À propos de l'éolien à 60€/MWh
Par proteos le 20 août 2013, 21:03 - Énergie - Lien permanent
Le rapport de la Cour des Comptes sur les énergies renouvelables contient un chiffre qui a vocation a être abondamment repris à propos des coûts de l'éolien en France. Le coût minimal mentionné par la Cour est de 60€/MWh. Évidemment, il s'agit d'un minimum, dans le calcul duquel les hypothèses prennent une grande part. On peut donc s'attendre à ce que ce chiffre soit abondamment repris, sans la mention des hypothèses.
La Cour écrit dans son rapport la chose suivante:
La Cour a pu examiner des calculs de rentabilité de parcs éoliens terrestres français réalisés par un exploitant dont les éoliennes bénéficient d'implantations géographiques favorables. L'ordre de grandeur des coûts de production calculés par le Cour se situe entre 60€/MWh avec un taux d'actualisation réel de 5% et 68€/MWh pour un taux d'actualisation réel de 7%.
Comme j'ai réalisé en début d'année quelques calculs pour me rendre compte des coûts d'investissements qu'impliquaient les tarifs de rachat des énergies renouvelables, cette donnée a attiré mon attention et m'a permis d'essayer de reproduire les conditions pour arriver à de tels coûts. Il faut rappeler avant toute chose que les calculs effectués par la Cour des Comptes sont des calculs de valeur actuelle nette. Les principaux paramètres qui ont un impact sur le calcul sont les suivants:
- Le coût d'exploitation: pour une éolienne, il s'agit de payer l'entretien de la machine, le comptable, les impôts et tout ce qui peut être nécessaire au fonctionnement d'une entreprise.
- Le montant investi dans la machine: on construit généralement un équipement de ce genre pour gagner de l'argent et bien sûr plus on paie cher la machine, plus il faut vendre cher pour rentrer dans ses frais
- Le taux d'actualisation qui représente la rémunération du capital investi. Une nouvelle fois, il ne s'agit pas d'une entreprise philanthropique, les investisseurs s'attendent à gagner de l'argent. Il en existe 2 types: les créanciers obligataires et les actionnaires. Les actionnaires ne se voient promettre par contrat aucune rémunération, ils prennent le plus de risques et exigent donc une rémunération supérieure aux créanciers obligataires (comprendre: les banques) qui se voient, eux, promettre un certain rendement à l'avance.
- La durée d'amortissement. Plus on amortit sur une longue durée, moins les coûts sont élevés. Toutefois à partir d'une certaine durée — qui dépend du taux d'actualisation — on ne gagne presque plus rien à allonger la durée d'amortissement. Cette durée est aussi liée à la durée de vie de la machine.
- La quantité de courant produite. Dans le cas qui nous occupe, la Cour précise que les éoliennes
bénéficient d'implantations géographiques favorables
, dont on peut retirer que la production de ces éoliennes est notablement supérieure à la moyenne française.
On voit qu'il faut faire quelques hypothèses pour pouvoir commencer à faire un calcul, car tout n'est pas dit dans le rapport de la Cour des Comptes. J'ai donc fait l'hypothèse que les coûts d'exploitation étaient de 15€/MWh, que la durée de vie était de 20 ans. J'ai aussi pris un facteur de charge — le ratio de la production réelle à la production maximale théorique si l'éolienne tournait toujours à fond — de 27%, supérieur aux 23% pris habituellement par RTE comme la moyenne française. Pour obtenir un coût de 60€/MWh pour une actualisation à 5% et 68€/MWh pour une actualisation à 7%, j'arrive à un coût d'installation de 1330€/kW, qui correspond grosso modo à ce qu'on peut attendre d'une éolienne. Si on prend ce même coût d'installation mais qu'on estime que le facteur de charge descend à 23% — la moyenne française, donc — et qu'on prend un taux d'actualisation de 8% — conforme à ce qui a été pris dans le rapport sur le nucléaire —, on trouve un coût de 82€/MWh, le tarif de rachat actuellement en vigueur. Inversement, si on applique un taux d'actualisation de 5% à l'EPR de Flamanville, on trouve que le coût du courant est d'environ 68€/MWh, en prenant en compte les coûts annoncés en décembre dernier par EDF. On peut retrouver ces calculs dans une feuille Google docs.
Qu'en conclure? Tout d'abord, bien sûr, que les hypothèses prises pour faire ces calculs sont d'une importance primordiale. Un taux d'actualisation bas va forcément diminuer drastiquement les coûts, d'autant plus que la durée de vie de l'équipement est longue. C'est pourquoi les coûts de l'EPR de Flamanville ont tendance à plus baisser que ceux des éoliennes … Comme rappelé plus haut, la production d'énergie n'est pas une entreprise philanthropique, ce qui signifie que les investisseurs doivent espérer une certaine rémunération avant de se lancer. EDF peut emprunter à un taux nominal de 4%/an, sans doute le taux minimal que peut espérer une entreprise du secteur. EDF a aussi à peu près autant de capitaux propres — qui reviennent aux actionnaires — que de dettes. Dans ce contexte, un rendement réel de 5% revient à une rémunération du capital de 10%/an, ce qui est considéré comme faible … Pour mémoire, la Cour des Comptes a calculé le coût du programme nucléaire sur la base d'un taux réel de près de 8% soit un rendement du capital de presque 16% pour EDF.
Par ailleurs, la quantité de courant produite joue aussi un rôle primordial. Pour calculer des coûts représentatifs, il vaut mieux se baser sur la production moyenne des installations. Ceux qui ont une implantation géographique favorable
auront une production plus élevée, sans pour autant avoir des coûts augmentés d'autant, ils seront donc plus rentables. Même si on compte s'installer d'abord sur ces sites, l'installation d'un grand nombre d’éoliennes obligera à s'installer aussi sur des sites moins favorables.
Enfin, le rapport de la Cour signale que les promoteurs d'éoliennes rencontrent des difficultés à obtenir des permis de construire. Presque 40% sont retoqués à bon droit par l'administration, un tiers des permis délivrés sont ensuite contestés par des particuliers. Cela signale une grande difficulté pour les promoteurs à pouvoir véritablement s'installer sur ces fameux sites favorables. De plus, plus il y aura d'éoliennes, plus on peut craindre que le nombre de recours par des particuliers augmente. Ce genre de difficultés n'est pas forcément pris en compte dans les coûts chiffrés, il n'en est pas moins qu'il renchérit sans doute significativement les coûts réels. Pour preuve, depuis quelques années, le rythme d'installation des éoliennes a baissé, ce qui pointe soit vers des difficultés de financement, soit vers difficultés pour trouver des sites où on peut effectivement construire. A contrario, cela montre que le tarif de rachat de 82€/MWh pour les nouvelles installations n'est pas éloigné de la réalité des coûts comme le suggère une lecture hâtive du rapport de la Cour des Comptes.
Commentaires
Une nuance importante à apporter est que la subvention des éoliennes n'est pas 82€ actuellement. Comme l'indique l'annexe 1 de l'évaluation de CSPE 2013, chaque MWh éolien est prévu être payé 88,6€ pour 2013, du fait des clauses d'indexation.
Il est utile de lire le décret et le détail de ses clauses pour comprendre mieux l'impact de cette indexation, même si cela peut faire un peu mal à la tête initialement :-)
La logique semble être de considérer que sur une installation existante, 40% de la prime rémunère le capital, et c'est à l'investisseur de prendre ses risques, ce n'est pas indexé, mais 40% rémunère le salaire et 20% les achats de matériels industriels pour la maintenance, ces 2 parties là sont indexés par rapport aux 2 indices INSEE adaptés (qui évoluent sensiblement plus vite que celui des prix à la consommation) afin de protéger l'investisseur sur ces postes.
Par ailleurs pour le tarif initial d'une nouvelle installation, une indexation totale est prise, sur une base de 50% salaires, 50% matériels, mais en sens contraire on postule aussi que l'industrie fait 2% de progrès par an sur ses coûts, et on contrebalance l'inflation d'autant.
D'après mes estimations, le résultats de ces formules savantes semble sensiblement plus favorable du coté indexation des installations existante, que de celui tarif pour les nouvelles installations, qui sauf erreur de calcul est sensiblement en-dessous des 88,6€ moyens (peut-être autour de 84€, sous toutes réserves). D'ailleurs un calcul simple montre qu'effectivement du fait des -2% annuels, le premier ajustement est mécaniquement plus favorable tant qu'on reste en dessous du seuil de 5% d'inflation (2% / 0.4).
Sur les points plus technique, quand on voit l'Allemagne à 16% de taux de charge, on peut effectivement s'inquiéter du futur avec un parc plus important. Toutefois en France même les premières éoliennes n'ont pas forcément été installées aux emplacements les plus favorables. La tendance de l'industrie pour compenser semble être d'aller vers des pales de plus en plus longues avec des turbines de puissance réduite, il me semble avoir vu passer pour l'Allemagne l'annonce d'un mat de 148m sur une turbine de 2,2MW.
Cela va permettre de progresser en taux de charge, mais pas en densité d'énergie produite pour une même surface, au contraire.
Enfin finalement, ces calculs de coûts sont utiles pour l'investisseur dans l'éolien, mais ne représentent pas le vrai coût du courant éolien pour la collectivité :
- Ils ne prennent pas en compte qu'1 MW d'éolien ne contribue en rien à la capacité garantie du système, donc il faut absolument 1 MW par ailleurs pour l'assurer. Ce MW va par contre voir son taux d'utilisation annuel réduit de ce que le MW éolien a produit, ainsi son coût moyen augmenté d'autant, et donc le coût global de l'électricité. Le gain réel dépend ainsi du coût marginal du moyen compensatoire qui est impacté, le cas le plus favorable étant que ce soit un moyen à fort coût variable et faible coût fixe. Mais même si le moyen est un cycle combiné gaz, les coûts de capitaux et de maintenance sont en réalité tout à fait sensibles, surtout si la centrale est récente et performante, ce qui a augmenté les coûts de construction (et la maintenance est augmentée par le fait de faire varier fréquemment la production).
- Le courant est payé en sortie de l'installation, alors que les éoliennes sont installés loin des centres principaux de consommation, et sortent le courant à une tension assez peu élevée, 60 kV. Les pertes en lignes sont donc sensibles, mais c'est un point malheureusement où il est difficile de s'appuyer sur des données précises.
- Du coup, elles demandent aussi en général un renforcement du réseau de transport, parfois la création de nouveau postes électriques. Seule la connexion au point le plus proche est payé par l'installeur, pas ces frais indirects. Ils existent certes aussi pour d'autres moyens. Mais la particularité des éoliennes, c'est de ne pas pouvoir choisir de les placer au plus près de l'endroit où elles sont utiles (en France, les centrales nucléaires sont réparties sur le territoire principalement en fonction des besoins électriques, à l'exception du fait qu'il en manque une en Bretagne et que celles qui alimentent Paris n'en sont pas au plus près), et que le réseau doit être dimensionné pour leur capacité maximale de production, alors que son utilité est celle de leur capacité moyenne.
Une illustration flagrante, c'est les 6,8 milliards de $ dépensés pour relier les champs d'éoliennes du Texas aux métropoles de Dallas et Austin.
- Les éoliennes ne participent pas à fournir de la puissance réactive, et peuvent même en consommer. Or il faut absolument disposer de la puissance réactive à l'endroit adéquat, sinon impossible de transmettre le courant, et on est obligé de le limiter. Au final, cela représente encore des frais en plus, ici 10 millions de $ pour un compensateur synchrone.
Certes, la formule ne provoque pas une réévaluation égale à l'inflation, c'est une simplification. Mais le calcul que je fais est un calcul d'opportunité d'investissement — avec une simplification, donc — où on regarde les flux financiers pour une nouvelle installation. Là, il faut bien comparer avec le tarif nominal.
Il y a ensuite tout une suite coûts à prendre en compte dans les coûts du système complet, c'est clair. Et ils ne sont pas négligeables: en Allemagne, on parle de 20G€ d'investissements dans le réseau terrestre, presque 15G€ pour relier les projets éoliens offshore. Cette extension du réseau THT est une faiblesse majeure des projets basés sur l'éolien et le solaire PV. Non seulement, ça n'assure pas vraiment une sécurité d'approvisionnement et c'est plutôt lié à la nécessité d'écouler une production, non seulement c'est cher, mais en plus ce sont des infrastructures parmi les plus impopulaires.
L'ordre de grandeur que j'avais en tête pour le coût des infrastructures d'acheminement de l'électricité, c'est que pour chaque euro (ou dollar) qu'il faut investir dans une éolienne ou un panneau PV, il fallait un second euro (ou un second dollar) dans les lignes HT, les postes électriques, les transformateurs, etc. Vous confirmez ?
Sinon, parmi les derniers billets de OilDrum, il y en a un que j'ai trouvé très intéressant sur les conséquences sur les prix spot du MWh électrique du fait d'introduire de plus en plus de renouvelables fatals, écrit par quelqu'un dont le métier est de financer les projets d'investissement dans l'énergie : [http://www.theoildrum.com/node/10227] .
Ses conclusions : une production fatale croissante vendue sur un marché du MWh provoque une baisse inexorable du prix spot du MWh, jusqu'à rendre les infrastructures de production de base et/ou commandables (centrales à gaz, à charbon, nucléaires...) non rentables, alors que dans le même temps, le consommateur voit le prix de son kWh grimper (pour l'auteur, surtout parce que le prix du m3 de gaz grimpe, beaucoup plus que parce qu'il faudrait financer les systèmes de production d'électricité renouvelable). Il en déduit que c'est essentiellement sur les producteurs d'électricité commandable que repose, au final, la charge et le coût sonnant et trébuchant de l'électricité intermittente (ils trébuchent, en effet !). Sa proposition pour éviter ça : introduire un marché du MW électrique à côté du marché du MWh électrique, qui permettrait d'acheter de la puissance garantie, et qui (là, c'est moi qui interprète) permettrait de fixer un prix différent au kWh garanti et au kWh subi (le second étant bien moins cher que le premier, bien sûr).
HollyDays,
non, je ne confirme pas sous cette forme. Par contre, ce qu'on note en France par exemple, c'est que le prix de l'électricité se décompose en trois tiers à peu près égaux maintenant: la production (hors taxe EnR), le transport et les taxes. Donc c'est plutôt en termes de coûts totaux, qui comprennent les dépenses de maintenance que c'est vrai. Notez que ce n'est pas si différent au final.
L'article de The Oil Drum est assez risible et l'auteur se contredit lui-même parfois. Clairement, son engagement dans la finance du renouvelable a eu un impact. Les prix n'ont pas augmenté à cause des EnR, mais il prend l'exemple de l'Allemagne, où quand on regarde le graphe, les dépenses conventionnelles par kWh sont toujours au niveau de 1998. Le graphe montre clairement que la hausse est due à 2 taxes: la Stromsteuer et l'EEG-Umlage… De même comme l'a remarqué Jeancovici (et c'est visible dans les stats d'émissions de CO₂), les EnR électriques en Allemagne n'ont pas remplacé des masses de combustibles fossiles.
Par contre, là où il a raison, c'est quand il dit que l'effet des EnR intermittentes est durable voire totalement définitif. C'est clair, ça durera au moins autant que les installations déjà construites. Il constate aussi que rien n'est rentable sur le marché de gros avec plein d'intermittence, ou en tout cas que personne n'a envie de vivre la transition avec un gros risque de black out sans rien faire. On peut noter que c'est là qu'il se contredit le plus: si tout était dû aux prix du gaz, pourquoi faudrait-il payer en plus pour garder des centrales ouvertes?
En fait, on voit bien qu'on se dirige vers un marché de prix de prix administrés: les EnR reçoivent un prix fixé à l'avance, il est probable que les prix deviennent aussi administrés sur le marché de capacité. Enfin, ce type de marché est totalement contradictoire avec l'objectif d'éliminer les émission de CO₂. La techno reine dans un marché de capacité, c'est la turbine à gaz en cycle ouvert. Au fond, si on veut du courant sans carbone la plupart du temps, mieux vaut se payer un barrage ou une centrale nucléaire.