La post-vérité, c'est les autres
Par proteos le 8 janvier 2017, 23:42 - Politique - Lien permanent
On parle en ce moment du concept de «post-vérité», qui consiste essentiellement à proférer des mensonges de façon à accréditer une alternative à la réalité, en niant des faits de base ou des raisonnements communément admis. Contrairement au mensonge classique, il ne s'agit pas seulement d'aller à l'encontre d'une partie de la réalité, mais de proposer une alternative complète des faits de base aux conclusions. Bien sûr, une difficulté peut apparaître très rapidement: à partir du moment où il existe un certain nombre d'alternatives qui se présentent comme la réalité, les partisans de chacune d'elles vont évidemment affirmer mordicus que c'est leur alternative qui est la réalité. Cela débouche forcément alors vers une accusation de «post-vérité» des partisans de l'erreur envers ceux qui ne sont pas d'accord et sont plutôt dans le vrai.
Une illustration de cela nous est donné par des articles récents de Stéphane Foucart, journaliste au Monde à la rubrique Planète
et éditorialiste. Les lecteurs réguliers de ce blog savent que je ne suis pas spécialement convaincu, en général, par ses propos. Il est ainsi l'auteur d'un article intitulé L’évaluation de la toxicité des OGM remise en cause
, daté du 19 décembre, et d'un éditorial, Aux racines (vertes) de la « post-vérité »
, daté du 26.
Le premier article est critiqué, avec l'étude qui lui sert de prétexte, de façon fort juste sur la blog de la théière cosmique. Pour résumé, un chercheur de la mouvance de Séralini a écrit un papier pour tenter de remettre en cause la notion d'équivalence en substance. L'idée de base de la notion est de voir si l'OGM, en dehors des effets prévus de la modification génétique, tombe bien dans la variabilité attendue des plantes non OGM comparables. Le papier scientifique échoue à démontrer une différence réelle entre OGM et non OGM, ce qui ne l'empêche pas de jeter le doute en conclusion sur la sécurité de la modification génétique. Repris dans l'article du Monde, l'auteur du papier peut exprimer sa position sans rencontrer d'opposition nette. L'article du Monde est donc l'occasion d'une énième remise en cause du processus d'évaluation des OGMs. Cependant, il existe un consensus sur la sécurité de ceux actuellement sur le marché: on pourrait donc penser que ce processus d'évaluation ne marche pas si mal que ça pour éviter les évènements nocifs. Plus généralement, cet article se situe donc dans la droite ligne des articles du Monde sur les OGMs, où ceux-ci sont toujours envisagés avec moult soupçons dans le meilleur des cas, à rebours du consensus scientifique. On est dans une sorte de réalité alternative où les OGMs sont mauvais, mais où on constate régulièrement qu'ils continuent à être utilisés, pour des raisons généralement inexpliquées dans ce journal…
L'éditorial a pour objet de signaler que les thèmes écologistes ont déjà vu les phénomènes désormais nommés «post-vérité» depuis longtemps et qu'ils resteront des domaines de prédilection de ce phénomène à cause de leur complexité. Il expose surtout le cas du réchauffement climatique, où les preuves sont purement et simplement niées dans certains média, surtout outre Atlantique, et où on accuse les scientifiques de tremper dans un complot imaginaire. Mais il finit sur une dénonciation des projets de la Commission Européenne sur les perturbateurs endocriniens qui iraient à l'encontre du consensus scientifique. Évidemment, rien de tel dans la communication de la Commission: il s'agit surtout de déterminer le niveau de preuve nécessaire pour mériter le titre de perturbateur endocrinien aux yeux de la loi. La polémique semble d'ailleurs surtout concerner le fait de savoir s'il existera une gradation dans le classement ou un classement binaire perturbateur / non perturbateur. Il ne s'agit donc pas d'un problème scientifique mais d'un problème juridique et politique. Le classement avec des paliers permettrait certainement d'incriminer plus de substances, avec des opportunités de polémiques comme ce fut le cas avec le glyphosate en 2016. On comprend donc le côté pratique de la proposition de la Commission pour un classement binaire, par essence nettement plus clair.
En procédant ainsi, Stéphane Foucart construit une petite aire d'alternative à la réalité. Ceux des lecteurs qui lui font confiance croiront que la Commission s'assoit sur des résultats scientifiques, alors qu'il n'en est rien, vu qu'il s'agit justement de créer un cadre juridique supplémentaire pour prendre en compte certains de ces résultats de façon spécifique. De la même façon, il se plaint qu'on ait trop souvent lu que les OGMs étaient des poisons violents
, mais sur ce sujet, fort est de constater que le même Stéphane Foucart répand cette croyance erronée. Il a régulièrement rendu compte de façon positive des travaux de Gilles-Éric Séralini et d'autres personnes qui n'ont aucune crédibilité scientifique sur le sujet: ce fut le cas en 2007, ou en 2012 avec la fameuse affaire des rats, où systématiquement, les thèses des opposants aux OGMs ont été soutenues. Le papier qui a fait l'objet de l'article du 19 décembre entre tout à fait dans cette ligne éditoriale où le consensus scientifique sur la sécurité des OGMs est nié. Une justification à cette dénégation est souvent susurrée: les scientifiques seraient vendus à l'industrie! Le processus reflète celui dénoncé quand il s'agit de réchauffement climatique.
La seule explication à cette analogie, c'est qu'évidemment, une fois une croyance installée, il est difficile de l'abandonner. Les incroyants paraissent toujours dans le déni, les informations contraires à la croyance n'ont nécessairement qu'une importance somme toute marginale et doivent trouver une explication compatible avec la croyance. On voit donc bien l'utilité d'installer dans le public une croyance qui va dans le sens de certaines conceptions, notamment politiques. Ces croyances erronées peuvent d'ailleurs s'installer durablement, malgré des faits contraires rapportés dans les mêmes journaux qui diffusent la croyance, comme l'a montré le cas du nuage de Tchernobyl en France. À partir du moment où la conviction s'est forgée, l'hypothèse contraire ne peut qu'être fausse, à moins que des nouvelles extraordinaires n'adviennent. C'est pourquoi le terme de «post-vérité» va surtout connaître un destin de récupération par toutes sortes de croyants: la post-vérité, c'est les autres!
Commentaires
La conclusion de ce billet s'applique étonnamment bien au cas des pics hivernaux de pollution aux particules, comme celui que nous avons connu en décembre dernier (et que nous risquons à nouveau de connaître à nouveau dans les semaines qui viennent, avec le retour de conditions anticycloniques stables).
Dans les articles de la presse grand public (Le Monde, Libération, Le Figaro, Le Parisien-Aujourd'hui en France...), on commence à trouver de plus en plus souvent l'information selon laquelle le chauffage au bois a une responsabilité importante dans ces pics de pollution aux particules – notons que là où il est massivement utilisé, le chauffage au bois est la source ultra majoritaire de particules fines, cf. par exemple cet article scientifique sur la vallée de Sallanches et Chamonix, publié dans Atmospheric Chemistry and Physics en novembre 2016, http://www.atmos-chem-phys.net/16/1... , qui affirme que 85% des particules fines relevées en hiver, et 75% en été, sont « d'origine non-fossile », donc produites par la combustion de biomasse, et non issu de carburants pétroliers.
Malgré tout, dans ces mêmes articles, leurs auteurs continuent à accuser majoritairement « les voitures diesel » de ces pics de pollution. (Les voitures diesel, donc pas les camions, au diesel aussi, ou encore les chaudières au fioul, tout aussi diesel que les voitures, et qui sont encore de l'ordre de 5 millions dans notre pays...)