissés tels quels, après tout, si la commission ne trouve pas d'accord, la responsabilité repose entièrement sur les ayant-droits qui y prennent toutes les décisions. Vu le texte voté par l'Assemblée Nationale, on en est loin.

11 novembre 2011

De la dernière rectification du budget 2012

Le 7 novembre dernier, François Fillon, premier ministre, a présenté un plan visant à contenir le déficit public à 4.5% du PIB malgré la révision à la baisse des prévisions de croissance. Il fait suite à un autre plan du même type présenté fin août — dont il a été question ici même — et le complète, à tel point que le gouvernement propose au téléchargement une archive contenant les fiches des deux plans.

Comme le plan précédent, il s'agit avant tout pour le court terme d'un plan de hausses d'impôts. Le gouvernement prévoit que son plan diminuera le déficit de 7G€ en 2012, les mesures d'économies devant rapporter 1.7G€ soit un peu moins de 25% du total. À plus long terme, en 2016, elles représentent 9G€ sur 17.4G€, soit plus de la moitié, même si les promesses de mesures d'économie discrétionnaires qui doivent compter pour plus de 7G€ n'engagent que ceux qui y croient, d'autant que des élections approchent. Comme le plan précédent, des mesures fiscales vont frapper les détenteurs de capitaux avec un supplément d'impôt sur les bénéfices et la quasi-fin du prélèvement forfaitaire. Il inclut aussi la promesse de continuer sur le chemin menant à la suppression de certaines niches fiscales.

Quelques évolutions sont malgré tout présentes. Tout d'abord, le gouvernement accélère la mise en place de la réforme des retraites et met plus l'accent sur des économies budgétaires à moyen terme. Que la moitié environ de la réduction du déficit public en 2016 soit due à des économies diminue en effet le risque de voir revenir le thème de la cagnotte. Le gouvernement Jospin s'était livré à diverses baisses d'impôts pour revenir peu ou prou sur les mesures prises par le gouvernement Juppé en 1995, échangeant au passage un point de TVA contre une baisse de l'IRPP. Cependant, l'origine de ces économies restant obscures et les échéances électorales approchant, on peut considérer ces annonces sont faiblement crédibles. Ensuite, la fin de certaines niches fiscales est vraiment actée. Contrairement à ce qui est dit parfois dans la presse, la fin des avantages fiscaux liés à l'immobilier n'est pas qu'une hypocrisie: après plus de 15 ans d'existence de ces réductions d'IRPP, les professionnels de la promotion immobilière pensaient toujours pouvoir bénéficier d'un régime équivalent dans le futur. Enfin, le gouvernement se résout à prendre des mesures fiscales générales, contrairement aux promesses faites jusqu'ici, et alors que la campagne présidentielle approche. Ces mesures préfigurent sans doute ce que sera le programme de la droite en cas de victoire, une augmentation générale de la TVA, de la CSG et de l'IRPP, sans véritable changement de structure de ces impôts. Cela montre aussi que le gouvernement a épuisé les mesures de poche lors de son dernier plan, après les avoir largement utilisées au cours de ce quinquennat.

Au total, ce plan ne me paraît pas pouvoir éviter l'obstacle de la cagnotte. Les mesures d'économies sont obscures et seront certainement appliquées de façon uniquement quantitative, à la manière du non remplacement de fonctionnaire, ce qui va mener à une réduction générale de la qualité des services publics, au lieu d'opérer de véritables choix préservant les services essentiels. Les épisodes de demandes de réduction d'impôt viennent du fait que la pression fiscale est vue comme trop importante, la perte de qualité des services publics et la hausse concomitante des impôts ne fera rien pour dissiper cette impression. Le gouvernement serait cela dit bien en peine de faire ces choix, sa légitimité est, à six mois des élections, bien diminuée, ce qui explique en partie qu'il ne puisse pas faire grand chose d'autre qu’accélérer l'implémentation de mesures déjà prises, comme la réforme des retraites. Cette impossibilité de faire des choix mène aussi à l'absence de mesure qui pourraient mener à un surcroît d'activité à l'avenir. L'accélération de la réforme des retraites peut à nouveau rentrer dans ce cadre, puisque les salariés qui ne partent pas à la retraite non seulement ne touchent pas leur retraite mais continuent aussi pour une grande part leur activité et le paiement d'impôts qui vont avec.

C'est sans doute peu dire que ce plan a été fraîchement reçu. Il faut bien dire qu'acter un plan d'austérité alors que l'activité économique ahane ne va certainement pas aider à sa relance. C'est ainsi que Charles Wiplosz décerne un triple 0 à ce plan qui sacrifie l'activité économique pour finalement aboutir à une situation budgétaire pire qu'avant. Et de proposer sa solution habituelle: promettre que, demain, une fois la croissance revenue, on redeviendra sérieux dans la gestion des finances publiques. Si, malheureusement, il a sans doute raison sur les conséquences directes de ce plan, les perspectives qu'il donne sont illusoires en France.

D'une part, la croissance potentielle, même à long terme est probablement basse, autour de 1.5% par an. La crise financière va continuer à peser durablement sur la croissance et une fois ses effets dissipés, les perspectives démographiques ne portent pas spécialement à l'enthousiasme. Se pose donc la question de savoir combien de temps on est disposé à attendre le retour de la croissance et quel est le niveau de croissance à partir duquel les efforts devront être fournis.

D'autre part, ce type de proposition se compare à l'attitude de Saint Augustin qui voulait la chasteté, mais pas encore, ou, si on est moins aimable, à celle du pilier de bar qui annonce son intention de cesser de boire. On ne peut que constater que la crédibilité de ces propos ne peut que diminuer à force d'usages non suivis d'effets. Dans le domaine budgétaire, on peut citer en France:

  • la promesse que la CADES ne reprendrait plus de dettes après 2006. La réforme des retraites et la la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 ont acté une nouvelle reprise de dette.
  • la promesse de stabilité des dépenses en euros constants. La lecture des rapports de la Cour des Comptes montre que cela a mené à l'explosion des niches fiscales.
  • le traité de Maastricht et le pacte de stabilité qui prévoyaient qu'on ne pouvait dépasser 3% du PIB de déficit sauf grave récession et que la dette publique devait rester sous les 60% du PIB. Cela voulait donc dire qu'on devait rester proche de l'équilibre en temps normal et essayer d'obtenir une marge de sécurité pour ce qui est de la dette publique. Force est de constater que ça n'a pas été la priorité des gouvernements qui se sont succédé depuis 1992 et qu'au contraire le pacte a été saboté en 2004-2005 lorsque cela s'est trouvé expédient.

L'épisode du sabordage du pacte de stabilité est éloquent: après cela, l'Allemagne a adopté une règle constitutionnelle et s'y est tenue en faisant des efforts immédiats en la matière. La France, elle, a continué comme avant. De fait, l'adoption d'une règle similaire en France mènerait surtout à des acrobaties comptables. Finalement, ce n'est pas un hasard si l'Allemagne annonce des baisses d'impôts alors que la France annonce un plan d'austérité. La parole publique française n'est certes pas aussi démonétisée qu'en Grèce ou en Italie, mais qui peut croire à des promesses de sérieux en matière fiscale qui ne sont pas accompagnées d'actes? C'est aussi ce que montre ce plan d'austérité: pendant des années les Cassandre ont dit que l'incurie budgétaire finirait par avoir des conséquences néfastes, en vain. Ces conséquences commencent seulement à poindre.

25 août 2011

Jansénisme fiscal

Le gouvernement a dévoilé un plan de hausses d'impôts. En effet, même si le house paper du gouvernement déclare qu'il s'agit de 12G€ d'économies, on constate que sur 11G€ d'amélioration du solde budgétaire prévu en 2012, 10 viennent de mesures fiscales dont plus de la moitié sont des hausses d'impôt pures et simples et ne peuvent en aucun cas être repeintes en élimination de niches fiscales.

On y trouve des mesures sur la fiscalité du patrimoine, comme la hausse du prélèvement social sur les revenus du capital ou encore de la taxation sur les résidences secondaires. Ces mesures sont accompagnées d'une taxe additionnelle pour les revenus fiscaux de référence dépassant 500k€. Il est vrai que la dernière loi de finances rectificative traitant de ces sujets remonte à des temps antédiluviens, puisqu'elle a été publiée au Journal Officiel le 29 juillet dernier et votée le 5 juillet. Un aspect important de cette loi de finances était le réforme de l'ISF, sous le paravent plus général de la réforme de la fiscalité du patrimoine. Les parlementaires ont suggéré une taxe sur les hauts revenus, certes bien différente de celle proposée par le gouvernement, mais ce dernier n'a pas voulu faire de contre-proposition. Ces mesures sur la fiscalité du patrimoine ne sont pas négligeables: à elles deux, elles devraient représenter 3.5G€. La taxation des plus-values sur les résidences secondaires représente une nouveauté: pour la première fois, on tiendra compte de l'inflation dans le décompte des plus-values. Mais cette politique va à l'encontre des mesures prises quant aux valeurs mobilières qui, elles, doivent officiellement être exonérées de plus-values en cas de détention longue à partir de 2013. L'autre disposition, l'augmentation des taxes sociales sur les revenus du capital est nettement plus classique depuis l'invention de la CSG. Le taux forfaitaire d'imposition sur les revenus du capital passe à 32.5%, alors qu'il était de 16% au début des années 90. On se rapproche de plus en plus du taux de l'IS, ce qui augure peut-être de quelques montages artistiques.

Quant à ce qui est de la politique fiscale vis-à-vis des salaires, le gouvernement augmente la CSG de façon silencieuse, en modifiant son assiette. En effet, seuls 97% du salaire brut étaient inclus dans l'assiette, ce sera désormais 98%. De fait, c'est une hausse de 1% du produit de la CSG venant des salaires, alors que le gouvernement fait profession de préserver les salaires des hausses d'impôts. Dans un registre différent, le «forfait social» est augmenté, alors que le gouvernement a fait adopter la «prime dividendes» au printemps dernier et prétend encourager la participation et l'intéressement. On peut au contraire prévoir que cette innovation de l'année 2009 va peu à peu rejoindre le niveau des cotisations sociales, entraînant sans doute une demande de suppression des obligations dans ce domaine de la part des entreprises.

Le gouvernement a fait profession d'aligner l'impôt sur les sociétés (IS) sur ce qui se pratique en Allemagne. Il a commencé par annoncer une mesure qui va peser sur la trésorerie des entreprises. On pourra sans doute attendre longtemps les mesures favorables aux entreprises. Ces mesures devraient être majoritaires: l'IS allemand rapporte deux fois moins que l'IS français (source: rapport de comparaison de la fiscalité française et allemande, p158). L'alignement des deux fiscalités relève donc de l'argument de façade. C'est au contraire une idée qui plane depuis un certain temps au vu des rapports de la Cour des Comptes (cf rapport public annuel 2011 p63).

Enfin, le gouvernement finit par ce qu'il fait quand il ne trouve rien d'autre: augmenter les droits d'accises sur le tabac et l'alcool. On peut subodorer que la TIPP suivra bientôt, les justifications sont déjà connues. Mais on voit là une nouveauté: l'état va taxer les boissons avec du sucre ajouté au profit de la sécurité sociale sous prétexte de leur participation à l'augmentation du poids des français. C'est une grande nouveauté: jusqu'ici, seuls étaient taxés des produits dont la dangerosité directe est connue, comme le tabac et l'alcool. Désormais, l'état va aussi taxer quelque chose qu'on accuse, certainement à tort, de provoquer un surpoids, d'ailleurs véritablement gênant uniquement dans des situations de fort surpoids. En d'autres termes, l'état va taxer une consommation de quelque chose qui a mauvaise presse dans l'opinion au prétexte de faire changer les comportements, alors qu'il n'y a pas de risque patent. On trouve là une des expressions du nanny state les plus éclatantes, on infantilise les citoyens et on distingue les «bons» produits des mauvais sur des critères purement moraux. C'est en fait peut-être là qu'il faut trouver l'essence de la politique fiscale de ce gouvernement: il a déjà institué le «bonus-malus» automobile comme succédané d'une taxe sur les carburants, alors même que ce n'est pas acheter une voiture de forte cylindrée qui émet des gaz à effet de serre mais bien le fait de rouler avec. Ce bonus-malus est plus une expression d'un certain jansénisme, selon lequel on est prié d'adopter des apparences modestes, peu importe qu'elles reflètent la réalité.

Au final, on s'aperçoit une nouvelle fois que ce gouvernement s'est révélé incapable de trouver de véritables économies budgétaires, celles-ci étant limitées à 1G€, soit environ 1‰ des dépenses de l'état. Celles-ci représentent pourtant plus de 56% du PIB! Au contraire, la politique adoptée semble n'être en fait que l'application du programme du PS, mâtiné de préjugés moraux. Pour combler le déficit, il n'est que de taxer tout ce qui est moralement répréhensible: les bénéfices des entreprises, les revenus du capital, les entrées dans les parcs d'attraction, les plaisirs certainement coupables que s'offre la population. De plus, la morale change vite, s'il y a à peine un an il était immoral de prendre plus de 50% des revenus de quiconque, cette époque paraît bien lointaine.

24 août 2011

La dette, c'est à cause de la droite?

À cause des déficits budgétaires importants actuels — 5.7% du PIB prévus cette année —, du niveau maintenant élevé de la dette publique — probablement plus de 85% du PIB à la fin de cette année et de la crise des dettes souveraines dans la zone euro, il est fatal que l'état des finances publiques occupent une certaine place dans le débat public. Avec l'approche des présidentielles de 2012, il est tout aussi certain que la droite et la gauche vont se renvoyer la responsabilité de la situation actuelle. Ainsi, Martine Aubry, dans sa tribune du Monde, souligne que les trois quarts, en pourcentage du PIB, de la dette a été accumulée sous des gouvernements de droite. Le Monde a aussi publié un graphique pouvant se résumer comme le fait Martine Aubry.

Un problème majeur de ces approches est qu'elles ne tiennent absolument pas compte du cycle économique. Ainsi, en 1993, la droite gagne les élections en mars. Or l'économie est en récession, ce qui fait mécaniquement exploser le déficit public et le budget a été préparé par le gouvernement précédent, de gauche: il est quelque peu difficile de qualifier d'honnête les déclarations imputant l'augmentation de la dette à cette époque à la mauvaise gestion de la droite. Il est en effet de bon aloi d'accepter un déficit en période récession, cela permet d'amortir la chute de l'activité en assurant un niveau d'activité fixé à l'avance et aussi en laissant l'état providence jouer son rôle de filet de sécurité pour ceux qui sont directement frappés par les revers économiques. Ce déficit en période de récession doit toutefois être résorbé dès que l'économie se porte mieux et on doit même faire des réserves pour justement pouvoir amortir les éventuelles récessions futures.

De fait, on constate que l'évolution du déficit public par rapport au PIB est très corrélée à la croissance économique. Lors d'une récession, l'inflation s'écroule parallèlement à l'activité économique, ce qui fait que le PIB augmente très lentement ou même baisse en valeur, tandis que le déficit se creuse sous l'effet de dépenses de relance et de solidarité en hausse et de recettes en baisse. Inversement, en période de croissance, les recettes croissent plus vite que le PIB ce qui résorbe le déficit. C'est le sujet de ce billet sur le blog de FredericLN. Cette analyse se base sur le déficit primaire — le déficit hors intérêts de la dette. Sa conclusion est qu'il semble bien difficile de départager gauche et droite.

Cela m'a incité à regarder les choses sous deux angles différents. Il est vrai que le déficit primaire donne de l'aspect soutenable de l'évolution de la dette publique: si un gouvernement dégage un excédent primaire et que le taux d'intérêt est égal à sa valeur «canonique» de la croissance du PIB en valeur alors le ratio dette sur PIB diminue. Il me semble cependant que l'évolution des taux d'intérêts doit aussi être intégrée aux décisions politiques, si la réduction de la dette publique est vraiment une priorité cela doit aussi se faire dans des conditions adverses. J'ai aussi réduit la période d'analyse à 1990-2010: les périodes précédentes sont très différentes sur le plan des contraintes budgétaires (1950-1980) et en 1980, la dette était très basse, ce qui rendait les gaspillages relativement bénins.

On peut commencer par regarder directement l'évolution de la dette publique en fonction de la croissance. Comme dit plus haut, leurs évolutions sont très liées: dette vs croissance On constate qu'il est bien difficile de distinguer des groupes bien différents. De plus, il semble que les gouvernements aient le plus grand mal à réduire la dette lorsque la croissance est inférieure à 3% par an, ce qui pose quelques problèmes quand la croissance moyenne sur une décennie est de l'ordre de 2%/an et tend à diminuer. La réduction de la dette n'a pas été la priorité des différents gouvernements que se sont succédés, c'est le moins qu'on puisse dire.

Un autre point problématique est que le solde primaire devient «naturellement» positif après une longue période de croissance: le déficit provenant de la récession précédente se comble peu à peu. Inversement, si une crise survient après un long épisode de discipline budgétaire, le déficit public sera moins important qu'après une période laxiste. C'est ce qu'on a pu constater dans la récession actuelle: l'Allemagne prévoit de ramener son déficit à 1.5% du PIB cette année, la France prévoit 5.7%. Une idée pour voir quel est l'effort réellement fourni est de regarder la variation du déficit public en fonction de la croissance, cette fois-ci en prenant la peine de colorer les points suivant le gouvernement à la fin de l'année. évolution du déficit vs croissance On voit que le PS a relativement plus de points en dessous de la droite de tendance, mais ce sont soit des dates maintenant anciennes (1990, 1992) ou pas trop éloignés de la droite de tendance (1998, 1999). De leur côté les gouvernements de droite ont aussi eu leurs années laxistes (2002, 2007), comme par hasard des années électorales. On remarque aussi que, parmi les années les plus vertueuses — ou les moins laxistes, il y a les années immédiatement après les récessions (1994, 2010) sans doute du fait d'un effet de rebond. On constate aussi que les années 1994, 1996 et 1997 sont parmi les vertueuses, de façon remarquable pour 1996, il faut dire qu'il fallait que le déficit soit inférieur à 3% du PIB pour adhérer à l'euro. L'année 1996 rattrapait une année 1995 marquée par une élection dont la campagne s'est caractérisée par une grande dose de mystification économique de la part du vainqueur, Jacques Chirac. Dès l'adhésion acquise, ces dispositions se sont volatilisées.

Ces considérations montrent que ce n'est pas la couleur politique du gouvernement qui entraîne plus ou moins de rigueur budgétaire, mais au contraire les nécessités politiques du moment. Il est vrai que les décisions prises par les gouvernement ont respecté les diverses vaches sacrées. Les gouvernements de droite ont réformé les retraites pour diminuer les dépenses en ce domaine, les socialistes ont tenté de maintenir l'assurance maladie à l'équilibre. De l'autre côté, les socialistes ont décidé des programmes d'emploi public non financés à terme — les emplois jeunes, les gouvernements de droite ont baissé les impôts alors que le déficit était encore élevé. Mais quand une nécessité politique s'impose, comme l'adhésion à l'euro, le déficit se réduit rapidement. Il faut dire que le niveau historiquement bas des taux d'intérêts une fois l'adhésion à l'euro acquise n'a pas incité les gouvernements à prendre des décisions que la discipline et la volonté de s'assurer contre une forte récession auraient imposées. Aujourd'hui, le coût de l'emprunt ne se limite plus aux seuls intérêts comme le montre la crise des dettes souveraines: on s'est aperçu qu'avoir des marges pour faire face à une contraction majeure était (re)devenu nécessaire à la fois pour nous-même mais aussi pour porter assistance aux autres membres de la zone euro. Il faut donc s'attendre à une certaine période de discipline fiscale, au moins tant que la crise de la zone euro perdurera.

20 août 2011

Cave canem

Le 12 août dernier, Martine Aubry, candidate aux primaires du parti socialiste et première secrétaire du PS, a publié une tribune intitulée Contre la dette, pour l'emploi, ma règle d'or où elle expliquait les raisons de son refus de voter les propositions actuelles de «règles d'or» du gouvernement et où elle présentait son propre programme fiscal, très proche du programme du PS.

Attaquant la politique fiscale du gouvernement, elle affirme que la majorité actuelle a accordé depuis 2002 70G€ de cadeaux fiscaux. J'ai essayé de vérifier ce chiffre en consultant divers rapports de la Cour des Comptes.

  • Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques de 2010 pointe une augmentation de 17G€ (p110) des dépenses fiscales pour le budget de l'état proprement dit. Ce rapport pointe aussi que l'augmentation a débuté à partir du moment où les dépenses de l'état se sont vues fixées un objectif restrictif de progression, en 2004 (cf graphique p111). Il semble donc qu'il s'agisse avant tout de contourner cet objectif de dépenses publiques, les dépenses fiscales pouvant se substituer à de vraies dépenses budgétaires tout en n'en apparaissant que comme de moindres recettes.
  • Le même rapport précise que des mesures totalisant 80G€ en 2008 ont été retirées de la liste des dépenses fiscales. Le ministère du budget a en effet une grande latitude pour définir ce qu'est une dépense fiscale en définissant quelle est la façon «normale» de calculer l'impôt. La Cour relève que ces dispositions ont vu leur coût augmenter de 10% par an depuis 2000, ce qui donne une augmentation de 43G€.
  • La baisse de l'impôt sur le revenu décidée par le gouvernement Villepin a coûté environ 4G€ si on en croit le rapport sur la fiscalité des ménages.
  • La réforme de la taxe professionnelle coûte environ 5G€ si on ne prend en compte que les impôts pérennes qui ne seront plus versés à l'état, d'après le rapport sur la gestion budgétaire 2010 (tableau 1 p22).
  • L’exonération des heures supplémentaires coûte environ 3G€ si on en croit le rapport de gestion de la sécurité sociale 2010 (p101). Toutefois le tableau montre qu'entre les créations et les suppressions de mesures, le coût total est de 1G€.
  • Les changements concernant les droits de succession et l'ISF ont coûté environ 1G€. L'allègement des droits de succession contenu dans la loi TEPA peut être estimé à 1G€ (cf comparaison entre l'imposition en France et en Allemagne p151). Les mesures prises sur l'ISF devraient être neutres relativement aux cadeaux fiscaux dont il est question.

On peut retrouver plus de 70G€ de dépenses fiscales ou d'allègements d'impôts supplémentaires. Cela dit, il est impossible de savoir en détail ce qui relève de l'évolution naturelle des niches fiscales qui ont le don d'attirer les contribuables et ce qui relève des changements dans la politique fiscale du gouvernement. Il faut d'ailleurs noter que la Cour des Comptes reconnaît que les évaluations sont compliquées par le besoin de se fixer une norme de calcul de l'impôt. Le gouvernement s'en est servi pour faire sortir de la liste un certain nombre de dispositions; à tel point que certaines des niches que le gouvernement a supprimées pour l'année 2011 ne figuraient pas dans la liste officielle et n'y ont jamais figuré, comme par exemple la double déclaration pour les mariés (rapport annuel 2011 de la Cour, p65 sq). Inversement, les allègement de charges sociales pour les bas salaires sont en fait une façon de calculer l'impôt: le montant dépend uniquement de la base taxable; mais pour des raisons de compensation entre l'état stricto sensu et la sécurité sociale, cette mesure est comptée dans les niches sociales. Bref, la liste des niches est en fait établie de façon largement arbitraire.

On ne prend pas en compte non plus d'éventuelles hausses d'impôts qui viendraient compenser ces baisses. D'ailleurs, si on adopte un point de vue global, les cadeaux fiscaux sont moindres. Ainsi le rapport Champsaur-Cotis sur la situation des finances publiques pointe une baisse du taux de prélèvements obligatoires de 2.8% du PIB entre 1999 et 2008 du fait des changements législatifs. Cela conduit à estimer que les baisses d'impôts ont plutôt été de l'ordre de 54G€ sur la période. Cela inclut d'ailleurs la baisse d'impôt sur le revenu décidée par le gouvernement Jospin.

Martine Aubry annonce vouloir revenir sur 50 de ces 70G€. Mais comme ces 70G€ sont censés être inefficaces économiquement et injustes socialement, la question se pose de savoir pourquoi ne pas supprimer l'ensemble de ces 70G€. Peut-être aurait-on un début de réponse si le parti socialiste publiait la liste des dispositions à revoir et leur coût actuel estimé — ainsi que la source de l'estimation. Cependant, cette liste n'est pas fournie par le PS à ma connaissance. On ne peut alors que se risquer à des hypothèses.

D'abord, ce n'est pas parce qu'on supprime une niche que son coût disparaît immédiatement. Du fait de la non-rétroactivité de la loi, certaines mesures auront des effets sur les finances publiques bien après leur suppression, comme c'est le cas pour toutes les incitations à la construction de logement (Scellier & autres avatars qui l'ont précédé,...).

Ensuite, ce n'est pas parce qu'une niche paraît avoir un coût important que sa suppression rapporte beaucoup. Si on part du principe que ces niches provoquent surtout des effets d'aubaine, il est fort possible que lors de la suppression de la niche, ceux qui en profitaient modifient leur comportement pour ne rien payer. Le cas le plus patent en la matière, c'est la «niche Copé». Selon des calculs directs, elle a coûté 12.5G€ en 2010 (cf rapport annuel 2011, p88), mais en fait, en l'absence de cette mesure, une autre niche s'appliquerait, celle concernant les participations à long terme. Si on prend en compte cela, le coût tombe à 6G€. Même ainsi, il est certain que cela rapporte bien moins, la base taxable étant largement dans les mains de l'entreprise à taxer. En l'occurrence, le coût avait été évalué à 1G€ initialement, probablement en négligeant la réaction des entreprises. Le plus probable est que la suppression de cette niche ne rapporte pas plus!

Enfin, certaines des niches et allègements sont très difficiles politiquement à supprimer. Ainsi, l'exonération des heures supplémentaires a beau se caractériser uniquement par un effet d'aubaine et sa suppression rapporter sans doute le coût actuel, essayer de la supprimer va certainement entraîner des protestations de la part de ceux qui en profitent et qui ne sont pas tous des «riches». On peut même aller plus loin: les niches fiscales ont un attrait irrésistible pour les politiques. Ils ont tous des buts particuliers à atteindre ou veulent favoriser certaines actions par rapport à d'autres. Les niches fiscales présentent l'avantage de pouvoir donner des incitations financières dans ce sens, sans avoir rien à dépenser officiellement et aussi d'être parfois plus rapides puisque l'argent ne quitte plus la poche du contribuable. Cette attraction est si forte que dans ce même article, Martine Aubry propose une niche fiscale à destination des entreprises: abaisser à 20% l’impôt sur les sociétés des entreprises qui réinvestissent leurs bénéfices, et l’augmenter sur celles qui privilégient les dividendes. Ainsi, les entreprises seront incitées à ne plus verser de dividendes, mais à investir, moyen qu'elles utiliseront sans doute pour racheter leurs propres actions via des montages financiers. L'utilité réelle d'une telle mesure me paraît donc extraordinairement douteuse.

Martine Aubry propose aussi de réutiliser la moitié de ces hausses d'impôts pour ce qu'elle veut faire. Parmi les 25G€ qu'elle propose de dépenser, il y aura certainement la niche «investissements» et peut-être d'autres. Comme il est en fait extrêmement difficile d'anticiper les réactions des contribuables concernés, l'estimation de dépenses sera sous-estimée. La partie de dépense budgétaire, elle, restera sans doute fixée. On aura ainsi très certainement des recettes surestimée et des dépenses sous-estimées. Les 25G€ de réduction du déficit représentent à peine 1.3% du PIB. Le gouvernement prévoit que de faire voter un budget 2012 en déficit de 4.6% du PIB. En d'autres termes, l'effort proposé par Martine Aubry paraît faible et compte certainement sur une hypothétique croissance que provoquerait son programme ou qui se manifesterait telle une divine surprise. En plus, comme l'a vu, son plan surestime certainement les recettes et sous-estime les dépenses, la réduction effective du déficit sera nettement inférieure.

Si les plans du gouvernement en ce qui concerne les finances publiques sont très peu clairs après juin 2012, on peut déjà voir que ce que propose le PS n'est pas à la hauteur de ce qui est promis. Martine Aubry a certainement raison de ne pas vouloir de la proposition de «règle d'or» du gouvernement: une telle approche a déjà été essayée avec le pacte de stabilité, la norme d'évolution des dépenses, etc. Mais si elle est sincère dans sa volonté de réduire le déficit, ses propositions devront se faire nettement plus précises et réalistes. On peut y voir sans peine une grande liberté dans le chiffrage des recettes, une dénonciation de méchantes personnes qui optimisent leurs impôts et, que demain comme hier, on n'arrivera pas à faire payer, une volonté de dépenser des montants finalement indéterminés, via des mesures très douteuses, pour diriger le citoyen vers les projets qui lui sont chers. Actuellement, elle ne se départit pas de la politique fiscale française actuelle: ses propositions paraissent superficielles et incohérentes.

19 août 2011

Épilogue de la réforme de l'ISF

On a déjà évoqué ici par deux fois. Depuis lors, le gouvernement a présenté ses idées de recettes complémentaires et le parlement a voté la loi de finances rectificative modifiant l'ISF.

Tout d'abord, on s'aperçoit que le nouvel ISF conserve le même principe que l'ancien en taxant le stock de capital, calculé de la même façon, mais que le nombre de tranches diminue et qu'elles sont désormais libellées en taux moyen et non en taux marginal. Les déclarations d'un certain Nicolas Sarkozy selon lesquelles cette réforme devait consister à taxer non le stock de capital mais les revenus qui en étaient tirés sont donc restées lettre morte. On peut légitimement se demander si certaines déclarations sur la politique des mois suivants ne sont pas tout simplement improvisées.

Comme annoncé au mois de mars dernier, les taux seront désormais de 0.25% — entre 1.3M€ et 3M€ — et 0.5% — au-delà de 3M€. Le gouvernement a toutefois voulu lisser les sauts d'imposition au franchissement des seuils. Libeller l'impôt en taux moyen fixe au sein des tranches provoque des sauts lorsqu'on change de tranche. On peut en attendre des sous-déclarations et sentiment d'injustice pour ceux qui sont de très peu du mauvais côté de la barrière. On peut voir le taux moyen d'imposition avec la nouvelle et l'ancienne version de l'impôt sur l'image ci-dessous. final_reforme_2011.jpg Il est frappant de constater que le gouvernement a souhaiter conserver un effet de seuil de 1500€ à l'entrée dans la première tranche. C'est sans doute dû au fait que le rendement de l'ISF dépend beaucoup des patrimoines se situant un peu au-dessus de 1.3M€. Cet effet de seuil est sans doute une première pour un impôt sur les personnes physiques. Il est aussi frappant que les transition entre les tranches sont brutales, pour la deuxième transition, le taux marginal est de 4.25% alors que le taux des emprunts d'état à 10 ans est de 3%! Autant dire que, pour ceux dont le patrimoine dépasse de peu les seuils, la tentation de le minorer sera extrêmement grande.

La suppression de la première tranche et la réduction des taux, particulièrement fortes pour le haut de l'ancien barème, ont été estimées à 400M€ et 1.4G€. C'est cohérent avec les estimations effectuées avec les moyens du bord sur ce blog. Comme le bouclier fiscal coûtait 800M€, il restait à trouver 1G€. Finalement, le choix a été fait de se reporter sur l'impôt sur les successions. C'est sans doute l'impôt le plus efficace sur le stock de capital. Par diverses mesures techniques, le gouvernement compte récupérer environ 900M€ en 2012. Ces ajustements peuvent d'ailleurs donner lieu à des expériences économétriques pour 2 d'entre eux: les donations sont désormais réintégrées sur 10 ans au lieu de 6 ainsi que l'instauration d'une surtaxe de 5% au-delà de 900k€ pour les successions. Les travaux sur les décès au printemps 2011 pourraient se révéler intéressants, même si le laps de temps entre l'annonce des mesures finales et leur mise en œuvre, environ 3 mois, est court. On peut aussi penser que le rendement de ces mesures est surestimé à court terme — mettons 2 ans — les personnes concernées ont certainement anticipé au moins les changements de règles d'âge sur les donations. Cependant, on ne peut constater une fois de plus que le gouvernement revient sur des mesures qu'il avait prises auparavant. Ces 10 dernières années, le gouvernement s'était efforcé de favoriser les donations; la loi TEPA avait aussi diminué le rendement de l'impôt sur les successions de 1.2G€. Ces mesures ont eu une faible durée de vie.

Pour tenter de compenser exactement les pertes fiscales le gouvernement a aussi décidé de prendre des mesures au rendement et à la légalité douteuse. Il a donc décidé de taxer les résidences secondaires des non-résidents et de faire payer les exilés fiscaux. Les rendements sont douteux car pour les résidences secondaires, cela ne concerne que ceux qui sont partis depuis plus de 6 ans dont le nombre ne paraît pas bien connu. Pour ce qui est de la herse fiscale nouvelle façon, des montages à l'aide de holdings doivent pouvoir circonvenir la mesure. Ainsi, en vendant au prix de revient à une holding spécialement créée après l'exil, puis en vendant la holding, il doit être possible d'ignorer cette taxe. De plus, pour ce qui est des résidences secondaires, le rendement des taxes foncières était apparemment limité par des traités de double imposition, ce qui fait que la taxe sera sans doute d'une légitimité douteuse au regard de ces traités. Pour ce qui est de la herse fiscale, elle est sans doute contraire au droit européen comme sa version antérieure mise en place sous le gouvernement Jospin.

Ces nouvelles péripéties fiscales montrent aussi que ce gouvernement a les plus grandes difficultés à faire des choix fiscaux intelligents et à s'y tenir. De la loi TEPA, il ne reste que la partie «heures supplémentaires». Il s'est rapidement avéré que le bouclier fiscal était une mesure masochiste qui ne réglait rien, le crédit d'impôt pour les intérêts d'emprunts a eu une efficacité nulle et a été supprimé à partir de cette année, les mesures sur les successions viennent d'être inversées, la partie sur le financement des PME a été diminuée en loi de finances 2011 et son intérêt va aussi s'estomper avec la baisse de l'ISF. Quant aux mesures sur les heures supplémentaires, le seul effet constaté est l'effet d'aubaine.

Quant à la fiscalité du patrimoine, le rapporteur, Philippe Marini, remarque qu'il est caractérisé par des taux faciaux très élevés accompagnés de niches fiscales pour rendre l'ensemble supportable. Mais plus loin, il propose comme réforme de la fiscalité du patrimoine ... la création de nouvelles niches fiscales favorisant sans doute les sujets qui lui sont chers. On retrouve là l'incapacité à faire des choix qui confine à la schizophrénie: il y a visiblement une grande difficulté à abandonner la maîtrise du comportement du citoyen que procurent les niches fiscales mais on se lamente en même temps devant le monstre qu'on a créé.

23 janvier 2011

De l'interview de Camille Landais dans les Échos

Le 13 janvier dernier, les Échos ont publié une interview de Camille Landais, économiste travaillant souvent avec Thomas Piketty dont il a prolongé les travaux sur les inégalités et les hauts revenus en France, sur la réforme de l'ISF à venir. Cette interview est intéressante en ce qu'elle montre à mon sens les difficultés qu'il y a à vouloir résoudre plusieurs problèmes avec un seul outil. Elle comporte aussi des données surprenantes.

Sur l'imposition du capital en général

Camille Landais commence par rappeler l'argument courant selon lequel l'imposition du stock de capital permet d'inciter à l'investissement productif (voir par exemple ici ou encore ). Cela dit les rendement les plus lucratifs étant aussi sujets à de grandes variations de rendement, on peut aussi estimer qu'une imposition du capital peut conduire à opter pour des revenus sûrs pour éviter de se retrouver avec des revenus négatifs. Il va cependant plus loin en affirmant que celui qui investit dans des placements à hauts rendements (est) plus pénalisé que celui qui laisse se déprécier son capital. C'est à mon sens tout à fait excessif: celui qui fait fructifier son capital bénéficie ensuite des fruits de ses efforts. De plus, si les investissements ne donnent pas les rendements escomptés, ce sera celui qui s'est le plus démené qui paiera le plus! On peut aussi noter que consommer son capital devient forcément une mauvaise chose.
Une dernière remarque sur l'impôt sur le capital comme incitation aux investissements productifs (ou plutôt à haut rendement): cela ne marche que si l'imposition sur le capital est dominante. Si c'est l'imposition des revenus qui domine, c'est alors l'effet opposé qui agit. De sorte que si le système fiscal n'est pas dégressif pour les revenus du capital, on punit bel et bien ceux qui se démènent.

Plus loin, il compare la situation de la France aux autres pays de l'OCDE, pour dire que les différences ne sont en fait pas très importantes. Si cela est vrai pour des pays comme les USA ou le Royaume-Uni qui taxent encore plus fortement le capital que la France, il dit qu'il existe des pays où la pression paraît nettement plus faible, comme l'Allemagne. Comme le patrimoine est concentré surtout chez les plus riches, cela laisse tout de même penser que de substantielles économies sont possibles.
Il remarque que les pays avec une forte imposition du capital ont aussi tendance à taxer fortement l'immobilier. On remarquera que c'est fort pratique puisque les biens immobiliers sont destinés, comme leur nom l'indique, à rester là où ils sont et que, par voie de conséquence, ils seront toujours taxables. Cela dit, contrairement à ce que Camille Landais affirme, la France n'impose pas tellement moins la détention du patrimoine immobilier que le Royaume-Uni par exemple (voir le rapport du CPO sur la fiscalité du patrimoine, p236).
Il donne alors un argument de poids: en fait, ces différences ne paraissent pas avoir d'effet remarquable. On peut penser que c'est en partie dû au poids de l'immobilier dans la taxation du patrimoine: si une personne se délocalise, ce n'est pas pour autant qu'elle vend tous ses biens dans le pays qu'elle quitte. Un autre frein est sans doute aussi tout simplement le coût du déménagement, non seulement direct, mais aussi en termes de vie sociale ou de contacts professionnels. C'est pourquoi les délocalisations dues à l'ISF sont sans doute liées à un changement de statut du patrimoine ce qui entraîne un choc fiscal d'importance.

Sur l'ISF

Camille Landais a raison sur l'ISF au moins sur un point: la base taxable est complètement mitée par une foison d'exceptions, couplés à des taux importants, ce qui mine totalement l'efficacité de cet impôt. Il préconise donc de supprimer toutes les exonérations y compris sur les biens professionnels. Étendre la base taxable ne serait toutefois pas forcément si efficace car certains des biens auxquels on pourrait étendre l'ISF ne sont pas obligatoirement faciles à évaluer par l'administration. Cela dit les exonérations sur les terres agricoles ou encore sur la résidence principale n'ont pas de raisons d'être. La fin des niches poserait aussi des problèmes de faisabilité politique: François Bayrou avait proposé de changer le système de l'ISF lors de la dernière campagne présidentielle, notamment en procédant à une extension de l'assiette. Rapidement, il déclara que les biens professionnels et les œuvres d'art garderaient leur exonération. Il faut aussi noter une certaine ironie dans la proposition de supprimer l'exonération des biens professionnels: comment plus se démener qu'en faisant fructifier soi-même son capital?

Sur la question de la fuite des contribuables, ses conclusions devraient être plus mitigées. Elle paraît relativement faible chaque année: il y a bien environ 500 personnes par an qui partiraient pour échapper à l'ISF, pour un peu plus de 450 000 contribuables en 2006 (source: rapport du CPO). La comparaison qu'il fait par rapport à l'ensemble des contribuables est orientée pour vendre son message, puisque il compare une fuite sur les 3 dernières tranches avec l'ensemble des contribuables. Cela dit ces contribuables ne représentent que 3‰ de la base taxable, 5‰ des revenus de l'ISF ou encore 2.5% de la population des 3 dernières tranches. Cela dit sur le long terme le phénomène prend une certaine ampleur: un manque de 5000 contribuables sur les 3 dernières tranches représente un manque d'un cinquième en 2008! Le caractère cumulatif tend ainsi à vider les dernières tranches, quoique moins vite qu'elles ne se sont remplies.

Il affirme aussi gaillardement que l'ISF est assis sur des valeurs de marché. Ceci est une vaste plaisanterie, d'une part à cause justement des différentes niches fiscales qui sont des réductions administratives de la valeur des différents biens, d'autre part parce qu'il existe quelques indices montrant que certains biens sont déclarés à une valeur fantaisiste, comme la villa de Mme Royal à Mougins, déclarée pour moins que la valeur du terrain selon le Canard Enchaîné. Il affirme aussi que l'évaluation administrative des biens mine le consentement à payer. L'expérience française semble quelque peu prouver le contraire. L'ISF est certainement un des impôts les plus contestés en France. Pour preuve, on pourrait justement citer la sous-évaluation notoire de certains patrimoines ainsi que les débats récurrents sur le sujet. Seule la crapuleuse redevance copie-privée doit faire l'objet de plus de contestation. Par contre, les taxes foncières dont les bases taxables n'ont pas fait l'objet de révisions sérieuses depuis les années 1970 ne font pas franchement l'objet de débats passionnés.

Sur le reste des impôts

Camille Landais ne cache pas sa préférence pour un impôt sur les revenus à l'assiette la plus étendue possible et construit de sorte à ce que le système reste globalement progressif. Il a d'ailleurs écrit en commun avec Thomas Piketty et Emmanuel Saez un ouvrage accompagné d'un site internet pour développer ce point. Ils y proposent de fusionner la CSG — assimilée aux impôts qui lui ressemblent comme la CRDS — et l'IRPP en gardant l'assiette, et surtout la quasi-absence de cas particuliers, de la CSG et en lui associant un barème progressif, comme pour l'impôt sur le revenu actuel.

Camille Landier donne des chiffres surprenants. Il affirme qu'un Français qui gagne 1700€ par mois a un taux d'imposition de 45%, TVA comprise. Ce chiffre est surprenant, mais vrai: pour un salaire «super-brut» de 1700€ par mois, on est un peu au-dessus du SMIC. Le taux d'imposition «direct» est d'environ un tiers, ce qui tout à fait compatible avec le taux d'imposition total annoncé. De l'autre côté, les très haut revenus doivent avoir leur source dans un patrimoine important. Or ceux-ci sont imposés à un taux libératoire de 31.3%, ce qui ne semble pas trop éloigné des 35% annoncés, à condition qu'on considère qu'il n'en consomment qu'une petite partie. Les valeurs données doivent sans doute tenir compte du fait que tous les revenus ne sont pas taxés de la même façon, les revenus du travail étant frappés par des impôts très lourds. Dès lors qu'on inclut des personnes qui n'ont que relativement peu de revenus du travail, comme les gros patrimoines, voire pas du tout, comme les retraités, les taux d'imposition baissent très fortement. Cela explique une bonne part de la régressivité du système, mais cela doit aussi faire baisser les taux annoncés, forcément issus de moyennes.

Dans leur proposition de système, les auteurs proposent que le taux moyen pour les hauts revenus soit de 60%, à comparer aux 35% effectif actuels, TVA comprise. Comme remarqué plus haut, cela contredit quelque peu l'objectif d'avoir un impôt sur la fortune qui incite à tirer des revenus de son patrimoine. Quoiqu'on fasse, le nouvel impôt dominera alors tous les autres, vu qu'il prend déjà plus de la moitié des revenus. Camille Landais préconise quand même un impôt sur la fortune, mais c'est en fait pour éviter que les gens fortunés ne logent leur patrimoine dans des sociétés comme Liliane Bettencourt. En effet, le taux de l'IS n'est au maximum que d'un tiers, ce qui représente une substantielle économie par rapport à ses propositions. Ainsi, loin d'être une incitation à faire fructifier son patrimoine, cet impôt devient en fait un impôt alternatif minimal. L'ISF ne peut pas être à la fois un outil pour rendre productif le capital et être une sorte d'anti-fuites.

3 janvier 2011

Supprimer l'ISF?

L'impôt de solidarité sur la fortune est un impôt portant sur le capital détenu par les ménages. La taxation est progressive avec un barème découpé en 6 tranches de patrimoine, les taux s'échelonnent de 0.55 à 1.8%. Il rapporte environ 4G€ et, si on en retranche le coût du bouclier fiscal, seulement 3.3G€ soit moins de 0.2% du PIB, ce qui en fait un impôt financièrement mineur. Cet aspect est encore renforcé par le fait que son recouvrement coûte cher, environ 2% de ce qu'il rapporte. Il a par contre une importance symbolique, en ce qu'il sépare la population en deux catégories, les aristocrates d'un côté, les manants de l'autre.

Les maux de l'ISF

Outre le fait qu'il coûte relativement cher à recouvrer, l'ISF a d'autres caractéristiques qui le rendent difficilement accepté par les redevables. La première est justement de séparer la population en 2 catégories. Indéniablement, les assujettis à l'ISF sont riches puisqu'en 2004, seuls 10% des ménages avaient un patrimoine supérieur à 500k€, alors que le seuil de l'ISF est de 790k€. La plupart des gens se voyant comme normaux, ils voient en fait d'un mauvais œil qu'on les désigne comme riches, sans doute de peur d'être raccourcis. Ainsi, du grand succès de Lionel Jospin lorsqu'il annonça supprimer les allocations familiales pour les 10% les plus riches, à Jean-François Copé qui voit la classe moyenne s'étendre jusqu'à ceux qui gagnent plus de 4000€ nets par mois en passant par François Hollande qui n'aime pas les riches, le discours public révèle ce biais de normalité de façon anecdotique, mais relativement récurrente.

La deuxième est que le patrimoine est en fait peu observable par le gouvernement. En dehors de la déclaration qu'il demande aux redevables potentiels, l'administration fiscale ne peut pas bénéficier d'une double vérification comme pour la plupart des revenus, en dehors des actifs cotés sur des marchés financiers. Or il s'avère que l'impossibilité de frauder explique une bonne part de l'augmentation de la taxation dans les pays riches. De fait, la facilité d'une sous-déclaration doit certainement être irrésistible, d'autant que les contribuables peuvent anticiper que les autres vont faire de même, rendant leur actes acceptables. De nouveau, on bénéficie en l'occurrence d'un superbe exemple. Lors de la campagne présidentielle, Ségolène Royal a révélé l'étendue de son patrimoine, déclaré en commun avec son compagnon d'alors, François Hollande. Il s'est avéré, suite à une enquête du Canard Enchaîné que les demeures étaient souvent sous-évaluées. Ainsi, leur appartement à Boulogne-Billancourt était déclaré pour moins que sa valeur d'achat alors que les prix de l'immobilier étaient d'ores et déjà au-dessus du pic de 1990. Et, summum de la sous-évaluation, une villa à Mougins était déclarée pour 270k€, alors que le terrain seul était évalué à plus de 295k€ et que des villas voisines étaient proposées à la vente pour plus de 1M€! Quoique ce ne soient que des éléments anecdotiques, il semble qu'une sous-évaluation des patrimoines certaine existe. Le problème est que, suivant la composition du patrimoine ou le caractère du déclarant, elle n'est pas toujours du même ordre. Ainsi, en plus des actifs cotés, les biens achetés récemment — ou venant de faire l'objet d'une succession — sont les plus difficiles à sous-évaluer. Cela génère sans nul doute un sentiment de taxation «à la tête du client».

Le troisième est l'importance des taux. Au delà de 16.7M€, le taux marginal est de 1.8% de la valeur. On peut déjà remarquer que c'est plus que les taux à court terme — le taux de la BCE est à 1%. Une obligation d'état à 10 ans rapporte 3.3% environ, ce qui fait qu'en cumulant le prélèvement libératoire — 31.2% des revenus l'année prochaine — et l'ISF, le rendement n'est plus que de 0.5% par an, soit un taux d'imposition de presque 85%. Pour obtenir un taux d'imposition de 50%, le rendement doit dépasser 9.5%, pour une imposition aux 2/3 — le taux marginal pour des revenus du travail élevés —, 5%. Évidemment, pour les premières tranches, c'est plus raisonnable, le taux de 0.55% donne respectivement 3% et 1.5%. Reste qu'à une époque où les rendements faciaux sont faibles, les taux sont élevés, voire punitifs pour les dernières tranches. En exagérant à peine, on pourrait dire que ceux qui cherchent les 15% de rendement pour leurs investissements dans des sociétés sont les contribuables se situant dans la dernière tranche de l'ISF. L'autre conséquence est que masquer son patrimoine devient une pratique rapidement rentable. Ce d'autant plus qu'outre la sous-évaluation, il existe quantité de solutions pour diminuer le patrimoine fiscal, à commencer par l'exonération pour biens professionnels: à partir d'un certain patrimoine, on peut décrire sans rire la gestion de celui-ci comme son activité principale et monter une société idoine.

Où trouver l'argent?

Comme noté plus haut, l'ISF est un impôt mineur par son rendement. N'importe quel excédent budgétaire permettrait de le supprimer. Cette situation ne s'est toutefois plus produite depuis plus de 30 ans, l'état actuel des finances publiques est un déficit important (environ 7.7% du PIB) couplée à une dette imposante (plus de 80% du PIB). Il faut donc trouver des ressources de remplacement.

  • Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir supprimer l'ISF et le remplacer par un impôt sur les revenus du capital. Le plus simple serait alors d'utiliser un impôt proportionnel comme la CSG. Un avantage est que le coût de recouvrement est alors nettement plus faible que celui de l'ISF. En se basant sur les revenus du FRR, on peut inférer qu'un prélèvement de 1% rapporte environ 1.15G€. Pour remplacer l'ISF, il faudrait donc lever un impôt égal à environ 2.9%. Un problème est qu'alors le taux de prélèvement forfaitaire atteindrait 34.1%, plus que le taux de l'impôt sur les sociétés ce qui augure peut-être de schémas d'esquive. Si on veut se limiter à ce niveau, l'impôt supplémentaire serait de 2.1%, le rapport de 2.4G€. Le défaut principal est que les détenteurs de petits patrimoines paieraient à la place de ceux qui ont en un gros.
  • Comme les biens immobiliers utilisés par leur propriétaire n'engendrent pas de flux financiers mais évitent une dépense, ils ne seraient pas taxés. Il n'y a ainsi pas vraiment de raison d'oublier ces heureux propriétaires. Pour ce faire, on pourrait augmenter les taxes foncières. Elles rapportent 26.5G€ (source rapport au conseil des prélèvements obligatoires). Certes, les augmenter frapperait aussi les logements loués, mais ce défaut de justice est compensé par une certaine efficacité puisqu'il est toujours possible de trouver un propriétaire à un immeuble. Augmenter les taxes foncières de 5% rapporterait donc 1G€ de quoi compléter d'autres mesures. Le gros défaut des taxes foncières est que la valeur des immeuble pour les taxes foncières n'a qu'un lointain rapport avec leur valeur réelle, ce qui maintient l'impression de taxation injuste. On pourrait compenser ce fait en ajustant la valeur des immeubles grâce à l'évolution des prix de l'immobilier et en se donnant pour valeur de départ la valeur d'achat. Avec la base des notaires ou même les droits de mutation, l'état dispose ainsi d'une source de données fiable sur la valeur de marché des immeubles. Ce serait aussi certainement l'occasion de commencer la rénovation de la fiscalité locale, dont les bases n'ont pas été révisées depuis les années 70.
  • Revenir sur les mesures successorales de la loi TEPA rapporterait 1.2G€ selon le rapport au conseil des prélèvements obligatoires mentionné plus haut. Cela ne rentre pas dans le cadre de la taxation des revenus du patrimoine, mais l'imposition des successions est sans doute la façon la plus efficace économiquement de taxer le stock de patrimoine et ce d'autant plus qu'il est difficile à ce moment-là de masquer certains biens, souvent ceux qui ont le plus de valeur, pour préserver la paix des ménages et assurer une répartition équitable des biens du défunt. Le fait est aussi qu'il meurt de nos jours que peu de gens, ce qui permet de contrôler plus efficacement les grosses déclarations et d'éviter ainsi les évaluations fantaisistes. Les successions sont d'ailleurs souvent à l'origine des histoires faisant la joie du public et ayant l'ISF comme personnage principal. L'équilibre en termes de type de population qui paie l'impôt serait sans doute ici préservé: ce sont certainement ceux qui paient l'ISF qui engendrent en mourant les successions les plus importantes.
  • Tant qu'à taxer les revenus, pourquoi se limiter aux revenus du capital? C'est pourquoi on peut penser augmenter aussi le taux de l'impôt sur le revenu. Instaurer une tranche à 45% à peu près là où se trouvait le plafonnement de l'abattement de 20% permettrait de lever 1G€ (et aussi de relever le taux du prélèvement obligatoire). Il est certainement difficile de faire pleurer sur les gens qui ont de hauts revenus, ce qui en fait des victimes très attirantes. Ce sont par ailleurs souvent les mêmes qu'on veut atteindre par l'ISF. Cela dit, il ne s'agit plus d'une taxation du patrimoine.

Trouver de l'argent pour remplacer les sommes perdues avec la suppression de l'ISF semble donc relativement faisable, si tant est qu'on veuille réellement supprimer l'ISF et accepter des compromis entre le symbolique et l'équitable d'un côté et l'efficace de l'autre.

Le mythe de la réforme fiscale sans perdant

Le sénateur Philippe Marini, rapporteur du budget au sénat, a donné une interview à un journaliste du Monde. Il y déclare sa préférence pour une suppression de l'ISF accompagnée de la création d'une tranche supplémentaire d'impôt sur le revenu, et il y déclare aussi:

La contrepartie à payer du côté des revenus de l’épargne ne doit pas être telle que la classe moyenne ait l’impression d’une opération de dupes. Une part proportionnée de l’effort doit être reportée sur les détenteurs de revenus et de fortunes qui sont réellement de niveau international. Si la résidence principale est exonérée au titre l’impôt sur le patrimoine par exemple la classe moyenne sera gagnante.

D'une certaine façon, cette déclaration est typique des problèmes que posent toute réforme fiscale quand on ne veut pas perdre de recettes: on cherche à ce qu'il n'y ait pas de perdants, ce qui fait qu'en fait, on voit mal ce qui changera véritablement, sauf à trouver une ressource qui n'est pas dans le seul champ de l'impôt à changer et qui présente l'agréable caractéristique de ne pas pouvoir trop protester. Le sénateur Marini veut ainsi tout et son contraire.

  • Il déclare dans un rapport sénatorial que les tranches supérieures ont des taux potentiellement confiscatoires. La conclusion logique est donc que les fortunes de niveau international paient moins d'ISF.
  • Il déclare dans cette interview que les classes moyennes et moyennes supérieures ne doivent pas payer plus mais plutôt moins et il propose en conséquence de supprimer la première tranche de cet impôt.
  • Que cet impôt au caractère immobilier marqué doit voir disparaître la contribution des résidences principales, pourtant un élément de revenu réel. C'est aussi un élément facilement taxable, les immeubles ne pouvant par définition quitter le territoire.
  • Que la réforme ne doit pas coûter à l'état

En bref, personne ne doit payer plus, mais cela ne doit rien coûter!

Il est évident que dans le contexte actuel, tout changement dans la loi fiscale implique qu'il y ait des perdants. Sans cela, soit l'état y perd, soit il n'y a pas en fait de changement. Si ce sont toujours ceux qui payaient qui paient encore, l'opération de dupes est aussi rapidement démasquée que lorsque ce sont d'autres qui prennent le relais.
Une réforme de l'ISF est aussi plus largement un choix entre efficacité et justice. Lever de l'argent est le premier but des impôts, mais maximiser leur rendement n'est pas forcément juste, surtout si on veut aussi minimiser les efforts pour les lever. Parmi les impôts les plus importants en France figurent la TVA et la CSG, des impôts qui ne s'embarrassent pas spécialement de considérations de justice sociale mais qui l'incroyable avantage d'être difficiles à frauder. En cela, le sénateur Marini me semble commettre une erreur et se contredire. Remarquer que l'impôt est punitif revient à une critique d'efficacité, les gens se mettant à développer des comportements d'évitement. Si on veut plus d'efficacité, il faut taxer plus largement, à des taux plus faibles et donc la classe moyenne doit payer plus. L'impôt foncier — notamment sur la résidence principale — doit être augmenté si on veut plus d'efficacité: il faut bien habiter quelque part...

Conclusions

Pour conclure, l'ISF est un impôt qui est symbolique mais dont l'inefficacité est criante. Le moyen le plus simple de l'éviter semble encore être de minimiser outrageusement son patrimoine ou de le disposer de façon judicieuse. Les contribuables y sont fortement incités, notamment pour les plus riches d'entre eux, du fait des taux marginaux très élevés par rapport aux rendement faciaux actuels. Du fait de sa faible importance, le remplacer semble faisable, même si on se limite aux impôts sur le capital, l'impôt sur les successions pouvant apporter un certain secours. Toutefois se limiter aux revenus réels (par opposition au revenu fictif que procure une résidence principale) paraît un peu juste pour le remplacer sans perte.
L'objectif des parlementaires de la majorité semble être de supprimer l'imposition au titre de la résidence principale, alors même que c'est à la fois un élément de revenu et quelque chose d'aisément taxable. L'objectif avoué de Nicolas Sarkozy est de taxer les seuls revenus. Dans ce cadre, on voit mal comment une suppression de l'ISF peut s'effectuer sans perte pour l'état. À moins que, comme pour bon nombre de changements effectués durant ce quinquennat, la suppression ne soit que de façade et que l'essentiel de cet impôt persiste sous un autre nom ou, encore pire, de multiples petits impôts.

28 novembre 2010

In memoriam fonds de réserve des retraites

Institué par le gouvernement Jospin dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, le fonds de réserve a reçu pour mission de gérer un capital pour faire face au vieillissement de la population en comblant au moins partiellement les déficits du régime général postérieurs à l'année 2020. Toutefois, le gouvernement a décidé d'utiliser ce capital dès 2011 pour combler au moins en partie les déficits prévus jusqu'en 2018.

Vider le fonds ou quand nécessité fait loi

À l'occasion de la réforme des retraites, le gouvernement a annoncé qu'il utiliserait le capital accumulé dans le fonds de réserve pour combler les déficits qui vont s'accumuler d'ici à 2018 pour la CNAV, date à laquelle le système serait à l'équilibre. Afin de faciliter la vie de chacun, le gouvernement ne précise pas le montant annuel pris sur le capital accumulé sur son site dédié. Il a aussi jugé bon de s'abstenir de mettre ce montant dans le projet de loi sur les retraites, mais le donne dans la loi de financement de la sécu pour 2011 (LFSS) à l'article 9 dont la rédaction mérite un prix pour sa clarté. Cette manière de procéder, d'ailleurs identique pour toutes les mesures financières, a d'ailleurs attiré les réprimandes d'un dangereux révolutionnaire, le rapporteur sénatorial Dominique Leclerc. Le fonds devra ainsi verser 2.1G€ tous les ans à la CADES à partir de 2011 et jusqu'en 2024; il n'aura plus de recettes fiscales.

Comme un calcul le montre, cela nécessite de mobiliser environ 24.5G€ maintenant en obligations d'état français. Au 30 septembre dernier, la valeur du portefeuille du FRR valait 35.1G€ dont 3.5G€ au titre de la soulte des industries énergétiques et gazières. Cette dernière doit être versée à la CNAV en 2020, c'est une contrepartie du soutien du régime général au régime spécial d'EDF-GDF. En fait, seuls 31.6G€ sont mobilisables pour combler les trous futurs. Le fonds ne sera donc pas entièrement liquidé en 2024, il restera un capital d'entre 10 et 20G€ probablement. Ce capital résultera des 7.1G€ actuellement «libres» et sans doute d'une fraction du capital à verser aux échéances les plus lointaines qui permettent de prendre quelques risques.

Les sénateurs s'opposaient, le 18 mai 2010, dans un rapport à l'utilisation du FRR pour combler les déficits actuels en ces termes:

Le FRR est l'un des rares signes adressés aux jeunes générations pour leur montrer que les pouvoirs publics préparent l'avenir en prélevant dès à présent des ressources pour financer les retraites des cotisants d'aujourd'hui. L'utilisation de ses réserves ne pourrait que renforcer l'inquiétude et la méfiance des plus jeunes à l'égard du système de retraite par répartition.

C'était alors. Un peu plus tard:

Certes, la date d'entrée en jeu du FRR est anticipée de neuf ans, mais il n'en reste pas moins que sa finalité est préservée puisqu'il contribuera au financement du système de retraite entre 2011 et 2024 et cela à double titre : (...)

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission vous demande d'adopter les dispositions relatives à l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.

Il faut dire qu'entre temps le gouvernement a fait connaître son projet et publié sa position:

Dans tous les pays où existent des fonds de réserve dédiés au financement des retraites, le principe est de constituer des réserves quand les régimes de retraite sont en excédent et de les utiliser en période de déficit. Le cas français constitue donc une anomalie : le FRR accumule des réserves alors que les régimes de retraite sont confrontés à des déficits importants depuis 2005 : 21,2 Md d'euros de déficit cumulé pour la CNAV entre 2005 et 2009 et 9,3 Md d'euros de déficit prévisionnel pour 2010.

La crise a encore accentué le caractère peu logique de cette situation en augmentant fortement le niveau des déficits. (...)

Le Gouvernement propose donc d’utiliser les ressources du fonds de réserve pour les retraites (FRR) pour financer l'intégralité des déficits du régime général et du FSV pendant la période de montée en charge de la réforme. Les régimes de retraite ont connu une accélération de 20 ans de leurs déficits : il est donc logique de mobiliser plus tôt que prévu le FRR dont le calendrier de décaissement devait débuter en 2020.

Au fameux article 9 de la LFSS pour 2011, le gouvernement prévoit que le montant des dettes que la CADES peut reprendre au titre des déficits des caisses de retraites est de 62G€. Cette somme correspond approximativement au cumul des déficits si on interpole linéairement les données du gouvernement. On s'aperçoit qu'il y a une certaine contradiction avec l'assertion selon laquelle l'intégralité des déficits du FSV et de la CNAV serait financée intégralement par l'utilisation du capital du FRR. Même si on considère que les recettes du FRR sont transférées à la CADES, les recettes pérennes du FRR ne sont que d'environ 1.5G€ par an. La CNAV prévoit aussi d'être en déficit de 4G€ en 2020 (2e §) et qu'il était de 4.6G€ en 2007.
Si ces remarques marginales ne font que peu tiquer les commissions parlementaires, habituées au pipeau gouvernemental, c'est qu'en fait ce qui leur importait, c'était que le FRR serve bien à éponger les déficits du système de retraite. En la matière, l'argumentation du gouvernement porte: il ne sert pas à grand'chose de garder une réserve alors que les déficits importants sont là. Nécessité fait loi.

L'abondement du fonds ou à la recherche de l'argent introuvable

À l'origine, le fonds de réserve devait constituer un capital de 1000 milliards de francs, soit environ 150G€, en 2020. Il s'agissait de francs constants, c'est-à-dire sans prendre en compte l'effet de l'inflation des 20 années postérieures à 2000. Si on prenait une hypothèse d'une inflation de 2% par an de 2000 à 2020 — hypothèse assez bien réalisée de 2000 à 2010 —, le montant réel à obtenir en 2020 aurait été de 225G€ environ. Dès cette époque, il paraissait toutefois peu probable que cet objectif soit réalisé, qu'on prenne en compte l'inflation ou pas, d'ailleurs. Cela dit, il est intéressant de comparer cet objectif à ce qui a finalement été obtenu.

Pour obtenir une somme donnée au bout de 20 ans, il faut commencer par trouver de l'argent pour alimenter le fonds. Vu que l'argent prélevé va être placé, on espère évidemment que les rendements seront positifs et par voie de conséquence qu'il faut prélever moins que la somme finale. Cela dit, des estimations réalistes de prélèvements et de rendement montrent qu'il faut au moins que les sommes prélevées soient égales à la moitié du capital final. En effet:

  • Si on prélève la somme d'un seul coup, obtenir un capital final double au bout de 20 ans implique un rendement de 3.5% par an. Si le rendement paraît relativement réaliste, prélever la moitié de la somme d'un coup l'est nettement moins: les 150G€ représentaient et représentent toujours plusieurs points de PIB. La moitié de cette somme (75G€) est toujours un montant considérable (environ 4% du PIB de 2009) et ce d'autant plus que, si les placements effectués se révèlent mauvais, rien ne peut rattraper cela que des rendements supérieurs les années suivantes.
  • Si on prélève une somme constante jusqu'à l'échéance et que les rendements sont constants, la somme des prélèvements n'est égale à la moitié du capital final que si le rendement est de l'ordre de 7% par an. Si ce rendement est le rendement nominal, cela est presqu'envisageable; s'il s'agit du rendement réel (le rendement nominal duquel on retire l'inflation), cela relève plus du rêve qu'autre chose.

On peut retrouver les calculs sur cette feuille Google.

De fait, on peut se dire que prélever progressivement 80G€ est véritablement un minimum. On peut donc se baser sur un objectif de 4G€ par an. Les rapports parlementaires préparatoires aux lois de finances permettent de retracer l'historique de ces abondements. Cela donne le graphe suivant: abondements frr_2.jpg On remarque immédiatement que les versements n'ont été supérieurs aux 4G€ nécessaires qu'une seule année, en 2002. Ils ne s'en sont rapprochés que 3 fois, entre 2001 et 2003. On est donc très loin des objectifs annoncés à l'origine. Les déficits généralisés dans tous les secteurs de dépense publique, que ce soit le budget général ou l'assurance maladie n'ont à l'évidence pas permis de dégager des financements. L'alimentation du fonds n'est en quelque sorte que la conséquence de l'absence de préparation ou de l'incapacité à se préparer aux problèmes parfaitement prévisibles de déficit des caisses de retraite.
De fait on retrouve ces difficultés dans le type de sommes allouées au FRR. Le fonds a été alimentés par 3 types de sources:

  1. Un part du prélèvement social de 2% sur les revenus du patrimoine. Cette part est fixée à 65% depuis 2003: le FRR a perçu 1.3% de ces revenus ces 7 dernières années. C'est pratiquement la seule ressource de 2004 à 2009.
  2. Les excédents de la CNAV et du FSV. Ce sont respectivement la retraite générale des salariés et le fonds ad hoc qui cotise par exemple à la place des chômeurs pour qu'ils continuent d'accumuler des droits.
  3. Des recettes de privatisation, sous une forme ou une autre. Cela recouvre les privatisations proprement dites ainsi que les ventes de parts de Caisses d'Épargne ou de licences UMTS.

La répartition est donnée ci-dessous. Compo FRR_2.jpg La part du prélèvement de 2% est prépondérante, les excédents ne représentent qu'un peu plus de 20% des versements. Depuis 2006, la CNAV est d'ailleurs en déficit. Cela veut dire que 80% des prélèvements n'ont que peu à voir avec le problème des retraites. On a finalement pris de l'argent là où on en trouvait, c'est-à-dire ailleurs que dans les caisses de retraite.
Cela pose un problème de principe. En effet, un tel fonds se conçoit surtout comme un lissage des conditions dans lesquelles sont accordées les retraites. Sa présence permet d'adoucir la hausse des prélèvements ou la période de transition vers des conditions plus dures. Il doit s'agir de constituer, comme son nom l'indique, une réserve à partir des cotisations présentes de façon à ce que les cotisants préparent leur retraite sans grever outre mesure les revenus de ceux qui resteront au travail après leur départ à la retraite. Cela doit normalement être possible lorsqu'une classe pleine cotise, son nombre devant permettre des excédents. Le raisonnement est un peu le même pour les générations dont l'espérance de vie croît. Si on se situe dans une logique de salaire différé, les fonds doivent provenir au moins majoritairement des cotisations des salariés. On vient de voir que ce n'est pas le cas. Même s'il est marginal par rapport aux sommes allouées aux retraites dans leur ensemble (d'ores et déjà plus de 10% du PIB par an), l'alimentation du fonds de réserve est symptomatique de la façon dont est géré le système de retraite: comme le reste du budget de l'état. On n'accorde finalement des droits que pour se trouver une justification des prélèvements, ces prélèvements servant à honorer une dette que l'état s'est constitué ... en s'engageant à verser des retraites. La constitution de cette dette n'obéit pas de façon logique à des règles définies auparavant: ainsi l'état a pu faire assumer au régime général les retraites de divers régimes spéciaux, évidemment plus généreux dans l'ensemble. Il faut trouver de l'argent pour honorer ces dettes, la provenance importe en fait peu.
Un autre point à souligner est qu'à partir du moment où les caisses de retraites sont en déficit, l'accumulation dans le fonds ne présente un véritable intérêt que si son rendement est supérieur à celui des obligations finançant le déficit.

L'état, un bon investisseur?

Il est toujours intéressant de savoir ce qui est fait de l'argent public: il a été prélevé à des personnes qui aurait pu en faire un autre usage, souvent à leurs yeux plus utile. Dans le cas présent, il s'est agi d'épargner de l'argent pour pouvoir lisser du mieux possible la transition démographique en cours, le vieillissement de la population. Il y a deux critères de jugement. Le premier est de savoir si, en partant d'une stratégie donnée le fonds a fait mieux ou moins bien que ce qu'un investissement indiciel aurait donné. Le deuxième est de savoir si l'arbitrage entre emprunter moins pour l'état et alimenter le fonds de réserve a été favorable ou pas. Étant donné que la période 1999-2010 a été marquée par deux fortes baisses des marchés actions, la réponse est avant tout calcul sans doute défavorable.

Pour effectuer une comparaison, les «placements» concurrents sont les suivants:

  • L'inflation, pour comparer la performance du fonds à l'érosion monétaire. Si le fonds contient plus que ce que donne l'inflation, sa valeur réelle a augmenté. Les données ont été récupérées sur le site de l'INSEE, l'évolution retenue est de mois d'octobre en mois d'octobre.
  • L'EONIA, le rendement du taux au jour le jour. Il est approximé par un rendement moyen mensuel. Les données ont été trouvées sur le site de la BCE.
  • Le taux des obligations d'état français à échéance longue. Ce placement fait sens pour le FRR, étant donné qu'il devait parvenir à échéance en 2020. Pour évaluer la performance, le taux long a été approximé par le taux à 10 ans. Le placement est basé sur des obligations 0 coupon d'échéance 2020 pour se faciliter le calcul. Les données de taux ont été trouvées sur le site de l'INSEE.
  • L'évolution des marchés boursiers. 2 indices ont été utilisés: le CAC40, indice vedette de la place de Paris, et le Stoxx 600, indice large de la zone euro. Les sociétés éditant ces indices ont la bonne idée de publier des indices de retour net à l'investisseur, ce qui facilite les calculs. On s'aperçoit que les performances sont quasiment équivalentes.
  • Un mixte de 50% d'obligations à échéance longue et de 50% d'actions. La répartition moitié-moitié est réajustée en début d'année. Cette stratégie est grosso modo celle adoptée par le FRR.

La valeur du fonds retenue est celle au 30 septembre dernier, la dernière valeur connue hors soulte EDF, de 31.6G€. On peut recréer le graphe ci-dessous grâce à cette feuille. Perfs FRR_2.jpg On s'aperçoit que le fonds a fait à peine mieux que l'inflation, un peu moins bien que l'EONIA et les marchés d'actions (bien que cela puisse être dû aux différentes dates de fin de relevé) et nettement moins bien que la stratégie panachant actions et obligations. Les obligations à long terme ont été le meilleur placement sur la période du fait du rendement supérieur aux placements à court terme et à la baisse des taux d'intérêt. Seuls des placements sur des marchés émergents hors d'Europe auraient pu dépasser ces rendements. Il reste que le fonds a représenté un coût net pour les finances publiques puisqu'il a rapporté moins que d'éviter une dette équivalente.
Le rendement constant menant à la même valorisation du fonds est d'environ 1.8% par an.
On ne peut que conclure que la performance financière du fonds a été peu convaincante. L'état semble être donc un piètre investisseur.

Quelques conclusions

Le fonds de réserve partait d'une analyse juste de la situation démographique. Son but de lissage était et est toujours louable, mais sa gestion rend peu optimiste pour ce genre d'institutions, en tous cas dans la situation politique actuelle en France.
Les objectifs de versement ont été assez largement ignorés. C'est dû à la gestion plus générale des finances publiques françaises, toujours en déficit, souvent important, sur la période d'approvisionnement du fonds. Il faut aussi remarquer que la caisse du régime général n'a pas eu les excédents escomptés, mais c'est grandement lié aux prévisions trop optimistes du gouvernement au moment de la réforme de 2003. Ce biais optimiste se retrouve un peu partout dans la gestion des comptes publics en France. Par exemple, aucun des programmes budgétaires prévisionnels envoyés à la Commission Européenne n'a été respecté, souvent du fait de prévisions de croissance extrêmement optimistes.

Le fonds a été victime des 2 crises boursières de la période. Sa performance aurait donc été médiocre de toutes façons, inférieure au coût correspondant de la dette. Mais sa performance est éloignée de la performance d'une gestion de type indicielle constituée à moitié d'obligations et à moitié d'actions, ce qui est anormal.

Ce type de fonds a aussi vocation à être utilisé juste après une crise. En effet, il est conçu pour absorber les déficits des caisses de retraites. Plus on s'approche de la date prévue d'utilisation, moins il y a de chances que les caisses soient en excédent. Comme leurs recettes dépendent de l'activité économique, le premier moment où on va utiliser le fonds est sans doute juste après que les recettes aient subi l'effet d'une récession ou simplement d'un ralentissement économique. Or ces périodes sont les plus défavorables aux marchés d'action, ce qui fait que le fonds risque de perdre de sa valeur juste avant qu'on s'en serve. Dans le cas présent, l'anticipation de l'usage est très importante du fait de la magnitude historique de la crise, mais aussi des prévisions gonflées des gouvernements successifs. La perte de valeur en 2008 a été très forte et, évidemment, impossible à compenser depuis.

27 septembre 2010

L'imposition du travail en France

Aujourd'hui, lever des impôts sur les salaires est un des moyens les plus efficaces qu'ont les états comme la France pour financer l'action publique. L'obligation de payer les salaires soit par chèque soit par virement sur un compte en banque et l'obligation pour les entreprises de tenir une comptabilité donne au fisc des moyens crédibles et rapides de vérification, ce qui assure un faible nombre de fausses déclarations. On a pu vérifier de façon anecdotique l'importance des vérifications aisées dans le recouvrement de l'impôt par l'exemple grec: les commerces ne délivraient pas toujours de factures et les déclarations de revenus étaient parfois baroques. La montée du salariat et la généralisation de l'usage de la monnaie scripturale expliquent ainsi pour une bonne part la faculté qu'ont eu les états d'augmenter la dépense publique et de mettre en place des états-providence.

Les dépenses publiques en France sont importantes: avec 52.8% du PIB en 2008 et 55.6% en 2009, la France a suivant les années le deuxième ou le premier niveau de dépenses publiques de l'Union Européenne. En conséquence, comme on va le voir, les impôts sur le travail y sont lourds. L'imposition sur le travail se distingue aussi par sa complexité: on distingue ainsi de nombreux impôts ou cotisations sociales. Cette complexité s'explique en partie par l'histoire car ces prélèvements sont en général liés directement à leur usage et aussi car le processus de décision démocratique est souvent fait de compromis, modifiant les impôts par touches successives. Mais cette complexité est aussi un outil pour masquer en partie l'importance des impôts levés. Il est ainsi à noter qu'en fait les cotisations dites patronales sont en fait payées par les salariés et font partie du salaire. C'est naturel: elles dépendent directement du salaire brut versé, aucun employeur ne peut les ignorer lorsqu'il paie son salarié. Ce fait est confirmé par la grande stabilité du partage de la valeur ajouté sur une longue période, alors que les cotisations sociales, notamment patronales, ont énormément augmenté depuis les années 70 comme cela est indiqué dans l'article sur l'incidence fiscale d'écopublix.

Les différents impôts

Pour simplifier, dans la suite on ne considère plus que le cas d'un célibataire, cadre travaillant dans une entreprise de plus de 20 salariés qui ne relève pas d'un secteur ayant une situation particulière vis-à-vis des allègements de charges patronales.

Impôt Limite Taux
«salarial»
Taux
«patronal»
Remarques
Retraite,
régime général
PMSS 6.65%8.3% La retraite de base, liquidée elle vaut au maximum 50% du PMSS
- 0.1%1.6%
Retraite,
AGIRC/ARRCO
PMSS 3%4.5% Retraite complémentaire, par points
entre PMSS
et 8 PMSS
7.7%12.6%
CET 8 PMSS 0.13%0.22% Contribution Exceptionnelle et Temporaire, depuis 1997
AGFF PMSS 0.8%1.2% Financement de la retraite à 60 ans.
4 PMSS 0.9%1.3%
Maladie - 0.1%13.1%
Allocations Familiales - -5.4%
0.3% Raffarin - -0.3% De son vrai nom Contribution Solidarité Autonomie,
le «lundi de Pentecôte»
FNAL - -0.1%1% logement
PMSS -0.4%
Effort de construction - -0.45%
Chômage 4 PMSS 2.4%4%
AGS 4 PMSS -0.4%
APEC entre PMSS
et 4 PMSS
0.024%0.036%
Accidents du travail - -1.2% En fait variable suivant les secteurs, beaucoup de taux.
Taxe d'apprentissage et
de formation professionnelle
- -2.28%
Prévoyance et
taxe sur la prévoyance
PMSS -1.5%+0.12% Eh oui... Une taxe sur un prélèvement obligatoire!
CSG -2.4%+5.1%- Seule une partie de la CSG (5.1%) est déductible du salaire pris en compte pour
le calcul de l'impôt sur le revenu. La CRDS devait initialement cesser en 2009.
CRDS -0.5%-
Impôt sur le revenuLa base est le salaire brut moins les prélèvements précédents, sauf CSG/RDS.
Barème progressif

Les cotisations sociales ont des parties plafonnées et non plafonnées. Les retraites par points (AGIRC/ARRCO) ont un plafond final à 8 fois le plafond mensuel de la sécurité sociale (PMSS), l'assurance chômage à 4 PMSS. Un bon exemple de la complexité est le calcul de la CSG et du RDS. Alors qu'il s'agit d'un impôt très simple a priori, la base de calcul est en fait égale à 97% du salaire brut augmenté des cotisations à un plan de prévoyance (dont le montant est de 1.5% de la portion sous le PMSS). Cet impôt se décompose par ailleurs en deux parties déductible et non-déductible de la base de l'impôt sur le revenu.

Des graphes donnant le taux moyen d'imposition en fonction du salaire brut étaient donnés dans un autre article d'écopublix, mais il négligeait l'influence des allègements de charge pour les bas salaires, la PPE et la décote de l'impôt sur le revenu. Les taux moyens se présentent en fait comme suit: tx_moyen_30k_2010_2.png

On constate aussi que l'imposition devient dégressive — le taux moyen diminue — au-delà de 8 PMSS, lorsque les cotisations retraite s'arrêtent. Le taux moyen d'imposition atteint ainsi 50% pour 1.6 SMIC, le salaire de fin d'allègements de charges patronales, il est minimal au niveau du SMIC à environ 30%. Le taux marginal se présente comme suit: tx_marginal_30k_2010_2.png

Les allègements de charges et les divers dégrèvements comme la PPE ont un impact énorme sur le taux marginal, il atteint 75% pour les bas salaires. Le salarié ne touche réellement que 25 centimes lorsque l'employeur augmente son salaire «superbrut» de 1€. De plus, le taux marginal n'est jamais inférieur à 50%.

Quelques conclusions

Les graphes ci-dessus montrent que les impôts sur le travail sont lourds, mais de façon logique au vu du poids des dépenses publiques en France. D'autre part, les cotisations sociales représentent l'essentiel de l'imposition sur le travail. Cela a pour conséquence d'atténuer voire d'inverser la progressivité de l'impôt sur le revenu ainsi que de concentrer la progressivité sur les salaires en bas de l'échelle.

La complexité du système rend l'ensemble obscur. Il y a un tel empilement de prélèvements différents qu'il est presqu'impossible de savoir à quoi sert chacun d'entre eux. Leur mode de calcul est parfois déroutant et même s'ils semblent posséder une logique interne, la logique d'ensemble est difficile à saisir. L'ampleur des cotisations patronales masque aussi la progressivité réelle du système et concentre la progressivité sur le bas de l'échelle des salaires. Ramener la fin des allègements de charges à 1.3 SMIC, comme l'avait recommandé la Cour des Comptes (suivi des recommandations de 2009), engendrerait une progressivité encore plus forte qu'aujourd'hui. Les taux marginaux atteindraient probablement alors les 85% voire plus. Cette progressivité est d'ailleurs encore renforcée pour ceux qui touchent des aides sociales dont le montant diminue à mesure que le salaire augmente. Pour ceux là, il est déjà possible que des taux marginaux effectifs de l'ordre de 85% soient déjà constatés. L'intérêt de voir son salaire augmenter peut alors devenir assez douteux, surtout si cela doit s'accompagner d'une charge de travail plus importante.