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9 avril 2016

Les ondes radio sont sans danger

Les ondes électromagnétiques constituent un domaine très vaste puisque le spectre électromagnétique ne connaît pas de limite de fréquence. Il s’étend des rayons gamma aux ondes radio en passant par le visible. En ce sens, elles sont présentes partout autour de nous.

800px-Domaines_du_spectre_e_lectromagne_tique.svg.png Le spectre électromagnétique (par Benjamin ABEL — Wikimedia Commons)

Mais ce qui est souvent affirmé publiquement de nos jours c’est que la partie du spectre utilisée pour les télécommunications ― une partie des micro-ondes ― est dangereuse pour la santé. Remarquant en quelque sorte la proximité entre la fréquence utilisée dans les fours à micro-ondes (2.45GHz) et celle utilisée par le WiFi (autour de 2.4GHz), on pourrait certes se demander si le WiFi ne nous cuisinerait pas à feu doux.

Quelques ordres de grandeur

Commençons par quelques remarques sur le spectre électromagnétique dont les ondes radio sont une partie, tout comme la lumière visible ou les rayons X (voir la figure ci-dessus).

Il est classiquement découpé suivant les fréquences des ondes qui se propagent, qui leur donne des caractéristiques bien différentes. En effet, toute onde électromagnétique représente le déplacement de photons. Plus la fréquence est élevée, plus l’énergie d’un photon est élevée. Les photons de la lumière visible ont ainsi chacun une énergie environ 500 000 fois plus élevée qu’un photon d’une onde radio à 1GHz.

Les photons dans le domaine des Ultra-Violets peuvent induire des réactions chimiques du fait de leur grande énergie. Pour les photons des ondes radios, c’est impossible : il faudrait que 500 000 photons passent au même endroit au même moment !

Le nombre de photons transportés peut varier avec l’énergie transportée. Elle est comptée en W/m². Une autre façon de mesurer un champ électromagnétique est de s’intéresser au champ électrique en V/m. La relation entre les deux est quadratique : quand le champ est 2 fois plus faible, l’onde transporte 4 fois moins d’énergie, et 100 fois moins quand le champ est divisé par 10.

Pour donner des ordres de grandeur, à midi solaire et sans nuages, la puissance reçue est entre 500 et 1000W/m² sous nos latitudes suivant la période de l’année. Dans le domaine des ultraviolets, la puissance est de l’ordre de 1 à 2W/m² pour les UVB et 30W/m² pour les UVA. Comme les photons ultra-violets sont très énergétiques, il peuvent induire des dégâts sur l’ADN dans les cellules de la peau, contrairement aux ondes radio. Les ultraviolets, notamment les UVB, sont ainsi jugés responsables par l’OMS de 80 à 90 % des mélanomes malins, dont il y a plus de 10000 cas par an en France. Cela explique que les pouvoirs publics appellent à faire attention à son exposition au Soleil.

On peut aussi donner un aperçu des différences qu’il peut y avoir entre le four et le WiFi : un four à micro-ondes en fonctionnement consomme à peu près 1000W, dont mettons 50 % est transformé en rayonnement. L’onde reste confinée dans l’espace où on met les aliments qui mesure à peu près 20cm de côté. En face de cela, un routeur WiFi va péniblement émettre 100mW (10 000 fois moins!) pour permettre de couvrir un appartement de 100m². Les puissances en jeu n’ont donc rien à voir !

Les recommandations

Dans le domaine des ondes radio, il existe un organisme reconnu par l’OMS qui s’occupe d’étudier la question des impacts sur la santé : l’ICNIRP. Cet organisme publie notamment des recommandations (en, fr) où l’état de la science est passé en revue. Pour ce qui concerne les fréquences utilisées pour les télécoms et le WiFi, l’effet sur le corps humain consiste en une hausse de la température. Il n’y a aucun effet comme les atteintes directes à l’ADN : chaque photon ne transporte pas assez d’énergie pour briser des liaisons chimiques.

Pour établir sa recommandation pour le public, la commission regarde quel champ provoque un échauffement de 1°C du corps humain, puis divise le flux de puissance par 50. Au final, on a donc un échauffement local dû aux ondes de 0.02°C. Les valeurs sont données dans le Tableau VII ci-dessous. Reco_ICNIRP.jpg On y voit que pour le WiFi (autour de 2.4GHz), la recommandation est de 61V/m, soit 10W/m², et à 900MHz, fréquence historique du téléphone mobile, de 41V/m. La réglementation française reprend ces valeurs.

En ce qui concerne les antennes, en Angleterre, on a constaté que les niveaux dus aux antennes ne dépassaient pas 2% de la recommandation (en termes de puissance). En France, plus de 97% des mesures sont à moins de 10% de la recommandation en termes de champ. Comme dit plus haut, cela correspond à 1% en termes de puissance et donc d’échauffement. 80% des mesures sont à moins de 2V/m soit 0.25% de la recommandation en termes de puissance pour la bande des 900MHz. On constate donc qu’en dehors de cas exceptionnels, l’échauffement dû aux antennes est inférieur à 0.0002°C.

Quant aux téléphones, on peut accéder aux données des fabricants les plus connus sur leur site internet (exemple). Les émissions sont souvent proches de 50 % de la recommandation, soit un échauffement dû au champ radio de 0.01°C.

Les études épidémiologiques sur le cancer et les ondes radio

Même si on voit qu’a priori il y a toutes les chances pour que les ondes radio n’aient pas d’incidence sur la santé des études épidémiologiques ont été conduites pour vérifier si c’était bien le cas.

L’étude la plus mentionnée est sans doute INTERPHONE. Parmi les résultats médiatisés de cette étude, il y aurait une augmentation du risque de certains cancers pour les 10 % des plus gros utilisateurs. Cependant, même si c’était confirmé, cette augmentation du risque serait extrêmement faible: le surplus de cas de cancer serait de 60 par an, à comparer aux 350000 cas annuels, tous cancers confondus.

L’étude comporte aussi un biais important : elle se base sur l’utilisation du téléphone rapportée après coup par les malades. Comme le cancer se développe avec un temps de latence important, il est aisé pour les gens de se tromper de bonne foi. Il faut donc pour bien faire confirmer à l’aide d’autres types d’études. C’est ainsi qu’une étude danoise de cohorte suivant l’état de santé de toute la population sans a priori n’a trouvé aucun effet. De même, si les téléphones ont un impact important sur l’apparition de certains cancers, on devrait le constater via une augmentation du nombre de ces cancers. Or, ce n’est pas le cas: le nombre de cas de cancers qui pourrait être liés au téléphone est stable, malgré l’utilisation intensive qui en est faite depuis maintenant de longues années.

gliome_model_comparison.jpg Incidence constatée du gliome (type de cancer) comparée à différents modèles.

Dans d’autres domaines, on n’a pas constaté de maladies professionnelles liées aux ondes radio (exemple avec les radars). Tout porte ainsi à croire que les ondes radios utilisées pour les télécoms n’ont pas d’effet délétère sur la santé. Comme le dit l’OMS : « À ce jour, il n’a jamais été établi que le téléphone portable puisse être à l’origine d’un effet nocif pour la santé. »

Le cas des électro-hypersensibles

Mais alors, pourquoi y a-t-il des articles dans les journaux sur les électro-hypersensibles ? La réponse est que si ces gens sont bien malades, la cause n’est pas celle qu’ils dénoncent. En effet, les expériences scientifiques ont toujours montré que le corps humain ne peut détecter les ondes radio. Les résultats sont les mêmes que l’exposition soit réelle ou simulée :

  • Lorsqu’ils étaient réellement exposés à des ondes radio, les électro-hypersensibles mentionnaient de plus forts maux de tête dans 60 % des cas
  • Lorsqu’ils étaient exposés de façon factice à des ondes radio, ils mentionnaient de plus forts maux de tête dans 63 % des cas, une proportion très similaire.

C’est ce qui a amené l’AFSSET (depuis devenue l’ANSES) à écrire que « les seuls résultats positifs obtenus à ce jour sur le plan thérapeutique sont ceux obtenus par des thérapies comportementales ou des prises en charge globales. » L’OMS est du même avis, puisqu’elle déclare qu’il n’y a «aucune base scientifique» reliant ces symptômes aux champs électromagnétiques.

On peut donc dire que ces articles alertant sur le cas des hypersensibles ne donnent pas un bon aperçu du consensus scientifique et qu’accepter sans distance critique le regard que les malades portent sur leur propre condition n’est pas le meilleur service à leur rendre.

Conclusion

Les ondes radio utilisées dans les télécoms sont sans danger pour la santé humaine. C’est ce qu’il ressort du consensus scientifique sur la question. Au fond, c’est cohérent avec l’historique qu’on en a : les ondes radio sont utilisées depuis plus d’un siècle et l’invention de la radio, ses usages n’ont fait que se développer. Les travailleurs du secteur (radio, radars, …) ont donc été plus fortement exposés que le public d’aujourd’hui, mais aucune maladie professionnelle n’a été détectée.

Il serait donc dommage de se priver d’inventions parmi les plus utiles des 40 dernières années et qui vont continuer à trouver de nouvelles applications. Le téléphone portable est devenu un moyen presque indispensable de communication et rend de grands services, au point que la fin des «zones blanches» est devenue une revendication des élus de zones rurales.

L’activité législative restrictive en ce domaine est déplorable, en ce qu’elle amène jeter le doute sur le consensus scientifique d’innocuité.

NB : ce texte s’inspire de 2 textes en anglais, sur le site du Guardian et FiveThirtyEight.com ; ainsi que de ce billet du pharmachien.

25 janvier 2014

Décongélation

Il y a un an à peu près, une proposition de loi écologiste était renvoyée en commission. Elle a fait cette semaine son retour dans l'hémicycle et elle a cette fois été adoptée. Même si le contenu, après décongélation, a été notablement altéré par rapport à la version précédente, on ne peut que constater la victoire des écologistes et des associations anti-antennes qui ont là fait un premier pas, selon une tactique bien rodée.

Il n'est pas nécessaire d'aller bien loin pour voir cette tactique détaillée: il s'agit de mettre un pied dans la porte en accréditant l'idée que les ondes émises à des fins de communications sont dangereuses, d'interdire la publicité auprès des jeunes de gadgets électroniques, d'augmenter la paperasserie demandée afin de provoquer un choc de simplification de pouvoir attaquer les permis de construire, de publiciser les choses pour pouvoir faire le siège des mairies. À ce propos, j'ai pu constater que le projet, près de chez moi, de construction d'une antenne relais à la place d'une maison à l'abandon suscite une opposition très localisée — avec, à certains moments, les 3 numéros en amont et en aval aux couleurs de Robin des Toits — et la maire s'est fendue d'un message dans le journal de la commune pour dire qu'elle s'opposait à ce projet. Alors même qu'en certains points de mon immeuble, on ne capte pas de signal — ce qui peut-être aussi dû aux caractéristiques du bétonnage local. J'ai aussi remarqué que sur mon lieu de travail, situé à quelques kilomètres, la 3G n'était disponible qu'en des endroits très particuliers. Bien sûr, ces demandes de renforcement des procédures par les associations anti-antennes ne feront qu'augmenter, prenant prétexte de la préoccupation des citoyens, elle-même alimentée en partie par l'inscription à l'agenda de débats pareils. Cette tactique est bien connue, l'obstination dont ont fait preuve les élus écologistes en fait partie.

Une autre partie de l'offensive est médiatique. Une fois de plus, force est de constater que, face à des activistes très motivés, le consensus scientifique et son langage pusillanime ne font pas le poids. Ainsi cet article du Figaro, peu suspect de sympathie pour les thèses écologistes, où à chaque énoncé de la position orthodoxe, la position hétérodoxe a droit à un exposé bien plus long, mais vide de faits autres qu'anecdotiques. Ce même journal nous gratifie aussi du récit au premier degré et sans aucune critique d'une malade. L'article du Monde nous rappelle la monographie du CIRC mettant les champs radio-fréquences en classe 2B. Mais bien sûr pas un mot sur les autres membres de cette classe, comme des substances aussi strictement régulées que le café, les extraits de gingko biloba et d'aloé vera, ou les légumes conservés dans du vinaigre. Et bien sûr pas un mot de l'évaluation du pire cas possible: même en tirant le maximum de ce qu'on pouvait dire d'une seule étude sur le sujet, les antennes n'étaient pas dangereuses, mais j'avais pu calculer qu'une utilisation très intensive du téléphone pouvait à l'extrême provoquer 60 cancers par an en France. Une lecture cursive le montre rapidement: dans la presse, la possibilité d'une absence de danger n'est mentionnée qu'en passant ou en faire-valoir de l'opinion contraire, alors même que c'est le consensus scientifique sur la question.

Disons le simplement: les radio-fréquences ne sont pas un danger réel. En bientôt 100 ans d'usage de la radio, aucune maladie professionnelle n'a été signalée. L'usage massif du portable depuis plus de 10 ans aurait dû donner lieu à une explosion de maladies en cas de danger important. Au contraire, les innovations que les radio-fréquences ont permises ont sauvé des vies en grand nombre. Elles rendent aussi de grands services à la population et c'est la raison pour laquelle cette technologie a été aussi rapidement adoptée. Plutôt que de parler d'activité économique, c'est là le fait marquant du téléphone portable: un objet utile à la population et qui ne pose pas de problème de danger en lui-même. Et que voit-on? La presse fait maintenant campagne contre un objet de tous les jours et les députés votent une loi contre cette technologie dont l'utilité ne se dément pas. Ce qui amène au fond la question: le téléphone portable, voire même la télévision, la radio, le radar, tout cela serait-il autorisé s'ils étaient inventés demain? Plus largement, si une nouveauté fort utile pour la population en général apparaissait demain, les politiques n'auraient-ils d'autre empressement que de l'interdire?

6 septembre 2013

Dimitris

Ce dimanche, le Monde nous a gratifié d'un article sur ceux qui se nomment électro-hypersensibles. On nous présente le cas de plusieurs personnes. Une femme se dit intolérante à diverses fréquences allant du 50Hz du courant électrique aux micro-ondes, elle semble vivre en permanence avec un bracelet anti-statique. Elle l'utilise pour se mettre à la terre, alors que, marchant pieds nus, sa conductivité électrique, que sous-entend la prise au premier degré de son affection, devrait lui permettre se décharger automatiquement. Un homme est aussi atteint après avoir eu une vie frénétique en travaillant sur plusieurs continents. Un autre se dit aussi atteint, de plus, il ne supporterait aucun produit chimique. À première vue, il s'agit d'un rassemblement de personnes souffrant effectivement d'une ou plusieurs affections handicapantes, puisque, par exemple, l'électricité est devenue omniprésente dans le monde moderne. Cela dit, rien ne dit que le diagnostic que ces personnes portent sur elles-mêmes soit le bon.

On s'aperçoit que la journaliste a tout de même une intime conviction: les téléphones portables sont bien responsables. Elle nous dit que ce sont des symptômes que nombre de médecins, démunis, attribuent encore régulièrement à des troubles psychiatriques ou psychosomatiques et que la controverse est loin d'être tranchée chez les scientifiques et divise la classe politique. Ainsi donc, il semble qu'il ait encore des médecins qui n'ont pas vu la lumière et qui osent encore attribuer ces symptômes à des causes psychiatriques. Il y aurait aussi une controverse scientifique. Les lecteurs réguliers de ce blog se rappelleront sans doute que j'ai déjà abordé ce thème par deux fois. On peut résumer le consensus scientifique en signalant que l'ANSES rappelait que les seuls résultats positifs obtenus à ce jour sur le plan thérapeutique sont ceux obtenus par des thérapies comportementales ou des prises en charge globales et qu'un article scientifique a montré que ces personnes étaient bien incapables de détecter les ondes auxquelles elles imputaient leurs maux. Il est aussi très étonnant qu'aucune explication ne soient apportée au fait qu'après plus d'un siècle d'utilisation du courant alternatif et des techniques utilisant les ondes radio, ce n'est qu'avec le téléphone portable que sont apparus ces électro-sensibles.

On se trouve ainsi dans un cas où la situation est présentée sous un jour tout à fait particulier et on ne peut s'empêcher de remarquer qu'on nous avait déjà fait le coup en 2008. La dispute politique, par contre, est bien réelle; elle est portée par les écologistes. Par une coïncidence extraordinaire, cet article est publié juste après la publication d'un rapport concluant à la multiplication par 3 du nombre d'antennes si on voulait passer en deçà du seuil arbitraire et sans justification de 0.6V/m en gardant une bonne qualité de service. En attendant, dans certains immeubles, on a du mal à capter le signal, alors que le téléphone portable est aujourd'hui le seul téléphone pour un certain nombre de ménages, grâce notamment à son faible coût puisque pour 2€ par mois et un appareil à 20€ on peut appeler de partout, alors qu'un ligne fixe réclame de l'ordre de 15€/mois d'abonnement et oblige à payer un raccordement de 50€.

La revendication qui est porté par le rassemblement qui nous est décrit mérite aussi le détour: la création de zones sans ondes. Cette revendication est impossible à satisfaire depuis que Marconi a inventé la radio, notamment à ondes courtes, que le courant alternatif alimente tous les équipements du confort moderne et que le téléphone satellite a fait son apparition. Elle est directement inverse à celle des élus et de la plupart des habitants qui ont réclamé à cor et à cri une bonne couverture par le téléphone portable, non sans succès puisqu'on a rapporté des cas de personnes sauvées par des messages envoyés depuis un endroit autrefois improbable. Cette revendication s'accompagne d'une menace d'utilisation de la violence puisque la zone blanche, on la prendra s'il le faut. Cette revendication a donc pour principal intérêt de faire passer ceux qui veulent limiter l'exposition pour des modérés préférant la paix.

Cette semaine, un journaliste a aussi fait part des raisons qui l'ont amené à quitter le journal qui l'employait. Son employeur le soupçonnait en fait de n'être guère impartial quand il voulait couvrir les évènements entourant la contestation de la construction de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Il faut dire qu'il qualifie de magnifiques 3 jours sur place en compagnie des contestataires. Pourtant d'autres échos laissent entendre un quotidien de racket et de vols dans les supermarchés pour les habitants, priés d'être contre l'aéroport sous peine de rétorsions bien réelles. On le voit, la réalité montrée dépend fortement du point de vue de celui qui tient le stylo ou, de nos jours, le clavier. Sans surprise, la vision relayée reflète les opinions politiques de l'auteur, sans que le lecteur n'ait de moyens rapides de vérifier quels faits auraient pu être occultés, voire même qu'on lui raconte en fait n'importe quoi. Autrefois, des puissants accréditèrent le récit d'un homme sans qu'il ne fût nécessaire qu'ils y crussent, car c'était expédient pour leur cause politique. Aujourd'hui, les choses n'ont peut être pas tant changé; si la cause politique a des chances de remporter un succès, il est loin d'être sûr que les malades qu'on nous montre bénéficient vraiment, à terme, d'un relais sans critique de leur croyances.

6 février 2013

Envoi au congélateur

Ce jeudi 31 janvier venait en discussion une très prévisible proposition de loi écrite par le groupe écologiste à l'Assemblée Nationale. Il y était donc prétendûment question de faire jouer le principe de précaution en matière d'émission d'ondes électromagnétiques.

On a déjà abordé la question dans le passé, on peut résumer la situation ainsi:

  • Il existe une recommandation internationale qui donne comme limite une superbe formule croissante dans la zone de fréquence du GSM de 61V/m à 137V/m puis constante au-delà, zone où on trouve notamment les bandes de fréquence du Wifi. À 900MHz, bande de fréquence originelle du GSM, la recommandation est de 90V/m. La recommandation est fixée en estimant la densité d'énergie du champ pour augmenter la température du corps de 1°C, puis divisée par un facteur 50 (p16).
  • la réglementation française fixe des seuils encore plus bas, puisqu'ils représentent moins de 50% de la recommandation en termes de champ électrique — donc 4 fois moins en densité d'énergie. À 900MHz, le champ maximal autorisé est d'environ 41V/m.
  • des mesures effectuées en Angleterre n'ont jamais réussi à détecter plus de 0.2% de la recommandation en densité d'énergie.
  • par contre les téléphones portables peuvent émettre nettement plus, jusqu'à 50% et plus de la recommandation, comme on peut le constater avec les informations données par les fabricants. Mais il s'est avéré extrêmement difficile de démontrer un effet nocif de l'usage intensif du téléphone portable du fait du rayonnement électromagnétique: dans mon post sur le sujet, j'avais pu estimer le pire cas à 60 cas de cancers par an.
  • le rapport de l'ANSES de 2009 ne laissait aucun doute sur le fait que les fameux électro hypersensibles relevaient de la psychiatrie. On trouve ainsi dans l'avis le passage suivant (p13): les seuls résultats positifs obtenus à ce jour sur le plan thérapeutique sont ceux obtenus par des thérapies comportementales ou des prises en charge globales
  • ce même avis se montrait surtout préoccupé par les téléphones et pas du tout par les antennes. Quant à la réduction de l'exposition, c'était le service minimum: il estimait que dès lors qu’une exposition environnementale peut être réduite, cette réduction doit être envisagée.

Les écologistes ont profité de leur niche parlementaire pour déposer une proposition de loi sur ce sujet. Étant donné l'utilité réelle de ces niches, qui servent à donner des gages à son électorat quand on n'est pas le parti majoritaire, ils ont, comme prévu, abordé tous les sujets sans impact sur la santé — les antennes, le Wifi, les électro-hypersenibles — et ignoré le seul qui aurait à la rigueur mérité qu'on y passât 5 minutes — le téléphone lui-même. Ce n'est pas un hasard, puisque la partie la plus bruyante de leur électorat n'est absolument pas préoccupée par le combiné, mais veut surtout disposer d'armes juridiques pour s'opposer à l'implantation d'antennes. Ainsi, on aurait obligés les opérateurs à une tracasserie administrative de plus — une étude d'impact — dont on se doute que la non-réalisation ou une réalisation en dehors des formes aurait valu annulation du permis de construire. Ou encore à une baisse du champ maximal autorisé à 0.6V/m — valeur déterminée de façon arbitraire, c'est 1/100e du champ maximal autorisé au delà de 2GHz — obligeant à la multiplication des antennes et, incidemment, à une augmentation des émissions des téléphones. Pour finir, on voit bien quel potentiel peut offrir la reconnaissance du trouble des électro-hypersensibles ainsi que la désignation d'une cause officielle, totalement disjointe de celles déterminées par la science. Les écologistes pouvaient compter sur leurs relais habituels pour faire connaître leur action, aidé en cela par les caractéristiques de l'histoire qu'on peut raconter: un procédé technique mystérieux car invisible, des morts insaisissables mais des malades très visibles, un document à charge sorti opportunément, des industriels forcément mus par leurs seuls intérêts financiers repoussant d'un revers de main les arguments d'activistes bien organisés mais sans gros moyens autres que symboliques.

Lors du débat, les défenseurs de la proposition se sont reposés sur des topos de l'écologie politique ainsi que sur des déformations de faits relevés ailleurs, au grand dam de l'auteur d'un rapport sur la question. Les autres parlementaires semblèrent, en gens de bonne compagnie, presque s'excuser de vouloir vider la proposition de son contenu, ne se laissant aller à des piques qu'à quelques moments comme lorsqu'on demanda à l'auteur de la proposition si elle possédait un téléphone portable. Mais, plus que les mots de la ministre, ce qui montre l'attitude du gouvernement envers cette proposition, c'est que le groupe socialiste, certainement en toute indépendance, a déposé à la dernière minute une motion de renvoi en commission, équivalente à un renvoi au congélateur. Cette mauvaise façon a permis d'abréger les débats et de montrer que, finalement, mieux valait subir jusqu'au bout l'obstruction clairement affichée de l'opposition et appuyée dans l'hémicycle sur des arguments douteux sur un autre sujet que les complaintes des écolos et leur opposition à ce qui est, sans doute, une des plus utiles inventions des 25 dernières années.

4 novembre 2011

Le principe de précaution, principe juridique dévoyé

Épisode précédent: le principe de précaution, principe juridique raisonné

On a vu que le principe de précaution était surtout une évolution du droit existant, il se caractérise par une exigence moindre en matière de preuve, en cela que de simples indices peuvent suffire. Mais les limites au pouvoir discrétionnaire de l'état sont toujours les mêmes: il doit y avoir une base rationnelle à l'action, les bénéfices et les risques — y compris économiques — doivent être évalués, les moyens mis en œuvre proportionnés à l'enjeu, les règles de preuves sont toujours les mêmes. Il arrive cependant que la mécanique se dérègle.

Il en est ainsi de l'arrêt anti antennes relais de la cour d'appel de Versailles de février 2009 qui a eu une certaine célébrité et fait l'objet de divers commentaires, du relativement serein au nettement plus négatif.

Les plaignants arguaient que la présence d'une antenne relais construite par Bouygues Télécom leur causait un trouble anormal du voisinage du fait de dommages potentiels pour la santé qu'on pouvait pressentir du fait de diverses controverses.

Plus précisément, les plaignants mettaient en cause les émissions tant dans le domaine des radiofréquences que dans celui des basses fréquences. Le domaine des basses fréquences s'étend de 1Hz à 1kHz, les radiofréquences de 1kHz à 300GHz. Ils mesurèrent un champ électrique compris entre 0.3V/m et 1.8V/m (cf p7 §4). En réponse, Bouygues fit valoir les normes proposées par l'ICNIRP à savoir que pour les radiofréquences, dans le domaine d'émission considéré, autour de 1.8GHz, la recommandation d'exposition limite pour le public est de 61V/m. Au moment du jugement, la recommandation pour les basses fréquences n'était pas encore publiée mais elle donne pour limite un champ de 5kV/m. On s'aperçoit donc que le champ mesuré correspond à environ 3% de la limite recommandée pour le champ électrique, soit 0.09% en termes de densité de puissance, ce qui est cohérent avec d'autres mesures effectuées en Angleterre où aucune zone accessible au public n'était irradiée à plus de 0.2% de la recommandation. On conçoit qu'alors, les plaignants ne pouvaient que contester radicalement le consensus scientifique et de chercher à se prévaloir d'une controverse scientifique.

Le fait que les basses fréquences provenant d'une antenne relais soient retenues comme une cause possible d'angoisse est un signe d'un jugement douteux. La cause probable de cette émission est en effet le courant fourni par le réseau électrique d'une fréquence de 50Hz (cf p8 §4). Retenir que de faibles champs électriques à ces fréquences puissent être la source d'une angoisse légitime auraient des conséquences drastiques sur le monde moderne en obligeant à revoir complètement le réseau de distribution électrique ainsi que nombre d'appareils! C'est aussi complètement à l'opposé de ce qui a été constaté au cours du 20e siècle: l'électricité est historiquement associée à une baisse de la mortalité et de la morbidité.

Les plaignants s'attachent donc à montrer qu'il existe une controverse scientifique, il font ainsi référence à divers «appels». Il s'agit de (cf p9 §3):

  1. L'appel de Salzburg où est recommandée une limitation de l'exposition à 100mW/m², alors que les plaignants arguent d'une exposition de 9mW/m² au maximum
  2. L'appel de Freiburg où des médecins disent constater une corrélation entre diffusion des équipements radiofréquences et diverses maladies. Les signataires se gardent de citer une quelconque étude scientifique et, mieux, ils contestent les résultats des études qui vont à leur encontre comme influencés par l'industrie. On apprend tout de même qu'à cette époque la cour constitutionnelle allemande considère le risque comme seulement hypothétique.
  3. L'appel de Bamberg, simple tract des opposants aux radiofréquences
  4. L'appel d'Helsinki où on nous cite pour la première fois une étude scientifique portant sur l'usage du téléphone portable. Il faut ici rappeler que les émissions dues au téléphone lui-même sont nettement plus fortes pour l'utilisateur à cause de la proximité du téléphone mobile. C'est d'ailleurs confirmé par les données fournies par les fabricants: on est souvent autour de 50% de la recommandation. Il y n'a donc guère qu'un facteur 500 de différence sur la dose reçue.
  5. La résolution de Benvenuto passée par l'ICEMS, dont une consultation rapide du site web donne à penser qu'il s'agit d'une dissidence de l'ICNIRP où les membres ne purent se faire entendre. Cette résolution jette aussi le doute sur les concurrents, affirmant qu'ils sont corrompus par l'argent du commerce.

Ces appels ont en commun de ne proposer aucune évaluation du risque posé par les antennes. On savait déjà à l'époque qu'il était bien difficile de lier l'utilisation du portable et des maladies, vu qu'aucune étude n'avait eu de conclusion définitive 15 ans après l'introduction du téléphone portable. On sait aujourd'hui que les effets cancérigènes ne se produiraient qu'avec un usage intensif et encore les preuves sont-elles limitées et certains ne sont pas du tout convaincus. Il est même depuis apparu une étude jugeant qu'il n'y avait aucun lien. Cela n'empêche pas la cour d'affirmer que (p9 §2):

Considérant que la confirmation de l'existence d'effets nocifs pour la santé exclut nécessairement l'existence d'un risque puisqu'elle correspond à la constatation d'une atteinte à la santé qui, en l'espèce, confinerait à une catastrophe sanitaire

En d'autres termes, si on constatait des effets sur la santé, ceux-ci seraient nécessairement catastrophiques. C'est tout simplement faux, le nombre de gens atteints par un problème correspond à la probabilité d'être atteint par le problème en question multipliée par la population exposée. La population exposée est effectivement importante mais la probabilité d'être atteint par la maladie supposée, le cancer, correspond à 2-3 cas pour 100k habitants. Même si on admet qu'un dixième de la population a un risque augmenté de 40% — ce qui correspond à ce qui est rapporté par l'étude INTERPHONE —, cela donne environ 60 cas supplémentaires par an en France. Plus de 350k cas de cancer y sont diagnostiqués chaque année. Difficile donc de parler de catastrophe sanitaire dans ces conditions et cela montre que les études statistiques peuvent démontrer l'existence de risques très faibles et en donner une estimation.

La cour affirme aussi que (p10 §8)

le caractère anormal du risque s'infère de ce que le risque étant d'ordre sanitaire, la concrétisation de ce risque emporterait atteinte à la personne des intimés et à celle de leurs enfants.

On ne peut qu'être étonné par une telle assertion. Si le simple risque — dont on vient de voir qu'il est d'ailleurs extrêmement faible — de subir une atteinte à la santé pouvait suffire à conclure au trouble anormal, une nouvelle fois, les plus grandes difficultés se poseraient dans une société moderne. Ainsi, on peut prendre l'exemple des routes. Il ne fait aucun doute que les routes et leurs abords sont risqués: il y a 4000 morts par an du fait de l'usage des automobiles. Quoiqu'on en dise, si on habite dans une propriété en bord de route, il y a un risque, certes extrêmement faible en général, qu'un automobiliste perde le contrôle de son engin et vienne vous blesser chez vous. On voit donc que la simple existence d'un risque ne suffit pas et qu'en tout cas d'autres considérations peuvent le rendre supportable. Dans le cas des automobiles, c'est sans doute que leur usage a des avantages indéniables et que tolérer leur passage près de chez soi représente une servitude qu'on est tenu de supporter dès lors que le risque pour la santé est minime. Or s'il est bien quelque chose qui est absent de l'arrêt, c'est bien un mot portant sur l'utilité que trouvent au téléphone portable l'écrasante majorité des Français. À tel point d'ailleurs qu'on peut sans doute arguer que le risque de cancer trouvé plus haut pâlit en comparaison avec les vies sauvées par les appels aux secours rendus plus faciles par ce biais. Et la présence d'antennes est une conséquence directe de l'usage de cette technique de communication.

Un mot enfin de la décision de démolition de l'antenne: les décisions prises au nom du principe de précaution doivent normalement être proportionnées au risque encouru et au dommage causé. On peut certes se dire qu'un antenne de plus ou de moins n'a pas nécessairement grande importance dans un réseau de téléphonie mobile. Cependant, dans l'autre sens, il est clair qu'il y a une limite d'intensité du champ électrique en deçà de laquelle la sécurité sanitaire est plus raisonnable, ce qui est d'ailleurs suggéré lorsque les situations dans d'autres pays sont évoquées. La cour se garde bien de faire la part des choses et interdit purement et simplement au motif que Bouygues Télécom ne propose rien et alors que la cour relève que cela fait partie des capacités de cette compagnie.

Finalement, la cour a procédé de la sorte: elle a pris en compte comme crédible le pire scénario qu'on lui présentait, n'a pas essayé d'évaluer raisonnablement les risques demandant en quelque sorte le risque zéro, n'a pas pris en compte les bénéfices de l'installation en question, a pris une position maximaliste sur la solution à adopter. C'est à mon sens la marque du principe de précaution dévoyé tel qu'il est souvent compris. En effet, si le principe de précaution était simplement le fait d'interdire toute technique pour laquelle un risque est pressenti, ou au moins pour lequel un risque est simplement crédible, alors, effectivement, il est à craindre que tout ce qui ne bénéficie pas d'une immunité face à ce principe — qui prend souvent la forme d'une exemption de l'existant — puisse être interdit à partir du moment où on réussit à faire entendre sa vision — apocalyptique en l'occurrence des choses — sans avoir à vraiment apporter de preuves. On ne peut que se féliciter qu'un tel arrêt n'ait pas connu de progéniture!

Épisode suivant: La gestion de la pandémie de grippe ou l'irrationnalité de la prééminence du pire scénario