L'annonce par le premier ministre grec d'un référendum sur le dernier plan d'ajustement a semé la panique depuis lundi soir. Les pays de la zone euro ont peiné pour trouver un accord; un référendum va au mieux retarder son application, au pire l'envoyer à la poubelle et précipiter une sortie de la zone euro de la Grèce dans le désordre. En fait, il est même possible qu'on n'aille pas jusqu'au référendum, les évènements et le besoin de liquidités à court terme forçant la décision de l'état grec.

La Grèce a accumulé une dette de l'ordre de son PIB au cours des années 80. Après la récession de 92-93, le ratio dette/PIB s'est stabilisé, une sorte de maximum possible étant atteint. Cependant, comme la dette est restée élevée, à cause la crise financière des dernières années et de son incurie, le gouvernement grec s'est trouvé confronté à un effet de levier important, le déficit public a explosé. Lorsque les taux d'intérêt sur sa dette publique ont atteint des niveaux intolérables en 2010, la plupart des pays de la zone euro ont alors décidé de prêter l'argent nécessaire pour que l'état grec ne fasse pas défaut et mette progressivement en œuvre des mesures d'adaptation, comme l'ouverture à la concurrence de certains secteurs de l'économie, une réforme des services fiscaux et un plan de réduction des dépenses. Déjà à l'époque ce plan paraissait très optimiste car la dette publique grecque serait tout de même devenue très élevée — autour de 160% du PIB — sans espoir de diminution rapide ensuite.

Mais comme cela a aggravé la récession et que le gouvernement grec s'est avéré incapable de réformer suffisamment vite son administration et de changer le cadre légal de son économie, un autre plan s'est avéré nécessaire, incluant cette fois un défaut partiel, camouflé sous le vocable technocratique d'implication du secteur privé. Évidemment, cela n'a rien fait pour calmer les appels à la sortie de l'euro de la Grèce et a en fait renforcé leurs arguments pour un retour à la drachme.

Il faut bien dire que le cas de la Grèce ressemble de plus en plus au portrait robot du pays qui va faire défaut sur sa dette publique et sortir d'une union monétaire en force. Tout d'abord, le pays traverse une grave crise économique, son PIB réel se sera probablement bientôt contracté de 10% par rapport à son point haut, la crise se perpétuant depuis 3 ans. La dette va atteindre 4 fois les recettes fiscales de l'état (cf par exemple ce rapport de la troïka). La situation est semblable à celle décrite dans le Reinhart & Rogoff, respectivement p130 et 121. Il est aussi prévu que le budget de l'état grec soit en excédent primaire — avant paiement des intérêts — l'année prochaine. Cela veut dire que l'état grec n'aura sans doute besoin que de financements à court terme en cas de défaut, ou alors de financements à maturité plus longue relativement raisonnables par rapport à son PIB.

Si on en croit la commission européenne, les pays de la zone euro auraient déboursé 47G€, le FMI 18. La dette publique grecque devrait atteindre 160% du PIB cette année soit en gros 350G€. Le plan actuel prévoit que la dette détenue par les acteurs privés soit réduite de moitié, sans doute accompagné d'un mécanisme de type Brady Bonds, ce qui diminuerait le dette de 100G€. Or, si jamais la Grèce venait à sortir de la zone euro, ce n'est peut-être pas l'accord le plus favorable du point de vue des grecs. En effet, la réduction du principal toucherait les épargnants grecs de plein fouet et les pays de la zone euro seraient préservés. De plus, se passer du mécanisme d'assurance des Brady Bonds, par exemple en forçant la conversion en drachmes et diminuant d'autorité le capital dû, permettrait peut-être d'obtenir une dette plus basse vis-à-vis du PIB. Cette éventualité a sans doute effleuré certains états, vu la confiance toute relative exprimée depuis cette été.

Cela pourrait ressembler à quelque chose de ce type:

  • La dette due au FMI est laissée intacte. Le FMI n'a jamais enregistré aucune perte sur ses prêts, avoir une ardoise auprès du FMI pourrait transformer la Grèce en véritable paria. De toute façon, en l'état actuel des choses, cela représente environ 8% du PIB de la Grèce. Les intérêts annuels doivent tourner autour de 0.3% du PIB.
  • Par contre le reste de la dette officielle envers les pays de la zone euro subit le même destin que la dette publique due aux créditeurs privés sis à l'extérieur de la Grèce
  • Les créanciers grecs se voient allouer un régime de faveur lors de la transition. L'avantage de ce genre de tactique est de ne pas avoir à recapitaliser les banques aussi fortement que dans le cas présent et de se prévaloir auprès des électeurs de la défense de leurs intérêts.
  • Évidemment sortir de l'euro en convertissant sa dette en monnaie locale, instaurer des contrôles des changes et interdire tout mouvement hors des banques, dévaluer.
  • Créer de l'inflation pour liquider une bonne part de la dette restante.

Les partenaires européens auront très certainement envie de mettre la Grèce à la porte de l'Union, mais cela doit aussi faire partie du plan. Le gouvernement grec aura besoin de suspendre la liberté de circulation des capitaux et sans doute celle des personnes. Les problèmes de financement peuvent se régler alors, de façon certes fort imparfaite, grâce à l'émission de nouvelles pièces et billets et sans doute aussi par diverses mesures d'emprunt forcé. De plus, en faisant subir un sort plus doux aux créanciers locaux qu'aux horribles étrangers, le gouvernement grec peut espérer s'attirer quelques sympathies ou en tout cas une moindre haine de la part de ses administrés. Comme rester dans l'euro impose des sacrifices que Papandreou est incapable de faire accepter, susciter l'hostilité de l'étranger avec une proposition irrationnelle est une issue — certes déplorable de populisme — permettant de se draper dans la dignité nationale pour quitter l'euro.