Ce mercredi, le Nouvel Observateur nous a gratifié d'un dossier sur les OGMs selon lesquels ce seraient des poisons, basé sur la publication d'un papier de G.E. Séralini, scientifique favori du CRIIGEN et déjà connu pour ses papiers prétendant démontrer la nocivité de divers OGMs et celle du Round Up. Il n'aura sans doute pas échappé aux lecteurs habituels de ce blog que je trouve que l'argumentation déployée par les opposants aux OGMs particulièrement insuffisante. Cette étude, comme on va le voir, ne change pas ma façon de penser, mais elle est aussi révélatrice des tactiques des écologistes dans ce domaine ainsi que d'insuffisances graves de la part d'une partie de la presse, en l'occurrence ici de la part du Nouvel Observateur.

Le papier de Séralini

Séralini était déjà connu pour quelques aventures, car il a déjà essayé de prouver que le MON810 était nocif en bidouillant les données de l'étude Monsanto et essayé de montrer qu'un produit homopathique annulait les effets néfastes du glyphosate, le principe actif du Round Up. Il s'est donc bâti une solide réputation d'absence de sérieux qui lui vaut quelques déboires quand il se risque hors de nos frontières.

On peut trouver le papier de Séralini sur les sites des organismes qui sponsorisé son étude, ce qui n'est pas si courant et est à mettre à leur actif. Il prétend démontrer la toxicité du maïs NK603, autorisé depuis 12 ans aux USA, ainsi que celle du Round Up. La disponibilité du papier en ligne a permis d'avoir nombre de critiques au sujet de cet article, parmi laquelle celle de Marcel Kuntz. On peut faire la liste des griefs principaux:

  1. Pas assez de rats dans chaque groupe: le groupe de contrôle ne compte que 10 mâles et 10 femelles, ce qui le rend très sensible au bruit de fond statistique
  2. Le traitement statistique est mystérieux.
  3. L'étude n'est pas menée en aveugle, tous les expérimentateurs savent à quel groupe les rats appartiennent, ce qui rend l'étude sujette à divers biais.
  4. Les rats utilisés sont susceptibles de développer des tumeurs: les taux de prévalence donnés par les études s'étagent en gros de 50 à 80% pour des rats vivant jusqu'à 2 ans! On voit aussi qu'il y a des lignées qui sont nettement moins sujettes à ce problème et où il est donc plus facile de distinguer un effet conduisant à l'augmentation d’apparition des tumeurs.

Pour bien montrer que ces critiques ne sont pas là que pour la forme, on peut regarder la figure 1 du papier. seralini_fig_1.jpg Les traits continus sont les groupes avec les produits à tester, l'épaisseur croissant avec la dose administrée. On distingue le comportement pour les mâles et les femelles. Successivement de haut en bas, nourriture avec le maïs OGM seul, maïs OGM saupoudré de Round Up, eau mélangée au Round Up. Les traits pointillés représente le groupe de contrôle: c'est donc la même courbe qui se succède de haut en bas. On constate que pour la consommation d'OGM seul et pour les rats mâles (graphe en haut à gauche), il vaut mieux consommer le plus possible d'OGM: c'est le cas où les rats vivent le plus vieux! Quel dommage que Séralini n'en fasse pas ses conclusions! On constate aussi que les évolutions ne sont pas vraiment celles attendues quand on connaît la conclusion qui en est tirée: il n'y a pas de croissance de la toxicité quand la dose augmente ou quand on ajoute un produit a priori toxique. C'est ainsi que consommer de la nourriture avec juste un peu d'OGM apparaît dangereux pour les mâles et que l'ajout de Round Up dans les OGMs est bénéfique aux femelles. Par rapport aux autres études regardant la prévalence chez les rats vieux des tumeurs, on voit qu'en fait c'est le contrôle qui est exceptionnel, et non les groupes avec lesquels on veut tester les produits. On se trouve donc en face d'une étude qui nous montre qu'avec des échantillons de petite taille, on a énormément de bruit. On peut même lui faire dire l'inverse des conclusions des auteurs puisque certains résultats favorisent en fait l'OGM.

À ce stade, on ne voit donc que quelqu'un qui s'est fait à juste titre rembarrer sur ses méthodes tant statistique qu'expérimentale se faire de nouveau rembarrer à juste titre pour les mêmes raisons. C'est certes un militant anti-OGM, financé par des associations sur la même ligne que lui, mais cela ne fait qu'obliger à regarder avec un œil critique ses publications: être engagé ne veut pas dire en soi qu'il ait forcément tort. Simplement, Séralini n'aura certainement pas amélioré sa réputation auprès de ses pairs grâce au contenu de son papier.

L'exploitation dudit papier

Par contre, l'utilisation de ladite publication est nettement plus contestable. Le principal article du Nouvel Observateur est sensationnaliste. On nous dit que la publication pulvérise une vérité officielle, dans un pays où le seul OGM qui y ait jamais été autorisé est interdit, parce que le gouvernement le soupçonne de nuire à l'environnement. Par contre, il est vrai que toutes les instances d'évaluation des risques existant de par le monde jugent les OGMs actuellement sur le marché comme sûrs, suite à un grand nombre d'études et maintenant un certain nombre d'années d'utilisation. On nous décrit ensuite le mode opératoire de l'équipe de Séralini: on apprend qu'ils ont crypté leurs emails comme au Pentagone, qu'ils se sont interdit toute discussion téléphonique, qu'ils ont trouvé l'achat de semences OGMs très difficile et enfin qu'ils se sont procuré 200 rats. Il faut dire que l'équipe de Séralini craignaient un coup fourré de Monsanto, qui ne doit se doute en aucune façon que des opposants cherchent depuis des années à monter des études visant à discréditer ses productions.

L'article nous informe aussi que Séralini publie prochainement un livre sur le même sujet, de même que Corinne Lepage, présidente d'honneur du CRIIGEN, sponsor de cette étude. On nous informe aussi qu'un film portant le même titre que le livre de Séralini et portant sur le même sujet va bientôt être diffusé sur une chaîne publique. On croirait presque que l'étude sert de caution à une tournée promotionnelle comme l'industrie du divertissement nous a habitués à en voir et très similaires à leurs sœurs jumelles destinées à faire vendre des livres ou des documentaires vantant une certaine opinion, le plus souvent en criant au scandale. Heureusement, Séralini a pris soin de nous rassurer dans sa publication: il ne déclare aucun conflit d'intérêt, ce qui est bien le moins pour quelqu'un qui agit pour le compte d'une association militante qui ne cesse de dénoncer ceux qui mineraient les études concurrentes. Le Nouvel Observateur, non plus, ne sert aucunement de support à une quelconque tournée promotionnelle, et c'est dans un but purement informatif qu'il a interrogé Mme Lepage Corinne qui nous affirme que tout est organisé pour qu'il n'y ait pas de recherches.

L'article est aussi titré comme étant exclusif. En lisant ce qui se dit ailleurs, on s'aperçoit que Séralini et le Nouvel Observateur ont signé un accord de confidentialité. Cet accord empêchait de s'enquérir de l'avis d'autres personnes spécialistes des OGMs et de recueillir leur opinion de façon à recouper les informations. Ceci est aussi particulièrement indiqué pour une publication scientifique. En effet, qu'une étude donne lieu à publication ne veut pas dire que ses conclusions sont certaines. C'est plutôt le point de départ de la critique et de la possibilité d'essayer de répliquer les résultats. Et vue la vitesse où les critiques sont apparues, il eut sans doute été préférable de recueillir des avis d'autres scientifiques, non militants cette fois-ci. À moins bien sûr que les journalistes ne soient victimes du biais de confirmation: en fait, ils étaient déjà acquis aux idées qu'on leur a exposées, il leur paraît impossible que ce soit l'inverse qui soit vrai. Mais force est de constater que si le Nouvel Observateur avait fait de même dans l'autre sens, on aurait traité ça de manipulation et dénoncé le manque criant de déontologie journalistique. C'est le cas ici: on voit bien que le Nouvel Observateur sert de faire-valoir à des personnes qui ont aussi un net intérêt commercial à ce qu'on sache ce qu'ils font, il ne recoupe pas ses informations.

Ce n'est pas la première fois que ça se produit dans la presse française. Il y a quelques mois sur ce blog, je critiquais un article du Monde qui recopiait servilement le tract d'une association anti-OGM à propos du coton Bt en Inde, déformation des propos des défenseurs de la technique inclus, alors qu'un mois plus tôt un journal indien, traitant le même sujet, mentionnait le point de vue inverse. Mais le manquement du Nouvel Observateur est encore plus flagrant et cette fois-ci on a un aperçu d'une bonne partie des techniques des militants écologistes pour faire prévaloir leur point de vue.

Les militants écologistes dominent de la tête et des épaules leurs opposants sur la maîtrise de la chaîne de production médiatique. Ce n'est pas un fait nouveau, il suffit de regarder ce qui se passe depuis de nombreuses années sur le nucléaire. On trouve ainsi des traces de ceci dans un article sur les évènements ayant entouré l'usine de La Hague (p175sq). Les militants y sont décrits utilisant divers artifices, comme le fait d'envoyer leur contribution au dernier moment, empêchant toute modification de celle-ci et toute recherche de contradiction. L'accord de confidentialité trouve toute sa place dans ce cadre: les médias importuns qui veulent un avis extérieurs sont exclus, ils n'auront pas le scoop et ils ne pourront publier une réfutation. Celle-ci ne peut venir que plus tard, alors que la machine médiatique est lancée et inarrêtable ou bien que l'agitation est retombée.

Les militants écologistes se posent aussi de façon permanente en David devant affronter Goliath, même lorsqu'ils dominent largement le champ de la polémique. Dans le cas des OGMs, le cas est clair: en France, la cultures des OGMs est interdite, tout essai est devenu impossible — alors même qu'il y avait des essais de plantes transgéniques en France à la fin des années 80. On trouve cet angle dans l'interview de Jouanno: elle nous dit que Monsanto s'est montré menaçant dans son bureau à propos de l'invocation de la clause de sauvegarde sur le MON810, mais elle se garde bien de dire que Monsanto a gagné au Conseil d'État sur ce sujet. Ils ne cessent aussi de dénoncer les conflits d'intérêts de leurs opposants afin de les décrédibiliser, rien que d'aller à des conférences où des industriels sont présents suffit pour devenir irrecevable. Par contre, comme on l'a vu dans le cas d'espèce, cela ne les dérange pas de se trouver aussi dans des situations de conflits d'intérêts flagrantes. Bien sûr, ils argueront sans nul doute que la publication est dévoilée par hasard juste avant la sortie de divers livres et autres reportages, uniquement là pour propager leur message. Mais le fait est qu'ils ont un intérêt financier, autre que leur salaire, à faire publier leur papier dans une revue scientifique. Cela ne les gêne pas non plus d'être financés par des multinationales.

Les militants écologistes cherchent aussi à pirater le processus d'évaluation par les experts ainsi que les canaux scientifiques. J'en ai déjà parlé en regardant l'utilisation qui était faite du principe de précaution en relation avec les OGMs. Arriver à publier de nouveau une étude, peu importe sa qualité, leur permet de faire parler de leur cause. Comme les journalistes à qui ils s'adressent sont probablement ignorants du consensus scientifique, ils peuvent recevoir un bon accueil. Peu importe le nombre d'études publiées: il n'y en a jamais assez, tout est toujours organisé pour empêcher leurs convictions d'émerger comme le consensus scientifique. Or, en l'occurrence, de très nombreuses études ont été réalisées et le consensus scientifique est que les modifications génétiques ne constituent pas en elles-mêmes une technique dangereuse: c'est par exemple la conclusion qui figure dans ce rapport européen résumant les études menées grâce à l'UE. Le fait que le consensus scientifique dans le domaine soit aussi peu souvent exposé montre le succès de leurs tactiques: on n'en parle guère, à titre d'exemple, le rapport européen est passé totalement inaperçu dans la presse.

De fait, le plus énorme scandale des OGMs est que des journalistes gobent tout ce que leur disent les écologistes dans ce domaine. On ne peut que constater que le Nouvel Observateur est soit complice, soit se laisse manipuler par une association écologiste, alors même qu'elle ne fait qu'utiliser des tactiques qu'on peut observer depuis de très nombreuses années. Ils se sont eux-mêmes interdit de recouper les informations et de rechercher quel était le consensus scientifique sur la question. Que les auteurs de l'étude et des membres éminents de l'association qui la sponsorise soient aussi dans une démarche mercantile ne leur pose aucun problème, ils leur font même de la publicité. Il faut aussi noter que le Nouvel Observateur s'est distingué en relayant une entreprise de désinformation menée par des anti-nucléaires. Une fois de plus, je constate qu'on ne peut pas faire confiance à la presse dans certains domaines, dans des matières techniques ou scientifiques, un article de presse est à prendre avec les plus grandes précautions. On trouve aussi souvent de nombreuses interrogations de la part de la presse sur son avenir. Fournir aux lecteurs l'occasion de s'apercevoir que, dans ces matières, la qualité de l'information fournie est mauvaise, c'est aussi l'occasion pour eux de s'interroger sur la qualité de l'information fournie, tout court.

edit du 22/9: corrigé un oubli de mots dans le paragraphe sous le graphique extrait du papier edit du 19/10: correction d'erreurs variés mais criantes d'orthographe, de syntaxe, etc.