En juillet dernier, la Cour des Comptes a rendu un rapport intitulé L'État et le financement de l'économie, dont on peut retrouver l'essentiel dans la synthèse. Ce rapport fait suite à celui sur l'assurance-vie (synthèse) et il en reprend nombre de conclusions.

La Cour fait des remarques sur la situation des banques et des assurances. Il n'a échappé à personne que la crise financière avait entraîné des changements réglementaires et plus généralement dans le modèle de fonctionnement des banques. Les banques françaises prêtent plus qu'elles n'ont de dépôts: l'encours des prêts est supérieur de 10% environ aux dépôts (tableau n°12 p107). Les prêteurs sont devenus nettement plus frileux envers les banques qui ont donc plus de mal à se financer sur les marchés. Les dépôts sont aussi favorisés par les règlementations de Bâle III. Les banques sont encouragées à trouver des gens prêts à déposer de l'argent chez eux ou ... à diminuer leur encours de crédit. Du côté des assureurs, la directive Solvabilité II va pousser les assureurs à diminuer encore leurs encours en actions et plus généralement tout ce qui s'apparente à un placement peu liquide ou un apport de fonds propres à une entreprise (p103). Les assureurs ne devraient pas se précipiter pour financer les besoins en capitaux propres des entreprises mais plutôt se concentrer sur leur dette pourvu qu'elle soit négociable.

De leur côté, les Français affichent une préférence marquée pour l'immobilier qui représente les deux tiers du patrimoine des ménages (p73). Il est vrai que la hausse des prix de l'immobilier a pris une part notable à la croissance de la part de l'immobilier de ces 15 dernières années. Pour ce qui est du patrimoine financier, la préférence va à l'épargne sans risque, avec un biais vers des placements a priori peu liquides comme l'assurance-vie, comme le montre le tableau ci-dessous (originellement p67). repartition_risque.jpg La tendance est en défaveur des placements risqués: s'ils représentent un petit tiers du patrimoine, moins d'un sixième du flux d'épargne se dirige vers eux. Il faut dire que la faible performance des actions depuis l'an 2000 n'a sans doute pas encouragé les épargnants. Mais il y a une autre raison: les impôts. La Cour signale que la fiscalité encourage nettement l'épargne non risquée (p76-77). Ainsi, si 42% de l'épargne sans risque bénéficient d'un avantage fiscal, seuls 12% de l'épargne risquée en bénéficient. Ces avantages représentent 9G€ pour l'épargne non risquée contre 2.4G€ pour l'épargne risquée. Ces avantages pour l'épargne non risquée sont aussi accompagnés d'avantages pour la détention d'un bien immobilier: pas de taxe sur les plus-values sur la résidence principale, montages fiscaux divers (Robien, Scellier, etc.) et non imposition de l'économie que représentent le fait de ne pas avoir à payer de loyer. Dans le rapport sur l'assurance-vie, la Cour donne un tableau récapitulant les diverses modalités d'imposition des placements au 1er janvier 2012, les prélèvements sociaux sont depuis passés à 15.5%. Alors que l'imposition des revenus de l'épargne était limitée à 16% au début des années 90, les taux ont très sérieusement augmenté, d'abord sous l'effet des prélèvements sociaux puis sous l'effet du relèvement du taux du prélèvement forfaitaire. imposition_epargne.jpg

La Cour conclut que l'épargne est de moins en moins dirigée vers les entreprises, à cause des évolution réglementaires et de l'évolution des préférences d'épargne des Français. Un autre phénomène important se mêle à cela: depuis la crise financière, les taux des obligations d'état français sont au plus bas: 2% pour les obligations à 10 ans. Dans ces conditions, l'épargne réglementée est extrêmement compétitive: le Livret A rapporte 2.25% net et est parfaitement liquide. Le PEL peut même être plus compétitif que certains fonds en euros alors qu'il ne requiert de bloquer son épargne que 4 ans. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le Livret A batte des records de collecte. Une conséquence de cette succession de collectes record est que les prêts accordés au titre du Livret A sont bien inférieurs aux fonds centralisés: il y a un excès de liquidités de 52G€ (p175). Il faut noter aussi que le Livret A est géré de telle sorte que les dépôts centralisés sont supérieurs aux prêts de 25% au minimum, contrairement à ce qui se passe dans les banques. Un report des dépôts bancaires vers le Livret A signifie donc moins de prêts accordés, globalement.

La Cour fait des propositions pour essayer de corriger cela et permettre d'orienter l'épargne vers le long terme. La première position qu'on peut remarquer est l'opposition franche à l'augmentation du plafond des livrets réglementés (p220). La Cour a demandé de soumettre aux prélèvements sociaux la partie des dépôts supérieure au plafond actuel et de procéder au relèvement du plafond par étapes. Le gouvernement s'est largement assis sur ces recommandations et a décidé de procéder à un relèvement rapide du plafond. On comprend bien pourquoi le gouvernement n'a pas soumis à imposition les livrets réglementés: cela aurait été massivement impopulaire. Les autres propositions principales concernent l'assurance-vie et sont directement reprises du rapport thématique qui est consacré à la question. La Cour propose en fait d'allonger encore l'obligation de détention et de changer le mode décompte en considérant l'historique des dépôts. Ça correspond donc à un alourdissement des conditions fiscales: sans action sur les livrets réglementés, cela ne fera qu'amplifier la fuite déjà apparente vers le livret A.

Ces recommandations me paraissent donc soit demander une certaine témérité politique — pour la taxation des livrets réglementés — soit être carrément contreproductives — spécialement dans un contexte de taux extrêmement bas. Les recommandations formulées, il y a maintenant 3 ans, par Olivier Garnier & David Thesmar dans un rapport au Conseil d'analyse économique, étaient nettement meilleures: si on voulait favoriser l'épargne longue et risquée, il fallait arrêter de subventionner l'épargne sans risque & liquide, mettre tout le monde au même régime, sauf engagements de détention à long terme. À défaut, ils proposaient qu'on ne touche à rien plutôt que d'empiler encore d'autres mesures à l'utilité douteuse. Ces mesures ne sont pas tellement plus réalistes — à cause de la taxation des livret réglementés — mais elles ont au moins une chance d'atteindre leur but!

Au vu de l'état des finances publiques, il est douteux que des allègements d'impôts puissent être actés. Vue l'idéologie du PS et de la classe politique française en général, qui tient un discours massivement anti-détention d'actions et est massivement constituée de propriétaires fonciers, il est tout à fait illusoire de voir aligner la taxation des livrets réglementés sur la taxation des placement plus risqués. On s'achemine plutôt vers la continuation de la hausse inexorable des prélèvements sociaux et un relèvement de la taxation au titre de l'IRPP. Comme dans le même temps les rendements des fonds en euros va continuer à décroître, on peut parier que l'épargne des français se dirigera vers les placements les plus liquides et détaxés. Le gouvernement va encourager cette tendance pour financer sa banque publique d'investissement. Le placement immobilier continuera à avoir un certain succès, malgré le risque: il bénéficie lui aussi d'une fiscalité favorable, tant dans la détention que pour les travaux qui permettent de faire des économies. Dans ces conditions, l'épargne financière à long terme n'augmentera sans doute pas. Avec les annonces récentes sur la fiscalité des carburants, on voit que le gouvernement est plus empressé de respecter ses promesses de campagne les plus démagogiques que d'adopter des discours et des solutions raisonnables.