L'été dernier, j'avais publié un billet sur les rapports que la Cour des Comptes avait consacrés à l'assurance-vie et au financement de l'économie par l'épargne des Français. On pouvait en retirer les points suivants:
- L'épargne financière des ménages est d'abord orientée vers les produits sans risque et ce biais s'amplifie. Si les 2/3 du stock d'épargne financière est composé de produits sans risque, ils reçoivent 5/6 des apports
- Si les rendements des produits risqués — en premier lieu les actions — ont été décevant, cette orientation s'explique aussi par les incitations fiscales. 42% de l'épargne sans risque bénéficiait d'un régime fiscal favorable, contre 12% à l'épargne risquée.
- La réglementation n'aidait pas puisque son durcissement conduisait les assurances et les banques à se détourner des produits risqués
- Pour corriger cela, la Cour appelait à ne pas augmenter les plafonds des livrets défiscalisés, ou alors à taxer les intérêts sur la partie supérieure aux plafonds actuels, et d'allonger la période de détention d'un contrat d'assurance vie pour bénéficier de l'avantage fiscal et de modifier la façon dont elle est calculée
J'avais conclu à l'époque que de telles mesures était à peu près sûres de rater leur cible. Ces rapports dénotaient tout de même une intention de changer les règles fiscales et il ne faisait pas de doutes qu'il y aurait une suite, au moins sous la forme de rapports parlementaires pour proposer quelques mesures. On peut aussi remarquer que l'assurance-vie, forme de placement occupant une place prépondérante aujourd'hui, n'a pas été visée par la dernière loi de finances. Cette suite est le rapport signé des députés Berger et Lefebvre.
Le rapport aborde divers sujets. Le premier est celui de l'épargne réglementée suite à la décision de relever les plafonds. Le rapport mentionne que presque 50G€ ont été versés de ce fait sur les livrets. Comme on voit à la fin que le flux net d'épargne financière est en baisse, cela s'est réalisé en stoppant les apports sur l'assurance-vie et en inversant l'augmentation des dépôts qui avait eu lieu en 2012. Le rapport de la Cour des Comptes rappelait que l'augmentation des dépôts était une nécessité créée par le durcissement de la réglementation. Dans leur rapport, les parlementaires déclarent que Les mouvements de réallocation de l'épargne financière intervenus à la suite des relèvements du plafond du livret A et du livret de développement durable ne sont pas de nature à déstabiliser la répartition du stock de l'épargne financière
(p27) à cause du plafonnement, mais ça ne les empêche pas de dire aussi que la nouvelle réglementation va au-delà de ce qui apparaît nécessaire
. On nage donc en pleine schizophrénie, où les gouvernant veulent à la fois un système bancaire sans risque, mais qui ne réduit pas ses prêts ni n'augmente ses dépôts. Par ailleurs, le discours sur l'épargne populaire et la justification du relèvement du plafond surprennent quelque peu lorsqu'on découvre plus loin les remarques sur la concentration des encours de l'assurance-vie … alors que la situation est assez similaire sur les livrets défiscalisés dont seule une petite partie atteint les plafonds de versements.
Le rapport abord aussi vers la fin la question des incitations directes à investir dans les petites entreprises comme l'ISF-PME et les réductions d'impôts sur les plus-values lorsqu'on investit dans un fonds de capital-risque. La position des parlementaires est clairement hostile aux réductions d'impôts accordées à l'entrée, contrairement à celles accordées à la sortie. Si leurs recommandations sont suivies, on devrait donc assister à la fin de l'ISF-PME au profit du maintien des avantages accordés au capital-risque. Une fois de plus, on s'étonne du discours de justice qui émane de ce rapport: les avantages accordés au capital-risque se distinguent par leur confidentialité (4M€ et 1124 foyer fiscaux). Ils obligent à passer par des intermédiaires, alors que les systèmes d'aide à l'entrée permettaient d'investir dans des sociétés en phase de démarrage, ce que ne fait pas le capital risque français. C'est pourquoi les auteurs préconisent de créer un PEA spécial PME, soit une niche fiscale supplémentaire…
C'est sur la question de l'assurance-vie qu'était sans doute le plus attendu le rapport. Il faut dire que les enjeux sont importants, puisque l'assurance vie représente maintenant de l'ordre de 40% de l'épargne financière des ménages, soit environ 1400G€. Les auteurs se sont rendus compte d'un petit problème posé par la dernière loi de finance, même si c'est dit d'une façon très particulière:
Cette réforme d'équité et de justice fiscales suscite des réactions nuancées dès lors que l'alignement de la fiscalité des revenus du capital sur celle des revenus du travail ne va pas forcément de soi au regard des incitations que les pouvoirs publics souhaitent donner aux comportements d'épargne des Français comme au regard des comparaisons internationales sur la fiscalité de l'épargne. Elle pourrait même sans modification des régimes fiscaux avantageux des placements immobiliers ou de l'assurance-vie inciter au report d'une partie de l'épargne vers ces placements au détriment des placements plus risqués potentiellement plus utiles à l'économie productive.
En effet, plus les impôts sur les revenus du capital sont élevés moins il est intéressant de prendre des risques, à cause de la différence de traitement entre gains et pertes. Comme les produits les plus risqués sont aussi ceux qui sont détenus par les ménages les plus riches et donc les plus durement frappés par la réforme de la taxation des revenus du capital, ce risque de désaffection n'est pas qu'une invention. Les auteurs proposent pour contrer cet effet de créer une nouvelle niche fiscale à l'intérieur de la niche: les contrats de plus de 500k€ seraient l'objet de nouvelles contraintes pour bénéficier de l'avantage fiscal de l'assurance-vie. Ça me semble contreproductif: à risque constant sur le patrimoine global, il s'agit d'un alourdissement de la fiscalité, ce qui devrait logiquement conduire … à moins de prise de risque. Ceux qui respectent déjà les conditions ne changeront rien, les autres se verront inciter à diminuer leur prise de risque sur le reste de leur portefeuille.
Plus précisément, les auteurs comptent obliger les gros contrats à posséder un minimum d'unités de compte ou alors à posséder un nouveau type de fonds qui ne garantirait plus le capital qu'à l'échéance et donc qui ressemble furieusement à un fonds à horizon de placement. On ne peut que subodorer que les contrats de plus de 500k€ sont déjà les plus investis en unités de compte. Quant aux fonds à horizon, une enquête approfondie sur un échantillon représentatif de 1 montre que le rendement a été de 3.6%/an depuis le lancement en 2003, sans doute moins qu'un fonds en euro classique. C'est normal: le fait qu'il y ait un risque signifie que le rendement n'est pas forcément au rendez-vous même après 10 ans. Les auteurs ont une version renforcée de leur proposition où une partie des fonds investis devraient l'être ailleurs que dans les grandes entreprises.
On ne peut que remarquer que cette proposition recoupe les besoins des sociétés d'assurance. La gestion en unités de comptes est moins gourmande en capital — il n'y a aucune garantie — et plus rémunératrice par rapport aux fonds investis. Plus généralement, les assureur cherchent à amoindrir la garantie des fonds en euros qui est de plus en plus gourmande en capitaux à cause de la réglementation. Par ailleurs, ces mesures sont ouvertement destinées aux fameux 1% les plus riches dont le contrat moyen serait de 600k€ et qui concentreraient un quart des sommes investies sur l'assurance vie. Les auteurs pensent que ces mesures conduiront diriger 100G€ supplémentaires vers plus de risque en 5 ans. Le seul petit problème est que ça représente un tiers de l'encours actuel visé (qui est donc de 350G€) et que les contrats en euros sont à l'heure actuelle investis à hauteur d'un tiers seulement dans des obligations d'état (p66 du rapport de la Cour des Comptes sur l'assurance vie). Il faudrait donc un fort afflux sur l'assurance-vie pour que l'objectif soit atteint. Ne doutons pas toutefois des possibilités offertes par une comptabilité créative.
L'autre léger problème est qu'une même personne peut légitimement souscrire plusieurs contrats d'assurance-vie — avec par exemple pour bénéficiaires l'époux et chacun des enfants — ce qui ruine quelque peu l'idée de seuil et d'allongement des durées de détention. On va donc assister à la multiplication des contrats de 250k€ (histoire d'être sûr de ne pas dépasser le seuil fatidique).
Bref, une fois de plus, on constate le tropisme dirigiste des politiques français et leur propension à inventer des cas spéciaux. On se rappelle que les économistes préconisent encore et toujours de réduire ces niches fiscales et qu'il y a même eu un rapport d'Olivier Garnier & David Thesmar qui proposait un moyen pratique d'y parvenir tout en préservant les petits patrimoines. Au lieu de cela, les auteurs ont bâti des recommandations qui ressemblent beaucoup aux revendications des sociétés d'assurances tout en assouvissant leurs besoins propres. Les intérêts des souscripteurs semblent étrangement absents de ce rapport, comme si c'était un sujet de peu d'importance. Il faut bien dire aussi qu'il aurait été difficile de préconiser une baisse des impôts sur les placements à risque comme les actions après en avoir dit pis que pendre. Et c'est d'autant plus difficile que l'état est inlassablement à la recherche de fonds supplémentaires. Malheureusement, il me semble que ces mesures ne seront pas à la hauteur des objectifs fixés et qu'elles sont porteuses d'effets pervers manifestes.
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