La publication par l'ASN de son rapport d'évaluation de la sûreté des centrales nucléaire française est de nouveau l'occasion de reparler dans la presse de la fabrication d'électricité à partir de la fission de l'uranium. Sans réelle surprise, l'ASN a annoncé qu'aucune centrale ne devait être fermée, mais que toutes devraient voir leur dispositifs de sûreté renforcés, ce qui va entraîner des dépenses d'investissement de la part d'EDF que l'entreprise évalue à environ 10G€.

Le Monde profite de l'occasion pour publier diverses tribunes sur le sujet. La première, quelque peu fouillis, écrite par un ancien vice-président de la Commission internationale des grands barrages et dont on peut donc subodorer qu'il est un ancien employé d'EDF, tente tant bien que mal de nous expliquer que le nucléaire est la seule énergie qui permet actuellement de fournir du courant de façon compatible avec la vie moderne tout en minimisant les rejets de gaz à effet de serre et les volumes de produits importés. La seconde, écrite par des opposants, tente de nous expliquer qu'on peut se passer du nucléaire sans se reposer sur les énergies fossiles. Les auteurs affirment qu'il n'est pas vraisemblable de penser qu'on remplacerait le nucléaire par du charbon, alors que c'est ce qu'on constate ailleurs, en Allemagne, par exemple: lorsque le couple nucléaire et hydroélectricité ne représente pas la plupart de la production, ce sont les diverses formes de charbon qui dominent ou, plus rarement, comme en Espagne, le gaz. Ils s'extasient aussi devant les performances de l'Allemagne en terme de consommation d'électricité: 27% de moins pour les usages spécifiques, sans nous dire que pour cela, il faut que le prix facturé aux particuliers soit 2 fois plus élevé. Enfin, l'électricité serait fournie par les inévitables énergies renouvelables intermittentes, le solaire et l'éolien, qui bénéficient apparemment pour l'occasion de dispositifs magiques de stockage qui ne coûtent rien ni en argent ni en énergie, un peu à la façon du scénario négaWatt dont on a déjà dénoncé l'irréalisme. La dernière, la plus sérieuse, tente une évaluation des coûts entraînés par la sortie du nucléaire. L'auteur, ancien directeur adjoint de la direction de l'environnement à l'OCDE, ce qui explique sans doute sa sympathie pour les données de sa filiale pour l'énergie, l'AIE. À partir d'hypothèses claires, il démontre que continuer à faire fonctionner les installations existantes, qui fournissent de l'électricité de façon fiable pour un coût marginal faible est le moyen le plus économique et, par là, le meilleur en termes de niveau de vie et d'emplois.

Mais surtout, en première page, le Monde publie un éditorial, titré Du culte de l'atome au principe de réalité. Le titre donne le ton: finalement, il y aurait eu un culte du nucléaire, mais ce seraient les opposants qui avaient raison, les technocrates nous cachaient tout, les risques étaient élevés et il y avait des coûts négligés. Cependant, il y a tout lieu d'en douter.

Tout d'abord, ces fameux X-Mines qui contrôleraient en secret le destin de la France ne sont que des ingénieurs sélectionnés pour l'encadrement. À la fin des années 60, puis à la suite du choc pétrolier, la France est confrontée à un dilemme: les réserves de charbon sont en voie d'épuisement rapide alors que la fabrication d'électricité reposait dessus, le pétrole est devenu subitement plus cher et surtout la fiabilité de son approvisionnement apparaît douteuse. Les responsables politiques ont donc demandé à ce qu'une solution technique soit apportée. Loin de vouer un culte à l'atome, les ingénieurs chargé de trouver des solutions ont passé en revue ce qui existait et ils ont constaté que la fabrication de l'électricité à partir de la fission d'uranium présentait d'excellentes caractéristiques: faible volume de combustible, ce qui permet de le stocker sur de longues durées, prévisibilité du prix à long terme puisque les coûts sont déterminés essentiellement par les investissement de départ et la masse salariale du site, faibles émissions de polluants et surtout alors de dioxyde de soufre, faible usage de terrains. Pour couronner le tout, la France maîtrisait déjà les techniques d'enrichissement, et une entreprise américaine était prête à nous vendre les plans d'une centrale. C'est ce qui explique le consensus pour s'équiper de réacteurs à une échelle industrielle et non une quelconque resucée du culte du veau d'or.

L'éditorial voit aussi les investissements pour améliorer la sûreté comme énormes. Cela montre surtout que les journalistes ont de graves difficultés avec les ordres de grandeur. En effet, un tel programme s'amortit au moins sur 10 ans. Les centrales nucléaires françaises produisent au moins 400TWh par an. En escomptant qu'un tel investissement de 10G€ doit rapporter 8% par an en plus de se rembourser, on peut calculer le surcoût par MWh: 4.5€. Ce type d'estimation permet de savoir de quels ordres de grandeur on parle, et force est de constater que cela représente bien quelques pourcents d'augmentation du prix de l'électricité.

Quant au démantèlement, peut-être auraient-ils pu consulter avec profit le site de la NRC, le régulateur américain de l'industrie nucléaire, et ses questions/réponses sur le sujet. Ils y auraient lu que le démantèlement d'un REP de 900MW coûte grosso modo 400M€ d'après les démantèlements menés à bien, ce qui après une utilisation de 40 ans représente un coût de 2€/MWh produit et encore moins après 60 ans. Cela n'empêchera pas ce même journal de s'étrangler lorsque la Cour des Comptes donnera le total pour les réacteurs français — sans doute de l'ordre de 30G€ si on compte les réacteurs de 1.3GW coûteront plus cher à démolir.

Plus généralement, on ne peut que constater que les données sur la plupart des problèmes que posent l'industrie nucléaire, l'information est disponible publiquement, sur le web. C'est ainsi que tous les réacteurs sont répertoriés dans une base de données où figure par exemple la production effectuée, RTE donne un historique horaire de la production pour les 6 dernières années, Eurostat fait le point tous les 6 mois sur les prix de l'électricité dans l'UE, l'AIE publie tous les ans des statistiques sur les émissions de gaz à effet de serre, l'UNSCEAR a publié des rapports de plusieurs centaines de pages sur les effets de la radioactivité sur la santé humaine en général, et sur l'accident de Tchernobyl en particulier. Toutes ces données pointent dans une seule direction: l'énergie nucléaire est une source d'électricité fiable, aux coûts tout à fait raisonnables qui ne rejette que des quantités infimes de déchets dans la nature en temps normal et dont les conséquences des accidents sur la santé, imputables aux radiations, sont mineures. Pour le dire autrement, c'est la meilleure façon de produire de l'électricité, à l'exception de l'hydraulique.

De tout ceci, on trouve des traces dans la presse. L'éditorial est bien obligé de remarquer que l'électricité est bien moins chère en France qu'en Allemagne pour les particuliers. Mais les conclusions sont toujours les mêmes: il faut tout remettre à plat alors que toutes les données sont disponibles pour qui veut bien prendre la peine de les chercher. L'éditorial dit vouloir un débat sur des bases rationnelles et en appelle au principe de réalité, mais fait l'impasse sur la masse de données accumulées et refuse de se livrer ne serait-ce qu'à des calculs d'ordre de grandeur. Parfois, il me semble que les mots n'ont pas le même sens dans la presse que dans le dictionnaire.