1 août 2014

Lobby

Greenpeace et des organisations aux idéologies similaires ont publié dernièrement une lettre ouverte appelant le futur président de la Commission Européenne, Jean-Claude Juncker, à ne pas nommer un nouveau conseiller principal sur les questions scientifiques, création de son prédécesseur, José-Manuel Barroso. Une organisation «rationaliste», Sense About Science, a publié peu après une lettre ouverte en sens opposé, demandant le maintien du poste. Suite à la publication de la lettre, Greenpeace a été accusée d'être une organisation anti-science et s'est alors fendu d'une réponse. Pour ma part, je pense cet épisode ne montre aucunement que Greenpeace soit anti-science, mais qu'elle considère la science comme un outil comme un autre pour parvenir à ses fins: imposer son idéologie dans les décisions politiques.

Pour commencer, le motif de la lettre de Greenpeace est clair: Anne Glover a déplu par ses déclarations sur les OGMs. Même si elle n'a fait que reprendre les conclusions de rapports publiés par l'UE ou des académies des sciences européennes, voire américaines , etc., cela ne peut aller qu'à l'encontre des positions des associations environnementales qui font campagne depuis bientôt 20 ans contre les plantes génétiquement modifiées. Les autres arguments sont creux: aucun conseiller de Barroso ne doit publier l'ensemble des demandes d'avis qu'il a reçues ou les notes qu'il a envoyé en retour. La seule obligation en la matière pour les conseillers est de rendre des comptes sur la compétence et l'honnêteté a priori. L'existence de la déclaration d'intérêts d'Anne Glover n'a d'ailleurs pas empêché les accusations diffamatoires à son encontre.

Cependant, que Greenpeace et les autres signataires veulent remplacer quelqu'un qui leur a déplu malgré avoir rempli fidèlement sa mission de dire où se situait le consensus scientifique ne veut pas dire qu'ils sont «anti-science». En fait, pour de telles organisations, l'important est de faire triompher leur idéologie: elles ne sont pas basées sur le désir de répandre le savoir et les découvertes scientifiques mais sur la volonté des membres d'infléchir le cours des choses sur les thèmes qui leur sont chers. Dans ce cadre, la science est un outil comme un autre, qui peut se révéler fort utile comme il peut nuire. Quand la science apporte des éléments favorables à la position d'une telle association, elle s'en prévaut; si au contraire, la science tend à la contredire, il faut l'ignorer, éviter que ça ne s'ébruite, voire continuer à susciter des résultats inverses pour faire croire à la continuation d'un controverse. Cela apparaît dans les justifications de Greenpeace: ainsi se prévalent-ils de preuves accablantes sur le sujet du réchauffement climatique, mais seulement de préoccupations sur les OGMs et pour cause: on l'a vu le consensus scientifique sur la question est l'exact contraire.

Ce qui peut étonner, c'est la place centrale que semble donner Greenpeace dans son action à la science: Greenpeace cherche souvent à se prévaloir de résultats scientifiques. C'est sans doute lié à l'histoire du mouvement écologiste, fondé par des gens éduqués et déterminés, mais peu nombreux. Leur stratégie a toujours été la même: se prévaloir d'une supériorité morale permettant de recourir à des actions directes et un discours émotionnel mais, en parallèle, recourir à des arguments d'apparence scientifique pour tenir aussi un discours apparemment raisonnable. L'idéologie de Greenpeace n'est pas de promouvoir un gouvernement basé sur des conclusions scientifiques, mais plus prosaïquement, c'est l'opposition au nucléaire, à l'agriculture industrielle et plus généralement, la conviction que l'industrie en général est nuisible. Les tenants de ces techniques et de l'industrie ont souvent un discours technique ou basé sur des prémisses scientifiques, le discours de Greenpeace est donc aussi une réponse à ce fait et dénote une volonté de ne laisser aucun argument sans réponse.

Le succès de cette organisation est aussi une grande illustration des réalités de la politique. Car voilà une organisation qui ne fait que prêcher des valeurs positives comme la paix, l'humanité mais qui n'hésite pas à faire le contraire. Voilà une organisation officiellement non violente qui n'hésite à approuver des destructions de cultures ou l'abordage de navires. Une organisation qui prône l'amélioration des conditions de vie des pauvres s'oppose au riz doré, une potentielle solution à la déficience en vitamine A dans les régions pauvres de l'Asie. On pourrait multiplier les exemples à l'infini, mais Greenpeace est remarquable par sa capacité à ne rien dire qui ne respire la bienveillance, l'intégrité et l'humanisme tout en pouvant démontrer les qualités exactement contraires sans que trop de plaintes ne s'élèvent. En fait, c'est là le lobby rêvé: bénéficiant d'une présomption d'honnêteté irréfragable, maîtrisant un langage respirant la bonté — cette lettre ne fait pas exception — mais capable de déployer les qualités exactement inverses pour parvenir à ses fins sans que cela lui nuise. Ce sont des qualités indispensables en politique, mais on est là très éloigné de la science qui, au fond, n'est qu'un outil comme un autre pour imposer une idéologie.

2 août 2013

MON810, le retour de la vengeance

Comme prévu, l'arrêté pris pendant la campagne électorale de 2012 pour interdire le MON810 a été annulé par le Conseil d'État. Avant même que la nouvelle ait été annoncée, le ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll déclarait: le Conseil d'État n'est pas le décideur, ce n'est pas lui qui dit si on peut ou pas interdire les OGM, il ne s'appuie que sur la base juridique pour dire si elle est valide ou pas. Cette phrase est d'une magnifique casuistique, puisque le Conseil d'État, s'il ne publie aucun texte règlementaire, a bien le pouvoir de décider si une interdiction est valide ou pas. Elle a aussi le mérite d'indiquer la suite des évènements, une nouvelle interdiction est déjà annoncée. On ne peut que remarquer que c'est la deuxième fois que l'État est condamné pour les mêmes raisons et que le gouvernement entend poursuivre la politique qui consiste à s'assoir sur les décisions de justice. Le gouvernement perpètre ainsi et de façon répétée un abus de pouvoir caractérisé.

Le principe de la tactique est connu: espérer que les partisans se fatiguent avant les opposants et finissent par ne plus aller faire respecter leurs droits devant les tribunaux. C'est en bonne voie: des associations d'agriculteurs se disent prêtes à ne plus intenter de recours si un simple débat a lieu sur la possibilité de cultiver d'autres OGMs à venir. Autrement dit, il s'agit de lâcher la proie pour l'ombre. Tout d'abord, il est difficile d'imaginer qu'un autre OGM puisse réussir là où le MON810 n'a pas pu triompher de l'opposition, alors que sa principale utilité était d'éviter, en faisant produire la toxine par la plante, d'avoir à utiliser des produits insecticides potentiellement dangereux en leur substituant une toxine utilisée en agriculture biologique et d'avoir à passer vaporiser ces produits. En effet, le maïs MON810 permet d'arriver au Graal écologiste de ne pas utiliser de produit chimique tout en facilitant la vie de l'agriculteur. On se demande ce qu'on peut espérer de plus. Dans un même ordre d'idées, Greenpeace lutte avec acharnement contre le riz doré, un riz dont les grains contiennent du carotène grâce à l'insertion de gènes de maïs et ne présentant donc strictement aucun danger. Mais même dans l'hypothèse — hautement improbable donc — où les agriculteurs sortiraient vainqueurs de ce débat, ils ne pourraient cultiver ces hypothétiques plantes sans autorisation délivrée par la Commission Européenne. Elle a fait preuve jusqu'à présent d'un empressement tout relatif, puisque seuls 3 OGMs ont jamais été autorisés à la culture. Ce débat sera donc un marché de dupes.

Les écologistes ne font même plus mystère de l'illégalité de l'interdiction. José Bové déclare immédiatement au Figaro que ce qui motive la décision du Conseil d'État, ce sont les règles européennes, qui sont claires. Seuls des arguments scientifiques peuvent interdire l'exploitation d'un OGM. Et de se dire prêt à la violence sous couvert de désobéissance civique. Christian Bataille, membre de l'OPECST, a beau tonner contre les Torquemada et enfin dire les choses comme elles sont, cette politique continuera aussi longtemps que l'opposition aux OGMs restera vivace et peut-être au delà. Les opposants ont réussi — fait sans précédent! — à tuer la recherche publique en France sur le sujet et à bloquer toute autorisation d'OGMs, au point de désespérer le principal promoteur commercial, Monsanto.

Les péripéties et les déclarations du gouvernement montrent aussi qu'en France, on ne peut profiter des libertés individuelles que si elles ne déplaisent pas à la majorité accompagnée d'opposants particulièrement bruyants, ce qui en est la négation même, les libertés individuelles étant surtout utiles quand le grand nombre conteste vos droits. Et c'est sans doute là, le plus grave.

15 mai 2013

Téléphone GM

Lundi dernier, La Cour Suprême des États-Unis a rendu sa décision sur le cas d'un fermier américain qui avait semé du soja GM sans payer de subsides à Monsanto. Elle a condamné à l'unanimité le fermier. C'est l'occasion de s'apercevoir que la presse français souffre parfois d'une mauvaise compréhension de l'anglais.

À la lecture du jugement, on comprend que le fermier en question semait du soja génétiquement modifié tous les ans. Pour la première récolte de l'année, il achetait des semences via le circuit traditionnel. De ce fait, il signait un contrat qui l'obligeait à vendre l'ensemble de sa production et à ne pas garder de graines pour semer ultérieurement. Cette manœuvre est possible avec le soja, car contrairement à d'autres plantes comme le maïs, mais de façon semblable à d'autre comme le colza, les rendements se maintiennent de génération en génération. Pour la deuxième récolte, il jugeait le prix des semences de Monsanto excessif. Il s'est alors tourné vers un silo pour lui acheter des graines de soja, originellement prévues pour être mangées, et les semer. Ce silo était rempli de la récolte des fermiers de la région. La Cour remarque alors (p3):

And because most of those farmers also used Roundup Ready seed, Bowman could anticipate that many of the purchased soybeans would contain Monsanto’s patented technology. When he applied a glyphosate-based herbicide to his fields, he confirmed that this was so; a significant proportion of the new plants survived the treatment, and produced in their turn a new crop of soybeans with the Roundup Ready trait.

Autrement dit, le fermier ne pouvait ignorer qu'il y aurait une bonne partie des semences qui auraient le trait de résistance au glyphosate, l'herbicide honni de Monsanto. Le fermier en était suffisamment sûr pour en asperger ses plants. Cela lui permettait aussi de sélectionner les plants contenant bien ce trait et d'éliminer les autres. De cette récolte, il gardait une partie pour semer à la même époque l'année suivante, en complétant son stock avec de nouvelles graines issues de silos.

Pour sa défense, le fermier affirmait qu'il avait le droit de semer des graines achetées à un silo, car ces graines n'étaient plus sous l'empire du monopole procuré par le brevet à Monsanto. C'est cette doctrine de l’extinction qui nous permet de revendre des produits brevetés sous la forme de biens d'occasions. Cependant, la Cour lui rétorque que cette doctrine ne lui permet pas de produire des copies supplémentaires (p5). Le fermier argue en réponse que les graines germent d'elles-mêmes et donc qu'il ne peut être tenu pour responsable du cours naturel des choses. Ce à quoi la Cour lui rétorque que cultiver du soja n'est pas seulement laisser faire la nature et impliquait du travail de sa part (p9).

Bowman was not a passive observer of his soybeans’ multiplication; or put another way, the seeds he purchased (miraculous though they might be in other respects) did not spontaneously create eight successive soybean crops. As we have explained, supra at 2–3, Bowman devised and executed a novel way to harvest crops from Roundup Ready seeds without paying the usual premium. He purchased beans from a grain elevator anticipating that many would be Roundup Ready; applied a glyphosate-based herbicide in a way that culled any plants without the patented trait; and saved beans from the rest for the next season.

En clair, le fermier a sciemment exécuté une stratégie lui permettant de ne pas payer de subside à Monsanto, alors qu'il connaissait le brevet et la protection qu'il apportait — puisqu'il achetait aussi tous les ans des semences par le canal légal.

La nouvelle est arrivée jusque dans notre beau pays. L'AFP a, comme il se doit, écrit une dépêche sur le sujet. On peut y lire le paragraphe suivant:

Le cultivateur affirmait avoir toujours respecté son contrat avec Monsanto, en achetant de nouvelles semences OGM chaque année pour sa culture primaire. Mais à partir de 1999, pour faire des économies, il avait acheté d'autres semences auprès d'un producteur local et les avait plantées pour une moisson distincte. S'apercevant que ces semences avaient développé une résistance à l'herbicide par contamination avec le champ de graines transgéniques, il avait alors répété l'opération de 2000 à 2007.

On peut donc y lire 2 choses qui sont présentées comme des faits mais qui sont en fait fausses. Tout d'abord, le fermier n'a pas acheté les semences pour sa deuxième récolte auprès d'un producteur local mais auprès d'un silo à grain qui en vendait pour qu'elles soient mangées ou transformées et non pour être plantées. Ensuite, nulle contamination à l'horizon: selon la Cour, le fermier savait que le silo contenait principalement des graines de soja GM puisqu'une bonne part des fermiers locaux — y compris lui-même — en cultivait pour leur première récolte. Enfin, même si ce n'est pas faux, dire que le fermier s'aperçoit que les plants sont résistants au Round Up est une façon particulière de faire savoir qu'il a sciemment déversé cet herbicide sur ses cultures alors que toute plante non génétiquement modifiée en meurt. On peut aussi remarquer que les 2 assertions fausses sont complètement inventées, nulle part dans le jugement de la Cour Suprême, y compris lorsqu'il reprend la position du fermier, on n'en trouve trace. Évidemment, cette partie de la dépêche a été reprise telle qu'elle par un suspect habituel.

On peut évidemment lire dans une presse plus sérieuse un compte rendu nettement plus fidèle du jugement et des faits. Cependant, on peut voir une fois de plus pourquoi la presse souffre d'un certain désamour. Les sources primaires d'information sont maintenant accessibles directement à tout un chacun, ce qui fait que les gens peuvent s'apercevoir qu'il y a des différences entre les faits et ce qui est écrit dans la presse, non seulement sur les sujets dont ils sont spécialistes mais aussi sur les sujets qui les intéressent. Dans le cas présent, on peut s'apercevoir que des dépêches sont romancées alors qu'elles sont censées rapporter des faits. La confiance du lecteur pour ce qui est raconté sur d'autres sujets s'en trouve forcément diminuée.

6 novembre 2012

Imposer le silence

Le 22 octobre dernier, 6 personnes ont été condamnées à 6 ans de prison ferme pour homicide involontaire parce qu'ils faisaient partie d'une commission d'évaluation des risques et avaient conseillé aux habitants de L'Aquila de ne pas s'inquiéter outre mesure de la multiplication des secousses dans la région. Ils étaient apparemment même allés jusqu'à dire que les secousses constituaient un signal favorableLe 6 avril 2009, une semaine après la réunion, un séisme dévastait la ville et faisait 309 morts, entre autres.

La lourdeur des peines et l'absence de différentiation entre les prévenus me semble signer la désignation de boucs émissaires, comme le pointait Dirtydenys avec justice. Et comme le pointait aussi Bruce Schneier — qui se risque lui aussi à des propos dangereux — c'est une perte sèche pour la société: un tel verdict ne peut avoir comme effet que de limiter la parole publique des experts. Il n'a d'ailleurs pas fallu attendre bien longtemps pour que les suspects habituels se précipitent dans la brèche: ainsi Corinne Lepage ne s'est point privée de faire connaître sa volonté de poursuivre en justice tout expert qui émettrait un avis favorable sur la sécurité des OGMs dans un cénacle officiel.

Ayant moi-même infligé à mes lecteurs les plus intrépides une série de billets sur le principe de précaution et surtout sur son dévoiement, je me suis rappelé qu'une augmentation de la fréquence des poursuites en justice dirigées contre les experts était esquissée dans un ouvrage publié voilà plus de 10 ans. La prévision qui y était faite d'une possibilité symétrique de poursuites entre celles suscitées par les partisans d'une approche de dommage zéro et celles suscitées par les partisans d'une approche plus risquée mais plus féconde en bénéfices ne m'avait pas vraiment convaincu, on va y revenir.

Les avis des experts sont en première approche comme des conseils, les experts sont d'ailleurs toujours prompts à rappeler qu'ils ne font pas de gestion des risques, tâche réservée aux politiques, mais seulement de l'analyse des risques. Condamner quiconque pour de simples conseils est suffisamment problématique pour que Hobbes, bien connu pour son laxisme, affirme qu'on ne peut le faire en équité. Son argument est que, finalement, un conseil étant généralement sollicité, il est impossible de sanctionner un avis argumenté qu'on a soi-même demandé. En passant, Hobbes connaissait déjà le problème du conflit d'intérêts puisqu'un conseil est, entre autres, défini par le fait qu'il profite à celui qui le reçoit et non d'abord à celui qui le donne. Cela montre bien que le thème du conflit d'intérêts est loin d'être nouveau. Cela dit, dans nos sociétés modernes, il est bien difficile de s'abstraire de toute conséquence de ses propres conseils, cela requerrait en fait de se retirer du monde en dehors du moment où on donne des conseils. Cette vie d'ermite est bien souvent incompatible avec l'expertise qui requiert de maintenir à jour ses connaissances donc d'avoir des contacts avec autrui. Comme signalé dans cet entretien, l'indépendance de l'avis ne peut alors être assuré que par le cadre institutionnel et non par l'absence de conflits d'intérêts de chacun des experts consultés.

Une autre différence avec le cadre hobbésien, c'est que, de nos jours, bien loin d'être soumis aux caprices d'un souverain, les individus ont des droits, ce qui fait que l'état ne peut donner des ordres sans justification rationnelle. Dans le cas des tremblements de terre, il s'agit de savoir quand faire évacuer: dire qu'à l'Aquila des gens auraient pu être sauvés en dormant dehors me laisse sceptique. Mais comme les tremblements de terre sont toujours impossibles à prévoir avec une précision suffisante, cet ordre ne peut jamais être donné. Par contre, dans le domaine proche de la volcanologie, il est possible de faire des prédictions plus précises et d'évacuer la population, comme ce fut le cas avec l'éruption du Pinatubo. Dans le cas des OGMs, chaque individu est libre de faire ce qu'il veut pour peu qu'il ne blesse personne, d'où l'insistance des opposants sur les thèmes des dangers pour la santé et pour l'environnement. On voit donc que les avis n'ont pas tous le même effet: si un conseil peut, pour Hobbes, être ignoré en toute circonstance, dans une société libérale, il restreint les possibilités d'action de l'état en privant certaines action de justifications acceptables.

Pour contrebalancer cela, il y a une grande dissymétrie entre les prévisions optimistes et pessimistes, comme je l'avais noté à propos du principe de précaution. En dehors de la communauté scientifique, il y a peu à craindre d'émettre des prévisions alarmistes. Parmi ceux qui lancent des fausses alertes, seuls ceux qui récidivent avec insistance sont punis, tels les petits rigolos qui appellent les pompiers sans raison. On peut par contre s'assurer dans certains cas un passage dans les médias, où en cas d'erreur, on sera vite oublié, mais où, si la prévision se réalise même fort approximativement, on peut devenir un grand gourou de certains domaines. De fait, des poursuites judiciaires ne seront jamais engagées que pour une insuffisance de précaution ou des prévisions paraissant après coup comme trop optimistes. La communauté scientifique est un peu à l'abri de ce genre de phénomène, puisqu'il faut que les modèles utilisés collent à la réalité, ce qui nécessite d'avoir un modèle et permet d'évacuer ceux qui ne sont pas meilleur que le hasard. Cependant, le fond des débats scientifique ne parvient pas toujours au public, ou bien de façon déformé. Cette dissymétrie de perception entre les prévisions optimistes et pessimistes dans le public permet d'enclencher un cycle où on pourra demander des mesures, souvent d'interdiction, envers certaines choses ou certaines techniques. Le cas des OGMs illustre l'efficacité de cette tactique.

Elle présente toutefois un défaut: en cas d'opposition purement idéologique, il faut renouveler les articles et autres déclarations qui sont au fur et à mesure discréditées par les scientifiques. Faute de quoi, l'interdiction finit par être levée. Cela implique qu'il faut susciter des articles scientifiques ou de nouvelles hypothèses. Mais on peut vouloir freiner les réfutations publiques de ce qu'on a avancé. Dans ce cas, Hobbes peut encore venir à la rescousse: si la pensée est libre, la parole l'est toujours nettement moins. Nos sociétés libérales défendent certes la liberté de parole, mais avec des exceptions. Si, comme dans le cas de L'Aquila, on peut arriver à faire condamner des experts pour des déclarations imprudentes, l'incitation à se taire est grande. On peut aussi harceler d'autres personnes, même si on sait que l'action en justice n'a aucune chance d'aboutir à une condamnation: ainsi en a-t-il été des cancers de la thyroïde en France dont on a voulu rendre responsable le nuage de Tchernobyl et le Pr Pellerin. On voit donc que la menace de poursuite est crédible et sérieuse: peu importe en fait que la condamnation soit définitive, les mauvais esprits peuvent être importunés, à l'aide des moyens de l'état, sans risque pour qui lance la procédure. On voit donc tout l'intérêt d'avertir les experts, de façon à bien limiter leur liberté de parole. Après tout s'il reste des courageux, il sera toujours temps de faire un exemple.

10 octobre 2012

Marquer des points

Suite à la publication de l'article de GE Séralini et son orchestration médiatique, tout le monde a pu en prendre connaissance. Dès les premières heures, les critiques allaient bon train et il semblait bien qu'on ne pouvait en fait pas tirer grand'chose de ce papier. Dernièrement, les agences chargées de l'évaluation des risques ont commencé à rendre leurs avis, comme par exemple en Allemagne ou en Australie dont l'agence collecte les réfutations d'études sans lendemain sur une page. L'EFSA a aussi publié un avis préliminaire.

En résumé, tous ces avis reprennent les critiques formulées à l'encontre du papier comme, par exemple, l'insuffisance des effectifs de rats ou du choix de la souche. Ces critiques envers le papier de Séralini ont en commun de s'appuyer sur un raisonnement qui est généralement explicité: les besoin de rats en plus et d'une souche moins prompte à développer des tumeurs s'expliquent par la nécessité de réduire les effets du bruit statistique. À ces critiques, GE Séralini et Corinne Lepage, membres du CRIIGEN qui a subventionné l'étude, répondent sur un tout autre plan.

Séralini a déclaré qu'il ne donnerait pas les données détaillées de son étude à l'EFSA parce que celle-ci ne publie pas les données que Monsanto lui a fournies pour qu'elle autorise le maïs porteur de la modification NK603 à la vente. Il affirme aussi qu'il publierait ses données sur un site web si l'EFSA publiait les données en sa possession sur le NK603. En général, les tenants de la publication ouverte des données tiennent cette action pour bénéfique en elle-même: pas besoin d'exiger une quelconque forme de réciprocité. L'attitude de Séralini revient donc de se point de vue à se prévaloir de la turpitude d'autrui. Les demandes de l'EFSA sont aussi moindres: ne lui transmettre qu'à elle les données, chacun restant propriétaire de ses données. Elle n'a donc sans doute pas le droit de publier ce que lui a fourni Monsanto, par exemple. La demande de Séralini ne pourrait alors être exaucée que si la loi change ... ce qui n'est pas au pouvoir de l'EFSA.

Corinne Lepage, quant à elle, a pris la plume pour publier une tribune où elle dénonce un conflit déontologique: la personne qui a rédigé l'avis de l'EFSA sur le papier de Séralini a aussi rédigé l'avis sur le NK603. On retrouve aussi cette contestation dans les propos de Séralini puisqu'il déclare vouloir être jugé par la vraie communauté scientifique, pas par celle qui s'exprime dans Marianne et qui est composée à 80 % de gens qui ont permis les autorisations de ces produits. Corinne Lepage dénonce aussi le fait que les évaluateurs ne devraient pas être les normalisateurs. Elle fait aussi grief à l'EFSA de ne faire que copier-coller les arguments des détracteurs de Gilles-Eric Séralini sans bien sûr expliquer en quoi c'est incorrect autrement qu'en se prévalant que les autres feraient pire, sans s'expliquer plus avant. Elle expose aussi certaines de ses revendications pour les changements de procédures à l'EFSA.

On voit donc que les opposants aux OGMs ne portent pas leur contestation sur le cœur de ce que sont les avis des instances d'évaluation des risques. En effet, comme le rappelle un exposé d'Yves Bréchet devant l'Académie des Sciences morales & politiques, un avis ne vaut pas seulement par ses conclusions mais surtout parce qu'il est fondé sur un raisonnement critique basé sur l'ensemble des connaissances disponibles, ou au moins le maximum qu'on a pu rassembler. Au fond, répondre uniquement sur les apparences, ce n'est pas répondre à l'avis. Si vraiment l'avis est partial, il doit être possible de pointer des erreurs de raisonnement ou dans la sélection des connaissances qui servent de base à l'avis.

Cependant, comme il est pratiquement impossible de pratiquer une critique approfondie d'un avis si on n'a pas soi-même de connaissances scientifiques ou si on ne dispose pas de temps pour se faire une idée, on demande que l'avis soit rendue de façon à ce que l'étude ait les apparences de l'impartialité. Il ne peut s'agir de demander que les experts n'aient d'attaches avec personne: si c'était le cas, ce ne seraient sans doute pas des experts de leur domaine. De même, on ne peut pas réclamer que les experts n'aient pas exprimé d'avis sur la question — ou une question proche — auparavant: d'une certaine façon, c'est leur métier que d'évaluer l'ensemble des connaissances disponibles sur un sujet. Les métiers techniques et scientifiques réclament souvent de savoir reconnaître les évènements qui changent une situation et donc son jugement sur la question. Prétexter que les experts aient déjà rendu un avis — qui va dans le sens contraire à ce qu'on souhaiterait — pour les disqualifier, c'est de fait mettre en cause leur honnêteté et leur capacité à accomplir leur travail d'expertise. Le nombre d'experts dans un domaine donné n'est pas non plus extensible à l'infini, ce qui fait que ce sont souvent les mêmes personnes qu'on va retrouver lors des expertises, non du fait d'un quelconque complot mais à cause des conséquences de la spécialisation des experts. C'est pourquoi les arguments de Corinne Lepage sont particulièrement infondés. Dans bon nombre de domaines, les normalisateurs — au sens de ceux qui écrivent les normes — sont des spécialistes du domaine, qui ont évalué les différentes technologies, voire qui ont créé la technologie qui est normalisée. On ne peut pas dire que le monde s'en porte si mal! De même, réclamer un changement d'auteur de l'avis parce que cet avis allait dans le sens contraire à un nouveau papier est un non-sens: l'auteur de l'avis est d'abord censé écrire l'avis de l'ensemble des experts consultés et être capable d'incorporer les informations nouvelles.

En fait, ces déclarations ne visent qu'à marquer des points dans l'opinion publique. Le reproche principal fait à l'EFSA est de n'être pas d'accord avec Séralini et Corinne Lepage, non d'être face à un quelconque conflit d'intérêts. Il s'agit de s'attaquer à la crédibilité de ceux qui ne sont simplement pas d'accord avec soi, d'avoir le loisir de choisir par qui on est critiqué, de ralentir les procédures d'autorisation et d'empêcher l'innovation d'émerger par suite de coûts de commercialisation trop importants. C'est la tactique classique qui a été déployée avec succès pour empêcher la culture des OGMs en France. C'est aussi une tactique qui est malheureusement très présente dans le champ de la politique et c'est une des raisons qui conduisent à demander des expertises. Il semble donc bien que la parution du papier soit surtout l'occasion d'une exploitation politique par les détracteurs habituels des OGMs. Il montre aussi une nouvelle fois qu'ils cherchent à pirater les institutions et les procédures mises en place dans le cadre du principe de précaution pour faire avancer leur cause, sans égards pour les faits. C'est la principale faiblesse du principe de précaution: pour que ces institutions fonctionnent bien, un minimum de bonne foi est requis et ceux qui cherchent simplement à marquer des points peuvent s'en servir pour faire campagne sans avoir à en souffrir.

21 septembre 2012

NK603, l'information écologiquement modifiée

Ce mercredi, le Nouvel Observateur nous a gratifié d'un dossier sur les OGMs selon lesquels ce seraient des poisons, basé sur la publication d'un papier de G.E. Séralini, scientifique favori du CRIIGEN et déjà connu pour ses papiers prétendant démontrer la nocivité de divers OGMs et celle du Round Up. Il n'aura sans doute pas échappé aux lecteurs habituels de ce blog que je trouve que l'argumentation déployée par les opposants aux OGMs particulièrement insuffisante. Cette étude, comme on va le voir, ne change pas ma façon de penser, mais elle est aussi révélatrice des tactiques des écologistes dans ce domaine ainsi que d'insuffisances graves de la part d'une partie de la presse, en l'occurrence ici de la part du Nouvel Observateur.

Le papier de Séralini

Séralini était déjà connu pour quelques aventures, car il a déjà essayé de prouver que le MON810 était nocif en bidouillant les données de l'étude Monsanto et essayé de montrer qu'un produit homopathique annulait les effets néfastes du glyphosate, le principe actif du Round Up. Il s'est donc bâti une solide réputation d'absence de sérieux qui lui vaut quelques déboires quand il se risque hors de nos frontières.

On peut trouver le papier de Séralini sur les sites des organismes qui sponsorisé son étude, ce qui n'est pas si courant et est à mettre à leur actif. Il prétend démontrer la toxicité du maïs NK603, autorisé depuis 12 ans aux USA, ainsi que celle du Round Up. La disponibilité du papier en ligne a permis d'avoir nombre de critiques au sujet de cet article, parmi laquelle celle de Marcel Kuntz. On peut faire la liste des griefs principaux:

  1. Pas assez de rats dans chaque groupe: le groupe de contrôle ne compte que 10 mâles et 10 femelles, ce qui le rend très sensible au bruit de fond statistique
  2. Le traitement statistique est mystérieux.
  3. L'étude n'est pas menée en aveugle, tous les expérimentateurs savent à quel groupe les rats appartiennent, ce qui rend l'étude sujette à divers biais.
  4. Les rats utilisés sont susceptibles de développer des tumeurs: les taux de prévalence donnés par les études s'étagent en gros de 50 à 80% pour des rats vivant jusqu'à 2 ans! On voit aussi qu'il y a des lignées qui sont nettement moins sujettes à ce problème et où il est donc plus facile de distinguer un effet conduisant à l'augmentation d’apparition des tumeurs.

Pour bien montrer que ces critiques ne sont pas là que pour la forme, on peut regarder la figure 1 du papier. seralini_fig_1.jpg Les traits continus sont les groupes avec les produits à tester, l'épaisseur croissant avec la dose administrée. On distingue le comportement pour les mâles et les femelles. Successivement de haut en bas, nourriture avec le maïs OGM seul, maïs OGM saupoudré de Round Up, eau mélangée au Round Up. Les traits pointillés représente le groupe de contrôle: c'est donc la même courbe qui se succède de haut en bas. On constate que pour la consommation d'OGM seul et pour les rats mâles (graphe en haut à gauche), il vaut mieux consommer le plus possible d'OGM: c'est le cas où les rats vivent le plus vieux! Quel dommage que Séralini n'en fasse pas ses conclusions! On constate aussi que les évolutions ne sont pas vraiment celles attendues quand on connaît la conclusion qui en est tirée: il n'y a pas de croissance de la toxicité quand la dose augmente ou quand on ajoute un produit a priori toxique. C'est ainsi que consommer de la nourriture avec juste un peu d'OGM apparaît dangereux pour les mâles et que l'ajout de Round Up dans les OGMs est bénéfique aux femelles. Par rapport aux autres études regardant la prévalence chez les rats vieux des tumeurs, on voit qu'en fait c'est le contrôle qui est exceptionnel, et non les groupes avec lesquels on veut tester les produits. On se trouve donc en face d'une étude qui nous montre qu'avec des échantillons de petite taille, on a énormément de bruit. On peut même lui faire dire l'inverse des conclusions des auteurs puisque certains résultats favorisent en fait l'OGM.

À ce stade, on ne voit donc que quelqu'un qui s'est fait à juste titre rembarrer sur ses méthodes tant statistique qu'expérimentale se faire de nouveau rembarrer à juste titre pour les mêmes raisons. C'est certes un militant anti-OGM, financé par des associations sur la même ligne que lui, mais cela ne fait qu'obliger à regarder avec un œil critique ses publications: être engagé ne veut pas dire en soi qu'il ait forcément tort. Simplement, Séralini n'aura certainement pas amélioré sa réputation auprès de ses pairs grâce au contenu de son papier.

L'exploitation dudit papier

Par contre, l'utilisation de ladite publication est nettement plus contestable. Le principal article du Nouvel Observateur est sensationnaliste. On nous dit que la publication pulvérise une vérité officielle, dans un pays où le seul OGM qui y ait jamais été autorisé est interdit, parce que le gouvernement le soupçonne de nuire à l'environnement. Par contre, il est vrai que toutes les instances d'évaluation des risques existant de par le monde jugent les OGMs actuellement sur le marché comme sûrs, suite à un grand nombre d'études et maintenant un certain nombre d'années d'utilisation. On nous décrit ensuite le mode opératoire de l'équipe de Séralini: on apprend qu'ils ont crypté leurs emails comme au Pentagone, qu'ils se sont interdit toute discussion téléphonique, qu'ils ont trouvé l'achat de semences OGMs très difficile et enfin qu'ils se sont procuré 200 rats. Il faut dire que l'équipe de Séralini craignaient un coup fourré de Monsanto, qui ne doit se doute en aucune façon que des opposants cherchent depuis des années à monter des études visant à discréditer ses productions.

L'article nous informe aussi que Séralini publie prochainement un livre sur le même sujet, de même que Corinne Lepage, présidente d'honneur du CRIIGEN, sponsor de cette étude. On nous informe aussi qu'un film portant le même titre que le livre de Séralini et portant sur le même sujet va bientôt être diffusé sur une chaîne publique. On croirait presque que l'étude sert de caution à une tournée promotionnelle comme l'industrie du divertissement nous a habitués à en voir et très similaires à leurs sœurs jumelles destinées à faire vendre des livres ou des documentaires vantant une certaine opinion, le plus souvent en criant au scandale. Heureusement, Séralini a pris soin de nous rassurer dans sa publication: il ne déclare aucun conflit d'intérêt, ce qui est bien le moins pour quelqu'un qui agit pour le compte d'une association militante qui ne cesse de dénoncer ceux qui mineraient les études concurrentes. Le Nouvel Observateur, non plus, ne sert aucunement de support à une quelconque tournée promotionnelle, et c'est dans un but purement informatif qu'il a interrogé Mme Lepage Corinne qui nous affirme que tout est organisé pour qu'il n'y ait pas de recherches.

L'article est aussi titré comme étant exclusif. En lisant ce qui se dit ailleurs, on s'aperçoit que Séralini et le Nouvel Observateur ont signé un accord de confidentialité. Cet accord empêchait de s'enquérir de l'avis d'autres personnes spécialistes des OGMs et de recueillir leur opinion de façon à recouper les informations. Ceci est aussi particulièrement indiqué pour une publication scientifique. En effet, qu'une étude donne lieu à publication ne veut pas dire que ses conclusions sont certaines. C'est plutôt le point de départ de la critique et de la possibilité d'essayer de répliquer les résultats. Et vue la vitesse où les critiques sont apparues, il eut sans doute été préférable de recueillir des avis d'autres scientifiques, non militants cette fois-ci. À moins bien sûr que les journalistes ne soient victimes du biais de confirmation: en fait, ils étaient déjà acquis aux idées qu'on leur a exposées, il leur paraît impossible que ce soit l'inverse qui soit vrai. Mais force est de constater que si le Nouvel Observateur avait fait de même dans l'autre sens, on aurait traité ça de manipulation et dénoncé le manque criant de déontologie journalistique. C'est le cas ici: on voit bien que le Nouvel Observateur sert de faire-valoir à des personnes qui ont aussi un net intérêt commercial à ce qu'on sache ce qu'ils font, il ne recoupe pas ses informations.

Ce n'est pas la première fois que ça se produit dans la presse française. Il y a quelques mois sur ce blog, je critiquais un article du Monde qui recopiait servilement le tract d'une association anti-OGM à propos du coton Bt en Inde, déformation des propos des défenseurs de la technique inclus, alors qu'un mois plus tôt un journal indien, traitant le même sujet, mentionnait le point de vue inverse. Mais le manquement du Nouvel Observateur est encore plus flagrant et cette fois-ci on a un aperçu d'une bonne partie des techniques des militants écologistes pour faire prévaloir leur point de vue.

Les militants écologistes dominent de la tête et des épaules leurs opposants sur la maîtrise de la chaîne de production médiatique. Ce n'est pas un fait nouveau, il suffit de regarder ce qui se passe depuis de nombreuses années sur le nucléaire. On trouve ainsi des traces de ceci dans un article sur les évènements ayant entouré l'usine de La Hague (p175sq). Les militants y sont décrits utilisant divers artifices, comme le fait d'envoyer leur contribution au dernier moment, empêchant toute modification de celle-ci et toute recherche de contradiction. L'accord de confidentialité trouve toute sa place dans ce cadre: les médias importuns qui veulent un avis extérieurs sont exclus, ils n'auront pas le scoop et ils ne pourront publier une réfutation. Celle-ci ne peut venir que plus tard, alors que la machine médiatique est lancée et inarrêtable ou bien que l'agitation est retombée.

Les militants écologistes se posent aussi de façon permanente en David devant affronter Goliath, même lorsqu'ils dominent largement le champ de la polémique. Dans le cas des OGMs, le cas est clair: en France, la cultures des OGMs est interdite, tout essai est devenu impossible — alors même qu'il y avait des essais de plantes transgéniques en France à la fin des années 80. On trouve cet angle dans l'interview de Jouanno: elle nous dit que Monsanto s'est montré menaçant dans son bureau à propos de l'invocation de la clause de sauvegarde sur le MON810, mais elle se garde bien de dire que Monsanto a gagné au Conseil d'État sur ce sujet. Ils ne cessent aussi de dénoncer les conflits d'intérêts de leurs opposants afin de les décrédibiliser, rien que d'aller à des conférences où des industriels sont présents suffit pour devenir irrecevable. Par contre, comme on l'a vu dans le cas d'espèce, cela ne les dérange pas de se trouver aussi dans des situations de conflits d'intérêts flagrantes. Bien sûr, ils argueront sans nul doute que la publication est dévoilée par hasard juste avant la sortie de divers livres et autres reportages, uniquement là pour propager leur message. Mais le fait est qu'ils ont un intérêt financier, autre que leur salaire, à faire publier leur papier dans une revue scientifique. Cela ne les gêne pas non plus d'être financés par des multinationales.

Les militants écologistes cherchent aussi à pirater le processus d'évaluation par les experts ainsi que les canaux scientifiques. J'en ai déjà parlé en regardant l'utilisation qui était faite du principe de précaution en relation avec les OGMs. Arriver à publier de nouveau une étude, peu importe sa qualité, leur permet de faire parler de leur cause. Comme les journalistes à qui ils s'adressent sont probablement ignorants du consensus scientifique, ils peuvent recevoir un bon accueil. Peu importe le nombre d'études publiées: il n'y en a jamais assez, tout est toujours organisé pour empêcher leurs convictions d'émerger comme le consensus scientifique. Or, en l'occurrence, de très nombreuses études ont été réalisées et le consensus scientifique est que les modifications génétiques ne constituent pas en elles-mêmes une technique dangereuse: c'est par exemple la conclusion qui figure dans ce rapport européen résumant les études menées grâce à l'UE. Le fait que le consensus scientifique dans le domaine soit aussi peu souvent exposé montre le succès de leurs tactiques: on n'en parle guère, à titre d'exemple, le rapport européen est passé totalement inaperçu dans la presse.

De fait, le plus énorme scandale des OGMs est que des journalistes gobent tout ce que leur disent les écologistes dans ce domaine. On ne peut que constater que le Nouvel Observateur est soit complice, soit se laisse manipuler par une association écologiste, alors même qu'elle ne fait qu'utiliser des tactiques qu'on peut observer depuis de très nombreuses années. Ils se sont eux-mêmes interdit de recouper les informations et de rechercher quel était le consensus scientifique sur la question. Que les auteurs de l'étude et des membres éminents de l'association qui la sponsorise soient aussi dans une démarche mercantile ne leur pose aucun problème, ils leur font même de la publicité. Il faut aussi noter que le Nouvel Observateur s'est distingué en relayant une entreprise de désinformation menée par des anti-nucléaires. Une fois de plus, je constate qu'on ne peut pas faire confiance à la presse dans certains domaines, dans des matières techniques ou scientifiques, un article de presse est à prendre avec les plus grandes précautions. On trouve aussi souvent de nombreuses interrogations de la part de la presse sur son avenir. Fournir aux lecteurs l'occasion de s'apercevoir que, dans ces matières, la qualité de l'information fournie est mauvaise, c'est aussi l'occasion pour eux de s'interroger sur la qualité de l'information fournie, tout court.

edit du 22/9: corrigé un oubli de mots dans le paragraphe sous le graphique extrait du papier edit du 19/10: correction d'erreurs variés mais criantes d'orthographe, de syntaxe, etc.

29 avril 2012

Les promesses tenues du Monde sur les OGMs

Le Monde a publié jeudi dernier un article sur les affres supposés du coton Bt en Inde, intitulé Les promesses non tenues du coton OGM en Inde. Comme le titre le laisse penser, le fond de l'article est essentiellement négatif envers le coton Bt, en ce qu'il est un OGM.

Les mauvais rendements

On nous dit d'abord que la hausse des rendements est moins élevée que prévue. Évidemment, on ne nous dit pas quelle était la prévision, mais on nous entretient d'une baisse des rendements cette année dans l'état d'Andhra Pradesh. L'article mentionne quand même que depuis l'introduction, en 2002, du coton génétiquement modifié en Inde, les récoltes ont doublé, chose qui n'a sans doute jamais été mentionnée dans un article du Monde auparavant.

Et effectivement, on peut constater grâce aux statistiques rassemblées par l'état indien que les rendements ont fortement augmenté depuis le début des années 2000, et que cette hausse s'est produite brutalement à partir de 2003. On constate que les rendements ont augmenté de 60 à 80% par rapport à ce qui existait jusqu'alors. Rendement des cultures de coton en Inde

On constate aussi que la saison 2011-2012 est celle qui a les plus mauvais résultats depuis la saison 2005-2006, avec à peine 60% de rendement en plus par rapport à 2003. Il est vrai aussi qu'il est impossible d'attribuer toute la hausse des rendements au trait OGM Bt: si on regarde la progression du coton Bt en Inde, telle que donnée (p4) par l'association industrielle idoine, on s'aperçoit que l'explosion des rendements démarre avant que le coton Bt ait une présence significative. Autrement dit, le trait Bt n'est pas le seul contributeur à l'augmentation des rendements. Par contre, le trait Bt a un autre intérêt: on a besoin de moins d'insecticides puisqu'une partie des insectes ravageurs — en l'occurrence certaines chenilles — sont combattus par le biais de la modification génétique. Le document de l'ISAAA nous dit que la consommation d'insecticides contre ces ravageurs a baissé de 59% en valeur entre 1998 et 2009 (p9). On voit là qu'il y a un choix économique fait par les agriculteurs: l'intérêt de la semence Bt ne dépend pas seulement d'un surcroît de rendement, mais aussi d'une économie de pesticides et de temps passé à les épandre.

La rédaction de l'article du Monde est aussi clairement malhonnête: elle prend un seul état indien en exemple pour étendre la conclusion au pays entier. Comme on peut le constater sur le graphique des rendements, la chute n'a certainement pas été de cette ampleur dans d'autres états. Par ailleurs, il laisse lourdement entendre que les explications de Bayer sont fausses, alors qu'elles sont corroborées par d'autres spécialistes, par exemple, du Département de l'Agriculture US (p2). Pour le journaliste, la pluviométrie ne joue sans doute aucun rôle dans le rendement des production agricoles. Ce document contredit aussi l'affirmation selon laquelle la hausse des rendements serait due aux progrès de l'irrigation, puisqu'il dit que 75% du coton en Inde n'est pas irrigué.

La menace des «bactéries»

Le journaliste nous apprend ensuite que des bactéries menacent la production dans le nord de l'Inde. Le spécialiste intervenant ensuite nous informe qu'il s'agit en fait d'un virus, celui de la frisolée. On nous dit que le coton transgénique y serait plus sensible. En fait, il semble que la réalité soit quelque peu différente. L'institut de recherche indien sur le coton a publié un article sur cette question. Il s'avère qu'en fait, le virus en question se propage grâce à un vecteur et que la maladie paraît bien corrélée à la présence de cet insecte (p3). Ce papier nous dit aussi que ce virus s'est déjà répandu parmi les cultures de coton, au milieu des années 90. La réponse à l'apparition de cette maladie a été le développement d'hybrides. Ces hybrides, auxquels le trait Bt a sans doute été ajouté par la suite, ont vu leur efficacité contre la maladie diminuer à cause de mutations du virus. Le fait que ces hybrides soient transgéniques ou pas n'a donc pas d'importance; d'ailleurs, le trait Bt n'a jamais été promu comme une solution aux maladies virales des plantes, mais comme un moyen de lutter contre certains insectes — des papillons — seulement. Les anti-OGMs font souvent toute une montagne de la simple possibilité que le trait Bt puisse porter atteinte à d'autres insectes. En quelque sorte, il faudrait que le trait Bt combatte toutes sortes de menaces pour les plantes qui en sont dotées, tout en restant strictement dans les limites de l'action qui lui a été confiée par ses concepteurs, la luttre contre certaines chenilles bien déterminées.

Les affres de l'agriculture moderne

Le journaliste fait aussi montre de son ignorance des pratiques agricoles: l'arrivée d'hybrides s'accompagne de la nécessité d'employer engrais, pesticides et plus d'eau pour qu'ils atteignent leur plein potentiel. C'était déjà le cas pour la Révolution Verte, qui, il est vrai, n'a guère que 60 ans d'âge. On retrouve donc là la contestation habituelle de l'agriculture industrielle par les anti-OGMs. Cette contestation comprend aussi celle de sa transformation en activité capitalistique: les hybrides nécessitent souvent des achats réguliers de semences, la culture nécessite d'engager des frais en intrants plus importants, montants qui ne peuvent être recouvrés qu'après la récolte en un court laps de temps. C'est pourtant une réalité qui n'est qu'amplifiée par le besoin d'intrants et de semences mais qui existe aussi pour l'agriculture vivrière: l'agriculteur a besoin là aussi de maintenir un stock de graines et d'intrants s'il veut obtenir les meilleurs résultats. Dans le cas du coton indien, cela sert aussi à rappeler la légende urbaine selon laquelle les OGMs provoqueraient des suicides par la suite d'une déchéance économique — alors même que les rendements et les prix du coton augmentent! Peu importe que cette légende ait été démontée depuis longtemps ailleurs qu'en France, personne ne semble s'en soucier au Monde.

L'article mentionne la supposée disparition des semences locales. Or, un tour rapide sur le site d'une compagnie indienne de semences montre qu'en fait la plupart de la production de semences est effectuée par des firmes locales, sous licence de Monsanto. On y trouve aussi l'habituel appel à un moratoire sur les OGMs, revendication habituelle des activistes anti-OGMs. On a donc furieusement l'impression de lire un tract anti-OGM. Une petite recherche montre aussi qu'un article au contenu similaire a été publié dans The Hindu, voilà un mois. Sauf que cet article mentionne qu'il s'agit de la publication d'un rapport d'une association anti-OGMs et que les paysans ont gagné avec les semences Bt, notamment grâce aux économies de pesticides. Le Monde ne se comporte donc qu'en porte-voix des anti-OGMs, comme à l'habitude. En quelque sorte, le Monde tient toujours toutes ses promesses, lui.

23 janvier 2012

État stratège

Fin novembre dernier, le Conseil d'État censurait les arrêtés interdisant la culture du MON810. Cela a donné lieu à des réactions des plus prévisibles, y compris sur ce blog. Un point restait cependant peu clair: le ministre de l'environnement, Mme Kosciusko-Morizet, avait juré que le gouvernement publierait de nouveaux arrêtés invoquant la clause de sauvegarde et interdisant de nouveau la culture de la plante honnie.

L'arrêt de la CJUE pose ainsi des conditions pour la validité de l'invocation de la fameuse clause de sauvegarde (§81): l’article 34 du règlement n° 1829/2003 impose aux États membres d’établir, outre l’urgence, l’existence d’une situation susceptible de présenter un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Pour un OGM autorisé depuis 1995 aux USA et qui a fait l'objet de plusieurs milliers d'articles scientifiques, trouver de nouvelles indications susceptibles de passer un tel test, sans qu'il n'en ait été question en large et en travers dans la presse semble relever de la gageure. On attendait donc plus d'informations sur la stratégie — à n'en pas douter brillante — qu'allait adopter le gouvernement pour parvenir à ses fins.

Aujourd'hui, le ministre de l'environnement a fait quelques déclarations sur ce sujet. En effet, depuis 2 mois, on ne voyait plus rien venir et les agriculteurs commencent maintenant à s'approvisionner en vue des semis. Mme le ministre a donc déclaré que le gouvernement activera la clause de sauvegarde avant la période des semailles mais pas trop tôt avant pour que la Commission européenne n'ait pas le temps de la remettre en cause et qu'il s'opposera à la culture du Mon 810, donc ce n'est pas la peine d'acheter des semences de Mon 810.

On voit donc avec quelle confiance le gouvernement va de nouveau activer la clause de sauvegarde: pour ne pas laisser la commission le temps de réagir, on attendra le dernier moment. Cela devrait aussi permettre d'annihiler les efforts de Monsanto — qui, à coup sûr, agira en référé — pour faire annuler les nouveaux arrêtés. Les arguments scientifiques qui seront avancés par le gouvernement ne semblent donc pas suffire au ministre, ce qui est surprenant, puisqu'on nous dit depuis toujours que le MON810 est dangereux.

Le gouvernement cherche donc ouvertement à priver d'effets une décision de justice visant à corriger un excès de pouvoir. Dans la dépêche, on cherche aussi vainement toute trace de condamnation des actes des militants anti-OGM, alors que ce gouvernement se fait fort de pourchasser les délinquants. Encore des actes à mettre au crédit de ce gouvernement.

29 novembre 2011

Retour du boomerang MON810

Le cas des OGMs et du MON810 a déjà été évoqué sur ce blog, pour montrer que c'est un exemple de l'application dévoyée du principe de précaution et pour dire qu'en la matière, l'action du gouvernement durant le mandat de Nicolas Sarkozy est tout simplement désastreuse. En activant la clause de sauvegarde pour interdire la culture du MON810 début 2008, le gouvernement a provoqué une plainte de Monsanto pour faire annuler cette décision. Comme il n'y avait strictement aucune raison d'invoquer la clause de sauvegarde, sauf, bien sûr, des motifs d'opportunité politique, la réponse de la CJUE puis celle du conseil d'État ne faisaient guère de doute. Il est donc de nouveau possible de semer du MON810.

Cette décision, que même les écologistes de Greenpeace attendaient, donne lieu à une intéressante expérience sur le niveau du débat public en France. Rappelons en effet qu'il n'y a guère que 28000 publications scientifiques à propos des OGMs, dont 5000 sur les plantes résistantes aux insectes, cette catégorie concernant certainement pour une part très importante les plantes Bt comme le MON810. Les effets de ces plantes sont ainsi parmi les mieux documentés qui soient. Quant à la décision elle-même, elle ne laisse aucun espoir sur la légalité d'un nouveau moratoire. Ce n'est pas tant l'illégalité qui va gêner le gouvernement, mais plutôt le fait que le Conseil d'État l'ait déjà reconnu, ce qui ouvre la porte à une censure express.

Quelle a donc été la réaction des hommes politiques? Comme on pouvait s'y attendre, on a entendu un chœur incluant l'ensemble de la classe politique pour vouloir un nouveau moratoire. Les Verts, accompagnés de toutes les associations écologistes, ne pouvaient pas passer à côté de cela, l'opposition farouche aux OGMs étant une des bases idéologiques du mouvement. Le PS et son candidat, François Hollande, ne furent pas en reste. Quant au gouvernement, profitant d'un déplacement à vocation agricole, il disait qu'il reste encore trop d'incertitudes sur les conséquences pour l'environnement — on aurait aimé savoir lesquelles — et Nathalie Kosciusko-Morizet se disait plus déterminée encore qu'en 2008 à activer la clause de sauvegarde — on aimerait savoir sur quels éléments. Les politiques ont donc choisi, dans la plus pure tradition française, d'ignorer une décision de justice limitant l'arbitraire gouvernemental. Ils ont aussi choisi d'ignorer l'ensemble des études scientifiques sur le MON810 et ont invoqué de mystérieuses incertitudes, un homme politique ne s'abaissant pas à détailler ces points techniques, les faits recelant un grand potentiel de dangerosité pour leur crédibilité. Cependant, on peut parier avec les représentants du secteur que ces menaces seront efficaces.

Quant à la presse, et plus particulièrement le journal dit de référence, Le Monde, nous gratifie d'un article étudiant la possibilité d'un nouveau moratoire. Comme d'habitude sur ces sujets, la possibilité que le maïs MON810 ne soit pas dangereux n'est pas évoquée. On se contente de citer les attendus du jugement et sa formulation négative selon laquelle le ministre n'a pas apporté la preuve de l'existence d'un niveau de risque particulièrement élevé pour la santé ou l'environnement. Au contraire, une large place est laissée aux membres des associations d'opposants aux OGMs, pour lesquels cette dangerosité ne fait aucun doute, réclamant encore et toujours que les études soient faites et refaites. Ils sont toutefois bien embêtés, car il est évident qu'aucune évaluation des risques, même totalement bidon, ne pourra être menée dans les temps et que la consultation de la Commission européenne va encore rallonger les délais. Pour dire les choses clairement, ce journal fait l'économie de rapporter complètement les faits pour donner une perspective totalement biaisée. Aucune question n'a été posée à un homme politique sur la façon de procéder pour activer correctement la clause de sauvegarde et sur quels faits elle va se baser. Les ministres se sont aussi vus épargner la peine de répondre à une question sur l'indigence de la justification de l'activation de la clause de sauvegarde de 2008, qui rendait inéluctable la décision du Conseil d'État.

Une fois de plus, on ne peut que constater le manque de sincérité des politiques et l'absence de tout rapport honnête aux faits dans la presse. Il a été dit que la France était une société de défiance. Vraiment, on se demande pourquoi.

9 novembre 2011

Quelques conclusions sur le principe de précaution et son dévoiement

Épisode précédent: TP principe de précaution: les OGMs

Après quelques billets sur le principe de précaution et son dévoiement, je vais essayer d'exposer quelques conclusions que je tire de son application pratique au vu d'évènements plus ou moins récents et de la littérature théorique telle que je la comprends.

Premièrement, le principe de précaution paraît plus être une évolution qu'une révolution. Il s'agit finalement d'anticiper les dommages les plus graves de façon à adopter des mesures correctives pour les éviter ou de surveiller ce qu'on pressent comme dangereux. Si la littérature sur le principe de précaution semble accorder au domaine de la protection de l'environnement la paternité du concept, les juridictions, notamment internationales, fondent leurs jugements sur des concepts venant du domaine de la santé publique. Il semble que les conséquences pratiques de cette différences soient négligeables. Les mêmes outils sont convoqués: évaluation des risques, attention portée aux différentes hypothèses ayant cours et pourvues d'un minimum de fondements scientifiques, essai d'amoindrir autant qu'il est raisonnement possible les effets néfastes tout en gardant les avantages.

Deuxièmement, le principe de précaution requiert une certaine bonne foi de la part des parties prenantes. Comme le domaine où doit s’appliquer le principe ne fait pas l'objet d'un consensus, il est tentant de créer et de promouvoir des hypothèses pour asseoir une idéologie ou une technique particulière, particulièrement lorsque le sujet atteint l'opinion publique. Pour que le débat sur le sujet garde un fond de rationalité, il vaut mieux ne pas créer des scénarios d'apocalypse pour le plaisir, ne pas demander des choses impossibles comme de prouver qu'il n'y aura jamais de dommage dans aucune situation inventée pour les besoins de la cause et ne pas chercher à éliminer les tenants des autres hypothèses sur des arguments ad hominem. À partir du moment où on considère que le principe de précaution s'applique, par hypothèse, l'incertitude domine au moins une partie du sujet, il doit être aussi peu crédible de promettre l'apocalypse que des miracles, aussi peu rationnel de demander à ce que le sujet soit immédiatement éclairci en voulant la preuve de l'absence de dommage qu'en ne regardant que les avantages. Il faut bien dire que cette demande de bonne foi restera un vœu pieux car exploiter les failles du principe de précaution repose en fait sur des biais cognitifs humains. L'homme est assez peu doué pour évaluer les situations où des dommages importants mais avec une faible probabilité, le plupart des gens n'ont certainement pas le temps de compiler les arguments des uns et des autres et se contentent donc de juger en termes de crédibilité ce qui leur est dit sur ce genre de sujet.

Troisièmement, si le sujet devient important pour l'opinion publique, la bataille principale devient celle de la crédibilité. Au fond, l'expertise scientifique et technique revêt parfois un aspect accessoire. La priorité des décideurs politiques semble se concentrer à certains moments sur la meilleure façon d'être sûr d'éviter les prétoires ou de continuer une carrière politique. C'est ainsi que Bernard Kouchner met fin à la campagne de vaccination contre l'hépatite B. Sur le sujet des OGMs, la bataille de la crédibilité a été perdue, malgré l'adoption du principe de précaution dans ce domaine il y a 40 ans, après une accumulation de données scientifiques — le député Jean-Yves Le Déaut dit avoir visité son premier essai en plein champ en 1987 —, et des efforts de transparence. En face d'une bataille de crédibilité perdue, faire des efforts de transparence et insister sur les résultats scientifiques ont une efficacité comparable à celle d'un pistolet à eau face à une kalachnikov.

Quatrièmement, il est particulièrement tentant d'abuser du principe de précaution pour la mesure majeure qu'il permet: l'interdiction. Quoiqu'en veuillent les textes qui prévoient des mesures temporaires et proportionnées, il n'est rien de plus durable qu'une mesure temporaire dont on ne fixe pas la date d'expiration et une fois qu'on a fait accroire à l'apocalypse, il ne reste pas grand chose d'autre à faire que d'interdire. Cette propension à l'interdiction est combattue par les juridictions internationales qui mettent des garde-fous contre l'arbitraire. Mais le temps que l'affaire soit jugé un temps important s'écoule, installant un peu plus encore les certitudes dans le domaine et permettant de rendre le jugement ineffectif, sans compter les réactions dilatoires des gouvernements. Le différend sur le bœuf aux hormones s'est soldé par des indemnités versées annuellement par l'UE plutôt que de changer la législation ou de trouver un accord. L'activation de la clause de sauvegarde pour le MON810 par le gouvernement français en 2008 vient de voir revenir les réponses de la CJUE aux questions préjudicielles. Cette propension à l'interdiction pose des problèmes du point de vue d'un idéal de gouvernement démocratique et rationnel. Si la démocratie est un mode de gouvernement supérieur aux autres, ce n'est pas seulement par un mode de sélection des dirigeants, mais aussi par la garantie de droits à chacun, parmi lesquels figure le fait pour l'état de ne pouvoir imposer des actes aux citoyens sans justification rationnelle. Or ces interdictions ont souvent pour base une obligation d'ordre idéologique, comme le refus de l'agriculture industrielle et le contrôle précis par l'homme des espèces vivantes qu'il utilise pour son bon plaisir dans le cas des OGMs.

Cinquièmement, le principe de précaution s'est révélé incapable de déclencher des décisions positives dans des domaines où cela s'avère nécessaire. Le domaine le plus frappant à ce sujet est le réchauffement climatique. Au cours des années 90, les pays occidentaux et les anciens pays du bloc communiste ont décidé de limiter les émissions de gaz à effet de serre. L'objectif global de ceux qui ont ratifié le protocole de Kyoto sera sans doute respecté fin 2012, mais uniquement grâce à l'effondrement de l'industrie soviétique et à la mise aux normes occidentales de ce qu'il en reste. Il a été impossible de faire ratifier le traité par les USA, les émissions des pays alors émergents ont explosé alors qu'ils n'étaient tenus à rien par le traité. Il s'avère impossible aujourd'hui d'arriver à un accord similaire alors que la certitude du réchauffement causé par ces émissions ne s'est que renforcée. Il est vrai que le principe de précaution ne dit rien quant aux problèmes qui se posent en fait: il s'agit de construire une réponse coordonnée au niveau mondial. Mais que dire de décisions de sortie du nucléaire comme celle prise par la coalition rouge-verte en Allemagne, peu après la signature du protocole de Kyoto?

Pour finir, l'action gouvernementale depuis 2007 est tout simplement désastreuse. Le maïs MON810 a été interdit sans raison valable mis à part la victoire des écologistes sur le plan de la crédibilité, remportée aussi à l'aide d'une campagne de vandalisme. Nathalie Kosciusko-Morizet et Jean-Louis Borloo ont consciencieusement piétiné l'expertise scientifique dans ce domaine. La législature a adopté une loi qui a fait entrer dans un organe consultatif les associations écologistes, alors que leur comportement laissait présager qu'aucun argument rationnel ne pourrait jamais les convaincre du bienfondé des plantes génétiquement modifiées, ce qui signe leur mauvaise foi, rendant le comité économique, éthique et social du haut comité aux biotechnologies complètement inopérant. Si le principe de précaution n'a comme application que de fournir aux décideurs politiques la meilleure voie pour éviter les prétoires ou de leur permettre de prendre des décisions arbitraires prenant leur source dans une idéologie visant entre autres à imposer un certain modèle de société, quelques questions se posent quant à l'opportunité de son usage. Il est aussi patent que le principe de précaution a causé des dommages graves et irréversibles à la rationalité du débat public en France.

8 novembre 2011

TP principe de précaution: les OGMs

Épisode précédent: De la crédibilité

Après une revue de divers moyens de dévoyer le principe de précaution, présenter un exemple est de bonne pratique pédagogique pour montrer comment ces moyens s'agencent admirablement pour mener à des décisions dépourvues de tout fondement rationnel. Un autre intérêt est aussi de présenter un exemple concernant ce qui est souvent donné comme domaine de prédilection du principe de précaution: l'environnement. Pour ce faire quoi de mieux que les organismes génétiquement modifiés, ou, plus exactement, les plantes génétiquement modifiées, qu'on désignera toutefois sans vergogne par l'acronyme d'OGM?

La première question qu'on peut se poser est de savoir si les OGMs relèvent bien du principe de précaution. La réponse en la matière est assez complexe, étant donné que les OGMs présentent des caractéristiques très différentes les uns des autres. Leurs propriétés sont variables, elles vont de la modification du contenu utilisable de la plante à la résistance aux herbicides en passant par la modification des couleurs. Les plantes modifiées sont aussi très différentes, il existe des espèces sauvages ou pas dans la zone de culture, etc. Les traits qui sont insérés dans le génome des plantes sont aussi plus ou moins connus, ainsi le maïs MON810 a été approuvé la première fois en 1995 aux USA. Cela veut dire qu'une analyse au cas par cas est requise. Mais, au moins pour les traits nouveaux, vu que toutes sortes de choses paraissent possibles, une étude préalable semble s'imposer pour connaître l'étendue des éventuels effets indésirables. Cependant de telles études n'ont pas été nécessaires lors de divers croisements, de l'irradiation des semences ou de l'utilisation de produits chimiques pour favoriser les mutations. Les conséquences néfastes de cette absence d'études ont été inexistantes. On peut donc reconnaître une certaine pertinence au principe de précaution dans ce cadre, même si cela relève aussi d'un préjugé envers une technologie particulière.

Et de fait, le domaine de la recherche en génétique a depuis longtemps adopté ce principe, comme illustré par la conférence d'Asilomar, dont on peut trouver trouver les conclusions sur le web. Cette conférence avait été convoquée suite aux inquiétudes suscitées au sein même de la communauté scientifique par les possibilités offertes par la modification à volonté du génome de certains organismes. Elle conclut à l'instauration de mesures de confinement, proportionnées au danger potentiel que suscite la modification qui fait l'objet d'expérience.

Même s'il existe désormais de très nombreux OGMs, l'opposition, notamment le fait des écologistes, concerne tous types d'OGMs quelques soient les plantes et les traits utilisés. Cette opposition est surprenante, l'homme ayant lui-même construit sans aide du génie génétique des monstres qu'il utilise depuis fort longtemps dans l'agriculture. Le blé est un hexaploïde (6 exemplaires de chaque chromosome par cellule) créé à partir d'une plante sauvage diploïde. Le colza est quant à lui un hybride sélectionné par l'homme. Plus récemment, depuis l'après-guerre, l'homme utilise des substances chimiques ou l'irradiation pour accélérer l'évolution des plantes.

L'argumentaire utilisé illustre très bien comment on peut exploiter le principe de précaution en utilisant les stratagèmes dont on a déjà parlé.

L'innocuité impossible

Pour les opposants aux OGMs, un des problèmes majeurs est qu'il est impossible de prouver l'innocuité des OGMs, aucun ne trouvant jamais grâce à leurs yeux. Ainsi en est-il du maïs MON810. Mais impossible de réaliser des essais en plein champ, par exemple, pour avancer sur les éventuels problèmes de dissémination. Le saccage d'une serre en 1999 par des vandales, parmi lesquels se trouvait José Bové, montre aussi que les essais confinés en serre ne sont pas mieux venus. Un autre axe d'attaque est la dangerosité supposée des OGMs. Il s'agit alors de démontrer la toxicité, pour les mammifères, de ces plantes, comme le tentent par exemple M. Séralini et le CRIIGEN.

De façon plus générale, le but est de se saisir de toutes les études qui puissent paraître défavorables aux OGMs, les défendre le plus longtemps possible et d'ignorer toutes celles qui sont favorables. C'est particulièrement patent avec le fameux avis du comité de préfiguration du Haut Conseil aux Biotechnologies: le sénateur qui devait rendre compte de l'avis donné a fait état de «doutes sérieux» — s'asseyant au passage sur la lettre dudit avis au point de faire démissionner la plupart des scientifiques du comité — alors que cet avis contenait aussi au moins un élément positif concernant la santé publique. Quant à la gravité du reste, elle n'est jamais explicitée. Ce n'est donc pas une surprise que cet avis — et celui ayant servi à la justification de la clause de sauvegarde — aient pu être fortement contesté. Les études de Séralini sont, quant à elles, basées sur une réanalyse de résultats obtenus par d'autres, de façon erronée et ne présentant pas d'effets croissants avec la dose (explication plus détaillée ici).

Qu'il soit très difficile de prouver que le MON810 soit réellement dangereux pour la santé ou l'environnement n'est pas une surprise. Ces maïs sont basés sur une propriété d'une bactérie, Bacillus thurigiensis, qui produit une protéine toxique pour les chenilles de papillon, mais anodine pour la plupart du reste du règne animal. Il s'agit de faire produire la partie active de la protéine par la plante. C'est une méthode efficace de lutte contre la pyrale du maïs, au point que la bactérie est utilisée en agriculture biologique. D'autre part, les demandes de recul supplémentaire vieillissent fort mal, cela fait maintenant plus de 15 ans que le MON810 est cultivé, sans que des effets délétères graves aient été constatés. Ce temps a aussi permis d'évaluer cette plante, quelques 28000 publications diverses ont été recensées sur les OGMs en général dont 5000 sur les plantes résistantes aux insectes. Les effets positifs sont aussi bien apparus, comme par exemple, la baisse de l'usage de pesticides et des empoisonnements dus à leur usage sans précautions ou encore l'augmentation des rendements.

Pour dire les choses simplement, on a là un cas d'école d'une demande de dommage zéro: alors que des bénéfices étaient envisagés, ils ont été ignorés; les dommages potentiels largement surestimés et pas comparés à la situation existante, l'usage de pesticides dans le cas des plantes Bt.

Le scénario du pire

Les inquiétudes soulevées par les opposants aux OGMs ne suffisent pas en elles-même, il faut, pour que des mesures soient prises, que des dommages graves et irréversibles soient en vue. L'angle d'attaque de la toxicité donne accès naturellement à cette catégorie, d'où son utilisation. Cependant pour ce qui est de l'environnement, les problèmes de dissémination ne donnent pas directement sur une atteinte grave. Dans ce cas, les opposants construisent un scénario, similaire à celui de l'œuvre de Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne. Finalement, la crainte exprimée est celle de voir l'invention issue du génie génétique, une sorte d'être artificiel, échapper définitivement à leurs créateurs et répandre le chaos sur la terre. La crainte serait que des traits d'OGMs se répandent dans la nature, pour des résultats très néfastes, mais souvent sans beaucoup d'explication.

En procédant ainsi, ils répandent un scénario d'apocalypse, que les promoteurs d'OGMs ne peuvent contrecarrer. Il est impossible d'appeler de nos jours à combattre la famine par une augmentation des rendements, tellement il est devenu évident que ces dernières ont des causes politiques avant tout. En étant les seuls à pouvoir proposer de façon crédible un scénario exceptionnellement néfaste, les opposants font en sorte que le débat soit de limiter les éventuels effets néfastes des OGMs et non pas de mettre en balance les avantages et les inconvénients, en focalisant l'attention sur ce seul scénario. Or il s'avère que ce scénario est loin d'être certain. En laissant de côté les avantages des OGMs, le fait que le pollen se répande ne crée pas de danger en soi. Pour reprendre l'exemple du maïs, il s'agit d'une plante qui a été importée d'Amérique et ne compte aucune plante proche en Europe. Les risques de répandre les transgènes semblent donc minces. Le plus probable est que ce soit l'homme qui répande le plus le transgène, en cultivant ces plantes qui lui sont totalement inféodées. Même dopées de cette façon, elles sont incapables de survivre et de se reproduire longtemps sans le secours et l'intervention de l'homme. Par contre, à travers l'histoire, l'homme s'est montré très doué pour répandre des espèces de végétaux (maïs, pomme de terre, haricots, canne à sucre, ...) ou d'animaux (vache, cochon, chat, ...), sans que cela lui nuise tant que cela, mais plutôt améliore ainsi ses conditions de vie.

On peut aussi constater que les comparaisons sont artificielles. La situation de référence qui est mise en avant par les opposants est bien souvent une agriculture qui n'est pas industrielle, sans insecticides ni herbicides. Or la situation actuelle n'est pas celle-ci, sauf peut-être dans les pays les plus pauvres. L'agriculture repose aujourd'hui en grande partie sur la chimie, ou alors sur l'exploitation à grande échelle de produits qui, s'il sont naturels, peuvent aussi être tout à fait dangereux. En procédant de la sorte, on brouille les comparaisons entre avantages et inconvénients.

On a là un exemple de construction de scénario du pire qui dirige entièrement la réflexion, alors même qu'on peut vite s'apercevoir qu'il ne repose pas sur des enchaînement de cause à effet solides et qu'il prend en compte une situation de départ irréaliste.

La crédibilité

Pour combattre les études qui ne manquent pas d'être faites pour essayer de trancher la controverse, il est d'une importance capitale d'agir sur la crédibilité des intervenants potentiels, ou plus clairement de déterminer qui sera écouté par les décideurs politiques en définitive.

En matière d'OGMs, la décrédibilisation des scientifiques va bon train, presque tout y est rassemblé. Ainsi en 1997, le gouvernement Juppé décide de ne pas autoriser à la culture le premier maïs Bt qui aurait pu l'être, alors que la commission de génie biomoléculaire avait rendu un avis favorable, ce qui entraîne la démission de celui qui la dirigeait, Axel Kahn. En 2008, le comité ad hoc mis en place à la suite du Grenelle de l'environnement a vu ses conclusions déformées au point d'entraîner 12 démissions sur les 15 membres de sa partie scientifique. Il faut dire que ce comité avait aussi une mission politique, peu importait en fait le contenu de son rapport. On ne peut pas dire que les politiques aient renforcé la crédibilité des scientifiques qu'ils ont appelés pour les conseiller, puisque de fait, ils ont souvent fait le contraire. Or, ces conseils reflétaient l'opinion générale du moment parmi la communauté scientifique et on ne peut que constater que les faits leur donnent raison dans le cas du maïs Bt.

Quant à la justice, elle a reconnu que des vandales — qui se nomment eux-mêmes faucheurs volontaires — ayant détruit un champ d'OGMs étaient dans un état de nécessité et par suite, ne les condamnait pas. De ce fait, le juge tenait pour crédible la thèse des vandales, selon laquelle les OGMs étaient dangereux. On peut aussi s'apercevoir que les peines sont relativement légères en la matière, rien qui ne puisse dissuader les vandales dont la motivation est politique, quoique puisse en dire l'INRA.

Les opposants ont aussi œuvré à décrédibiliser ceux qui n'étaient pas sur la même position qu'eux. Être financé, même partiellement, par des industriels ou même plus simplement fréquenter des gens issus de l'industrie dans des associations ou des forums est devenu un motif de disqualification. Comme mentionné dans une lettre ouverte à l'INRA, Dis-moi quel est ton partenariat et je te dirai quelle recherche tu fais. Au final, cette campagne a si bien réussi que dans le témoignage d'un scientifique allemand, il dit ne plus être cru par la population lorsqu'il dit n'avoir trouvé aucun élément défavorable aux OGMs et être soupçonné d'être payé par des firmes commerciales, dont les résultats sont par essence irrecevables. Dans ce témoignage, on peut aussi constater les effets du vandalisme des champs et essais d'OGMs, la peur qui s'est installée ne pouvoir mener ses recherches jusqu'au bout et le sentiment que le champ d'études dans lequel il s'était engagé au début des années 2000, l'analyse de la sécurité biologique des OGMs, s'avérait finalement nettement moins attirant à cause des obstacles entravant la recherche.

Le prolongement naturel de cela est de contester les instances d'évaluation, comme l'agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), pour la proximité alléguée des membres du comité scientifique avec les firmes produisant des OGMs mais sans chercher à montrer des erreurs dans le raisonnement suivi. La proposition qui transparaît est claire, il s'agit de remplacer ces individus par des personnes plus respectables car supposément indépendantes. Cette revendication d'indépendance et de neutralité est avancée de façon très sérieuse par les opposants, ainsi le CRIIGEN se dit-il apolitique et non-militant et reste assez mystérieux sur ses sources de financement, même si on devine en lisant la liste de ceux à qui des avis ont été donnés qu'Auchan et Carrefour, obscures PME n'ayant rien à voir avec l'agro-alimentaire, ne comptent pas pour rien dans le financement de cet organisme. L'état français a choisi de leur donner partiellement raison. Le Haut Comité aux Biotechnologies, chargé de rendre des avis sur ces thèmes, est séparé en 2 parties dont une, le comité économique, éthique et social comprend des association écologistes, notoirement opposées aux OGMs. On se demande ce qui a pu présider à la décision de les intégrer à un tel comité alors que leurs positions publiques laissaient deviner que les avis qu'ils donneraient seraient toujours négatifs et que leur militantisme permanent énerverait quelque peu leurs collègues. Et c'est bien ce qui s'est passé: au détour d'un compte rendu de l'office parlementaire des choix scientifiques et techniques, même si on reste entre gens de bonne compagnie, on lit que c'est un comité qui ne mène à rien: quelques 25 ans après les premiers essais en plein champ, on n'a pas avancé d'un pouce sur cette question; comme on s'efforce de n'y pas voter, il est impossible au gouvernement de savoir ce qui fait consensus ou ce qui pose réellement problème, ce qui donc revient à ne rien lui dire; qu'y donner son accord ne préjuge en rien des actes par la suite, comme avec les vignes de l'INRA. Mais la réaction la plus marquante est sans doute celle de Jeanne Grosclaude, directrice de recherche de l'INRA à la retraite et membre de la CFDT. Elle s'y montre scandalisée par l'attitude des associations écologistes, comparées aux patrons voyous sur la question des destruction des essais.

Épilogue

Finalement, la question se pose de savoir pourquoi contester une technique qui ne présente pas de danger extraordinaire sur le plan du principe de précaution, comme dans le cas du maïs Bt? En lisant la recommandation sur le maïs MON810, on s'aperçoit que les association écologistes en veulent surtout à la culture intensive du maïs. Ainsi dans l'explication de vote commune aux Amis de la Terre, Greenpeace, etc, on lit que la monoculture du maïs est la source du problème.

La raison apparaît ainsi clairement: il s'agit surtout de s'opposer à la société actuelle qui repose en grande part sur la capacité de l'agriculture industrielle à nourrir de très nombreuses personnes avec le travail d'un petit nombre. Comme il s'agit d'une évolution provoquée par la technique et les forces de l'économie, raisons qui ne suffisent pas à interdire ces pratiques, il faut trouver une autre raison qui permet l'interdiction, ce qu'offrent le principe de précaution et les allégations de dangers pour la santé.

Sur ce sujet, on peut aussi lire Le principe de précaution et la controverse OGM d'Olivier Godard qui donne de nombreux détails (en 60 pages), sur le principe de précaution en général et sur les péripéties liées au maïs MON810 en particulier.

edit 13/10/2012: correction des fautes d'orthographe les plus criantes, ajout du lien vers le compte-rendu de l'OPECST.

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