Il faut revenir de Mars pour avoir manqué ce qui semble l'évènement du mois en politique nationale: que Jérôme Cahuzac a avoué posséder 600k€ sur un compte non déclaré au fisc, récemment encore ouvert chez une banque singapourienne. Depuis se succèdent, de tous bords, déclarations scandalisées et émues et appels à plus d'éthique qui, je dois le dire, me laissent de marbre.

Commençons par l'aveu de Jérôme Cahuzac. Il a donc avoué avoir caché au fisc 600k€ à la date d'aujourd'hui, le compte bancaire ayant changé de domiciliation au cours du temps. Si cette somme représente plus de 4 fois le patrimoine médian d'un français, d'autres dissimulations plus importantes encore n'ont pas fait l'objet de scandale. Qu'on en juge: lors de la campagne électorale de 2007, la candidate d'alors du PS, Ségolène Royal a dévoilé une évaluation de son patrimoine, tel que déclaré au fisc. J'en avais déjà parlé lorsque j'avais évoqué la réforme de l'ISF, mais il est intéressant d'y revenir. Dans le Canard Enchaîné du 7 mars 2007, cette déclaration était taillée en pièces pour cause de sous-estimation systématique. L'essentiel du patrimoine consistait en des biens immobiliers. Il s'avérait, notamment, qu'une villa à Mougins était déclarée comme valant 270k€, moins que la valeur du terrain (295k€ selon le Canard), et ne représentant qu'à grand' peine le tiers de la valeur totale du bien, l'estimation minimale donnée dans l'hebdomadaire étant de 850k€ … et il laisse aussi lourdement entendre qu'elle vaudrait 1M€. Il était aussi question de l'appartement de Boulogne-Billancourt, évalué à 750k€, moins que sa valeur d'achat, et alors que les prix de 2005 le donnaient à environ 1.2M€. On comprend donc que la déclaration de la candidate, même si le patrimoine à déclarer ne recouvrait pas l'ensemble de la valeur, était minorée d'au moins la même somme qu'on reproche aujourd'hui à Jérôme Cahuzac d'avoir dissimulée. On se souvient de la tempête qu'avait provoquée cet article … ou pas. On ne peut alors que remarquer la différence d'appréciation entre les 2 cas et simplement remarquer qu'il est alors fort dangereux d'appeler à ce que ceux qui dissimulent leur patrimoine au fisc soit frappés d'inéligibilité à vie.

On est en fait largement en face d'une énième illustration de ce que la détention d'un patrimoine financier est vue comme illégitime par une large part de la population française. Déjà en 1971, un scandale avait éclaboussé Jacques Chaban-Delmas qui n'avait pas payé d'impôt sur le revenu pendant plusieurs années, grâce au système de l'avoir fiscal. L'avoir fiscal représentait l'équivalent de ce qui était perçu comme impôt sur les société et mis au crédit de celui qui percevait les dividendes pour éviter une double imposition. La réaction de l'époque de Françoise Giroud montre combien ça ne la choque pas que les revenus financiers puissent être taxés du même fait plusieurs fois. Alors que, dans le même temps, l'immobilier, qui ne donne lieu à aucun flux financier quand on occupe soi-même le bien, est de ce fait libre d'impôt et c'est même un des arguments souvent avancés pour pousser les gens à acheter leur résidence principale. Il est donc bien vu d'avoir un bien notoirement sous-évalué, et dont la détention permet de faire des économies d'impôts. Il me semble donc que le scandale provoqué ait pris l'ampleur actuelle non seulement parce qu'il fait suite à un mensonge éhonté de la part du ministre du budget, mais aussi à cause de la mauvaise image du patrimoine financier en France. Pendant ce temps-là, un sénateur sur lequel pèse des soupçons d'association de malfaiteurs — en clair, d'avoir extorqué des fonds à la communauté via un système mafieux — est toujours membre du PS et ne fait pas la une des journaux, alors que Jérôme Cahuzac se serait exclu lui-même du PS par son comportement.

Tout ceci pour dire que cet épisode me fait penser à un ouvrage bien connu pour son cynisme mais jetant un éclairage intéressant sur le comportement de nos hommes politiques. Il y est dit, dans un chapitre majeur, qu'ils ne doivent rien dire à destination du public qui ne respire le Bien et toujours paraître vertueux — ce qui explique qu'aucun politique ne se réclame des enseignements de ce livre. C'est non seulement ainsi qu'a agi Jérôme Cahuzac jusqu'à ce qu'il ne puisse faire autrement, mais aussi, maintenant, l'ensemble de la classe politique. On peut aussi constater que la majeure partie de ces discours est dénuée de tout raisonnement. Personne ne se demande si, par hasard, le fait que des gens riches planquent leur argent dans des paradis fiscaux, dans des sociétés écrans ou encore minorent largement leur patrimoine n'est pas dû au fait que l'impôt sur la fortune est considéré comme illégitime, même par certains de ses défenseurs? Que les taux de taxation sur le capital découragent toute autre forme d'investissements que ce qui est exonéré, sans risque ou alors camouflé? Au lieu de cela, nous avons droit à des éditoriaux clamant que la finance offshore est l'ennemi patenté de la démocratie qui ne prennent même pas la peine d'apporter un seul élément montrant que les paradis fiscaux menacent la tenue d'élections libres, la liberté de parole, les droits individuels des citoyens, la séparation des pouvoirs, etc. Rien n'est dit sur le fait qu'en proposant un moyen de payer moins d'impôts, ils participent à limiter le pouvoir discrétionnaire de l'état, un élément essentiel de la démocratie. On peut certes arguer qu'ils permettent d'opérer en secret, mais ceci est aussi possible dans des pays qui ne sont pas considérés comme des paradis fiscaux, comme les États-Unis, par exemple.

Un autre point très important du Prince est que ce sont surtout les résultats qui comptent. Pour se maintenir, tous les moyens sont bons, conception qui, en démocratie, est devenue la fin justifie les moyens — ce qui est un progrès considérable, puisqu'on doit se justifier! Or, force est de constater que c'est le reproche principal qui est fait aux politiques: le manque de résultats, surtout, d'ailleurs, quand on les compare aux discours. On peut dire qu'en fait, pour Machiavel, les politiques d'aujourd'hui seraient de mauvais hommes d'état, puisqu'ils voient régulièrement leurs mensonges et leurs contradictions leur revenir dans la figure, ce qui doit être évité à tout prix si on comprend bien le livre!

Il faut bien dire que trouver une issue à cette situation n'est pas facile. En effet, pour arriver au pouvoir, un politique a intérêt à promettre tout ce qu'il faut pour arriver au pouvoir, même si ça doit le mettre dans une situation impossible ensuite. Il n'y a pas non plus de force de rappel contre ceux qui tiennent des propos qui ne peuvent mener qu'à la déconsidération générale des politiques s'ils l'emportent. Un bon exemple de cela est la mystification à laquelle s'est livrée Laurent Fabius lors de la campagne référendaire de 2005. Laurent Fabius a argué qu'il ne fallait adopter du traité présenté au référendum que la partie institutionnelle et que la présence du reste devait faire voter non. Comme il l'a emporté, c'est le traité de Lisbonne qui a été adopté mais tout le monde a bien vu ce qui avait été annoncé par les tenants du oui: que procéder ainsi revenait à adopter en fait le traité soumis à référendum, puisqu'en dehors des questions institutionnelles, il n'y avait pas grand chose de neuf. L'adoption du traité de Lisbonne est ainsi vue comme une filouterie démocratique alors qu'en fait il s'agissait de faire ce qu'avait proposé l'homme qui avait probablement fait basculer le scrutin.

Les politiques ne sont pas les seuls d'ailleurs à empoisonner le puits. Si la presse aide certainement à faire la lumière sur certains des mensonges des politiques, elle peut prêter le flanc voire organiser certaines mystifications. Un des exemples les plus parlants est celui du nuage de Tchernobyl. Après avoir publié les communiqués du SCPRI mentionnant le passage du fameux nuage au-dessus de la France, la presse a accusé le Pr Pellerin, dirigeant du SCPRI, d'avoir menti à ce sujet. La réalité a beau eu donner raison au Pr Pellerin sur ce qu'il a annoncé — à savoir que le nuage de Tchernobyl n'aurait aucune incidence sur la santé en France —, rien n'y fit. On peut aussi se poser des questions sur l'apparition de certaines assertions, qui se trouvent être des déformations d'informations publiées par ailleurs depuis longtemps, ainsi en est-il des 42000 morts du diésel dont on a déjà abondamment parlé.

En appeler à plus d'éthique me semble largement inutile. D'une part, comme le signale Machiavel, être en tous temps vertueux peut s'avérer nuisible pour un homme d'état; d'autre part, les nécessités de la gestion de l'état peuvent conduire à prendre des décisions qui sont contraire à une éthique individuelle. Chacun comprend bien par exemple, qu'il est bon pour chaque individu de partir tôt à la retraite, mais que pour la société dans l'ensemble, il vaudrait mieux qu'ils travaillent tous le plus longtemps possible pour qu'il soit possible de payer le plus de prestations sociales possibles. Jérôme Cahuzac fournit aussi un tel exemple: chacun a intérêt à payer le moins d'impôts possible; le ministre du budget cherche à récupérer le plus d'argent possible en dépensant le moins d'énergie possible.

Il me semble quand même qu'une partie de la mauvaise situation est due à un discours déconnecté des réalités, notamment financières, auxquelles l'état est confronté. Il y a des dépenses qui suivent une pente haussière structurellement plus rapide que le PIB. Les impôts sont déjà un niveau très élevé, ce qui impose donc de faire des économies. Le scandale provoqué par l'aveu de Jérôme Cahuzac ne vient en fait que couronner une dizaine de mois où l'impression qui se dégageait était une suite de renoncements et d'inversions de direction par rapport à ce qui avait été compris durant la campagne par les électeurs. On ne saurait donc trop conseiller aux candidats sérieux de travailler un peu. La matière est disponible, les fonctionnaires français sont souvent chargés de publier des rapports sur tous sujets, ils sont compétents et honnêtes. Cela permet de se faire une idée des options irréalistes, ce qui évite les propos aventureux qui se transforment en piège une fois au pouvoir ainsi que l'impression d'impréparation et d'incompétence qui se dégagent lorsque ce piège se referme. Cela peut aussi permettre de trouver des slogans pour lutter face aux démagogues: ceux-ci véhiculent parfois une image datée de la situation.