Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak, de l'OFCE, ont publié dans Le Monde du 24 mai puis sur le blog de l'OFCE une tribune intitulée Retraites : garantir le système social qui est de fait une sorte de bréviaire d'une partie de la gauche sur les retraites. On y lit une position qui se rapproche de celle d'ATTAC, mais argumentée de façon nettement plus sophistiquée et nettement moins vindicative. Cette tribune permet à mon sens de comprendre quelles sont les fondements du désaccord profond qui existe sur les retraites. Elle recèle pour moi de nombreuses idées fausses et, pire, répand des mensonges.

Dès le départ, avant de reproduire le texte de la tribune telle que publiée dans le journal Le Monde, le texte du blog résume la thèse défendue en affirmant qu'une nouvelle réforme des retraites ne devrait pas être une priorité pour la France à l’heure actuelle. Même si l'OFCE n'est pas connu pour défendre la limitation de la dépense publique, le sujet des retraites est pourtant l'archétype de ce à quoi on peut toucher maintenant pour favoriser un rétablissement progressif des comptes publics, que le même OFCE ne semble pas refuser, même quand il appelle à en finir avec l'austérité (un exemple). Les mesures prises aujourd'hui ne produiront leurs effets que progressivement, car il est toujours prévu que les paramètres s'ajustent progressivement. Par exemple, les effets de la réforme Sarkozy de 2010 vont s'étaler jusqu'en 2022 pour faire passer à 67 ans l'âge légal de la retraite, où chacun peut partir sans décote même s'il n'a pas le nombre de trimestres requis. Si la position de l'OFCE est que le rétablissement des comptes publics ne doit pas se faire maintenant dans l'urgence ni progressivement à l'avenir, la conclusion est qu'en fait, l'OFCE ne veut pas qu'il se produise.

Les buts du système de retraites

Les auteurs donnent les objectifs que doit, selon eux, atteindre le système de retraites:

Ce système doit être contributif (la retraite dépend des cotisations versées), mais aussi rétributif (la retraite rémunère la contribution à la production, mais aussi l’élevage d’enfants ; ceux qui ont connu chômage ou maladie ne doivent pas être pénalisés) et redistributif (la société doit assurer un niveau de vie satisfaisant à toutes les personnes âgés). Il doit être socialement géré : l’âge de fin d’activité doit tenir compte de la situation de l’emploi comme du comportement des entreprises. Ses règles doivent être adaptées en permanence à l’évolution économique et sociale.

L'objectif rétributif est tout sauf évident. L'exemple donné, élever des enfants, montre au contraire combien cet objectif est profondément daté. Historiquement, les enfants ont été élevés par des femmes qui restaient au foyer. C'est au fond la raison des pensions de réversion et des divers compléments de retraite à base «familiale». S'ils n'existaient pas, ces femmes âgées relèveraient du troisième objectif — dont fait partie le minimum retraite — car elles n'auraient acquis aucun droit, faute de travailler. Ce système leur permettait donc de maintenir leur niveau de vie à un niveau acceptable. La situation a pourtant bien changé: aujourd'hui le taux d'activité des femmes a fortement augmenté, les inégalités de retraite de ce fait sont en train de diminuer et vont continuer à le faire. Ainsi, selon le 12ᵉ rapport du COR (p37), les pensions versées aux femmes augmentent deux fois plus vite que celles versées aux hommes.

Ce type de système est fondamentalement vicié et inefficace: qui peut croire que bénéficier d'un complément de retraite, versé quand les enfants seront partis, est la priorité des parents d'aujourd'hui ou de demain? On peut tout de même penser qu'ils préfèreraient toucher plus d'argent maintenant au titre de la politique familiale. Or la réforme précédente a augmenté la part des suppléments familiaux imputée aux allocations familiales et cela va sans doute conduire à la réduction des prestations familiales. De la même façon, les retraites ne sont pas le bon outil pour traiter les conditions de travail. D'abord, il y a un grand risque que les négociations sur la pénibilité débouchent en fait sur un bénéfice pour des professions plus fortement syndicalisées mais dont les conditions de travail ne sont pas si mauvaises. Le risque est aussi très grand que le classement de pénibilité ne change jamais à l'avenir même si les conditions de travail s'améliorent. Enfin, le dernier risque est que cela serve d'excuse à ne pas chercher à améliorer les conditions de travail, car il y aurait une sorte de rétribution après la période de travail. Ce genre de choses est à juste titre vu comme inacceptable; c'est la logique des préretraites pour exposition à l'amiante.

On remarque aussi que pour les auteurs, on doit tenir compte du comportement des entreprises, soupçonnées d'être responsables du chômage des plus de 55 ans. En fait, il y a nombre de raisons de penser que le système a été exploité via des accords entre les salariés et les entreprises, bien heureux de bénéficier de systèmes permettant d'arrêter de travailler plus tôt. La dispense de recherche d'emploi a été un thème récurrent du blog de verel, et il a constaté dernièrement que le taux d'emploi des plus de 55 ans avait augmenté suite à sa suppression. Il est aussi particulièrement scandaleux pour des économistes de propager le mythe selon lequel le travail des vieux se substitue à celui des jeunes, un avatar de l'idée selon laquelle la masse de travail rémunéré dans la société serait un gâteau de taille fixe qu'il faudrait se partager.

Le système des retraites doit se limiter à un système contributif de revenu de substitution lorsqu'on a travaillé suffisamment longtemps ou qu'on arrive à un certain âge, doublé d'un système de protection sociale comme le minimum vieillesse, pour éviter les situations de misère complète. Mais en aucun cas les retraites ne doivent servir de fusil à tirer dans les coins ou de compensations pour des dommages passés. Si compensation il doit y avoir, elle doit autant que possible être versée dès la réalisation du dommage.

L'équilibre financier du système

Les auteurs affirment au cours de la tribune qu'il souhaitent que les pensions soient indexées sur les salaires, au lieu de l'inflation à l'heure actuelle. Ils refusent catégoriquement toute désindexation et tout gel des retraites. Ils souhaitent que les ratios pensions/salaires actuels soient maintenus. Dans le même temps, ils affirment que c'est la croissance qui doit résorber les déficits sociaux. Or les projections contenues dans le 11ᵉ rapport du COR, auxquelles j'ai consacré un billet en mars dernier, montrent que ce sont des assertions incompatibles entre elles. Les scénarios de forte croissance voient les système de retraite s'équilibrer — au cours de la décennie 2030 en cas de plein emploi et hausse de la productivité de 2%/an — que grâce à une baisse importante du ratio pension/salaire (graphe ci-dessous, scénario A')… baisse permise par l'indexation sur les prix et non les salaires. Pensions_COR.jpg Comme il est impossible de croire que les auteurs ne connaissent pas ces projections, on est réduit à constater qu'ils profèrent sciemment un mensonge et camouflent l'ampleur des conséquences de ce qu'ils proposent. De plus la croissance qu'ils appellent de leurs vœux est tout sauf une certitude, même si les recommandations de l'OFCE étaient appliquées.

Car pour financer cela, au lieu de l'adaptation à l’évolution économique et sociale proclamée au départ, ils proposent de figer les durées de cotisation et les âges de départ aux niveaux déjà actés par les réformes de 2003 et de 2010. La seule variable d'ajustement qui trouve grâce à leurs yeux est l'augmentation des cotisations sociales puisqu'ils écrivent que le gouvernement et les syndicats doivent annoncer clairement que c’est par la hausse des cotisations que le système sera équilibré. Comme ils souhaitent une indexation sur les salaires au lieu des prix, la situation du système de retraites serait pire que celle prévue dans le scénario C' du COR qui prévoyait des hausses de salaires 1% supérieures à l'inflation, et donc à l'évolution des retraites. Ce scénario prévoyait des déficits annuels très importants, de l'ordre de 2.5% du PIB au cours de la décennie 2030. L'abaque 2040 proposée p135 montrait un besoin d'augmentation des cotisations de plus de 5 points de pourcentage, soit une baisse très significative du pouvoir d'achat des actifs qui devraient aussi financer des dépenses de santé accrues.

De fait, je pense toujours qu'augmenter l'âge de départ à la retraite est la meilleure option. Non seulement elle permet de limiter les hausses de cotisation et les gels de pension, mais cela permet aussi d'augmenter la population active et donc sans doute le PIB, contrairement à ce qu'annoncent les auteurs. Dans ce cas, les rentrées fiscales seraient supérieures au cas où on laisserait partir les gens à la retraite comme ce qui est déjà acté, ce qui permettrait de financer plus facilement les dépenses de santé et les autres priorités du moment. Mais les auteurs n'en ont cure: toute la tribune est consacrée en fait au maintien du statu quo ou à des hausses de dépenses, pour finalement tout faire financer par des hausses d'impôts. Il faut ajouter pour faire bonne mesure que les auteurs refusent que les hausses d'impôts se produisent quand la croissance est faible. Comme cette situation risque d'être durable, ils préconisent en fait de laisser se creuser le déficit des caisses de retraites. Les conséquences à long terme pourraient être tout simplement désastreuses, notamment pour ceux qui s'approcheraient de la retraite dans une vingtaine d'années. En attendant, les gens de la génération de Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak auront bénéficié de méthodes de calcul très favorables par rapport à ceux qui devront gérer le désastre.