Suite à la publication de l'article de GE Séralini et son orchestration médiatique, tout le monde a pu en prendre connaissance. Dès les premières heures, les critiques allaient bon train et il semblait bien qu'on ne pouvait en fait pas tirer grand'chose de ce papier. Dernièrement, les agences chargées de l'évaluation des risques ont commencé à rendre leurs avis, comme par exemple en Allemagne ou en Australie dont l'agence collecte les réfutations d'études sans lendemain sur une page. L'EFSA a aussi publié un avis préliminaire.

En résumé, tous ces avis reprennent les critiques formulées à l'encontre du papier comme, par exemple, l'insuffisance des effectifs de rats ou du choix de la souche. Ces critiques envers le papier de Séralini ont en commun de s'appuyer sur un raisonnement qui est généralement explicité: les besoin de rats en plus et d'une souche moins prompte à développer des tumeurs s'expliquent par la nécessité de réduire les effets du bruit statistique. À ces critiques, GE Séralini et Corinne Lepage, membres du CRIIGEN qui a subventionné l'étude, répondent sur un tout autre plan.

Séralini a déclaré qu'il ne donnerait pas les données détaillées de son étude à l'EFSA parce que celle-ci ne publie pas les données que Monsanto lui a fournies pour qu'elle autorise le maïs porteur de la modification NK603 à la vente. Il affirme aussi qu'il publierait ses données sur un site web si l'EFSA publiait les données en sa possession sur le NK603. En général, les tenants de la publication ouverte des données tiennent cette action pour bénéfique en elle-même: pas besoin d'exiger une quelconque forme de réciprocité. L'attitude de Séralini revient donc de se point de vue à se prévaloir de la turpitude d'autrui. Les demandes de l'EFSA sont aussi moindres: ne lui transmettre qu'à elle les données, chacun restant propriétaire de ses données. Elle n'a donc sans doute pas le droit de publier ce que lui a fourni Monsanto, par exemple. La demande de Séralini ne pourrait alors être exaucée que si la loi change ... ce qui n'est pas au pouvoir de l'EFSA.

Corinne Lepage, quant à elle, a pris la plume pour publier une tribune où elle dénonce un conflit déontologique: la personne qui a rédigé l'avis de l'EFSA sur le papier de Séralini a aussi rédigé l'avis sur le NK603. On retrouve aussi cette contestation dans les propos de Séralini puisqu'il déclare vouloir être jugé par la vraie communauté scientifique, pas par celle qui s'exprime dans Marianne et qui est composée à 80 % de gens qui ont permis les autorisations de ces produits. Corinne Lepage dénonce aussi le fait que les évaluateurs ne devraient pas être les normalisateurs. Elle fait aussi grief à l'EFSA de ne faire que copier-coller les arguments des détracteurs de Gilles-Eric Séralini sans bien sûr expliquer en quoi c'est incorrect autrement qu'en se prévalant que les autres feraient pire, sans s'expliquer plus avant. Elle expose aussi certaines de ses revendications pour les changements de procédures à l'EFSA.

On voit donc que les opposants aux OGMs ne portent pas leur contestation sur le cœur de ce que sont les avis des instances d'évaluation des risques. En effet, comme le rappelle un exposé d'Yves Bréchet devant l'Académie des Sciences morales & politiques, un avis ne vaut pas seulement par ses conclusions mais surtout parce qu'il est fondé sur un raisonnement critique basé sur l'ensemble des connaissances disponibles, ou au moins le maximum qu'on a pu rassembler. Au fond, répondre uniquement sur les apparences, ce n'est pas répondre à l'avis. Si vraiment l'avis est partial, il doit être possible de pointer des erreurs de raisonnement ou dans la sélection des connaissances qui servent de base à l'avis.

Cependant, comme il est pratiquement impossible de pratiquer une critique approfondie d'un avis si on n'a pas soi-même de connaissances scientifiques ou si on ne dispose pas de temps pour se faire une idée, on demande que l'avis soit rendue de façon à ce que l'étude ait les apparences de l'impartialité. Il ne peut s'agir de demander que les experts n'aient d'attaches avec personne: si c'était le cas, ce ne seraient sans doute pas des experts de leur domaine. De même, on ne peut pas réclamer que les experts n'aient pas exprimé d'avis sur la question — ou une question proche — auparavant: d'une certaine façon, c'est leur métier que d'évaluer l'ensemble des connaissances disponibles sur un sujet. Les métiers techniques et scientifiques réclament souvent de savoir reconnaître les évènements qui changent une situation et donc son jugement sur la question. Prétexter que les experts aient déjà rendu un avis — qui va dans le sens contraire à ce qu'on souhaiterait — pour les disqualifier, c'est de fait mettre en cause leur honnêteté et leur capacité à accomplir leur travail d'expertise. Le nombre d'experts dans un domaine donné n'est pas non plus extensible à l'infini, ce qui fait que ce sont souvent les mêmes personnes qu'on va retrouver lors des expertises, non du fait d'un quelconque complot mais à cause des conséquences de la spécialisation des experts. C'est pourquoi les arguments de Corinne Lepage sont particulièrement infondés. Dans bon nombre de domaines, les normalisateurs — au sens de ceux qui écrivent les normes — sont des spécialistes du domaine, qui ont évalué les différentes technologies, voire qui ont créé la technologie qui est normalisée. On ne peut pas dire que le monde s'en porte si mal! De même, réclamer un changement d'auteur de l'avis parce que cet avis allait dans le sens contraire à un nouveau papier est un non-sens: l'auteur de l'avis est d'abord censé écrire l'avis de l'ensemble des experts consultés et être capable d'incorporer les informations nouvelles.

En fait, ces déclarations ne visent qu'à marquer des points dans l'opinion publique. Le reproche principal fait à l'EFSA est de n'être pas d'accord avec Séralini et Corinne Lepage, non d'être face à un quelconque conflit d'intérêts. Il s'agit de s'attaquer à la crédibilité de ceux qui ne sont simplement pas d'accord avec soi, d'avoir le loisir de choisir par qui on est critiqué, de ralentir les procédures d'autorisation et d'empêcher l'innovation d'émerger par suite de coûts de commercialisation trop importants. C'est la tactique classique qui a été déployée avec succès pour empêcher la culture des OGMs en France. C'est aussi une tactique qui est malheureusement très présente dans le champ de la politique et c'est une des raisons qui conduisent à demander des expertises. Il semble donc bien que la parution du papier soit surtout l'occasion d'une exploitation politique par les détracteurs habituels des OGMs. Il montre aussi une nouvelle fois qu'ils cherchent à pirater les institutions et les procédures mises en place dans le cadre du principe de précaution pour faire avancer leur cause, sans égards pour les faits. C'est la principale faiblesse du principe de précaution: pour que ces institutions fonctionnent bien, un minimum de bonne foi est requis et ceux qui cherchent simplement à marquer des points peuvent s'en servir pour faire campagne sans avoir à en souffrir.