23 juillet 2013

Le rapport Moreau et les pistes de réforme pour les retraites

Il y a un peu plus d'un mois, la commission installée par le gouvernement pour lui présenter des solutions pour rééquilibrer les comptes des caisses de retraites a rendu son rapport, connu pour faire court sous le nom de la présidente de la commission, Yannick Moreau. Le rapport est découpé en 3 parties, la première sur les réformes précédentes, la seconde sur la situation présente des caisses de retraites et leur avenir si on ne fait rien, la troisième faisant des propositions pour essayer de rétablir l'équilibre financier à court et long terme. Si les 2 premières parties peuvent être considérées comme un résumé de l'histoire récente et des rapports du COR, la troisième est originale et probablement appelée à inspirer en partie les décisions du gouvernement sur la question. C'est surtout à cette dernière que je vais m'intéresser ici.

Combler le trou d'ici 2020

Le rapport comporte un tableau résumant les perspectives financières des régimes de retraite (p49). Elles sont sinistres: des déficits annuels compris entre 15 et 20G€ sont prévus d'ici 2020, si rien n'est fait. Les déficits les plus importants sont prévus pour la fonction publique d'état (7G€/an en 2020) et les retraites complémentaires du privé (8.3G€/an avant la réforme de cette année). Le régime général aura un déficit qui se réduira grâce à des excédent du fonds solidarité vieillesse qui finance les minima. En prenant en compte les régimes «alignés», on arrive à un déficit de 4.8G€ avant prise en compte de la conjoncture de cette année. En effet, les prévisions du COR se basaient sur les prévisions du gouvernement de l'automne 2012… La commission estime qu'il faut escompter un déficit de 2G€ supplémentaire et se fixe l'objectif de trouver 7G€ annuels d'ici 2020 (p86). Les régimes complémentaires, quant à eux, ont pris des mesures permettant de combler un peu plus de la moitié du déficit annuel prévu en 2020 avec des hypothèses de croissance qui ne seront pas réalisées. La commission ne propose pas grand chose à leur sujet, ni d'ailleurs, au sujet des retraites alignées sur le régime de la fonction publique. En d'autres termes, les propositions du rapport Moreau ne concernent qu'un (petit) tiers du déficit prévu en 2020. La réforme qui s'annonce sera donc probablement incomplète; les mesures au sujet de la fonction publique qui sont envisagées restent donc mystérieuses; on entendra sans doute de nouveau parler des retraites complémentaires d'ici 2017.

Comment répartir la douloureuse? Le rapport propose 2 répartitions: un tiers pour les retraités, 2 tiers pour les actifs — ou moitié pour les retraités, moitié pour les actifs. La première répartition est justifiée par le poids démographique relatif, la deuxième par la contribution des actifs qui a constitué l'essentiel de la réponse jusqu'ici et par un marasme économique certain dont les conséquences pèsent d'abord sur les actifs. Le rapport remarque (p100) que les retraites complémentaires ont plus sollicité les retraités que les actifs du moment … mais le rapport n'élabore pas de scénario suivant cette voie.

Côté retraités, il s'agit donc de faire baisser les pensions nettes d'impôts une fois prise en compte l'inflation. Il y a donc des hausses d'impôts qui sont proposées, comme l'amoindrissement du traitement privilégié des retraités vis-à-vis de la CSG, de faire peser l'impôt sur le revenu sur les avantages «familiaux» ou encore de limiter les effets de l'abattement de 10% au titre de l'IRPP. On remarque que c'est l'alignement de la CSG qui rapporterait le plus avec 2G€/an de recettes. L'autre levier est de jouer sur l'indexation des retraites. Elles sont actuellement indexées sur les prix, l'idée est donc de les revaloriser de l'inflation diminuée de 1.2 point pendant 3 ans, au moins pour celles ne relevant pas des minima. Apport en fin de période: 2.8G€/an.

Côté actifs, le rendement des mesures autres que les hausses d'impôts est médiocre. En effet, ces économies ne se font sentir que progressivement, au fur et à mesure que les actifs deviennent des retraités. C'est ainsi qu'augmenter la durée de cotisation de 1.25 année ne rapporterait que 600M€ en 2020, une sous-indexation similaire à celle des retraités 800M€. Le rapport propose ouvertement de fortes hausses d'impôts, via le relèvement de la partie déplafonnée des cotisations retraites de 0.1 point par an. Selon les scénarios proposés, le rendement serait compris entre 3 et 4.2G€/an. Pour comparer, le CICE, instauré par ce gouvernement, est censé représenter 20G€ à partir de 2014. Entre 15 et 20% de cette mesure seraient donc stérilisés en 2017… Cela dit, il faut bien admettre que l'autre mesure à rendement assez rapide, le recul de l'âge légal, a été choisi par le gouvernement Sarkozy pour la dernière réforme. Il ne reste donc guère, comme mesures de trésorerie immédiate, que le relèvement des impôts ou la baisse des pensions.

À la lecture du rapport, on s'aperçoit que la commission favoriserait les mesures de durées de cotisation, malgré leur faible rendement, à cause de leurs effets à long terme et car ce type de mesure est comprise et admise comme un levier naturel (p95). Elle favorise aussi une désindexation des retraites, on lit qu'il s'agit de la seule mesure lisible et aisée de mise en œuvre permettant de limiter l'évolution des dépenses des régimes (p93). Mais tout cela ne suffit pas et on s'achemine ainsi vers une hausse des impôts, que ce soit via l'alignement de la CSG des retraités sur celle des actifs — souhaitable par ailleurs — ou via l'augmentation des taux de cotisation pour les salariés. Un problème connexe qui se posera, sans doute dans un futur proche, est le comblement du déficit de l'assurance maladie, le levier des impôts ayant déjà été actionné un certain nombre de fois ces dernières années.

À plus long terme

À plus long terme, les choses sont relativement claires, la commission écrit dans le rapport les mesures de durée constituent la réponse la plus pertinente pour adapter le système de retraites au progrès social que constitue l'allongement de l'espérance de vie (p105). La commission étudie des scénarios où la durée de cotisation augmenterait à partir de 2020 — on a vu qu'on pourrait commencer avant — pour aller jusqu'à 44 ans suivant divers rythmes. Le scénario où il y a le plus d'économies est bien sûr celui où l'évolution est la plus rapide (1 trimestre par an); ce scénario semble servir de base pour évaluer les autres mesures. Dans ce cas, l'incidence budgétaire totale pour la CNAV serait positive de 8.5G€ annuels, en comptant tant les surplus de cotisations payées par ceux qui restent en activité que les retraites à payer en moins (p108). S'il était acté un tel rythme d'augmentation serait nettement supérieur à celui prévu par la réforme Fillon de 2003 qui rapporte moitié moins. Comme je l'ai déjà signalé, cette augmentation de la durée de cotisation me paraît souhaitable puisque c'est à la fois la mesure la moins douloureuse et celle qui permet non seulement de renflouer les caisses de retraites, mais aussi les autres caisses publiques, comme celles de l'État ou de l'assurance maladie, via un surcroît d'activité.

La commission s'attarde aussi sur les modalités d'indexation des retraites. Quoique pouvant être assez obscur, ce paramètre technique est d'une importance fondamentale. Le rapport contient un exemple édifiant: si les salaires progressent de 1.5% en sus de l'inflation, un calcul de retraite se basant sur les 25 dernières années donne une différence de 16% entre un calcul se basant sur une réévaluation suivant l'inflation et une réévaluation suivant les salaires. Actuellement, la pension moyenne vaut 88% du salaire moyen: autant dire que sans le changement d'indexation la pension moyenne serait sans doute supérieure au salaire moyen aujourd'hui — ce changement s'est produit dans les faits à la fin des années 80 avant d'être rendu automatique par la réforme Balladur en 1993. Dans le langage de la commission cela donne: le maintien de la parité des niveaux de vie entre ménages actifs et ménages retraités a été préservé, au lieu de se déformer en faveur des seconds (p115). La lecture des simulations du COR montre aussi que c'est en fait toute la différence entre les scénarios de forte croissance et les scénarios de marasme économique. L'indexation suivant l'inflation fait diminuer le ratio pension/salaire plus rapidement en cas de forte croissance, ce qui permet dans les cas les optimistes de dégager des excédents. Même si la commission s'attarde aussi sur le cas d'une hypothétique forte croissance, on peut dire qu'en fait, l'indexation sur les prix n'a pas assez bien fonctionné pour permettre d'éviter d'avoir à passer par la case des réformes successives.

La commission propose ainsi un moyen de rendre l'équilibre des régimes moins dépendant de la croissance économique de manière à obtenir le ratio pension/salaire souhaité. La proposition est que les retraites, ainsi que les bases servant à les calculer, ne soient réévaluées suivant les salaires moins 1.5%. Un tableau p117 montre toutefois qu'il ne faut pas en attendre de miracles si elle est utilisée seule. Dans le scénario C', le solde ne serait amélioré que de 0.3 point de PIB. Cependant, combiné aux mesures d'allongement de la durée du travail, le déficit serait significativement réduit par rapport aux simulations du COR. Avec ce nouveau mode d'indexation, les gouvernements se faciliteraient donc un peu la vie. Un bémol toutefois: cette indexation ne serait pas automatique, ce qui laissera au gouvernement la possibilité de déséquilibrer le système à long terme. Cette méthode est faite pour permettre de geler — voire baisser — automatiquement les pensions en cas de crise économique, les caisses de retraites souffriraient d'un gouvernement continuant à revaloriser pour préserver le pouvoir d'achat.

Le rapport comprend aussi une mesure plus originale. Il s'agit d'une combinaison entre âge et durée pour permettre de prendre sa retraite: ce qui compterait ce serait désormais la somme de l'âge de la personne et de la durée cotisée. On pourrait ainsi partir — à terme — sans décote si la somme des deux vaut 106 (p141). La commission mentionne toutefois que malgré un allongement de la durée de cotisation plus rapide encore que dans le cas du «simple» allongement de la durée de cotisation, la situation financière serait moins bonne. Le rapport n'explique pas pourquoi, mais je pense qu'on peut le deviner. Contrairement au scénarios d'allongement de la durée de cotisation, où on suppose grosso modo que tout le monde reste au travail plus longtemps pour éliminer la décote, dans un système «âge + durée», certains peuvent partir en allongeant moins leur durée de cotisation que d'autres. Pour dire les choses simplement, dans un système «âge + durée», les années d'études comptent pour une demi-année de travail salarié. La conséquence est que les cadres n'auraient pas besoin d'atteindre les 44 annuités ou l'âge butoir de 67 ans (ou plus si un changement intervient). Prenons 2 exemples:

  • Dans un cas, quelqu'un commence à travailler à 16 ans. Il travaille ensuite continûment. Il pourra partir à la retraite à 61 ans, après 45 ans de travail.
  • Dans un autre cas, le travail commence une fois les études terminées à 23 ans, après un bac +5. Il pourra toucher une retraite sans décote à 64 ans et demi, soit 41 ans et demi de cotisations.

Ces simples exemples montrent que ce système est plus injuste encore que le système actuel, puisque l'allongement de la durée de cotisation s'appliquerait à plein à ceux qui commencent à travailler jeunes, qui sont aussi les plus mal payés et qui ont l'espérance de vie la plus courte. Par contre, les cadres seraient largement épargnés. Si on veut vraiment un système plus juste et plus compréhensible, autant prendre la durée de cotisation comme seul critère quitte à augmenter rapidement l'âge légal éliminant la décote pour le fixer entre 70 et 75 ans pour lui donner le seul statut de filet de sécurité. On l'aura compris, je suis franchement hostile à un système «âge+durée»!

Quelques conclusions

La lecture de ce rapport montre qu'une grande part du rétablissement des comptes de la CNAV se fera par des hausses d'impôts. Qu'on envisage toujours sérieusement de faire porter les coûts principalement aux actifs après une crise économique d'une ampleur majeure me semble inquiétant pour les choix qui devront aussi être faits sur l'assurance maladie. Par contre, à plus long terme, la commission propose clairement que ce soit l'allongement de la durée de cotisation qui domine, ce qui permet en fait de ne faire payer personne au sens propre, tout en permettant d'augmenter toutes les recettes fiscales. Si le gouvernement souhaite faire une réforme allant au-delà de 2020, il devrait donc acter un passage plus ou moins rapide aux 44 années de cotisations. Le parti socialiste devrait donc manger son chapeau après s'être opposé pendant plus de 20 ans à cette mesure évidente. Le gouvernement pourrait éviter ça en évitant de se prononcer sur le futur.

Par contre, l'idée d'un système «âge+durée» me semble clairement dangereuse, d'une part à cause des problèmes de financement, d'autre part parce qu'il perpétue voire fait empirer l'injustice principale du système actuel qui est que ceux qui ont commencé jeunes doivent travailler plus longtemps avant de toucher une retraite à taux plein.

2 juin 2013

Touche pas au grisby!

Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak, de l'OFCE, ont publié dans Le Monde du 24 mai puis sur le blog de l'OFCE une tribune intitulée Retraites : garantir le système social qui est de fait une sorte de bréviaire d'une partie de la gauche sur les retraites. On y lit une position qui se rapproche de celle d'ATTAC, mais argumentée de façon nettement plus sophistiquée et nettement moins vindicative. Cette tribune permet à mon sens de comprendre quelles sont les fondements du désaccord profond qui existe sur les retraites. Elle recèle pour moi de nombreuses idées fausses et, pire, répand des mensonges.

Dès le départ, avant de reproduire le texte de la tribune telle que publiée dans le journal Le Monde, le texte du blog résume la thèse défendue en affirmant qu'une nouvelle réforme des retraites ne devrait pas être une priorité pour la France à l’heure actuelle. Même si l'OFCE n'est pas connu pour défendre la limitation de la dépense publique, le sujet des retraites est pourtant l'archétype de ce à quoi on peut toucher maintenant pour favoriser un rétablissement progressif des comptes publics, que le même OFCE ne semble pas refuser, même quand il appelle à en finir avec l'austérité (un exemple). Les mesures prises aujourd'hui ne produiront leurs effets que progressivement, car il est toujours prévu que les paramètres s'ajustent progressivement. Par exemple, les effets de la réforme Sarkozy de 2010 vont s'étaler jusqu'en 2022 pour faire passer à 67 ans l'âge légal de la retraite, où chacun peut partir sans décote même s'il n'a pas le nombre de trimestres requis. Si la position de l'OFCE est que le rétablissement des comptes publics ne doit pas se faire maintenant dans l'urgence ni progressivement à l'avenir, la conclusion est qu'en fait, l'OFCE ne veut pas qu'il se produise.

Les buts du système de retraites

Les auteurs donnent les objectifs que doit, selon eux, atteindre le système de retraites:

Ce système doit être contributif (la retraite dépend des cotisations versées), mais aussi rétributif (la retraite rémunère la contribution à la production, mais aussi l’élevage d’enfants ; ceux qui ont connu chômage ou maladie ne doivent pas être pénalisés) et redistributif (la société doit assurer un niveau de vie satisfaisant à toutes les personnes âgés). Il doit être socialement géré : l’âge de fin d’activité doit tenir compte de la situation de l’emploi comme du comportement des entreprises. Ses règles doivent être adaptées en permanence à l’évolution économique et sociale.

L'objectif rétributif est tout sauf évident. L'exemple donné, élever des enfants, montre au contraire combien cet objectif est profondément daté. Historiquement, les enfants ont été élevés par des femmes qui restaient au foyer. C'est au fond la raison des pensions de réversion et des divers compléments de retraite à base «familiale». S'ils n'existaient pas, ces femmes âgées relèveraient du troisième objectif — dont fait partie le minimum retraite — car elles n'auraient acquis aucun droit, faute de travailler. Ce système leur permettait donc de maintenir leur niveau de vie à un niveau acceptable. La situation a pourtant bien changé: aujourd'hui le taux d'activité des femmes a fortement augmenté, les inégalités de retraite de ce fait sont en train de diminuer et vont continuer à le faire. Ainsi, selon le 12ᵉ rapport du COR (p37), les pensions versées aux femmes augmentent deux fois plus vite que celles versées aux hommes.

Ce type de système est fondamentalement vicié et inefficace: qui peut croire que bénéficier d'un complément de retraite, versé quand les enfants seront partis, est la priorité des parents d'aujourd'hui ou de demain? On peut tout de même penser qu'ils préfèreraient toucher plus d'argent maintenant au titre de la politique familiale. Or la réforme précédente a augmenté la part des suppléments familiaux imputée aux allocations familiales et cela va sans doute conduire à la réduction des prestations familiales. De la même façon, les retraites ne sont pas le bon outil pour traiter les conditions de travail. D'abord, il y a un grand risque que les négociations sur la pénibilité débouchent en fait sur un bénéfice pour des professions plus fortement syndicalisées mais dont les conditions de travail ne sont pas si mauvaises. Le risque est aussi très grand que le classement de pénibilité ne change jamais à l'avenir même si les conditions de travail s'améliorent. Enfin, le dernier risque est que cela serve d'excuse à ne pas chercher à améliorer les conditions de travail, car il y aurait une sorte de rétribution après la période de travail. Ce genre de choses est à juste titre vu comme inacceptable; c'est la logique des préretraites pour exposition à l'amiante.

On remarque aussi que pour les auteurs, on doit tenir compte du comportement des entreprises, soupçonnées d'être responsables du chômage des plus de 55 ans. En fait, il y a nombre de raisons de penser que le système a été exploité via des accords entre les salariés et les entreprises, bien heureux de bénéficier de systèmes permettant d'arrêter de travailler plus tôt. La dispense de recherche d'emploi a été un thème récurrent du blog de verel, et il a constaté dernièrement que le taux d'emploi des plus de 55 ans avait augmenté suite à sa suppression. Il est aussi particulièrement scandaleux pour des économistes de propager le mythe selon lequel le travail des vieux se substitue à celui des jeunes, un avatar de l'idée selon laquelle la masse de travail rémunéré dans la société serait un gâteau de taille fixe qu'il faudrait se partager.

Le système des retraites doit se limiter à un système contributif de revenu de substitution lorsqu'on a travaillé suffisamment longtemps ou qu'on arrive à un certain âge, doublé d'un système de protection sociale comme le minimum vieillesse, pour éviter les situations de misère complète. Mais en aucun cas les retraites ne doivent servir de fusil à tirer dans les coins ou de compensations pour des dommages passés. Si compensation il doit y avoir, elle doit autant que possible être versée dès la réalisation du dommage.

L'équilibre financier du système

Les auteurs affirment au cours de la tribune qu'il souhaitent que les pensions soient indexées sur les salaires, au lieu de l'inflation à l'heure actuelle. Ils refusent catégoriquement toute désindexation et tout gel des retraites. Ils souhaitent que les ratios pensions/salaires actuels soient maintenus. Dans le même temps, ils affirment que c'est la croissance qui doit résorber les déficits sociaux. Or les projections contenues dans le 11ᵉ rapport du COR, auxquelles j'ai consacré un billet en mars dernier, montrent que ce sont des assertions incompatibles entre elles. Les scénarios de forte croissance voient les système de retraite s'équilibrer — au cours de la décennie 2030 en cas de plein emploi et hausse de la productivité de 2%/an — que grâce à une baisse importante du ratio pension/salaire (graphe ci-dessous, scénario A')… baisse permise par l'indexation sur les prix et non les salaires. Pensions_COR.jpg Comme il est impossible de croire que les auteurs ne connaissent pas ces projections, on est réduit à constater qu'ils profèrent sciemment un mensonge et camouflent l'ampleur des conséquences de ce qu'ils proposent. De plus la croissance qu'ils appellent de leurs vœux est tout sauf une certitude, même si les recommandations de l'OFCE étaient appliquées.

Car pour financer cela, au lieu de l'adaptation à l’évolution économique et sociale proclamée au départ, ils proposent de figer les durées de cotisation et les âges de départ aux niveaux déjà actés par les réformes de 2003 et de 2010. La seule variable d'ajustement qui trouve grâce à leurs yeux est l'augmentation des cotisations sociales puisqu'ils écrivent que le gouvernement et les syndicats doivent annoncer clairement que c’est par la hausse des cotisations que le système sera équilibré. Comme ils souhaitent une indexation sur les salaires au lieu des prix, la situation du système de retraites serait pire que celle prévue dans le scénario C' du COR qui prévoyait des hausses de salaires 1% supérieures à l'inflation, et donc à l'évolution des retraites. Ce scénario prévoyait des déficits annuels très importants, de l'ordre de 2.5% du PIB au cours de la décennie 2030. L'abaque 2040 proposée p135 montrait un besoin d'augmentation des cotisations de plus de 5 points de pourcentage, soit une baisse très significative du pouvoir d'achat des actifs qui devraient aussi financer des dépenses de santé accrues.

De fait, je pense toujours qu'augmenter l'âge de départ à la retraite est la meilleure option. Non seulement elle permet de limiter les hausses de cotisation et les gels de pension, mais cela permet aussi d'augmenter la population active et donc sans doute le PIB, contrairement à ce qu'annoncent les auteurs. Dans ce cas, les rentrées fiscales seraient supérieures au cas où on laisserait partir les gens à la retraite comme ce qui est déjà acté, ce qui permettrait de financer plus facilement les dépenses de santé et les autres priorités du moment. Mais les auteurs n'en ont cure: toute la tribune est consacrée en fait au maintien du statu quo ou à des hausses de dépenses, pour finalement tout faire financer par des hausses d'impôts. Il faut ajouter pour faire bonne mesure que les auteurs refusent que les hausses d'impôts se produisent quand la croissance est faible. Comme cette situation risque d'être durable, ils préconisent en fait de laisser se creuser le déficit des caisses de retraites. Les conséquences à long terme pourraient être tout simplement désastreuses, notamment pour ceux qui s'approcheraient de la retraite dans une vingtaine d'années. En attendant, les gens de la génération de Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak auront bénéficié de méthodes de calcul très favorables par rapport à ceux qui devront gérer le désastre.

13 mai 2013

Du rapport Berger-Lefebvre sur l'épargne financière

L'été dernier, j'avais publié un billet sur les rapports que la Cour des Comptes avait consacrés à l'assurance-vie et au financement de l'économie par l'épargne des Français. On pouvait en retirer les points suivants:

  1. L'épargne financière des ménages est d'abord orientée vers les produits sans risque et ce biais s'amplifie. Si les 2/3 du stock d'épargne financière est composé de produits sans risque, ils reçoivent 5/6 des apports
  2. Si les rendements des produits risqués — en premier lieu les actions — ont été décevant, cette orientation s'explique aussi par les incitations fiscales. 42% de l'épargne sans risque bénéficiait d'un régime fiscal favorable, contre 12% à l'épargne risquée.
  3. La réglementation n'aidait pas puisque son durcissement conduisait les assurances et les banques à se détourner des produits risqués
  4. Pour corriger cela, la Cour appelait à ne pas augmenter les plafonds des livrets défiscalisés, ou alors à taxer les intérêts sur la partie supérieure aux plafonds actuels, et d'allonger la période de détention d'un contrat d'assurance vie pour bénéficier de l'avantage fiscal et de modifier la façon dont elle est calculée

J'avais conclu à l'époque que de telles mesures était à peu près sûres de rater leur cible. Ces rapports dénotaient tout de même une intention de changer les règles fiscales et il ne faisait pas de doutes qu'il y aurait une suite, au moins sous la forme de rapports parlementaires pour proposer quelques mesures. On peut aussi remarquer que l'assurance-vie, forme de placement occupant une place prépondérante aujourd'hui, n'a pas été visée par la dernière loi de finances. Cette suite est le rapport signé des députés Berger et Lefebvre.

Le rapport aborde divers sujets. Le premier est celui de l'épargne réglementée suite à la décision de relever les plafonds. Le rapport mentionne que presque 50G€ ont été versés de ce fait sur les livrets. Comme on voit à la fin que le flux net d'épargne financière est en baisse, cela s'est réalisé en stoppant les apports sur l'assurance-vie et en inversant l'augmentation des dépôts qui avait eu lieu en 2012. Le rapport de la Cour des Comptes rappelait que l'augmentation des dépôts était une nécessité créée par le durcissement de la réglementation. Dans leur rapport, les parlementaires déclarent que Les mouvements de réallocation de l'épargne financière intervenus à la suite des relèvements   du   plafond   du   livret   A   et   du   livret   de   développement   durable   ne   sont   pas   de   nature   à   déstabiliser   la   répartition   du   stock   de l'épargne financière (p27) à cause du plafonnement, mais ça ne les empêche pas de dire aussi que la nouvelle réglementation va au-delà de ce qui apparaît nécessaire. On nage donc en pleine schizophrénie, où les gouvernant veulent à la fois un système bancaire sans risque, mais qui ne réduit pas ses prêts ni n'augmente ses dépôts. Par ailleurs, le discours sur l'épargne populaire et la justification du relèvement du plafond surprennent quelque peu lorsqu'on découvre plus loin les remarques sur la concentration des encours de l'assurance-vie … alors que la situation est assez similaire sur les livrets défiscalisés dont seule une petite partie atteint les plafonds de versements.

Le rapport abord aussi vers la fin la question des incitations directes à investir dans les petites entreprises comme l'ISF-PME et les réductions d'impôts sur les plus-values lorsqu'on investit dans un fonds de capital-risque. La position des parlementaires est clairement hostile aux réductions d'impôts accordées à l'entrée, contrairement à celles accordées à la sortie. Si leurs recommandations sont suivies, on devrait donc assister à la fin de l'ISF-PME au profit du maintien des avantages accordés au capital-risque. Une fois de plus, on s'étonne du discours de justice qui émane de ce rapport: les avantages accordés au capital-risque se distinguent par leur confidentialité (4M€ et 1124 foyer fiscaux). Ils obligent à passer par des intermédiaires, alors que les systèmes d'aide à l'entrée permettaient d'investir dans des sociétés en phase de démarrage, ce que ne fait pas le capital risque français. C'est pourquoi les auteurs préconisent de créer un PEA spécial PME, soit une niche fiscale supplémentaire…

C'est sur la question de l'assurance-vie qu'était sans doute le plus attendu le rapport. Il faut dire que les enjeux sont importants, puisque l'assurance vie représente maintenant de l'ordre de 40% de l'épargne financière des ménages, soit environ 1400G€. Les auteurs se sont rendus compte d'un petit problème posé par la dernière loi de finance, même si c'est dit d'une façon très particulière:

Cette réforme d'équité et de justice fiscales suscite des réactions nuancées dès lors que l'alignement de la fiscalité des revenus du capital sur celle des revenus du travail ne va pas forcément de soi au regard des incitations que les pouvoirs publics souhaitent donner aux comportements d'épargne des Français comme au regard des comparaisons internationales sur la fiscalité de l'épargne. Elle pourrait même sans modification des régimes fiscaux avantageux des placements immobiliers ou de l'assurance-vie inciter au report d'une partie de l'épargne vers ces placements au détriment des placements plus risqués potentiellement plus utiles à l'économie productive.

En effet, plus les impôts sur les revenus du capital sont élevés moins il est intéressant de prendre des risques, à cause de la différence de traitement entre gains et pertes. Comme les produits les plus risqués sont aussi ceux qui sont détenus par les ménages les plus riches et donc les plus durement frappés par la réforme de la taxation des revenus du capital, ce risque de désaffection n'est pas qu'une invention. Les auteurs proposent pour contrer cet effet de créer une nouvelle niche fiscale à l'intérieur de la niche: les contrats de plus de 500k€ seraient l'objet de nouvelles contraintes pour bénéficier de l'avantage fiscal de l'assurance-vie. Ça me semble contreproductif: à risque constant sur le patrimoine global, il s'agit d'un alourdissement de la fiscalité, ce qui devrait logiquement conduire … à moins de prise de risque. Ceux qui respectent déjà les conditions ne changeront rien, les autres se verront inciter à diminuer leur prise de risque sur le reste de leur portefeuille.

Plus précisément, les auteurs comptent obliger les gros contrats à posséder un minimum d'unités de compte ou alors à posséder un nouveau type de fonds qui ne garantirait plus le capital qu'à l'échéance et donc qui ressemble furieusement à un fonds à horizon de placement. On ne peut que subodorer que les contrats de plus de 500k€ sont déjà les plus investis en unités de compte. Quant aux fonds à horizon, une enquête approfondie sur un échantillon représentatif de 1 montre que le rendement a été de 3.6%/an depuis le lancement en 2003, sans doute moins qu'un fonds en euro classique. C'est normal: le fait qu'il y ait un risque signifie que le rendement n'est pas forcément au rendez-vous même après 10 ans. Les auteurs ont une version renforcée de leur proposition où une partie des fonds investis devraient l'être ailleurs que dans les grandes entreprises.

On ne peut que remarquer que cette proposition recoupe les besoins des sociétés d'assurance. La gestion en unités de comptes est moins gourmande en capital — il n'y a aucune garantie — et plus rémunératrice par rapport aux fonds investis. Plus généralement, les assureur cherchent à amoindrir la garantie des fonds en euros qui est de plus en plus gourmande en capitaux à cause de la réglementation. Par ailleurs, ces mesures sont ouvertement destinées aux fameux 1% les plus riches dont le contrat moyen serait de 600k€ et qui concentreraient un quart des sommes investies sur l'assurance vie. Les auteurs pensent que ces mesures conduiront diriger 100G€ supplémentaires vers plus de risque en 5 ans. Le seul petit problème est que ça représente un tiers de l'encours actuel visé (qui est donc de 350G€) et que les contrats en euros sont à l'heure actuelle investis à hauteur d'un tiers seulement dans des obligations d'état (p66 du rapport de la Cour des Comptes sur l'assurance vie). Il faudrait donc un fort afflux sur l'assurance-vie pour que l'objectif soit atteint. Ne doutons pas toutefois des possibilités offertes par une comptabilité créative.

L'autre léger problème est qu'une même personne peut légitimement souscrire plusieurs contrats d'assurance-vie — avec par exemple pour bénéficiaires l'époux et chacun des enfants — ce qui ruine quelque peu l'idée de seuil et d'allongement des durées de détention. On va donc assister à la multiplication des contrats de 250k€ (histoire d'être sûr de ne pas dépasser le seuil fatidique).

Bref, une fois de plus, on constate le tropisme dirigiste des politiques français et leur propension à inventer des cas spéciaux. On se rappelle que les économistes préconisent encore et toujours de réduire ces niches fiscales et qu'il y a même eu un rapport d'Olivier Garnier & David Thesmar qui proposait un moyen pratique d'y parvenir tout en préservant les petits patrimoines. Au lieu de cela, les auteurs ont bâti des recommandations qui ressemblent beaucoup aux revendications des sociétés d'assurances tout en assouvissant leurs besoins propres. Les intérêts des souscripteurs semblent étrangement absents de ce rapport, comme si c'était un sujet de peu d'importance. Il faut bien dire aussi qu'il aurait été difficile de préconiser une baisse des impôts sur les placements à risque comme les actions après en avoir dit pis que pendre. Et c'est d'autant plus difficile que l'état est inlassablement à la recherche de fonds supplémentaires. Malheureusement, il me semble que ces mesures ne seront pas à la hauteur des objectifs fixés et qu'elles sont porteuses d'effets pervers manifestes.

7 avril 2013

Léger accès de cynisme

Il faut revenir de Mars pour avoir manqué ce qui semble l'évènement du mois en politique nationale: que Jérôme Cahuzac a avoué posséder 600k€ sur un compte non déclaré au fisc, récemment encore ouvert chez une banque singapourienne. Depuis se succèdent, de tous bords, déclarations scandalisées et émues et appels à plus d'éthique qui, je dois le dire, me laissent de marbre.

Commençons par l'aveu de Jérôme Cahuzac. Il a donc avoué avoir caché au fisc 600k€ à la date d'aujourd'hui, le compte bancaire ayant changé de domiciliation au cours du temps. Si cette somme représente plus de 4 fois le patrimoine médian d'un français, d'autres dissimulations plus importantes encore n'ont pas fait l'objet de scandale. Qu'on en juge: lors de la campagne électorale de 2007, la candidate d'alors du PS, Ségolène Royal a dévoilé une évaluation de son patrimoine, tel que déclaré au fisc. J'en avais déjà parlé lorsque j'avais évoqué la réforme de l'ISF, mais il est intéressant d'y revenir. Dans le Canard Enchaîné du 7 mars 2007, cette déclaration était taillée en pièces pour cause de sous-estimation systématique. L'essentiel du patrimoine consistait en des biens immobiliers. Il s'avérait, notamment, qu'une villa à Mougins était déclarée comme valant 270k€, moins que la valeur du terrain (295k€ selon le Canard), et ne représentant qu'à grand' peine le tiers de la valeur totale du bien, l'estimation minimale donnée dans l'hebdomadaire étant de 850k€ … et il laisse aussi lourdement entendre qu'elle vaudrait 1M€. Il était aussi question de l'appartement de Boulogne-Billancourt, évalué à 750k€, moins que sa valeur d'achat, et alors que les prix de 2005 le donnaient à environ 1.2M€. On comprend donc que la déclaration de la candidate, même si le patrimoine à déclarer ne recouvrait pas l'ensemble de la valeur, était minorée d'au moins la même somme qu'on reproche aujourd'hui à Jérôme Cahuzac d'avoir dissimulée. On se souvient de la tempête qu'avait provoquée cet article … ou pas. On ne peut alors que remarquer la différence d'appréciation entre les 2 cas et simplement remarquer qu'il est alors fort dangereux d'appeler à ce que ceux qui dissimulent leur patrimoine au fisc soit frappés d'inéligibilité à vie.

On est en fait largement en face d'une énième illustration de ce que la détention d'un patrimoine financier est vue comme illégitime par une large part de la population française. Déjà en 1971, un scandale avait éclaboussé Jacques Chaban-Delmas qui n'avait pas payé d'impôt sur le revenu pendant plusieurs années, grâce au système de l'avoir fiscal. L'avoir fiscal représentait l'équivalent de ce qui était perçu comme impôt sur les société et mis au crédit de celui qui percevait les dividendes pour éviter une double imposition. La réaction de l'époque de Françoise Giroud montre combien ça ne la choque pas que les revenus financiers puissent être taxés du même fait plusieurs fois. Alors que, dans le même temps, l'immobilier, qui ne donne lieu à aucun flux financier quand on occupe soi-même le bien, est de ce fait libre d'impôt et c'est même un des arguments souvent avancés pour pousser les gens à acheter leur résidence principale. Il est donc bien vu d'avoir un bien notoirement sous-évalué, et dont la détention permet de faire des économies d'impôts. Il me semble donc que le scandale provoqué ait pris l'ampleur actuelle non seulement parce qu'il fait suite à un mensonge éhonté de la part du ministre du budget, mais aussi à cause de la mauvaise image du patrimoine financier en France. Pendant ce temps-là, un sénateur sur lequel pèse des soupçons d'association de malfaiteurs — en clair, d'avoir extorqué des fonds à la communauté via un système mafieux — est toujours membre du PS et ne fait pas la une des journaux, alors que Jérôme Cahuzac se serait exclu lui-même du PS par son comportement.

Tout ceci pour dire que cet épisode me fait penser à un ouvrage bien connu pour son cynisme mais jetant un éclairage intéressant sur le comportement de nos hommes politiques. Il y est dit, dans un chapitre majeur, qu'ils ne doivent rien dire à destination du public qui ne respire le Bien et toujours paraître vertueux — ce qui explique qu'aucun politique ne se réclame des enseignements de ce livre. C'est non seulement ainsi qu'a agi Jérôme Cahuzac jusqu'à ce qu'il ne puisse faire autrement, mais aussi, maintenant, l'ensemble de la classe politique. On peut aussi constater que la majeure partie de ces discours est dénuée de tout raisonnement. Personne ne se demande si, par hasard, le fait que des gens riches planquent leur argent dans des paradis fiscaux, dans des sociétés écrans ou encore minorent largement leur patrimoine n'est pas dû au fait que l'impôt sur la fortune est considéré comme illégitime, même par certains de ses défenseurs? Que les taux de taxation sur le capital découragent toute autre forme d'investissements que ce qui est exonéré, sans risque ou alors camouflé? Au lieu de cela, nous avons droit à des éditoriaux clamant que la finance offshore est l'ennemi patenté de la démocratie qui ne prennent même pas la peine d'apporter un seul élément montrant que les paradis fiscaux menacent la tenue d'élections libres, la liberté de parole, les droits individuels des citoyens, la séparation des pouvoirs, etc. Rien n'est dit sur le fait qu'en proposant un moyen de payer moins d'impôts, ils participent à limiter le pouvoir discrétionnaire de l'état, un élément essentiel de la démocratie. On peut certes arguer qu'ils permettent d'opérer en secret, mais ceci est aussi possible dans des pays qui ne sont pas considérés comme des paradis fiscaux, comme les États-Unis, par exemple.

Un autre point très important du Prince est que ce sont surtout les résultats qui comptent. Pour se maintenir, tous les moyens sont bons, conception qui, en démocratie, est devenue la fin justifie les moyens — ce qui est un progrès considérable, puisqu'on doit se justifier! Or, force est de constater que c'est le reproche principal qui est fait aux politiques: le manque de résultats, surtout, d'ailleurs, quand on les compare aux discours. On peut dire qu'en fait, pour Machiavel, les politiques d'aujourd'hui seraient de mauvais hommes d'état, puisqu'ils voient régulièrement leurs mensonges et leurs contradictions leur revenir dans la figure, ce qui doit être évité à tout prix si on comprend bien le livre!

Il faut bien dire que trouver une issue à cette situation n'est pas facile. En effet, pour arriver au pouvoir, un politique a intérêt à promettre tout ce qu'il faut pour arriver au pouvoir, même si ça doit le mettre dans une situation impossible ensuite. Il n'y a pas non plus de force de rappel contre ceux qui tiennent des propos qui ne peuvent mener qu'à la déconsidération générale des politiques s'ils l'emportent. Un bon exemple de cela est la mystification à laquelle s'est livrée Laurent Fabius lors de la campagne référendaire de 2005. Laurent Fabius a argué qu'il ne fallait adopter du traité présenté au référendum que la partie institutionnelle et que la présence du reste devait faire voter non. Comme il l'a emporté, c'est le traité de Lisbonne qui a été adopté mais tout le monde a bien vu ce qui avait été annoncé par les tenants du oui: que procéder ainsi revenait à adopter en fait le traité soumis à référendum, puisqu'en dehors des questions institutionnelles, il n'y avait pas grand chose de neuf. L'adoption du traité de Lisbonne est ainsi vue comme une filouterie démocratique alors qu'en fait il s'agissait de faire ce qu'avait proposé l'homme qui avait probablement fait basculer le scrutin.

Les politiques ne sont pas les seuls d'ailleurs à empoisonner le puits. Si la presse aide certainement à faire la lumière sur certains des mensonges des politiques, elle peut prêter le flanc voire organiser certaines mystifications. Un des exemples les plus parlants est celui du nuage de Tchernobyl. Après avoir publié les communiqués du SCPRI mentionnant le passage du fameux nuage au-dessus de la France, la presse a accusé le Pr Pellerin, dirigeant du SCPRI, d'avoir menti à ce sujet. La réalité a beau eu donner raison au Pr Pellerin sur ce qu'il a annoncé — à savoir que le nuage de Tchernobyl n'aurait aucune incidence sur la santé en France —, rien n'y fit. On peut aussi se poser des questions sur l'apparition de certaines assertions, qui se trouvent être des déformations d'informations publiées par ailleurs depuis longtemps, ainsi en est-il des 42000 morts du diésel dont on a déjà abondamment parlé.

En appeler à plus d'éthique me semble largement inutile. D'une part, comme le signale Machiavel, être en tous temps vertueux peut s'avérer nuisible pour un homme d'état; d'autre part, les nécessités de la gestion de l'état peuvent conduire à prendre des décisions qui sont contraire à une éthique individuelle. Chacun comprend bien par exemple, qu'il est bon pour chaque individu de partir tôt à la retraite, mais que pour la société dans l'ensemble, il vaudrait mieux qu'ils travaillent tous le plus longtemps possible pour qu'il soit possible de payer le plus de prestations sociales possibles. Jérôme Cahuzac fournit aussi un tel exemple: chacun a intérêt à payer le moins d'impôts possible; le ministre du budget cherche à récupérer le plus d'argent possible en dépensant le moins d'énergie possible.

Il me semble quand même qu'une partie de la mauvaise situation est due à un discours déconnecté des réalités, notamment financières, auxquelles l'état est confronté. Il y a des dépenses qui suivent une pente haussière structurellement plus rapide que le PIB. Les impôts sont déjà un niveau très élevé, ce qui impose donc de faire des économies. Le scandale provoqué par l'aveu de Jérôme Cahuzac ne vient en fait que couronner une dizaine de mois où l'impression qui se dégageait était une suite de renoncements et d'inversions de direction par rapport à ce qui avait été compris durant la campagne par les électeurs. On ne saurait donc trop conseiller aux candidats sérieux de travailler un peu. La matière est disponible, les fonctionnaires français sont souvent chargés de publier des rapports sur tous sujets, ils sont compétents et honnêtes. Cela permet de se faire une idée des options irréalistes, ce qui évite les propos aventureux qui se transforment en piège une fois au pouvoir ainsi que l'impression d'impréparation et d'incompétence qui se dégagent lorsque ce piège se referme. Cela peut aussi permettre de trouver des slogans pour lutter face aux démagogues: ceux-ci véhiculent parfois une image datée de la situation.

10 mars 2013

Les projections du 11ᵉ rapport du Conseil d'Orientation des Retraites

En décembre dernier, le Conseil d'Orientation des Retraites a publié son 11ᵉ rapport qui est une actualisation des projections financières relatives aux divers régimes de retraites français. Il s'était déjà livré à 3 reprises à cet exercice, qui est bien entendu une part majeure du travail qui est attendu de cet organisme: en 2006, fin 2007 et finalement en 2010 pour préparer la dernière réforme. La réforme Fillon de 2003 prévoyait une clause de revoyure tous les 5 ans, mais la crise qui a éclaté en 2007-2008 précipite les échéances. Malgré la dernière réforme, les caisses de l'AGIRC — retraite complémentaire des cadres du privé — sont quasiment vides et une négociation est en cours qui semble s'acheminer vers un gel des pensions et une hausse des cotisations. D'aucuns soupçonnent le gouvernement de chercher à se réfugier derrière le résultat de cette difficile négociation pour annoncer une réforme du régime général très similaire et faire porter ainsi le chapeau aux signataires — probablement la CFDT et les syndicats patronaux. Le sujet revêt donc une certaine actualité.

Le modèle du COR

Pour essayer de savoir quelle sera la situation financière future des régimes de retraites, le COR a bâti un modèle permettant de prendre en compte les diverses variables qui l'affectent. Comme il s'agit d'un exercice où il s'agit de savoir quelles mesures éventuellement prendre pour assurer l'avenir des régimes, on raisonne d'abord à loi constante en établissant différents scénarios macro-économiques avant de voir quels sont les effets des mesures qu'on peut prendre. Comme le rapport contient des tableaux qui les résument très bien, je les reproduis ci-dessous, en commençant par les perspectives à long terme, avec pour comparer les hypothèses prises en 2010, avant la dernière réforme. Hypothèses LT du COR en 2010 Hypothèses LT du COR en 2012 hyp_CT_COR_11.jpg On peut donc voir que les hypothèses à long terme sont sensiblement les mêmes qu'en 2010. Le COR a pris en compte la dernière réforme des retraites, l'allongement de l'espérance de vie — qui tend à rallonger la durée de cotisation d'un trimestre — ainsi que de la natalité constatée en ce moment en France. 2 scénarios macro-économiques sont ajoutés, un plus pessimiste et un autre plus optimiste. Ces hypothèses ne sont en fait valables, grosso modo, qu'après 2020. De 2012 à 2020, les scénarios sont en fait quasiment identiques, pour 2 raisons. La première, c'est que ce sont les hypothèses de croissance de loi de finances de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2013 qui sont prises en compte d'ici 2017. La seconde, c'est que le COR voit ensuite une convergence rapide vers le taux de chômage tendanciel: les 7% de chômage sont atteints en 2020 dans tous les scénarios.

Le COR formules les hypothèses de façon à pouvoir reconstruire de façon naturelle la situation financière du régime en séparant les différents types de variables. Ces différents types se justifient par l'impact réel que peuvent avoir les mesures prises.

  1. La démographie est une donnée qui change — en général — de façon très lente. Les projections s'étendent jusqu'en 2060, ce qui est déjà très éloigné, mais tous les retraités de 2060 sont déjà nés et ont pour l'écrasante majorité entamé leur vie active. De même, tous les travailleurs de 2030 ou presque sont déjà vivants. La situation de ce point de vue est déjà jouée, sauf catastrophe. De plus, on voit mal un gouvernement démocratique prendre des mesures contraignantes dans ce domaine!
  2. Les données macro-économiques sont en partie déterminées par la démographie. Une hausse de la population en âge de travailler doit se traduire par une hausse grosso modo équivalente du PIB. Ce qui explique le choix du COR d'exprimer une hypothèse de productivité, ce qui donne la hausse moyenne annuelle des salaires au dessus de l'inflation.
  3. Les données légales peuvent, elles, changer rapidement, mais leurs effets mettront parfois du temps à se réaliser. Le meilleur exemple est celui de l'indexation des retraites sur les prix, dont l'impact est en fait déterminant sur l'équilibre financier à long terme. Mais il vaut mieux, pour savoir quelles décisions prendre, raisonner dans un premier temps à loi constante.

Les hypothèses économiques prises paraissent très optimistes. L'ajout du scénario A' est tout de même très surprenant, puisqu'il estime qu'une hausse de la productivité par travailleur de 2%/an est possible, alors même que la croissance du PIB français ne cesse de ralentir depuis les années 70. Prévoir 4.5% de chômage tendanciel — c'est-à-dire en moyenne sur un cycle économique — paraît très optimiste dans un pays où l'INSEE indique qu'un tel niveau est dépassé depuis 1978, soit 35 ans. Le chômage a passé la barre des 7% de la population active en 1983, il y a 30 ans. À long terme, contrairement à ce que laisseraient penser les tableaux du COR, l'hypothèse la plus crédible est sans doute le scénario C, voire le C'. Quant aux prévisions à 5 ans, il suffit de remarquer que la croissance a été nulle en 2012 et que la prévision 2013 a déjà été abandonnée. Or toute la communication gouvernementale va s'organiser autour de ces projections et, comme la dernière fois en 2010, il basera ses décisions sur le scénario central qui est à la fois complètement hors des clous à court terme et optimiste à long terme. Ce n'est pas un hasard: tous les gouvernements ont surestimé la croissance ces dix dernières années, ça permet de minimiser la taille des problèmes à résoudre, dans tous les domaines, sous couvert de volontarisme.

Les résultats

Les résultats des simulations sont aussi un rappel des effets attendus de la réforme de 2010. Par exemple, avec des hypothèses assez équivalentes à celles de 2010, on voit qu'il y a 1M de cotisants en plus en 2020 par rapport aux projections de 2010 (p31) soit presque 4% de plus. On voit aussi que c'est un effet équivalent aux différence entre les taux de chômage à long terme des différents scénarios! Projection d'emploi selon le COR en 2012

L'effectif des retraités est réduit d'autant, ce qui ne l'empêche pas d'exploser puisqu'on va passer d'environ 15M aujourd'hui à presque 20M en 2030. retraites_cor.jpg

Les perspectives financières sont mauvaises dans les scénarios les plus réalistes (C et C'), où les régimes sont constamment en déficit. La situation est réellement tragique pour le scénario C', où malgré des hypothèses à court terme optimistes — et communes aux autres scénarios — le déficit est de 2% du PIB par an à partir de 2030. situation_financiere.jpg On voit aussi qu'au lieu d'être à l'équilibre, comme escompté lors de la dernière réforme, en 2017, il y aura un trou de 1% du PIB. Par contre la situation dans le scénario A' paraît gérable: on constate des déficits jusqu'en 2030, compensés par la suite par des excédents. On peut donc prévoir à ce graphe une longue vie auprès de ceux qui pensent qu'il n'y a pas de problèmes de retraites en France, spécialement auprès de l'extrême gauche et de certains syndicats pas forcément très réalistes. Dans le scénario B, qui va sans doute servir de scénario central, l'équilibre n'est rétabli qu'à l'horizon 2057, l'équivalent des calendes grecques. La poursuite de la crise a donc creusé un trou très important et ce malgré l'impact important du relèvement de l'âge légal.
On voit aussi que dans tous les cas, après 2030, la situation est soit stabilisée soit en amélioration. On comprend donc que les réformes vont se succéder jusqu'en 2030 et qu'ensuite le système pourrait se figer.

Le 12ᵉ rapport du COR donne comme pension moyenne mensuelle la somme de 1431€ en 2008, l'INSEE donne un revenu salarial moyen mensuel de 1624€. Le ratio des deux vaut actuellement 88%. Les simulations du COR donnent aussi l'évolution de ce ratio suivant les divers scénarios (p57), d'où on peut tirer le graphe suivant. Pensions_COR.jpg On y voit clairement que ce qui fait basculer l'équilibre du système, c'est le ratio pension/salaire. Dans le cas du scénario A', l'indexation des retraites sur les prix diminue suffisamment les pensions pour assurer l'équilibre du système. Pour donner sa pleine mesure, l'indexation des pensions sur les prix doit être accompagnée d'une forte croissance: à long terme, l'effet cumulé est très notable et déterminant. Ceux qui se baseront sur le scénario A' pour donner des pronostics roses sur l'avenir seront en fait ceux qui prônent une baisse du niveau relatif des pensions.

Les politiques à mener

Ces simulations permettent au COR de montrer les effet des principales politiques qui ont un effet sur l'équilibre financier du système. Il faut en effet rappeler que le système ne peut s'équilibrer qu'en jouant sur 3 leviers:

  1. le taux de cotisation: en augmentant les cotisations, on augmente les revenus du système, le déficit se comble donc. Cependant, les revenus des actifs baissent et donc le ratio pension/salaire augmente. Les retraités sont favorisés
  2. le ratio entre nombre de retraités et nombre de cotisants: c'est la politique menée par la droite avec les réformes Fillon de 2003 et celle menée en 2010. L'idée est d'augmenter l'âge légal de départ ou le nombre d'annuités pour obtenir une retraite à taux plein. Si la première mesure est d'effet direct — puisque les gens ne peuvent plus partir à la retraite —, la deuxième peut se transformer en baisse effective des pensions.
  3. le niveau relatif des pensions: c'est le levier qui regroupe le plus de tactiques. Il a été employé dans la réforme menée par Balladur en 1993. On peut donc changer le mode d'indexation des pensions voire les geler, changer le mode calcul pour baisser petit à petit la pension versée, etc.

Tous les autres leviers ne rapportent pas suffisamment. Les revenus du capital ne suffisent en effet pas à renflouer les caisses de retraite. Dans les 35% du PIB qui rémunèrent le capital, on trouve en fait les loyers fictifs que se versent à eux-mêmes les propriétaires de leur logement (10% sur les 35) ainsi que l'amortissement des investissements des entreprises et des particuliers. Les flux réels monétaires sont inférieurs à 10% du PIB. On voit donc que faire porter, en plus des impôts actuels, le poids du déficit prévisible des retraites éliminerait à peu près totalement l'intérêt de recevoir personnellement des revenus du capital.

Les abaques sont situées dans l'annexe 4, à partir de la page 130. Les points w donnent l'effet d'un équilibre qui ne compte que sur une hausse des cotisations accompagné d'un allongement déjà prévu de la durée de cotisation. L'intersection des droites diagonales avec l'axe des abscisses donne le niveau relatif des pensions par rapport aux salaires qui assure l'équilibre à prélèvement constant. Les points y donnent la hausse des cotisations qu'il faut acter si on veut préserver le niveau relatif des pensions.

Les abaques portant sur 2020 donnent une information importante: si on voulait équilibrer les régimes à cet horizon uniquement par des hausses de cotisation, la pension moyenne serait réévaluée de 5% par rapport au salaire moyen, alors même que les niveaux de vie entre retraités et actifs sont aujourd'hui équivalents! À cet horizon, il me semble qu'un gel des pensions soit indispensable: tout prélèvement supplémentaire diminuerait les revenus des actifs, il n'y a pas assez de temps pour qu'un allongement de la durée de travail ait suffisamment d'effets, la réforme de 2010 ayant un calendrier s'étirant jusqu'en 2017. Et cela avec une abaque basée sur un scénario macro-économique très optimiste!

Comme je l'ai dit plus haut, je considère que les scénarios C et C' sont les plus crédibles. Par ailleurs, la baisse du chômage vers une moyenne sur un cycle de 7% étant franchement très hypothétique, je ne pense pas qu'on puisse compter sur une quelconque baisse des cotisations chômage: on devrait éviter autant que possible les hausses de cotisation pour les retraites. Pour savoir quelles politiques mener, on peut se reporter à l'abaque suivante: abaque2040c.jpg On y voit que pour équilibrer le système de retraites, une augmentation de la durée de travail de 6 ans est nécessaire pour préserver le ratio pension/salaire (point z). Ce n'est pas très crédible. Le point y donne la hausse de cotisation nécessaire pour préserver le système avec les réformes déjà actées: 5.5 points. Autant dire que les revenus des actifs en prendraient un sacré coup. Le point x donne la baisse relative des pensions pour assurer l'équilibre sans hausse de cotisation ni de durée de cotisation: une baisse de 20%. Les points w donnent l'effet de la politique actuelle: il faudrait augmenter les cotisations de 3.5 points, les pensions baisseraient de 10% par rapport aux salaires par l'effet de l'indexation sur les prix. Pour situer les données du problème, 3.5 points de cotisation c'est 15% des ressources actuelles du systèmes; si on prend un taux de prélèvements obligatoires de 50%, ça correspond à une baisse relative de 7% du niveau de vie des actifs. C'est donc loin d'être neutre. On voit aussi que le point x requiert un gel durable des pensions, l'indexation sur les prix n'apportant qu'une baisse relative de 10%! Dans ce contexte, la politique qui me semble préférable est celle consistant à allonger la durée de cotisation de 2 ans. De cette façon, l'indexation sur les prix amène à proximité de l'équilibre, surtout combiné au gel sans doute indispensable à court terme des pensions. Le reste pourrait être assuré par une hausse des cotisations, très limitée — inférieure à 1 point.

Conclusions

Les abaques du COR sont très utiles, mais cette utilité est entravée par l'utilisation de scénarios immodérément optimistes. Suivre le scénario B ainsi que les hypothèses du PLFSS 2013 amène à sous-dimensionner les changements. Mais c'est sans doute ce qui se passera, le gouvernement PS aura énormément de mal à faire accepter un gel des pensions, un allongement de la durée de cotisation et un relèvement de l'âge de la retraite après avoir combattu toutes ces mesures depuis 20 ans. Pourtant, il semble qu'il soit nécessaire pour assurer l'équilibre du système de geler les pensions pendant quelques années ainsi que d'acter un allongement de la durée de cotisation de 2 ans de plus, pour aller vers les 44 ans de cotisation.

6 février 2013

Envoi au congélateur

Ce jeudi 31 janvier venait en discussion une très prévisible proposition de loi écrite par le groupe écologiste à l'Assemblée Nationale. Il y était donc prétendûment question de faire jouer le principe de précaution en matière d'émission d'ondes électromagnétiques.

On a déjà abordé la question dans le passé, on peut résumer la situation ainsi:

  • Il existe une recommandation internationale qui donne comme limite une superbe formule croissante dans la zone de fréquence du GSM de 61V/m à 137V/m puis constante au-delà, zone où on trouve notamment les bandes de fréquence du Wifi. À 900MHz, bande de fréquence originelle du GSM, la recommandation est de 90V/m. La recommandation est fixée en estimant la densité d'énergie du champ pour augmenter la température du corps de 1°C, puis divisée par un facteur 50 (p16).
  • la réglementation française fixe des seuils encore plus bas, puisqu'ils représentent moins de 50% de la recommandation en termes de champ électrique — donc 4 fois moins en densité d'énergie. À 900MHz, le champ maximal autorisé est d'environ 41V/m.
  • des mesures effectuées en Angleterre n'ont jamais réussi à détecter plus de 0.2% de la recommandation en densité d'énergie.
  • par contre les téléphones portables peuvent émettre nettement plus, jusqu'à 50% et plus de la recommandation, comme on peut le constater avec les informations données par les fabricants. Mais il s'est avéré extrêmement difficile de démontrer un effet nocif de l'usage intensif du téléphone portable du fait du rayonnement électromagnétique: dans mon post sur le sujet, j'avais pu estimer le pire cas à 60 cas de cancers par an.
  • le rapport de l'ANSES de 2009 ne laissait aucun doute sur le fait que les fameux électro hypersensibles relevaient de la psychiatrie. On trouve ainsi dans l'avis le passage suivant (p13): les seuls résultats positifs obtenus à ce jour sur le plan thérapeutique sont ceux obtenus par des thérapies comportementales ou des prises en charge globales
  • ce même avis se montrait surtout préoccupé par les téléphones et pas du tout par les antennes. Quant à la réduction de l'exposition, c'était le service minimum: il estimait que dès lors qu’une exposition environnementale peut être réduite, cette réduction doit être envisagée.

Les écologistes ont profité de leur niche parlementaire pour déposer une proposition de loi sur ce sujet. Étant donné l'utilité réelle de ces niches, qui servent à donner des gages à son électorat quand on n'est pas le parti majoritaire, ils ont, comme prévu, abordé tous les sujets sans impact sur la santé — les antennes, le Wifi, les électro-hypersenibles — et ignoré le seul qui aurait à la rigueur mérité qu'on y passât 5 minutes — le téléphone lui-même. Ce n'est pas un hasard, puisque la partie la plus bruyante de leur électorat n'est absolument pas préoccupée par le combiné, mais veut surtout disposer d'armes juridiques pour s'opposer à l'implantation d'antennes. Ainsi, on aurait obligés les opérateurs à une tracasserie administrative de plus — une étude d'impact — dont on se doute que la non-réalisation ou une réalisation en dehors des formes aurait valu annulation du permis de construire. Ou encore à une baisse du champ maximal autorisé à 0.6V/m — valeur déterminée de façon arbitraire, c'est 1/100e du champ maximal autorisé au delà de 2GHz — obligeant à la multiplication des antennes et, incidemment, à une augmentation des émissions des téléphones. Pour finir, on voit bien quel potentiel peut offrir la reconnaissance du trouble des électro-hypersensibles ainsi que la désignation d'une cause officielle, totalement disjointe de celles déterminées par la science. Les écologistes pouvaient compter sur leurs relais habituels pour faire connaître leur action, aidé en cela par les caractéristiques de l'histoire qu'on peut raconter: un procédé technique mystérieux car invisible, des morts insaisissables mais des malades très visibles, un document à charge sorti opportunément, des industriels forcément mus par leurs seuls intérêts financiers repoussant d'un revers de main les arguments d'activistes bien organisés mais sans gros moyens autres que symboliques.

Lors du débat, les défenseurs de la proposition se sont reposés sur des topos de l'écologie politique ainsi que sur des déformations de faits relevés ailleurs, au grand dam de l'auteur d'un rapport sur la question. Les autres parlementaires semblèrent, en gens de bonne compagnie, presque s'excuser de vouloir vider la proposition de son contenu, ne se laissant aller à des piques qu'à quelques moments comme lorsqu'on demanda à l'auteur de la proposition si elle possédait un téléphone portable. Mais, plus que les mots de la ministre, ce qui montre l'attitude du gouvernement envers cette proposition, c'est que le groupe socialiste, certainement en toute indépendance, a déposé à la dernière minute une motion de renvoi en commission, équivalente à un renvoi au congélateur. Cette mauvaise façon a permis d'abréger les débats et de montrer que, finalement, mieux valait subir jusqu'au bout l'obstruction clairement affichée de l'opposition et appuyée dans l'hémicycle sur des arguments douteux sur un autre sujet que les complaintes des écolos et leur opposition à ce qui est, sans doute, une des plus utiles inventions des 25 dernières années.

17 janvier 2013

L'état d'esprit de la politique en France et la numérisation à la BNF

En 2005, c'est à dire pendant la préhistoire, Jean-Noël Jeanneney, alors directeur de la Bibliothèque Nationale de France, avait tempêté contre Google qui venait de démarrer son programme de numérisation des fonds de littérature présents dans les bibliothèques de grandes universités américaines. Ce programme a depuis été étendu à diverses bibliothèques de par le monde, y compris celle de Lyon. Les œuvres tombées dans le domaine public y sont disponibles librement, comme on peut le constater. Jeanneney dénonçait alors le risque d'une domination écrasante de l'Amérique.

En 2008, la rumeur courut que, finalement, un accord eût pu se conclure avec l'implacable ennemi, mais rien ne se fit. En 2013, 8 après le début du projet de Google, on apprend que la bibliothèque va numériser son fonds via un partenariat public-privé. Les entreprises privées se rémunéreront en commercialisant le contenu des ouvrages numérisés et disposeront d'une exclusivité de 10 ans sauf pour une petite partie qui sera publiée immédiatement sur Gallica, qui rassemble ce qui a déjà été numérisé. Le travail s'étalera sur 10 ans. On peut donc constater que les conditions sont bien moins favorables pour le public que ce qu'a pratiqué Google: la totalité des ouvrages numérisés ne sera disponible librement qu'en 2033, alors même qu'ils sont libres de droits et qu'avec Google, ils seraient sans doute déjà disponibles.

Cet évènement, même s'il est d'une dimension limitée, est révélateur de travers de la vie publique française. C'est d'abord un révélateur de l'impécuniosité de l'état français. Le patrimoine culturel français est concédé en partie à une entreprise privée parce que la BNF n'a pas les moyens de payer l'ensemble des frais de numérisation et n'a aucun espoir d'obtenir les crédits nécessaires. Elle a donc développé un partenariat public privé où l'entreprise privée valorisera son travail pour recouvrer les sommes manquantes. Les partenariats public-privé sont très populaires dans les projets d'infrastructures, car ils permettent d'éviter d'augmenter la dette de l'état: l'engagement de verser à intervalles régulier des sommes d'argent est simplement compter dans les dépenses annuelles à prévoir. Le revers est que les sommes à verser sont bien supérieures à ce qu'il aurait fallu verser si l'emprunt avait bien eu lieu à la place: les taux de rémunération du capital sont bien plus élevés que les taux des OATs. Dans le cas qui nous occupe le but de la BNF est de conserver les ouvrages dans le meilleur état possible mais aussi de permettre leur consultation, de préférence par le plus grand nombre. Or, il s'avère que la BNF va privatiser une partie du domaine public, ce qui va empêcher de consulter les copies numériques de certains documents dont justement la consultation devrait être libre. La manque d'argent pousse ainsi l'état à prendre des décisions douteuses du point de vue des finances et des buts qu'il poursuit.

Ensuite, on peut voir le biais cocardier. Le problème n'était pas que Google puisse être ou devenir une société trop puissante, mais qu'elle soit américaine. Autant une certaine méfiance peut être de mise dans les domaines militaires, autant dans le domaine culturel, s'il s'agissait de faire connaître la culture française, la nationalité de l'entreprise qui numérise le fonds de la BNF importe peu. L'important est plutôt que ce qui est numérisé soit facilement et immédiatement à la disposition du plus grand nombre. La politique culturelle de la France est en grande partie bâtie sur cette hostilité envers l'étranger. C'est ainsi que les productions étrangères, américaines au premier chef, se voient exclues par des quotas de productions françaises à diffuser obligatoirement; il y a des obligations de financement de l'industrie locale payées in fine par les consommateurs, comme au cinéma. Bref, toute une démarche protectionniste est mise en place et débouche sur des errements, comme des acteurs sur-payés ou le refus d'une possible aide étrangère.

Enfin, il y a la peur de la nouveauté et un état d'esprit qui ne voit que les menaces et pas les opportunités. De fait, s'allier à Google était une opportunité: la mise à disposition du public aurait été faite gratuitement, Google a numérisé des fonds sans demander d'argent aux bibliothèques, ni d'exclusivité dans la numérisation et la diffusion. Cet état d'esprit s'accorde très bien de l'esprit cocardier. Cette focalisation sur les menaces pousse en plus à de graves erreurs d'analyse du marché des biens culturels. En France, il est quasiment impossible de lancer de nouveaux services sur les marchés culturels car, immédiatement, par peur de perdre des revenus, les intervenants déjà présents veulent que le nouvel entrant paie immédiatement de grosses sommes. C'est le cas avec des choses assez futiles comme la VoD, mais c'est sans doute aussi le raisonnement tenu par la BNF: quelqu'un pourrait lancer une activité à succès sur la numérisation de son fonds et ne jamais rien lui reverser. On ne peut pas dire que ce soit un état d'esprit qui favorise l'innovation et l'adoption de nouvelles techniques...

Au final, on voit que ce dossier a été particulièrement mal géré et que les citoyens français n'ont pas eu les résultats auxquels ils auraient pu s'attendre. La numérisation du fonds de la BNF a déjà avancé, on peut par exemple consulter les premières version imprimées des pièces de théâtre de Corneille ou Racine, mais tout ne sera pas disponible avant 2033 faute d'avoir su saisir une opportunité. Malheureusement, sous ces péripéties, on voit poindre un état d'esprit qui me semble être bien présent dans la politique en général: manque d'argent qui amène des comportements néfastes, comportement cocardier qui confine parfois à la xénophobie, focalisation sur les menaces et oubli des opportunités.

6 novembre 2012

Imposer le silence

Le 22 octobre dernier, 6 personnes ont été condamnées à 6 ans de prison ferme pour homicide involontaire parce qu'ils faisaient partie d'une commission d'évaluation des risques et avaient conseillé aux habitants de L'Aquila de ne pas s'inquiéter outre mesure de la multiplication des secousses dans la région. Ils étaient apparemment même allés jusqu'à dire que les secousses constituaient un signal favorableLe 6 avril 2009, une semaine après la réunion, un séisme dévastait la ville et faisait 309 morts, entre autres.

La lourdeur des peines et l'absence de différentiation entre les prévenus me semble signer la désignation de boucs émissaires, comme le pointait Dirtydenys avec justice. Et comme le pointait aussi Bruce Schneier — qui se risque lui aussi à des propos dangereux — c'est une perte sèche pour la société: un tel verdict ne peut avoir comme effet que de limiter la parole publique des experts. Il n'a d'ailleurs pas fallu attendre bien longtemps pour que les suspects habituels se précipitent dans la brèche: ainsi Corinne Lepage ne s'est point privée de faire connaître sa volonté de poursuivre en justice tout expert qui émettrait un avis favorable sur la sécurité des OGMs dans un cénacle officiel.

Ayant moi-même infligé à mes lecteurs les plus intrépides une série de billets sur le principe de précaution et surtout sur son dévoiement, je me suis rappelé qu'une augmentation de la fréquence des poursuites en justice dirigées contre les experts était esquissée dans un ouvrage publié voilà plus de 10 ans. La prévision qui y était faite d'une possibilité symétrique de poursuites entre celles suscitées par les partisans d'une approche de dommage zéro et celles suscitées par les partisans d'une approche plus risquée mais plus féconde en bénéfices ne m'avait pas vraiment convaincu, on va y revenir.

Les avis des experts sont en première approche comme des conseils, les experts sont d'ailleurs toujours prompts à rappeler qu'ils ne font pas de gestion des risques, tâche réservée aux politiques, mais seulement de l'analyse des risques. Condamner quiconque pour de simples conseils est suffisamment problématique pour que Hobbes, bien connu pour son laxisme, affirme qu'on ne peut le faire en équité. Son argument est que, finalement, un conseil étant généralement sollicité, il est impossible de sanctionner un avis argumenté qu'on a soi-même demandé. En passant, Hobbes connaissait déjà le problème du conflit d'intérêts puisqu'un conseil est, entre autres, défini par le fait qu'il profite à celui qui le reçoit et non d'abord à celui qui le donne. Cela montre bien que le thème du conflit d'intérêts est loin d'être nouveau. Cela dit, dans nos sociétés modernes, il est bien difficile de s'abstraire de toute conséquence de ses propres conseils, cela requerrait en fait de se retirer du monde en dehors du moment où on donne des conseils. Cette vie d'ermite est bien souvent incompatible avec l'expertise qui requiert de maintenir à jour ses connaissances donc d'avoir des contacts avec autrui. Comme signalé dans cet entretien, l'indépendance de l'avis ne peut alors être assuré que par le cadre institutionnel et non par l'absence de conflits d'intérêts de chacun des experts consultés.

Une autre différence avec le cadre hobbésien, c'est que, de nos jours, bien loin d'être soumis aux caprices d'un souverain, les individus ont des droits, ce qui fait que l'état ne peut donner des ordres sans justification rationnelle. Dans le cas des tremblements de terre, il s'agit de savoir quand faire évacuer: dire qu'à l'Aquila des gens auraient pu être sauvés en dormant dehors me laisse sceptique. Mais comme les tremblements de terre sont toujours impossibles à prévoir avec une précision suffisante, cet ordre ne peut jamais être donné. Par contre, dans le domaine proche de la volcanologie, il est possible de faire des prédictions plus précises et d'évacuer la population, comme ce fut le cas avec l'éruption du Pinatubo. Dans le cas des OGMs, chaque individu est libre de faire ce qu'il veut pour peu qu'il ne blesse personne, d'où l'insistance des opposants sur les thèmes des dangers pour la santé et pour l'environnement. On voit donc que les avis n'ont pas tous le même effet: si un conseil peut, pour Hobbes, être ignoré en toute circonstance, dans une société libérale, il restreint les possibilités d'action de l'état en privant certaines action de justifications acceptables.

Pour contrebalancer cela, il y a une grande dissymétrie entre les prévisions optimistes et pessimistes, comme je l'avais noté à propos du principe de précaution. En dehors de la communauté scientifique, il y a peu à craindre d'émettre des prévisions alarmistes. Parmi ceux qui lancent des fausses alertes, seuls ceux qui récidivent avec insistance sont punis, tels les petits rigolos qui appellent les pompiers sans raison. On peut par contre s'assurer dans certains cas un passage dans les médias, où en cas d'erreur, on sera vite oublié, mais où, si la prévision se réalise même fort approximativement, on peut devenir un grand gourou de certains domaines. De fait, des poursuites judiciaires ne seront jamais engagées que pour une insuffisance de précaution ou des prévisions paraissant après coup comme trop optimistes. La communauté scientifique est un peu à l'abri de ce genre de phénomène, puisqu'il faut que les modèles utilisés collent à la réalité, ce qui nécessite d'avoir un modèle et permet d'évacuer ceux qui ne sont pas meilleur que le hasard. Cependant, le fond des débats scientifique ne parvient pas toujours au public, ou bien de façon déformé. Cette dissymétrie de perception entre les prévisions optimistes et pessimistes dans le public permet d'enclencher un cycle où on pourra demander des mesures, souvent d'interdiction, envers certaines choses ou certaines techniques. Le cas des OGMs illustre l'efficacité de cette tactique.

Elle présente toutefois un défaut: en cas d'opposition purement idéologique, il faut renouveler les articles et autres déclarations qui sont au fur et à mesure discréditées par les scientifiques. Faute de quoi, l'interdiction finit par être levée. Cela implique qu'il faut susciter des articles scientifiques ou de nouvelles hypothèses. Mais on peut vouloir freiner les réfutations publiques de ce qu'on a avancé. Dans ce cas, Hobbes peut encore venir à la rescousse: si la pensée est libre, la parole l'est toujours nettement moins. Nos sociétés libérales défendent certes la liberté de parole, mais avec des exceptions. Si, comme dans le cas de L'Aquila, on peut arriver à faire condamner des experts pour des déclarations imprudentes, l'incitation à se taire est grande. On peut aussi harceler d'autres personnes, même si on sait que l'action en justice n'a aucune chance d'aboutir à une condamnation: ainsi en a-t-il été des cancers de la thyroïde en France dont on a voulu rendre responsable le nuage de Tchernobyl et le Pr Pellerin. On voit donc que la menace de poursuite est crédible et sérieuse: peu importe en fait que la condamnation soit définitive, les mauvais esprits peuvent être importunés, à l'aide des moyens de l'état, sans risque pour qui lance la procédure. On voit donc tout l'intérêt d'avertir les experts, de façon à bien limiter leur liberté de parole. Après tout s'il reste des courageux, il sera toujours temps de faire un exemple.

10 octobre 2012

Marquer des points

Suite à la publication de l'article de GE Séralini et son orchestration médiatique, tout le monde a pu en prendre connaissance. Dès les premières heures, les critiques allaient bon train et il semblait bien qu'on ne pouvait en fait pas tirer grand'chose de ce papier. Dernièrement, les agences chargées de l'évaluation des risques ont commencé à rendre leurs avis, comme par exemple en Allemagne ou en Australie dont l'agence collecte les réfutations d'études sans lendemain sur une page. L'EFSA a aussi publié un avis préliminaire.

En résumé, tous ces avis reprennent les critiques formulées à l'encontre du papier comme, par exemple, l'insuffisance des effectifs de rats ou du choix de la souche. Ces critiques envers le papier de Séralini ont en commun de s'appuyer sur un raisonnement qui est généralement explicité: les besoin de rats en plus et d'une souche moins prompte à développer des tumeurs s'expliquent par la nécessité de réduire les effets du bruit statistique. À ces critiques, GE Séralini et Corinne Lepage, membres du CRIIGEN qui a subventionné l'étude, répondent sur un tout autre plan.

Séralini a déclaré qu'il ne donnerait pas les données détaillées de son étude à l'EFSA parce que celle-ci ne publie pas les données que Monsanto lui a fournies pour qu'elle autorise le maïs porteur de la modification NK603 à la vente. Il affirme aussi qu'il publierait ses données sur un site web si l'EFSA publiait les données en sa possession sur le NK603. En général, les tenants de la publication ouverte des données tiennent cette action pour bénéfique en elle-même: pas besoin d'exiger une quelconque forme de réciprocité. L'attitude de Séralini revient donc de se point de vue à se prévaloir de la turpitude d'autrui. Les demandes de l'EFSA sont aussi moindres: ne lui transmettre qu'à elle les données, chacun restant propriétaire de ses données. Elle n'a donc sans doute pas le droit de publier ce que lui a fourni Monsanto, par exemple. La demande de Séralini ne pourrait alors être exaucée que si la loi change ... ce qui n'est pas au pouvoir de l'EFSA.

Corinne Lepage, quant à elle, a pris la plume pour publier une tribune où elle dénonce un conflit déontologique: la personne qui a rédigé l'avis de l'EFSA sur le papier de Séralini a aussi rédigé l'avis sur le NK603. On retrouve aussi cette contestation dans les propos de Séralini puisqu'il déclare vouloir être jugé par la vraie communauté scientifique, pas par celle qui s'exprime dans Marianne et qui est composée à 80 % de gens qui ont permis les autorisations de ces produits. Corinne Lepage dénonce aussi le fait que les évaluateurs ne devraient pas être les normalisateurs. Elle fait aussi grief à l'EFSA de ne faire que copier-coller les arguments des détracteurs de Gilles-Eric Séralini sans bien sûr expliquer en quoi c'est incorrect autrement qu'en se prévalant que les autres feraient pire, sans s'expliquer plus avant. Elle expose aussi certaines de ses revendications pour les changements de procédures à l'EFSA.

On voit donc que les opposants aux OGMs ne portent pas leur contestation sur le cœur de ce que sont les avis des instances d'évaluation des risques. En effet, comme le rappelle un exposé d'Yves Bréchet devant l'Académie des Sciences morales & politiques, un avis ne vaut pas seulement par ses conclusions mais surtout parce qu'il est fondé sur un raisonnement critique basé sur l'ensemble des connaissances disponibles, ou au moins le maximum qu'on a pu rassembler. Au fond, répondre uniquement sur les apparences, ce n'est pas répondre à l'avis. Si vraiment l'avis est partial, il doit être possible de pointer des erreurs de raisonnement ou dans la sélection des connaissances qui servent de base à l'avis.

Cependant, comme il est pratiquement impossible de pratiquer une critique approfondie d'un avis si on n'a pas soi-même de connaissances scientifiques ou si on ne dispose pas de temps pour se faire une idée, on demande que l'avis soit rendue de façon à ce que l'étude ait les apparences de l'impartialité. Il ne peut s'agir de demander que les experts n'aient d'attaches avec personne: si c'était le cas, ce ne seraient sans doute pas des experts de leur domaine. De même, on ne peut pas réclamer que les experts n'aient pas exprimé d'avis sur la question — ou une question proche — auparavant: d'une certaine façon, c'est leur métier que d'évaluer l'ensemble des connaissances disponibles sur un sujet. Les métiers techniques et scientifiques réclament souvent de savoir reconnaître les évènements qui changent une situation et donc son jugement sur la question. Prétexter que les experts aient déjà rendu un avis — qui va dans le sens contraire à ce qu'on souhaiterait — pour les disqualifier, c'est de fait mettre en cause leur honnêteté et leur capacité à accomplir leur travail d'expertise. Le nombre d'experts dans un domaine donné n'est pas non plus extensible à l'infini, ce qui fait que ce sont souvent les mêmes personnes qu'on va retrouver lors des expertises, non du fait d'un quelconque complot mais à cause des conséquences de la spécialisation des experts. C'est pourquoi les arguments de Corinne Lepage sont particulièrement infondés. Dans bon nombre de domaines, les normalisateurs — au sens de ceux qui écrivent les normes — sont des spécialistes du domaine, qui ont évalué les différentes technologies, voire qui ont créé la technologie qui est normalisée. On ne peut pas dire que le monde s'en porte si mal! De même, réclamer un changement d'auteur de l'avis parce que cet avis allait dans le sens contraire à un nouveau papier est un non-sens: l'auteur de l'avis est d'abord censé écrire l'avis de l'ensemble des experts consultés et être capable d'incorporer les informations nouvelles.

En fait, ces déclarations ne visent qu'à marquer des points dans l'opinion publique. Le reproche principal fait à l'EFSA est de n'être pas d'accord avec Séralini et Corinne Lepage, non d'être face à un quelconque conflit d'intérêts. Il s'agit de s'attaquer à la crédibilité de ceux qui ne sont simplement pas d'accord avec soi, d'avoir le loisir de choisir par qui on est critiqué, de ralentir les procédures d'autorisation et d'empêcher l'innovation d'émerger par suite de coûts de commercialisation trop importants. C'est la tactique classique qui a été déployée avec succès pour empêcher la culture des OGMs en France. C'est aussi une tactique qui est malheureusement très présente dans le champ de la politique et c'est une des raisons qui conduisent à demander des expertises. Il semble donc bien que la parution du papier soit surtout l'occasion d'une exploitation politique par les détracteurs habituels des OGMs. Il montre aussi une nouvelle fois qu'ils cherchent à pirater les institutions et les procédures mises en place dans le cadre du principe de précaution pour faire avancer leur cause, sans égards pour les faits. C'est la principale faiblesse du principe de précaution: pour que ces institutions fonctionnent bien, un minimum de bonne foi est requis et ceux qui cherchent simplement à marquer des points peuvent s'en servir pour faire campagne sans avoir à en souffrir.

30 août 2012

Encourager l'épargne longue?

En juillet dernier, la Cour des Comptes a rendu un rapport intitulé L'État et le financement de l'économie, dont on peut retrouver l'essentiel dans la synthèse. Ce rapport fait suite à celui sur l'assurance-vie (synthèse) et il en reprend nombre de conclusions.

La Cour fait des remarques sur la situation des banques et des assurances. Il n'a échappé à personne que la crise financière avait entraîné des changements réglementaires et plus généralement dans le modèle de fonctionnement des banques. Les banques françaises prêtent plus qu'elles n'ont de dépôts: l'encours des prêts est supérieur de 10% environ aux dépôts (tableau n°12 p107). Les prêteurs sont devenus nettement plus frileux envers les banques qui ont donc plus de mal à se financer sur les marchés. Les dépôts sont aussi favorisés par les règlementations de Bâle III. Les banques sont encouragées à trouver des gens prêts à déposer de l'argent chez eux ou ... à diminuer leur encours de crédit. Du côté des assureurs, la directive Solvabilité II va pousser les assureurs à diminuer encore leurs encours en actions et plus généralement tout ce qui s'apparente à un placement peu liquide ou un apport de fonds propres à une entreprise (p103). Les assureurs ne devraient pas se précipiter pour financer les besoins en capitaux propres des entreprises mais plutôt se concentrer sur leur dette pourvu qu'elle soit négociable.

De leur côté, les Français affichent une préférence marquée pour l'immobilier qui représente les deux tiers du patrimoine des ménages (p73). Il est vrai que la hausse des prix de l'immobilier a pris une part notable à la croissance de la part de l'immobilier de ces 15 dernières années. Pour ce qui est du patrimoine financier, la préférence va à l'épargne sans risque, avec un biais vers des placements a priori peu liquides comme l'assurance-vie, comme le montre le tableau ci-dessous (originellement p67). repartition_risque.jpg La tendance est en défaveur des placements risqués: s'ils représentent un petit tiers du patrimoine, moins d'un sixième du flux d'épargne se dirige vers eux. Il faut dire que la faible performance des actions depuis l'an 2000 n'a sans doute pas encouragé les épargnants. Mais il y a une autre raison: les impôts. La Cour signale que la fiscalité encourage nettement l'épargne non risquée (p76-77). Ainsi, si 42% de l'épargne sans risque bénéficient d'un avantage fiscal, seuls 12% de l'épargne risquée en bénéficient. Ces avantages représentent 9G€ pour l'épargne non risquée contre 2.4G€ pour l'épargne risquée. Ces avantages pour l'épargne non risquée sont aussi accompagnés d'avantages pour la détention d'un bien immobilier: pas de taxe sur les plus-values sur la résidence principale, montages fiscaux divers (Robien, Scellier, etc.) et non imposition de l'économie que représentent le fait de ne pas avoir à payer de loyer. Dans le rapport sur l'assurance-vie, la Cour donne un tableau récapitulant les diverses modalités d'imposition des placements au 1er janvier 2012, les prélèvements sociaux sont depuis passés à 15.5%. Alors que l'imposition des revenus de l'épargne était limitée à 16% au début des années 90, les taux ont très sérieusement augmenté, d'abord sous l'effet des prélèvements sociaux puis sous l'effet du relèvement du taux du prélèvement forfaitaire. imposition_epargne.jpg

La Cour conclut que l'épargne est de moins en moins dirigée vers les entreprises, à cause des évolution réglementaires et de l'évolution des préférences d'épargne des Français. Un autre phénomène important se mêle à cela: depuis la crise financière, les taux des obligations d'état français sont au plus bas: 2% pour les obligations à 10 ans. Dans ces conditions, l'épargne réglementée est extrêmement compétitive: le Livret A rapporte 2.25% net et est parfaitement liquide. Le PEL peut même être plus compétitif que certains fonds en euros alors qu'il ne requiert de bloquer son épargne que 4 ans. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que le Livret A batte des records de collecte. Une conséquence de cette succession de collectes record est que les prêts accordés au titre du Livret A sont bien inférieurs aux fonds centralisés: il y a un excès de liquidités de 52G€ (p175). Il faut noter aussi que le Livret A est géré de telle sorte que les dépôts centralisés sont supérieurs aux prêts de 25% au minimum, contrairement à ce qui se passe dans les banques. Un report des dépôts bancaires vers le Livret A signifie donc moins de prêts accordés, globalement.

La Cour fait des propositions pour essayer de corriger cela et permettre d'orienter l'épargne vers le long terme. La première position qu'on peut remarquer est l'opposition franche à l'augmentation du plafond des livrets réglementés (p220). La Cour a demandé de soumettre aux prélèvements sociaux la partie des dépôts supérieure au plafond actuel et de procéder au relèvement du plafond par étapes. Le gouvernement s'est largement assis sur ces recommandations et a décidé de procéder à un relèvement rapide du plafond. On comprend bien pourquoi le gouvernement n'a pas soumis à imposition les livrets réglementés: cela aurait été massivement impopulaire. Les autres propositions principales concernent l'assurance-vie et sont directement reprises du rapport thématique qui est consacré à la question. La Cour propose en fait d'allonger encore l'obligation de détention et de changer le mode décompte en considérant l'historique des dépôts. Ça correspond donc à un alourdissement des conditions fiscales: sans action sur les livrets réglementés, cela ne fera qu'amplifier la fuite déjà apparente vers le livret A.

Ces recommandations me paraissent donc soit demander une certaine témérité politique — pour la taxation des livrets réglementés — soit être carrément contreproductives — spécialement dans un contexte de taux extrêmement bas. Les recommandations formulées, il y a maintenant 3 ans, par Olivier Garnier & David Thesmar dans un rapport au Conseil d'analyse économique, étaient nettement meilleures: si on voulait favoriser l'épargne longue et risquée, il fallait arrêter de subventionner l'épargne sans risque & liquide, mettre tout le monde au même régime, sauf engagements de détention à long terme. À défaut, ils proposaient qu'on ne touche à rien plutôt que d'empiler encore d'autres mesures à l'utilité douteuse. Ces mesures ne sont pas tellement plus réalistes — à cause de la taxation des livret réglementés — mais elles ont au moins une chance d'atteindre leur but!

Au vu de l'état des finances publiques, il est douteux que des allègements d'impôts puissent être actés. Vue l'idéologie du PS et de la classe politique française en général, qui tient un discours massivement anti-détention d'actions et est massivement constituée de propriétaires fonciers, il est tout à fait illusoire de voir aligner la taxation des livrets réglementés sur la taxation des placement plus risqués. On s'achemine plutôt vers la continuation de la hausse inexorable des prélèvements sociaux et un relèvement de la taxation au titre de l'IRPP. Comme dans le même temps les rendements des fonds en euros va continuer à décroître, on peut parier que l'épargne des français se dirigera vers les placements les plus liquides et détaxés. Le gouvernement va encourager cette tendance pour financer sa banque publique d'investissement. Le placement immobilier continuera à avoir un certain succès, malgré le risque: il bénéficie lui aussi d'une fiscalité favorable, tant dans la détention que pour les travaux qui permettent de faire des économies. Dans ces conditions, l'épargne financière à long terme n'augmentera sans doute pas. Avec les annonces récentes sur la fiscalité des carburants, on voit que le gouvernement est plus empressé de respecter ses promesses de campagne les plus démagogiques que d'adopter des discours et des solutions raisonnables.

25 juin 2012

Évolution prévisible des effectifs de l'état

Dans son programme, François Hollande a annoncé qu'il créera 60000 emplois dans l'Éducation Nationale ainsi que 5000 dans la police, la gendarmerie et la justice. Mais dans le même temps, il a annoncé que le nombre de fonctionnaire resterait stable. Maintenant que les législatives sont passées, les projets du gouvernement commencent à prendre forme et à fuiter, ce qui amène des articles sur la manière de concilier ces deux objectifs. Il serait donc question qu'en dehors des ministères où on embaucherait, il faudrait ne pas remplacer 2 fonctionnaires sur 3 partant en retraite.

Comme les lois de finances incluent toujours un état des effectifs et des plafonds d'emplois ventilés par missions, on peut essayer de savoir si l'ordre de grandeur est le bon. Dans le rapport sur la loi de finances pour 2012, on trouve un développement consacré à la politique du précédent gouvernement, le non remplacement d'un départ sur deux pour tous les ministères ou presque. On y lit qu'à périmètre constant, le plafond global descendra d'environ 30500 équivalent temps pleins: par rapport au graphe de l'article du Figaro, on voit que déjà les effets des départs à la retraites diminuent, ce qui n'est déjà pas de très bon augure.

On y trouve aussi un tableau détaillant les plafonds d'emplois par mission. Il permet d'avoir une idée de la répartition des effectifs, elle est représentée ci-dessous: Répartition des effectifs de l'état en 2012 On voit donc que les ministères qui vont embaucher représentent déjà les 2/3 des effectifs de l'état. Si on fait l'hypothèse que le nombre de départs à la retraite sera constant chaque année et que le taux d'érosion pour les ministères qui subiront les coupes est le taux d'érosion global, on arrive à une estimation de 100k départs à la retraite dans les 5 ans à venir pour lesquels on peut faire jouer la politique de non-remplacement. Comme il va y avoir 65k embauches par ailleurs, il faudra donc ne pas remplacer 2 départs sur 3. En plus, le nombre de départs tend à baisser!

On peut se dire aussi que les ministères où on embauchera ont des fonctions de support, des gens qui ne sont pas présents directement au contact du public et qu'on peut alors traiter ces fonctions d'arrière-boutique de la même façon que les ministères non favorisés. On ne connaît pas pour la police et la gendarmerie les effectifs employés à de telles tâches. Par contre, on le sait pour l'éducation nationale et la justice; le total se monte à environ 26k emplois. Mais de l'autre côté, il y a des mission qui échapperont sans doute à la règle commune: l'enseignement supérieur et la mission qui regroupe la Cour des Comptes et le Conseil d'État. On trouve là un peu moins de 27k emplois. Les deux se compensent donc.

Interrogé sur le sujet à Rio en marge d'un sommet dont il n'est rien sorti, comme prévu, le Président de la République, François Hollande, a jugé que l'hypothèse du non remplacement de 2 fonctionnaires sur 3 pour les missions hors éducation, justice et police était invraisemblable et que si c'était le cas, (il) en aurai(t) été informé tout de même. Le lendemain matin, Michel Sapin confirmait à demi-mot. On ne dit visiblement pas tout à François Hollande. Et vue la difficulté qu'a eue le précédent gouvernement pour tenir le non-remplacement d'un départ sur deux, on peut parier que ce gouvernement n'aura pas la tâche facile et que l'issue la plus probable est l'échec sur ce plan.

19 avril 2012

Pourquoi je n'irai pas voter

Après avoir expliqué pourquoi je n'étais convaincu par aucun des candidats les plus proches du centre du l'échiquier politique en France, Nicolas Sarkozy, François Bayrou et François Hollande, il est à peu près évident qu'il ne reste personne sur qui porter mon choix et c'est pourquoi je n'irai pas voter.

Tout d'abord, il n'aura sans doute pas échappé au lecteur que la tendance politique de carnet est relativement libérale. Cela m'empêche de voter pour des candidats issus de partis à tendance dictatoriale, que ce soit les trotskistes tendance sectaire ou postmoderne, l'alliance des communistes et de scissionnistes du PS, le Front National, les Verts. Dupont-Aignan est, quant à lui, franchement anti-libéral et Jacques Cheminade, peu sérieux.

Jacques Cheminade, justement, me semble montrer une partie des problèmes de la politique en France. Voilà quelqu'un qui s'était déjà présenté à l'élection présidentielle de 1995 et n'avait pas réussi depuis à refaire surface. Apparemment, il a réussi à convaincre des maires de lui donner des signatures par son discours sur le système financier, compensant ainsi le reste de son programme lunaire. Il est remarquable qu'un candidat aux tendances complotistes, notamment sur le système financier, ne paraisse pas si exceptionnel dans cette campagne: tous les autres candidats se disent contre la finance, en guerre contre elle, etc. C'est une excellente imitation des politiques classiques, son programme spatial mis à part. La similitude me semble en grande partie au manque de rationalité dans le débat public français et à l'omniprésence d'un discours avant tout émotionnel. Le discours sur la finance entre très bien dans ce cadre: une analyse rationnelle commencerait par dire qu'on a besoin de la finance, et qu'elle n'est donc pas un ennemi, mais que c'est la gestion, notamment prudentielle, du secteur qui a pêché. La situation dépeinte serait nettement moins manichéenne, puisqu'on remarquerait sans doute qu'une des origines de la situation actuelle se situe dans le grand nombre de prêts immobiliers accordés qui ont alimenté une bulle immobilière.

Cette omniprésence de l'émotion était déjà largement visible dans la campagne du non au référendum sur le traité constitutionnel. Les propos les plus irrationnels se sont succédé, les portraits les plus manichéens ont été présentés comme la norme. Une solution alternative a été présentée, elle ne constituait qu'en un maquillage du traité proposé, ce dont on ne peut pas dire que cela ait contribué à la crédibilité des politiques.

Les politiques ont aussi usé d'une vieille tactique: ne pas parler des éléphants qui bloquent le couloir. On les comprend bien: le premier qui annonce une mesure impopulaire mais nécessaire pourra être contré par les autres qui ne s'attacheront plus alors qu'à démonter cette mesure tout en évitant de dire ce qu'ils feront ou bien en tenant des discours totalement démagogique visant à nier la réalité. C'est ainsi qu'on n'a pas beaucoup parlé des dépenses publiques et des façons de les réduire. Les changements qu'il faudra probablement apporter aux régimes des retraites ont été largement mis sous le tapis, pas question d'évoquer les sacrifices à faire de façon un tant soit peu détaillée. On peut éventuellement deviner que Hollande voudrait augmenter les cotisations sociales, Sarkozy plus l'âge de départ en retraite, mais cela n'a jamais été clairement dit. De même, on ne peut pas dire qu'on se soit beaucoup attardé sur les dépenses de santé, l'armée — qui servira sans doute de variable d'ajustement une fois de plus —, etc. Quant à creuser les propositions soit-disant un peu plus détaillées, cela m'a souvent amené à me dire qu'on se moquait de moi et du reste de la population par la même occasion. Et surtout, on a évité de dire des choses qui peuvent faire perdre nombre d'électeurs, en n'utilisant que des formules vagues laissant entendre qu'il y aurait des efforts à faire, mais on s'est au contraire concentré sur ce qui caresse dans le sens du poil et est totalement accessoire, comme la taxation des hauts revenus, l'étiquetage de la viande halal... Comme l'a bien retranscrit la une de The Economist, on a assisté à une campagne de déni.

Ce n'est certainement pas une nouveauté: on a très peu parlé des retraites en 2002 et 2007, alors qu'il était aussi évident que des changements devraient avoir lieu. Ces 2 précédents devraient inciter à demander que les thèmes importants soient réellement abordés, les laisser en friche ne donne finalement pas un véritable mandat démocratique. Il me semble que cela montre un manque de qualité parmi le personnel politique, incapable de dire ce qu'il pense nécessaire ou souhaitable, ou bien se réfugiant réellement dans le déni. Dans tous les cas, on voit mal ce que l'élu pourra tirer réellement comme mandat du résultat des urnes: rien de saillant n'ayant été résolu, il bénéficie à la fois d'un mandat relativement libre, à part sur certaines mesures idéologiques, mais n'aura aucune légitimité pour faire appliquer les décisions dures qu'il devra pendre, n'en ayant pas parlé avant. On parle plus en plus de transparence dans le processus décisionnel, mais, au moment où on doit choisir des élus et donc leurs idées, cette transparence manque cruellement.

Une autre raison est que je suis bien éloigné de l'axe central de la politique française. Le libéralisme a quasiment disparu du radar en France, aucun parti ayant des élus ou une audience certaine ne peut sérieusement s'en revendiquer. Cela distord la perception de ceux qui s'en sentent proches: finalement la majeure partie des hommes politique apparaissent éloignés et il est difficile de les classer par ordre de mérite. Il m'est bien difficile de dire aujourd'hui qui serait le meilleur ou, ce qui est strictement équivalent, le moins mauvais président du fait de la trop grande distance qui me semble séparer leurs opinions, telles qu'elles ressortent de leurs discours, des miennes.

Le manque de qualité et la distance aux idées les plus courantes dans le débat politique rendent finalement inévitable un certain retrait par rapport au choix à faire le jour du vote. Je n'irai donc pas voter dimanche prochain, ni sans doute le dimanche dans 2 semaines.

18 avril 2012

Quid de Bayrou?

Après avoir dit que je ne voterai pas pour Nicolas Sarkozy puis que je n'irai pas non plus voter pour François Hollande, il est naturel de se tourner vers le seul candidat un tant soit peu sérieux qui reste encore: François Bayrou et son programme.

François Bayrou est sans doute le candidat auquel je ferais le plus confiance pour limiter les problèmes de la justice en France et mener une politique pénale plus humaniste que celle menée par le gouvernement actuel. François Hollande ne consacre réellement aucun engagement sur la politique pénale, il se contente de dire qu'il fera appliquer les peines et rénover les prisons. Mais il ne dit rien sur la manière de soulager l'engorgement des prisons. François Bayrou est sans doute le seul candidat qui insiste sur le besoin de limiter autant que faire se peut les emprisonnements pour les primo-délinquants et à dire un mot sur la réinsertion des détenus (p14). Au moins, il ne se contente pas des formules les plus vagues et il donne au moins quelques pistes pour parvenir à son objectif dans ce domaine.

C'est sans doute aussi le candidat le plus sérieux quant aux finances publiques. Il a pris les hypothèses les plus prudentes en matière de croissance et a les objectifs les plus ambitieux en termes de maîtrise des dépenses publiques en valeur. La conséquence est qu'il propose d'arriver au plus haut niveau de prélèvements obligatoires de tous les candidats en fin de mandat. Cependant, si on compare tous les candidats avec les mêmes hypothèses de croissance, on voit que Bayrou est nettement plus ambitieux. Alain Lambert publie sur son blog une telle comparaison, qui serait cependant plus crédible s'il n'y avait pas des différences inexplicables dans les situations de départ. Ses propositions d'augmentations d'impôts ne paraissent pas scandaleuses ni particulièrement idiotes, sauf pour des marottes difficiles à éviter en France, comme la taxe sur les transactions financières. Cependant, le chiffrage de l'Institut Montaigne tend à montrer que ce qui est annoncé dans ce domaine n'atteint pas les montants annoncés.

Côté dépenses, c'est assez vague, et c'est bien le problème. Bayrou compte faire en sorte de ne pas augmenter les dépenses publiques les 2 premières années de son mandat, alors que les réformes structurelles de l'état ne peuvent porter leurs fruits qu'à moyen ou long terme, mais certainement pas en début de mandat! Il propose de revoir les missions de l'état, mais n'en propose aucune — même anecdotique — à supprimer. C'est assez vague. De plus, il semble que la croissance économique soit faible cette année et la suivante. Bloquer les dépenses cette année et la suivante ne semble pas de bonne politique car cela renforcera cette faiblesse de l'activité économique. Il vaudrait mieux pour lui proposer des mesures qui pourraient porter leurs fruits à long terme.

Ainsi par exemple en est-il des retraites. Il propose de passer à un système par points qui offrirait une certaine liberté aux cotisants quant au moment où liquider leurs droits. Mais rien sur ce qu'il pense qui devrait être la norme en matière de temps de cotisation. Or ces données par défaut sont particulièrement importantes, les gens ayant tendance à s'y conformer ou alors à partir dès qu'ils le peuvent. S'il voulait réellement maîtriser les dépenses publiques, il aurait pu annoncer que la durée de travail aurait à s'allonger. Ce serait aussi un moyen d'augmenter l'activité économique et les rentrées fiscales: plus il y a de travailleurs, plus il y a d'activité économique et de rentrées fiscales. Les retraites sont un poste très important des dépenses publiques avec presque 12% du PIB, voire 15% du PIB si on inclut des prestations connexes comme les préretraites. Agir sur elles peut donc avoir un fort impact sur les dépenses publiques. C'est en plus un secteur où on peut prendre des engagements à long terme crédibles sur les finances publiques, réduisant progressivement le déficit sans casser la croissance.

Pour ce qui est du programme visant à favoriser la croissance, François Bayrou insiste sur le produire en France. Malheureusement, il ne s'agit pas de se concentrer sur les avantages comparatifs de la France. Les déclarations qu'il fait à ce sujet montre qu'il s'agit plus d'une suggestion de protectionnisme. Dernièrement, Bayrou s'est saisi des problèmes de l'usine d'Angers de Technicolor pour dire qu'il était scandaleux que France Télécom se fournisse en matériel électronique ailleurs qu'en France et qu'il serait facile de corriger cela parce que l'état était actionnaire de l'opérateur historique. La vérité, c'est que cette usine est emblématique du déclin de l'activité d'une entreprise qui n'a pas su gérer les évolutions de l'électronique grand public. De même, sa suggestion selon laquelle les Français sont réellement prêt à payer plus pour acheter «made in France» me fait penser aux déclarations de Philippe Séguin lors de la campagne de 1995, où il fustigeait les pompes à essence automatiques. Il me semble me rappeler qu'il avait dit à l'époque que les Français accepteraient de payer l'essence 10 francs le litre — alors à 5 francs — pour préserver les emplois des pompistes. Bref, cela me laisse penser que François Bayrou fait une erreur de diagnostic sur l'état de l'économie française.

Sur un autre plan, j'ai souvent l'impression que Bayrou cherche à faire une sorte de moyenne entre la droite et la gauche. Par exemple, il vaut taxer les loyers excessifs, une version édulcorée de l'encadrement des loyers du PS. Lorsqu'on a l'impression que Sarkozy cherchera plus à augmenter la durée de cotisation et Hollande les taux des cotisations retraites, Bayrou ne propose rien. Il veut aussi que les renouvelables représentent 40% de la production électrique française en 2030, une version intermédiaire entre le PS et les proposition de Sarkozy — et qui témoigne d'une méconnaissance des réalités de la production d'électricité, certes moindre que celle affichée par le PS. Or, dans bon nombre de cas, prendre la position intermédiaire ne signifie pas qu'on prenne l'option la plus intelligente, au contraire. Et cela laisse à penser qu'il voudrait bien ne rien changer, dans la droite ligne de ce qu'il a fait lors de son passage au ministère de l'Éducation Nationale.

Je suis donc peu convaincu par François Bayrou. En plus de son programme peu convaincant, il a été abandonné par la plupart des gens qu'il avait rassemblés autour de lui en 2007, après avoir été abandonné par l'aile dite libérale de l'UDF au milieu des années 90. Cela se voit dans son discours qui me paraît moins construit qu'en 2007. Cela pose question quant à ses capacités d'élaborer les compromis et de réaliser le rassemblement dont il prêche partout la nécessité. S'il envoie des signaux plutôt positifs sur les finances publiques, son programme économique laisse au contraire penser qu'il risque de casser la croissance en agissant trop sur les finances publiques au début du mandat, mais par assez sur les tendances à long terme des dépenses, ni qu'il puisse sérieusement améliorer les perspectives de croissance. François Bayrou ne me semble pas avoir les qualités personnelles nécessaires ni faire des propositions de qualité suffisante pour j'aille voter pour lui.

12 avril 2012

Pourquoi je ne voterai pas non plus pour François Hollande

Après avoir donné mon avis — négatif — sur le président sortant, il est naturel de s'intéresser à son opposant principal, François Hollande, le candidat du PS.

Le premier problème que me pose François Hollande est que je suis opposé à un bon nombre de ses propositions. Pour mémoire et au fil de ses 60 engagements:

  • Sa banque des PME (n°1) confiée aux régions, qui ressemble à s'y méprendre à ce qui s'est déjà fait dans le passé, avec les SDRs ou, dans un autre genre, le Crédit Lyonnais. Le fait que les politiques se précipitent pour maintenir à flots toutes les entreprises un tant soit peu médiatiques de leur région ne peut qu'inquiéter quant à la bonne gestion de ce type d'organismes.
  • Son soutien à l'agriculture bio (n°6) alors qu'elle ne présente pas d'avantages réels, ainsi que sa défense des services publics ruraux qui se résume bien souvent à maintenir ouverts des bureaux de postes où personne, même les habitants du village, ne va.
  • Sa proposition de séparation des activités bancaires entre spéculation et «activité utiles» (n°7). C'est une resucée du sketch du bon et du mauvais chasseur. Il faut aussi noter que parmi les banques et institutions financières ayant connu des faillites retentissantes, figuraient nombres d'établissements «classiques» plombés par des prêts immobiliers.
  • La n°10 qui laisse croire qu'on ne fera plus d'efforts pour contenir les coûts salariaux de l'état et qu'on ne réorganisera plus.
  • Ses propositions sur les retraites et l'assurance maladie, qui ne fixent aucun cap et semblent surtout alourdir les coûts pour les contribuables (n°18-20)
  • Sa proposition de blocage d'encadrement des loyers (n°22), idiotie bien connue des économistes, ainsi que la n°23 qui est une spoliation de l'état central au profit de collectivités qui ne le méritent pas toujours.
  • Le contrat de génération (n°33) ressemble à ce qui a déjà été fait au cours des années 80 et 90 sans succès, les emplois jeunes d'avenir (n°34) tombent dans la même catégorie. Par ailleurs, si ces emplois «d'avenir» avaient une utilité sociale justifiant leur salaire, il faudrait les embaucher tout court.
  • Les propositions sur l'éducation me semblent surtout faire de la drague aux enseignants sans chercher à résoudre les problèmes (n°36 et 37).
  • Ses propositions sur le nucléaire et les prix régulés de l'énergie (n°41 & 42). La proposition sur la tarification progressive du gaz et de l'électricité me semble être une première mondiale dans l'achat de marchandises.
  • Ses propositions sur l'art (n°44) sont purement démagogiques et inadaptées à la situation financière de l'état.
  • François Hollande propose une modification idiote de la Constitution sur la laïcité (n°46) et un nouveau round de décentralisation (n°54), alors que les collectivité locales ne se sont pas du tout montrées responsables à la suite du dernier round. L'inflation des personnels des collectivités locales est particulièrement problématique, et le moins qu'on puisse dire, c'est que certains emplois n'apparaissent pas indispensables. Il propose (n°55) aussi d'inscrire dans la Constitution la concertation avec les syndicats, qui n'a rien à y faire.

Je suis donc opposé à au moins un tiers des mesures proposées par François Hollande. Son programme fiscal me paraît trop porté sur la dépense et ses augmentations d'impôts, en plus de financer des dépenses inutiles, vont rogner le pouvoir d'achat des salariés. Il me paraît donc essentiellement nuisible.

Il est vrai que se fier à un programme qui de toute façon n'est déjà plus exactement ce que veut faire le candidat peut prêter à sourire. Cela dit, l'expérience montre que l'élu applique certaines des promesses de campagne. Ces promesses appliquées sont assez souvent parmi les plus idéologiques et les plus mal venues du programme. Ainsi Nicolas Sarkozy a fait passer la loi TEPA, a créé un ministère de l'immigration et tenu un discours globalement xénophobe au cours de son mandat, comme promis. Par ailleurs, les programmes sont un moyen pour les politiques de montrer quelles sont les options qu'ils préfèrent dans la gestion des affaires publiques. En quelque sorte, quand on est en désaccord avec bon nombre de propositions, cela montre qu'on est en désaccord avec la tonalité de la politique qui sera menée et du discours qui sera tenu. Cela est renforcé par le fait qu'une part du pouvoir des dirigeants politiques découle de leur ministère de la parole.

Le programme de François Hollande me paraît aussi problématique en ce qu'un certain nombre de propositions ont fait l'objet de développements moins que convaincants. Il propose de supprimer la HADOPI (n°45) en la remplaçant par quelque chose d'incompréhensible. L'écoulement du temps et la publication de tribunes n'a rien changé à cet état de fait, au contraire, et il semble qu'en fait Hollande s'évertue à ne pas mécontenter l'industrie du divertissement, tout en semblant aller dans le sens du vulgaire auprès de qui la HADOPI est particulièrement impopulaire (à raison). Il en est de même pour les propositions sur l'énergie et le nucléaire: je l'ai déjà écrit, la politique proposée est idiote, rassemble tous les poncifs politiquement corrects sur le sujet, se contrefiche des faits et consiste à lâcher la proie pour l'ombre. Dit autrement, lorsqu'on creuse un peu les propositions de François Hollande, j'ai souvent l'impression de tomber sur des faux-semblants ou que ce qu'il propose est en fait profondément nuisible.

Le programme compte aussi des mesures de pur affichage. Elles se distinguent par leur mièvrerie. Ainsi, dans la proposition n°40, il nous dit qu'il garantira pour tous les jeunes, valides ou non, la possibilité de pratiquer le sport dans un club ou une association. Les handicapés pourront faire du sport en club, mais bien sûr il est loin d'être évident qu'il y aura un club prêt à les accueillir à côté de chez eux! Il en rajoute une couche dans la n°32 où il nous ressort une proposition de Chirac: Je garantirai l’existence d’un volet handicap dans chaque loi. Quand il modifiera la Constitution pour y inscrire une référence à la loi de 1905, il y aura donc un volet handicap dans cette loi constitutionnelle! Au fond, quand je lis cela, je me dis qu'on se moque de moi. Et c'est malheureusement corroboré par l'analyse des mesures sur l'énergie ou la HADOPI.

De l'autre côté, je ne vois guère de raisons positives de voter pour François Hollande. Il a donc été particulièrement peu clair sur l'inversion des mesures Sarkozy sur la HADOPI ou sur la justice et la politique pénale, par exemple.

Bref, les désaccords sur les mesures qu'il veut prendre, les analyses un peu creusées que j'ai pu lire ici ou là et celles que j'ai faites moi-même, l'impression au final qu'on se moque de l'électeur me détournent de François Hollande. Certes, la tactique commandait à François Hollande d'en dire le moins possible, de concilier des options diamétralement opposées pour ne pas perdre d'électeurs en faisant des propositions impopulaires ou en s'aliénant des alliés potentiels comme les Verts. Mais il me semble qu'il faille, quand la situation l'exige, dire les choses clairement et ne pas dédaigner les faits. Je ne vois pas vraiment pourquoi j'irai voter pour François Hollande. Comme j'ai une opinion défavorable des deux favoris, il est probable que je n'irai pas voter au second tour.

6 avril 2012

François Hollande et les finances publiques

François Hollande étant le favori de cette élection présidentielle et le principal opposant du sortant, Nicolas Sarkozy, il semble naturel de s'intéresser à son programme. Vu la situation actuelle du budget de l'état et de la sécurité sociale, essayer de se faire une idée de son impact financier est important.

Avec ses 60 engagements, le candidat socialiste présente un chiffrage partiel de ses mesures. On voit qu'il s'y félicite que le taux de prélèvements obligatoires ne dépassera pas 47% du PIB, valeur atteinte quasiment dès le début du mandat, alors qu'il s'agit d'un record en temps de paix. L'affirmation selon laquelle c'est comparable à celui affiché par la majorité sortante est fausse: selon l'INSEE, le taux de prélèvements obligatoires est de 43.8% en 2011; selon un document annexé à la loi de finances pour 2012, il sera de 44.5% (p19).

Il affiche aussi une baisse des dépenses publiques par rapport au PIB, ce qui, compte tenu de ses hypothèses de croissance, conduit à estimer la croissance des dépenses publiques à 1% par an en sus de l'inflation. Il faut remarquer que le candidat socialiste est celui qui prévoit la croissance la plus forte parmi les candidats principaux. Cela pose un problème quand à la stabilité après 2013 du taux de prélèvements obligatoires: ils ont tendance à augmenter plus vite que le PIB à cause de la progressivité de certains impôts (ex: IRPP) et de la corrélation d'autres avec la croissance (ex: IS). On peut donc supposer deux choses: soit les mesures qu'il va acter après sa prise de mandat sont pour une bonne part des mesures de trésorerie qui n'auront donc pas d'effet à long terme, soit il baissera les impôts en cours de mandat si la croissance se réalise, comme Jospin l'avait fait, précédent qui n'incite pas à l'optimisme quant à la qualité de gestion de cette phase. Prévoir la plus forte croissance permet aussi au candidat socialiste d'être celui qui fait les promesses les plus coûteuses et d'être celui qui compte le plus sur la croissance pour réduire le déficit.

Le graphe représentant le financement des mesures principales pose un premier problème: il mélange dans les recettes à la fois des hausses d'impôts et des économies. Les hausses d'impôts comptent pour 15.5G€ des 20G€ de financement. Parmi les économies qu'il compte réaliser, il affirme que la maîtrise des effectifs de l'état lui rapportera 2.1G€. On peut en douter au vu des résultats du non remplacement d'un fonctionnaire sur 2: Hollande promet que le nombre de fonctionnaires restera stable, il ne peut donc que faire moins bien. On voit aussi mal comment des effectifs constants peuvent représenter une économie.

Se reporter au chiffrage d'une officine sans affinité particulière avec le PS est intéressant pour donner un éclairage, je me suis donc tourné vers celui de l'Institut Montaigne. L'institut est en accord global avec le PS pour ce qui est des dépenses nouvelles: en faisant la somme de tous les mesures représentant une perte pour les finances publiques on trouve 19.4G€ contre 20 annoncés par le PS. Quant aux augmentations d'impôts, elles atteignent 38.3G€, il n'y a aucune mesure d'économie chiffrée ou recensée. Comme le candidat socialiste prévoit d'augmenter les prélèvements obligatoires de 2.5% du PIB soit environ 50G€, il manque donc 12G€ dans ce recensement et qui donc devront être annoncés ultérieurement, probablement après juin 2012, puisque François Hollande a annoncé qu'il annulera de fait le dernier collectif budgétaire de Sarkozy.

Parmi les plus gros postes d'imposition supplémentaire, on trouve des alourdissements de charges sociales. Ils concernent l'épargne salariale, les cotisations retraite et les allègements de charges pour les bas salaires. À eux trois, ils forment un gros tiers des alourdissements d'impôts rendus publics. Ils ne sont adoucis par rien, ils vont donc se solder directement par une baisse des revenus des salariés et des indépendants. La même chose peut être dite de la fin des exonérations sur les heures supplémentaires qui, si elles constituaient un pur effet d'aubaine, ne s'en traduisait pas moins par une hausse des revenus de ceux qui en profitaient. Cela trouve une traduction sur l'action de François Hollande sur l'assurance maladie et les retraites: il ne propose aucune mesure d'économie (engagements 18 à 21). C'est particulièrement dommageable. Car plus il y a de retraités, moins il y a de rentrées fiscales. Parce que la base taxable est moindre, qu'ils bénéficient d'un traitement favorable du point de vue de l'assurance maladie — CSG allégée et absence des cotisations patronales — et qu'il y a moins de recettes dues à l'activité économique perdue du fait du faible nombre de travailleurs, le gouvernement devrait s'attacher à repousser l'âge de la retraite. Mais, au contraire, François Hollande propose de faire partir un certain nombre de gens plus rapidement et, en taxant plus sévèrement ceux qui restent, les encourage à faire valoir leurs droits le plus rapidement possible.

Supprimer des niches fiscales en matière sociale est sans doute souhaitable, mais il vaudrait mieux redistribuer le produit de ces recettes sur l'ensemble des salariés. Quant à diminuer les allègements de charges, il s'agit de casser un des principaux moyens de favoriser l'emploi, notamment peu qualifié, en France. En face de cela, le candidat socialiste propose de créer des contrats de mentorat dont on sait très bien qu'ils ont une efficacité nulle et relèveront d'un pur effet d'aubaine. Il propose aussi une resucée des emplois-jeunes et d'embaucher des profs, clientèle obligée du PS. Bref, cette partie du projet socialiste me paraît particulièrement néfaste et comporter des mesures visant à gaspiller de l'argent. Elle va conduire aussi à la perpétuation de la stagnation du pouvoir d'achat des travailleurs, dont une des causes est la hausse des prélèvements sociaux, comme cela a été montré par le rapport Cotis.

Sur l'imposition des entreprises, il propose d'abaisser l'IS pour les petites et de l'augmenter pour les grandes; l'effet prévu par l'Institut Montaigne est négatif: les grandes entreprises iront enregistrer encore plus qu'avant leurs bénéfices ailleurs en Europe. Le candidat socialiste prévoit aussi des mesures de trésorerie sur le report déficitaire: quand une entreprise a fait des pertes, elle a le droit des les imputer sur les bénéfices des années suivantes. Hollande veut limiter l'ampleur de cette imputation pour l'étaler dans le temps. Les entreprises qui ont fait des pertes seront donc ravies de devoir fournir de la trésorerie à l'état, alors même que ces pertes ont diminué la leur. Le candidat socialiste veut aussi augmenter la taxe professionnelle, ce qui va sans doute décourager les investissements. Or, vus les salaires pratiqués en France dans l'industrie, des investissements conséquents en machines sont nécessaires pour que l'embauche soit intéressante. Il veut aussi taxer les banques à 50% sur leurs bénéfices: l'effet final sera de réduire la part des prêts risqués, les PMEs se plaindront donc encore plus qu'aujourd'hui et ne fera que renforcer le poids de la banque d'état qu'il veut créer... À part cela, il veut aussi soudoyer des entreprises pour qu'elles s'installent en France. Peut-être devrait-il commencer par ne pas augmenter les impôts qui les décourageraient de venir. Une nouvelle fois, je pense que ces mesures ne sont pas les bienvenues: les grands groupes internationaux pratiquent l'optimisation fiscale au maximum, les autres entreprises ont des difficultés: leur taux de marge est relativement bas.

Le candidat socialiste veut enfin imposer le capital de façon plus lourde que le travail: non seulement, les revenus seront imposés comme le travail, mais il compte aussi taxer le stock de capital ainsi que les transactions. Cela dit, comme il a annoncé qu'il y aurait une limite à 85% des revenus pour la somme de l'IRPP et de l'ISF, on peut d'ores et déjà prévoir ce qui va se passer: les gens concernés vont minimiser leur revenu taxable, comme cela se faisait avant 1995. Si c'est trop difficile en raison de la chasse aux niches fiscales, on peut prévoir des départs: même dans la situation prévalant avant 2008, Camille Landais avait estimé que les fuites cumulées équivalaient à 20% de l'effectif des 3 dernières tranches de l'ISF, celles pour lesquelles c'était véritablement intéressant. On peut aussi prévoir un grand avenir aux sociétés holding, situées dans des juridictions moins importunes, pour loger les gros patrimoines: on n'y sera pas frappé par la taxe sur les transactions et les revenus y seront préservés. Rappelons aussi qu'investir a pour but de préserver la valeur du capital, ce qui fait que s'il n'y a aucune chance réaliste d'obtenir un rendement après impôt meilleur que l'inflation, les investissements vont diminuer. De même, s'il y a trop d'impôts, la prime de risque réelle va diminuer au point qu'elle ne justifiera plus de se donner la peine de prendre des risques. Une prise en compte des réalités des revenus financiers serait donc peut-être de bon aloi.

Pour conclure, je trouve que le programme en matière fiscale et de dépense publiques de François Hollande me semble néfaste. Il est porté par une désapprobation du capitalisme et des revenus de l'épargne. Il perpétue aussi la hausse des prélèvements sur le travail qui érodent le pouvoir d'achat. Tout cela ne va pas inciter à plus d'activité économique, surtout pour ce qui est des prélèvements sociaux supplémentaires. Il ne prévoit rien ou presque comme économies ou incitations générales à l'activité. Il n'y a notamment aucune proposition sérieuse visant à limiter le coût des retraites et de l'assurance maladie.

30 mars 2012

Pourquoi je ne voterai pas pour Nicolas Sarkozy

Alors que les élections approchent, il faut se faire un avis sur les différents candidats, si possible raisonné. Nicolas Sarkozy est un de ceux pour lequel on peut avoir un des avis les plus informés, puisqu'il est au pouvoir depuis bientôt 5 ans. Son action passée permet de se faire une idée de ce à quoi s'attendre s'il reste Président de la République ces 5 prochaines années. En l'occurrence, cela semble suffire, il n'a pas jugé bon de publier un début de plateforme électorale.

Contrairement à ce que voudraient faire croire ses détracteurs, il n'a pas fait acter que des mauvaises choses. La meilleure mesure qu'il ait faite passer est sans nul doute la réforme constitutionnelle de 2008. La question prioritaire de constitutionnalité est déjà un instrument qui permet aux gens de faire valoir leurs droits de façon efficace; le reste de la réforme étant soit des ajustements bienvenus, soit a priori peu néfastes. Le seul point qui pose problème est l'apparition de propositions de lois venant de ministère que le gouvernement ne veut pas faire passer au Conseil d'État ou assumer publiquement en Conseil des Ministres. Parmi les autres points positifs, on peut mettre à son crédit la réforme des universités: l'autonomie qu'il donne va conduire à des résultats divers, mais généralement favorables. L'obligation de négocier et de se déclarer pour les grévistes dans les transports publics va aussi dans le bon sens, même si ça na rien à voir avec le terme de service minimum que Sarkozy a voulu coller sur cette mesure.

Il a aussi pris de mesures qui lui étaient plus ou moins imposées par la situation. C'est le cas de l'adoption du Traité de Lisbonne. Il s'agit ni plus ni moins que de l'adoption du plan B de Laurent Fabius. Que ce traité n'ait rien de fondamentalement différent de celui proposé au référendum en 2005 ne fait que révéler la colossale arnaque que fut la campagne du non. L'adoption de ce traité n'en est pas moins une défaite démocratique: on a proposé au vote un traité sans qu'il y ait en fait une véritable alternative, le statu quo ayant été reconnu comme intenable et conduit, justement, au traité de 2005. Il a réformé les retraites dans le sens nécessaire mais seulement sous l'effet de la crise et après avoir pris une mesure néfaste de relèvement du minimum vieillesse. Son action dans la crise financière s'inscrit dans cette lignée: le gouvernement a fourni de l'argent aux banques sans prendre de participation au capital, mais cela n'aurait pas été très pratique pour les banques mutualistes qui représentent une part importante du secteur. Le plan de relance ne mérite pas d'être conspué, il était relativement classique et avait l'avantage de pouvoir s'inverser à terme de façon naturelle, ne comprenant pas trop de mesures de dépenses permanentes.

J'ai plus de mal à me faire une idée sur la modification de la taxe professionnelle, désormais découpée en plusieurs parties, dont celle portant sur les immobilisations non immobilières est plafonnée à 1.5% de la valeur ajoutée. C'est favorable à l'investissement en France mais rend les collectivité locales encore plus dépendantes de l'état et ne facilite pas la compréhension de la fiscalité locale. De même la création du conseiller territorial, croisement entre le conseiller général et régional, est difficile à évaluer, même si cela peut en partie être une solution — quoiqu'improbable — au problème de l'enchevêtrement des responsabilités des collectivités locales.

Il y a aussi des ratés qu'il est difficile de lui imputer, comme l'échec de la taxe carbone, retoquée par le Conseil Constitutionnel en des termes qui la rendent impossible avant 2013.

Mais il y a surtout des échecs et des discours qui sont néfastes. Il n'a pas fait grand chose sur la question du contrat de travail, sauf accepter la rupture conventionnelle. Il n'a pas non plus pris de mesures de libéralisation pouvant amener plus de croissance. L'exemple le plus patent de cela est l'épisode de la commission Attali et plus particulièrement ce qui concerne les taxis. Alors qu'il existait divers moyens, du rachat des licences à leur distribution gratuite à tous ceux qui en demandait une, le gouvernement a choisi de renoncer très rapidement. La réforme des régimes spéciaux de retraites est aussi en trompe l'œil, ils resteront éternellement plus favorables que le régime des fonctionnaires, sans parler du privé, et a été achetée au prix de concessions qui effacent une grande partie des gains.

Il a aussi, de façon plus anecdotique, supprimé la publicité sur les chaînes de télévision publique en compensant cela par une hausse de la redevance et des taxes sur les opérateurs téléphoniques, qui n'ont rien à voir avec cela. Le gain pour les spectateurs est proche de 0, la télévision a fait dans le passé la preuve qu'il est possible de la financer uniquement par des recettes publicitaires. Ce n'était que la première mesure d'une longue liste de mesures imbéciles sur le sujet d'Internet. Sous le gouvernement Sarkozy, on aurait dit que ce n'était qu'un instrument qu'il fallait régenter et taxer d'urgence, alors même qu'il s'agit d'un des principaux domaines de développement économique potentiel. Les mesures allaient toutes dans le même sens: favoriser les acteurs déjà en place au détriment des nouveaux venus. Ainsi, la loi Hadopi a pour but de préserver les revenus de l'industrie du divertissement par des moyens disproportionnées de flicage, aucun frein n'est mis à la frénésie taxatrice de cette industrie. La loi LOPPSI contenait diverses mesures pour faciliter le travail de la police et aussi exclure la revente de billets. La taxation des entreprises opérant sur Internet a paru aussi être un sujet de préoccupation majeure, alors qu'elles peuvent facilement localiser leurs recettes où bon leur semble.

Son action sur le plan fiscal, mis à part la réforme de la taxe professionnelle, a été généralement néfaste, surtout en ce qui concerne la taxation des ménages. La loi TEPA n'a quasiment consisté qu'en des mesures nuisibles. Il a créé des impôts improbables, comme sur les crustacés et les poissons. Cette tendance a continué jusqu'à la fin de ce mandat, avec la TVA sociale.

Il y a ensuite le pire de son action, sur les étrangers et la justice. Il a passé son temps à tenir un discours xénophobe de façon plus ou moins claire, avec des «débats» exutoires qui n'ont mené à rien. Associées à ce discours sont donc venues des mesures de plus en plus dures envers les étrangers, l'action administrative étant à l'avenant: les formulaires dans ce domaines sont sans doute les seuls à ne pas être disponibles sur Internet, de longues queues se créent pour accéder à certaines préfectures. Je considère qu'il s'agit d'une véritable faillite de l'administration. J'ai déjà écrit sur le discours et l'action vis à vis de la justice, mais on peut dire que la tactique du toujours plus de répression a échoué et n'a fait qu'aggraver les maux dont souffre la justice en France.

Pour finir, je juge que le Grenelle de l'Environnement est une catastrophe. Les seules mesures positives dont j'ai connaissance portent sur l'isolation des logements, politique poursuivie depuis les années 70. Et encore celles-ci vont-elles peut-être trop loin, rendant les logements neufs peu compétitifs face à l'ancien. Avec le Grenelle de l'Environnement, le gouvernement a de fait invité les associations écologistes dans le processus de décision. Mais cela ne peut déboucher que sur un blocage, car elles n'ont aucun intérêt à faire des concessions sur quoique ce soit. Un exemple typique porte sur l'électricité hydraulique, dont il est supposément question d'augmenter de 3TWh la production. Or, il s'avère qu'on va surtout démolir des barrages, comme le montre l'exemple de la Sélune. Encore plus scandaleuse a été l'action sur les OGMs, où le gouvernement a interdit l'utilisation du MON810 en prétextant du principe de précaution, alors que tout pointe vers un bénéfice global. De fait, ce gouvernement refuse les innovations techniques et la préservation de certaines installations pourtant nécessaires à la croissance. Seul le nucléaire y a échappé, sans doute à cause de son importance dans le mix énergétique français. Je doute donc que la politique menée pour augmenter l'activité économique à long terme donne beaucoup de fruits.

Bref, le bilan du mandat de Nicolas Sarkozy me semble négatif. Voter pour lui en 2007 relevait d'un pari: qu'au pouvoir, il laisse de côté son discours xénophobe et sécuritaire, tout en reprenant le discours de réformes économiques tenu un instant lors du quinquennat de Jacques Chirac. Ce pari, il faut bien le dire, a été largement perdu. Pour sa campagne de réélection, il a de nouveau choisi un discours xénophobe et sécuritaire, mais cette fois-ci plus un signe réel de ce qu'il voudrait faire sur le plan économique, mis à part courir sus à des catégories marginales de la population, comme les exilés fiscaux. Il faut dire qu'il va s'agir de couper dans les dépenses et d'augmenter les impôts, ce qui n'est guère populaire. Alors, vraiment, je ne vois pas de raison d'aller voter pour Nicolas Sarkozy.

26 mars 2012

La réforme de la constitution de 2008

En juillet 2008, Nicolas Sarkozy a réussi à faire passer une réforme constitutionnelle à 2 voix près. Elle portait sur de nombreux sujets de la limitation des mandats du président de la République à la procédure parlementaire.

Sacrifiant à la tradition, on y trouve de la poudre aux yeux avec des mesures qui ne mènent à rien de concret, comme l'article 75-1, selon lequel les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Dans le même ordre d'idées, on trouve le référendum d'initiative partagée, dont les conditions sont telles que les politiques auront déjà réagi avant qu'il ne soit organisé. Rassembler plus de 4 millions de signatures, même électroniques, en 3 mois relève de l'impossible sur des sujets qui ne sont pas passionnels et si un sujet devait susciter un tel engouement, les politiques voteront rapidement une loi qui barrera la voie au référendum. La loi organique nécessaire à son entrée en vigueur est d'ailleurs scotchée au Sénat où elle restera probablement. Cette modification de l'article 11 est donc allée rejoindre le rayon des modifications constitutionnelles attendant un certain temps leur loi organique.

Les réformes de procédure n'ont pas changé grand chose. Comme prévu, le changement de nom de l'urgence en procédure accélérée n'a en rien freiné la frénésie gouvernementale, mais juste enlevé le côté ridicule d'avoir un tiers des lois «urgentes». La discussion sur la base des textes des commissions oblige surtout le gouvernement à venir défendre sa position en séance publique, ce qui ne l'empêche pas d'y dire n'importe quoi et de compter sur des députés venus, bien chaussés, faire du remplissage loyal. De même, il est difficile de voir ce qu'a changé la modification de composition du Conseil Supérieur de la Magistrature, l'expérience montrant qu'un homme politique trouve toujours, de nos jours, le moyen de dire que la justice est éloignée du peuple.

Certaines mesures se sont avérées néfastes: la logique de la réforme était de donner plus de pouvoir aux parlementaires. La place supplémentaire accordée aux propositions de loi s'est surtout traduite par un surplus de textes idéologiques venant de la gauche et par l'apparition d'une voie détournée permettant au gouvernement de faire passer les textes qu'il avait honte ou peur de faire passer par la voie habituelle

D'autres mesures sont bienvenues, comme la limitation de l'article 16, un certain général ayant pris ses aises après le putsch des généraux en allant jusqu'au bout des 6 mois alloués. De même, la limitation à 2 mandats consécutifs, de fait, l'exercice de la fonction de président de la République est une bonne chose.

Mais la mesure principale, celle dont l'importance ne s'est pas démentie et ne se démentira pas à l'avenir est celle de la question préalable prioritaire de constitutionnalité. Il faut dire que c'est un droit attribué à chacun de faire valoir ses droits. Il est donc naturel que tous ceux qui ont une cause à faire valoir ne s'en laissent pas compter et fassent passer en revue les dispositions qu'ils jugent contestables. En termes d'efficacité, c'est sans doute la meilleure façon de procéder, il ne fait aucun doute que les requérants sont motivés et qu'ils présenteront les arguments de la meilleure façon possible. On lui doit déjà, en partie, la réforme de la garde à vue et la fin du délai d'oubli de 10 ans pour se prévaloir de l'excuse de vérité en cas de procès en diffamation.

À l'époque, il semblait surtout que la gauche s'opposait à cette réforme parce qu'il ne fallait pas laisser Nicolas Sarkozy enregistrer un succès. Les arguments utilisés allaient surtout dans ce sens. Les espoirs d'une tactique de négociation pour modifier le mode d'élection à une assemblée prétendûment éternellement à droite étaient franchement illusoires: si la révision n'était pas passée à l'été 2008, il n'y en aurait pas eu du tout, comme le montre l'exemple de la taxe carbone, remballée quand il est apparu qu'elle était impraticable. Il est clair que cette révision est à mettre au crédit de Nicolas Sarkozy, c'est même sans doute ce qu'il a fait de mieux et qui, grâce à la question préalable prioritaire de constitutionnalité, aura la plus grande postérité et les effets les plus durables.

edit: modifié l'intitulé de la QPC pour sa véritable signification.

15 mars 2012

Les atermoiements de Sarkozy

Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a été marquée par des atermoiements, surtout dans le domaine des dépenses publiques ou des dépenses fiscales, ces réductions d'impôts données dans des buts divers et variés. Cela s'explique en partie par la crise et l'ampleur de celle-ci. Cependant de nombreuses mesures, surtout prises en début de mandat, étaient totalement inutiles voire contreproductives.

L'exemple le plus frappant est sans doute la réduction d'impôts accordée au regard des intérêts d'emprunts immobiliers. Il s'agissait de donner un crédit d'impôt égal à 40% des intérêts de la première année et 20% les 4 suivantes. Si on prend pour hypothèse un emprunt sur 20 ans à 4%/an, cette mesure compense environ 3% des sommes remboursées à la banque. De plus, les revenus des emprunteurs augmentant faiblement à cause de la stagnation du pouvoir d'achat, il était prévisible que les banques ne tiennent pas compte de cet avantage fiscal pour calculer la capacité d'emprunt de leurs clients. On voit donc que, dès le départ, on pouvait penser que les effets de la mesure seraient limités. Ça n'empêchait pas que le coût de la mesure était de plusieurs milliards d'euros. Devant les problèmes de finances publiques, le gouvernement a décidé de supprimer cet avantage fiscal pour créer le PTZ+ en 2010, dont il a durci les conditions dès 2011.

Ce parcours est typique de ce qu'il est advenu de la loi TEPA. Seules ont survécu la réduction d'impôt au titre de l'ISF pour l'investissement dans les PME et ce qui concerne les heures supplémentaires. Si la première a sans doute eu des effets sur le financement d'entreprises — pas toujours celles qu'on attendrait — du fait de son ampleur, ce qui concerne les heures supplémentaires n'a été qu'un effet d'aubaine. Il est vrai qu'on pouvait aussi se poser la question de savoir pourquoi il fallait avantager spécifiquement les heures supplémentaires. En fait, ces mesures étaient pour la plupart des ersatz. Le bouclier fiscal remplaçait une suppression de l'ISF, la diminution de l'impôt sur les successions et la réduction sur intérêts d'emprunt devaient plus ou moins compenser les effets de la hausse des prix de l'immobilier, les heures supplémentaires le coût du travail perçu comme trop élevé. Mais aucun de ces ersatz ne pouvaient véritablement remplacer l'effet qu'on recherchait véritablement et, en plus, c'était en grande partie prévisible dès l'été 2007. Les problèmes de déficit ont obligé à plus de sagesse, mais de l'argent a été gaspillé.

Ce type de comportement s'est aussi retrouvé sur la question des retraites. En 2008, était prévu un rendez-vous pour ajuster les lois Fillon. Ç'aurait pu être l'occasion de modifier le système. Certes, à l'automne 2007, le gouvernement Sarkozy avait modifié les régimes spéciaux. Mais ces changements laissent ces régimes avec des avantages de façon durable: la durée de cotisation est par exemple toujours inférieure à celle des fonctionnaires. Et cela s'est fait au prix de concessions qui ont enlevé à ces changements une bonne part de leur intérêt financier, pour ne garder que le symbole. En 2008, le gouvernement a décidé d'augmenter le minimum vieillesse de 25%, augmentant donc les charges de retraites. Même s'il a renoncé à mener cette hausse à bien en totalité à cause de la crise, la lecture du rapport du COR montrait que les actifs pauvres étaient dans une moins bonne situation que les bénéficiaires du minimum vieillesse (p41), ce qui aurait dû porter l'attention ailleurs. L'autre fait marquant est que le gouvernement a mis progressivement fin à la dispense de recherche d'emploi, une évolution bienvenue.

La crise et la démographie ont obligé à une réforme courant 2010. La mesure la plus saillante est le recul de l'âge où on peut faire valoir ses droits à la retraite. C'est un changement bienvenu, car c'est la façon la plus efficace de faire rentrer plus de cotisation tout en contenant la hausse des pensions à verser. Combiné à la hausse prévisible de la durée de cotisation, cela permet de limiter les charges de retraites et de ne pas augmenter les cotisations — même si le gouvernement a prévu de façon incroyable de remplacer à terme une partie des cotisations chômage par des cotisations retraite. Cela permet aussi de financer l'assurance maladie, les retraités bénéficiant d'un régime de faveur, ne payant qu'une CSG allégée. Mais comme d'habitude, la réforme est basée sur des hypothèses trop optimistes et devra être revue lors du prochain quinquennat. Les régimes complémentaires sont d'ailleurs en train d'entamer sérieusement leurs réserves. Par ailleurs, ne pas l'avoir fait en 2008 a obligé à prévoir une transition plus courte.

En conclusion, certaines mesures de Sarkozy ont été clairement nuisibles, comme pour le cas des impôts sur les personnes physiques. Dans le cas des retraites, il a fini par prendre des mesures nécessaires et c'est pourquoi il mérite sur ce sujet un satisfecit. Mais il a montré une tendance à ignorer ce que le raisonnement montrait dès l'origine: la réduction d'impôts au titre des intérêts d'emprunts n'était qu'un gaspillage, augmenter le minimum vieillesse allait à l'encontre de la situation démographique et sociale de la France. On eût espéré un peu plus de rationalité dans la prise de décision.

6 mars 2012

Sarkozy et les libertés publiques

Après avoir abordé le thème de l'action de Nicolas Sarkozy vis-à-vis de l'institution judiciaire, il est naturel d'aborder le thème des libertés publiques. Ce champ est large, il ne sera sans doute pas abordé en totalité.

La mesure la plus médiatisée dans ce domaine est sans doute la création de la HADOPI, dont le principe de fonctionnement consiste en la surveillance généralisé des réseaux peer to peer. C'est en fait la poursuite d'une revendication des industries culturelles qui aiment énormément le protectionnisme, qu'elles ont réussi à renommer «exception culturelle». Lors des discussions de la loi DADVSI, un article visant à faire condamner d'une amende les actes de contrefaçon commis par Internet avait été voté, mais retoqué par le conseil constitutionnel. Séparer les contrefaçons par la valeur des biens contrefaits aurait permis de distinguer valablement les grosses des petites, mais cela aurait mécontenté l'industrie du luxe. L'astuce a alors consisté à créer une infraction, le manque de sécurisation de son accès internet, que même les professionnels sont en mal de garantir. Comme il s'agit d'un contentieux qu'on attend massif, cette infraction a été adossée à un système limitant autant que possible les contestations, en obligeant de fait les gens à prouver leur innocence et en recourant à l'ordonnance pénale, spécialement modifiée pour que les industries culturelles puissent demander des dommages et intérêts. Pour finir, il a aussi été décidé de dévier du mode classique de répression et de réparation qui s'est imposé peu à peu depuis la fin de l'Empire romain, les amendes, en décidant d'une sanction en nature, la coupure de l'accès internet. Il est vrai qu'il est tout à fait proportionné de couper un tel service, pour ce qui ne sont finalement que des contentieux pécuniaires, alors qu'internet s'est imposé comme un outil à tout faire.

On ne peut pas dire que les industries culturelles ait fait beaucoup pour mériter un tel soutien: depuis l'arrivée d'algorithmes puissants de compression et pendant la progression de l'ADSL parmi la population, elle n'a rien fait pour monter une offre permettant de séduire des clients. Les plateformes légales ont été créées par des spécialistes du domaine, comme Apple ou Amazon. Les plateformes illégales se distinguaient par l'abondance et la rapidité de leur offre. Au lieu d'essayer de faciliter la vie des clients et d'en attirer plus, les industries ont insulté ces clients potentiels en les traitant de pirates et les ont gênés en tentant d'imposer des verrous divers et variés. Dans ce contexte, imposer un mécanisme aux sanctions disproportionnées, comme la HADOPI, montre le peu d'égards qu'on porte à la liberté d'action des citoyens.

Le gouvernement a fait adopter la LOPPSI, dont une bonne part des articles consiste à donner plus de prérogatives à la police, dont l'aspect le plus connu est celui de censurer tout site qui lui déplairait, ou à procéder à de la répression bête et méchante. Parmi l'augmentation des prérogatives de la police figure la possibilité d'espionner les ordinateurs, et par là leurs utilisateurs. C'est en quelque sorte une adaptation aux goûts du jour des écoutes téléphoniques. Ce n'est pas très rassurant: les magistrats sont extrêmement friands de leur version légale, au point que le ministère ait du mal à toutes les payer et qu'elles sont en forte croissance. Il est aussi apparu en marge de différentes affaires que la loi sur les écoutes n'était pas forcément toujours respectée et que même des hommes politiques de second plan se pensent écoutés, ce qui n'augure rien de bon pour le citoyen lambda.

Depuis le début des années 2000, le gouvernement a aussi singulièrement renforcé les pouvoirs de la police au nom de la lutte contre divers types de criminalité, comme le terrorisme ou la pédophilie. Le plan Vigipirate est au niveau rouge depuis juillet 2005 sans discontinuer. Le gouvernement en a aussi profité pour étendre le fichage de la population sous divers prétextes. C'est ainsi que, comme on peut le voir dans une procédure type décrite sur le blog de Maître Éolas, que le simple fait d'être suspect suffit à voir son ADN prélevé pour alimenter le fichier ad hoc. Cette manie du fichage vient de culminer avec l'adoption à l'assemblée d'une loi visant à ficher la plupart des Français et que la police pourra consulter pour un nombre non négligeable de raisons.

Pour finir, fidèle à lui-même, le parlement français a voté une loi visant à condamner la négation du génocide des Arméniens, heureusement invalidée par le conseil constitutionnel.

Un fois de plus, force est de constater que le gouvernement de Nicolas Sarkozy s'est soldé par une régression. Il n'a peut-être pas engagé la tendance, mais il l'a volontairement perpétuée. On en est arrivé à un point où les exigences de fichage sont devenues délirantes et sans rapport avec le gain en sécurité. Le parlement passe des lois vétilleuses, destinées à pourchasser des nuisances mineures ou simplement pour éviter d'avoir à répéter des faits dans le débat public. Il serait temps que cette tendance s'inverse.

4 mars 2012

Sarkozy et la justice

Les problèmes de la justice en France n'ont rien de nouveau. Le rapport «Quels moyens pour quelle justice?» a une première partie titrée «Le constat: une justice asphyxiée». Il date de 1996. La lecture du rapport laisse à penser que l'encombrement de la justice est surtout dû à l'explosion des contentieux civils: ceux-ci furent multipliés par plus de 3 entre 1974 et 1994. Au delà des complaintes de vieillards cacochymes sur la fin des traditions, on peut penser que la généralisation des divorces, la création de nouvelles missions — comme le surendettement — ainsi que la complexification du droit expliquent cette forte progression. On peut noter aussi que, déjà, on se plaint de la mauvaise qualité de (la) rédaction des textes normatifs.

Si le nombre de contentieux avait explosé, le nombre de magistrats n'avait augmenté que d'environ 20% et le rapport notait que les effectifs de magistrats étaient similaires en 1994 et avant la première guerre mondiale. Étant donné que la situation est peu à peu devenue critique et que le nombre de contentieux a continué à augmenter, les gouvernements n'ont pas eu vraiment le choix: ils ont augmenté le nombre de magistrats comme on peut le voir ci dessous, sur les graphes construits à partir du rapport, des chiffres clés de la justice (2011) et du budget 2011 de la justice. Quelques chiffres sur la justice

Le rapport, quoique vénérable, formule de nombreuses recommandations dont certaines pouvaient être tout à fait d'actualité en 2007, lorsque Nicolas Sarkozy est devenu Président de la République.

Le gouvernement a décidé dès le début du quinquennat de modifier la répartition des tribunaux en France, la carte judiciaire. Après avoir annoncé de grandes ambitions, il n'a finalement été décidé que de supprimer des tribunaux sur des critères qui sont restés obscurs. La comparaison de l'édition 2007 des chiffres clés de la justice avec celle de 2011 montre qu'au final 170 tribunaux d'instance ont été fermés, ainsi que 61 conseils de prud'hommes, 50 tribunaux de commerce et 21 tribunaux de grande instance. Le rapport, quant à lui, préconisait aussi d'en ouvrir de nouveaux, de mettre en place des audiences foraines et d'établir un plan à réaliser sur 10 ans. Le rapport signalait aussi pour le cas de la généralisation du juge unique que des locaux supplémentaires devaient être prévus, remarque qui peut s'étendre au cas de la carte judiciaire. Il ne semble pas que la refonte de la carte judiciaire ait donné lieu à une grande activité constructrice.

Au lieu de stabiliser le droit et de rédiger des textes de plus grande qualité, il a continué dans la ligne «un fait divers, une loi» qui lui avait été testée lors du quinquennat de Jacques Chirac. Ces lois sont uniquement des lois de circonstances destinées à faire accroire qu'on peut supprimer totalement le risque d'assassinats horribles. Leur valeur pratique et juridique est donc en conséquence nulle. La loi sur la rétention de sûreté est ainsi contraire au droit européen. Quant aux lois sur la récidive, elles consistent principalement en l'enfermement prolongé de ceux qui les subissent, ce qui ne fait pas grand chose d'autre que de retarder le moment de la récidive si on souscrit à l'idéologie qui les sous-tend. Cette tactique a créé de nouvelles tâches pour l'institution judiciaire, alors qu'elle est déjà surchargée. La conséquence est que, à la suite du meurtre de Laëtitia Perrais, le gouvernement de Nicolas Sarkozy s'est attaqué aux personnels, mais il est vite apparu que l'institution était gravement sous-dotée.

Le gouvernement de Nicolas Sarkozy a aussi choisi d'ignorer les arrêts de la CEDH sur la garde à vue. L'argumentaire déployé affirmait contre toute logique que les arrêts rendus contre d'autres pays par la CEDH n'avaient aucune conséquence en France (cf ce billet de Maître Éolas par exemple). Si on peut comprendre une attitude de déni temporaire de façon à gagner un peu de temps, ce n'est pas ce à quoi on a assisté. Le premier arrêt signant la mort de l'ancienne procédure date de fin 2008 (Salduz c. Turquie), mais le gouvernement a attendu que le Conseil Constitutionnel rende une décision sur QPC en juillet 2010 pour admettre le besoin de changer les pratiques et la loi. Les condamnations se sont enchaînées, avec pour conséquences que certaines gardes à vue se sont vues annulées et que le gouvernement a demandé l'application de le nouvelle loi avant son entrée en vigueur prévue. Non seulement le gouvernement n'a pas reconnu la vérité, mais il a aussi pris des risques avec des procédures en cours. Cette attitude est irresponsable.

Pour couronner le tout, il a été imposé une taxe de 35€ pour accéder à la justice, avec une longue liste d'exceptions à la logique difficilement perceptible et une autre de 150€ pour faire appel. La première taxe doit financer l'indemnisation des avocats commis d'offices pour leurs interventions en garde à vue, la deuxième pour indemniser les avoués, profession supprimée en cours de législature. On peut noter aussi que le nombre de jurés d'assises a été réduits pour pouvoir décorer certaines chambres correctionnelles avec 2 jurés, sous le prétexte de rapprocher la justice des citoyens.

En guise de conclusion, le bilan de Sarkozy en matière de justice me semble simple: il a tout fait à l'envers de ce qui aurait dû être fait. La justice souffre depuis bientôt 30 ans d'un afflux de dossiers sans que les moyens de les traiter aient été suffisamment augmentés. La priorité devrait alors être de limiter les tâches supplémentaires à ce qui est vraiment nécessaire, les droits de la défense tel que la CEDH les voit au premier rang. Au lieu de cela, il y a eu un déluge de textes mal rédigés, empilant des procédures nouvelles sur une institution déjà incapable de faire face correctement et rapidement à celles qui existent. La démagogie a régné sans partage, d'une part pour flatter la partie la plus répressive de l'électorat, d'autre part pour retarder le plus possible les évolutions qui dérangeaient.

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