Jeudi 25 juillet, la Cour des Comptes a publié un rapport sur la politique de développement des énergies renouvelables qui complètent les rapports sur les biocarburants ou la CSPE. Le rapport sur les biocarburants dressait un état des lieux sans concessions de cette politique et invitait à revoir ce système d'aides. Sur la CSPE, pour faire face à la hausse prévisible des sommes prélevées, la Cour recommandait d'élargir l'assiette aux autres énergies que la seule électricité. Ce rapport-ci est plus semblable par son amplitude à celui sur les biocarburants, c'est naturellement que ces derniers sont exclus du périmètre et que les recommandations de la Cour sur la CSPE viennent s'y intégrer. Comme dans tout rapport de ce genre, la Cour fait un certain inventaire des cadavres qui trainent et fait un certain nombre de recommandations pour qu'ils soient dûment inhumés et qu'on ne les revoie plus.

Avant de s'aventurer plus avant, j'ai déjà évoqué à quelques reprises le douloureux problème des subventions aux énergies renouvelables électriques (un exemple) et ma position jusqu'à présent est que le coût des nouvelles installations — généralement élevé — n'est pas justifié par leurs bénéfices dans le contexte français — notamment en termes de baisses d'émissions de CO₂.

Les diverses avanies des différentes énergies renouvelables électriques

Commençons par ce qui pourrait sembler anecdotique: la géothermie dans la production d'électricité (p68). La Cour nous signale qu'un important retard a été pris, notamment dans les DOM-TOM. Il n'aura échappé à personne que nombre de territoires d'outre-mer sont des îles volcaniques, dont certaines comptent toujours un volcan en activité (Réunion, Martinique, Guadeloupe). Pour l'instant, les seules usines en service sont celles de Bouillante en Guadeloupe et celle de Soultz-les-Forêts en Alsace. Elles ne sont pas gérées par un industriel, ce sont des projets de recherche. La Cour note que les coûts ne lui ont pas été communiqués, ce qui n'augure rien de bon. On apprend aussi incidemment que le potentiel de la Réunion est grandement obéré par le classement du volcan au patrimoine mondial.

En ce qui concerne l'hydro-électricité, la Cour remarque simplement une certaine évaporation du potentiel nouvellement installable ces 10 dernières années. En 2006, le potentiel était évalué à presque 30TWh supplémentaires, un peu plus de 5% de la production actuelle d'électricité en France. En 2013, il est redescendu à environ 2TWh. La Cour signale aussi qu'en raison de nouvelles règlementations sur l'eau, la production est désormais attendue en baisse avec les ouvrages actuels (p82).

Sur l'éolien terrestre, la Cour s'en prend surtout à la réglementation. La complexité du droit français freinerait l'installation des éoliennes. Il est par exemple pratiquement impossible de construire un éolienne dans les zones côtières, protégées par la loi littoral. Mais on s'aperçoit surtout qu'elles rencontrent une opposition certaine. Elle provient dans un premier temps des administrations locales: 47% des permis de construire sont refusés par les préfets, dont la décision est invalidée dans un refus sur 5 (p61), ce qui fait qu'au total, il y a un refus définitif dans 2 cas sur 5. C'est aussi le fait de particuliers: 31% des permis de construire sont attaqués, pour un taux de succès faible d'environ 1 sur 5 (p62), mais cette action de contestation suffit à ralentir fortement les constructions … ce qui renchérit les installations.

Quant à l'éolien en mer, la Cour traite cette technique de pari industriel coûteux. Il faut dire que les appels d'offres avaient débouché sur un prix de 228€/MWh. La Cour dénonce d'ailleurs cette procédure d'appel d'offres: l'état a accordé un lot à un consortium se basant sur une turbine d'Areva alors qu'il était plus cher que le concurrent pour permettre l'installation d'une usine au Havre (p66). De plus, le prix maximum cible a été dépassé dans 3 des 4 lots accordés — ce qui fait que la note sur le critère prix a été de 0 dans ce cas (p52). On comprend aussi que la concurrence a été très réduite, car les entreprises n'ont pas eu le temps de réaliser les études nécessaires, sauf une: EDF (réponse de la CRE p221). En creux, on lit aussi une explication du prix: assurer une sécurité financière aux usines à construire et qui seront en fait destinées à alimenter le marché anglais — sans aucune assurance sur son existence réelle (p103). À lui tout seul, cet appel d'offres demandera des subventions annuelles estimées à 1.1G€ une fois les champs mis en service. La cour cite aussi un coût de l'électricité produite compris entre 105 et 164€/MWh avec un faible taux d'actualisation réel de 5%. Les coûts sont donc intrinsèquement élevés.

La biomasse retient aussi l'attention de la Cour. Elle constate encore que les appels d'offres ont été particulièrement peu sélectifs, puisque l'état a parfois retenu l'ensemble des offres (p66). Cela peut s'expliquer par un faible taux de réalisation réel, puisque la CRE l'a estimé à 30% pour les appels d'offres précédents (p52 et p224). La Cour note que les projets de biomasse projettent de recourir significativement aux importations: cela représenterait un quart du total, avec des pointes à 77%. Tout ceci trouve une excellente illustration dans un encadré p67 à propos du projet de centrale biomasse d'E.On France. Ce projet était classé bon dernier par la CRE, mais a quand même été sélectionné par le gouvernement; il importera environ la moitié de son combustible.

L'énergie solaire a droit pour sa part à une volée de bois vert. Tout y est réuni: appels d'offres très peu sélectifs qui trouvent un prix plancher dans l'existence de tarifs de rachat, mauvais suivi du marché des panneaux solaires, prix intrinsèquement élevé. À tel point que, cette année, il est prévue que le solaire photovoltaïque absorbe les 2/3 de la CSPE destinées aux énergies renouvelables électriques. Pour une production 3 fois inférieure à l'éolien, il absorbe presque 4 fois plus de subventions. De plus, la Cour note à la suite de la CRE l'existence d'une fraude massive: dans la réponse de la CRE (p228), on apprend qu'en 2010, 99.7% des installations ont été déclarées comme intégrées au bâti, leur donnant droit à une prime. Comme noté dans cette réponse, les résultats des premiers contrôles aléatoires (...) entraînent de fortes suspicions sur la conformité de ce chiffre avec la réalité. On signale aussi des sous-déclarations de puissance — utiles pour bénéficier là encore d'un meilleur prix — de déclarations à la découpe, etc. Par ailleurs, dans le domaine de la production de chaleur, le solaire thermique emporterait une subvention superlative de plus de 10k€/tep produite soit quelques 20 fois plus que le soutien accordé au bois dans le même contexte (p88).

Que faire?

Les recommandations de la Cour se basent sur les avanies rencontrées par les différentes énergies et les divers processus utilisés. Il est clair qu'il y a des problèmes de méthode qui amènent à renchérir les coûts pour le contribuable. C'est donc naturellement que la Cour recommande qu'il faille choisir entre appels d'offres et tarifs de rachat fixes (p84), que les avis de la CRE soient plus systématiquement suivis, de se limiter aux filières les moins chères, à savoir l'éolien pour l'électricité et la biomasse dans la production de chaleur. La Cour recommande aussi de procéder à plus de contrôles dans les filières comme le photovoltaïque et de mettre fin à la prime d'intégration au bâti. La Cour montre aussi un certain penchant pour un système de primes de marché (p111) et elle recommande aussi de faire porter la CSPE sur l'ensemble des énergies et pas la seule électricité.

Un trait marquant des technologies dont le système d'aide est donné pour défaillant par la Cour est que l'État a voulu faire de la politique industrielle. Si le projet d'E.On a été retenu, c'est sans doute parce que des considérations d'emplois étaient en jeu. E.On a pour projet de fermer la plupart des centrales au charbon construites en leur temps par Charbonnages de France, on se doute qu'un projet de transformation permet d'éviter d'éventuels problèmes sociaux. Le prix élevé de l'éolien en mer est expliqué par la volonté de se placer sur un éventuel marché européen et par la nécessité de construire des moyens de production surdimensionnés par rapport aux besoins français qui en découle. La prime d'intégration au bâti dans le solaire photovoltaïque a été édicté pour favoriser l'industrie locale, censée être positionnée sur des produits à plus forte valeur ajoutée, mais semble avoir été principalement exploitée pour des fraudes ou des hangars agricoles. La sensibilité de l'état à des considérations autres que le rapport coût/bénéfice semblent donc être à l'origine des dérapages les plus voyants; c'est d'ailleurs un problème fort classique des politiques publiques dans tous les domaines.

La Cour dénonce aussi cet état de fait en comparant les diverses technologies. Le système d'aide est d'abord basé sur les coûts de chaque technologie: un prix d'achat est déterminé pour chaque technologie, pas pour la contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou la production pure. Cette façon de faire pose problème lorsque des baisses de prix se produisent, ce qui est espéré, particulièrement pour les moyens de production les plus chers. Évidemment, le solaire photovoltaïque a vu ses coûts plonger depuis des niveaux stratosphériques et a surpris tous les gouvernements européens ou presque. Des bulles basées sur de hauts niveaux de subvention se sont formées entre 2008 et 2012, par exemple, en Espagne, en France, en Allemagne et en Italie. Le solaire photovoltaïque est responsable de l'explosion de la taxe «renouvelables» en Allemagne et pose de graves difficultés au gouvernement espagnol. La Cour remarque aussi que ce type de système est fondamentalement vicié, puisqu'il aboutit à soutenir une filière quelqu'en soit le coût (p115). Elle propose donc logiquement de soutenir d'abord les filières les moins chères, l'éolien pour l'électricité, le bois pour la chaleur. Dans le même cadre, elle propose aussi de passer sur un système de prime de marché (p111), de limiter sévèrement le recours aux appels d'offres qui n'ont pas franchement fait la preuve de leur efficacité dans ce domaine et de se baser sur une valeur dite tutélaire de la tonne de CO₂ évitée — c'est dire une valeur déterminée par décret — pour évaluer les bénéfices. C'est une position proche de celle que j'avais exprimée jadis. La Cour approuve aussi l'idée sous-jacente au système de soutien au solaire photovoltaïque rénové: il s'agit en gros de prévoir des baisses de prix à chaque fois que des seuils de capacité installée sont atteints, ce qui revient à prévoir à l'avance combien on veut dépenser sur une technologie.

Il n'aura pas échappé aux habitués de ce blog que j'approuve globalement les conclusions de la Cour en ce qui concerne les problèmes de la politique de soutien aux énergies renouvelables. Le problème majeur est que les prix payés sont déterminés par technologie et en fonction d'impératifs qui n'ont en fait rien à voir avec l'objectif officiellement proclamé, qu'il s'agisse de la proportion d'énergies renouvelables ou de la réduction des émissions de CO₂. Toutefois, il faut bien remarquer que ce type de politique qui ne tient pas compte des coûts est un classique dans le domaine des politiques publiques, mais que cet aspect est renforcé par l'ambition des objectifs à atteindre ainsi que par la difficulté de l'évaluation des bénéfices.