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14 février 2015

Les faits n'ont aucune importance

Cette semaine, la mairie de Paris a annoncé des mesures visant à limiter la pollution atmosphérique. La plus remarquée de ces mesures est la décision de restreindre la circulation automobile en interdisant la circulation en dehors du périphérique et des bois à un certain nombre de véhicules autorisés ailleurs, mais trop anciens aux yeux de la maire de Paris.

Après quelques billets sur le sujet, il est intéressant de résumer les quelques épisodes précédents. Il est totalement impossible que les seuls gaz d'échappement, et plus particulièrement ceux des voitures diesel, soient responsables des fameux 42000 décès prématurés, qui ont d'ailleurs une réalité surtout mathématique et non celle de lier une cause à un effet directement tangible. Les émissions de polluants ont fortement baissé depuis 20 ans, ces efforts se poursuivent aujourd'hui, grâce au renouvèlement de toutes sortes de machines et au durcissement des normes. La baisse des concentrations des particules dans l'air parisien est moins rapide, parce qu'une bonne part de ces particules viennent de l'extérieur de la région parisienne. Dernièrement, les effets des concentrations des particules de moins de 1µm ont été comparées au tabagisme passif, dont on estime qu'il est la cause de 1100 décès par an soit environ 40 fois moins que les 42000 morts. Si ces particules de moins de 1µm sont créées par la combustion de carburants divers, elles ne représentent plus que la moitié des émissions de particules provenant du trafic routier.

Les justifications des mesures laissent pantois:

  1. Les éléments techniques sont donnés pèle-mêle sans aucune mise en perspective et sans doute dans l'unique but de faire peur. C'est ainsi que le chiffre de 42000 morts figure en bonne place, mais lorsque la comparaison avec le tabagisme passif est faite, le nombre de morts dus au tabagisme passif, bien plus faible, n'est pas donné. De la même façon, les conclusions qu'on pourrait tirer de la publication de l'InVS ne le sont pas: avec un surplus de décès de 0.5% par 10µg/m³, on peut en déduire qu'il existe en Île de France une corrélation entre la pollution aux particules et environ 1500 décès, essentiellement après 75 ans, d'ailleurs.
  2. Le trafic automobile est donné comme le plus gros émetteur de polluant sans précision, alors qu'évidemment, suivant le type de polluant, cette situation varie beaucoup. Si le trafic automobile est responsable de la plus grande part des émissions de NOx, pour les particules, il est minoritaire.
  3. La mairie de Paris n'hésite pas à déclarer que sa politique de restriction de la circulation est à l'origine de la baisse des émissions de polluants alors qu'elles y évoluent de façon parallèle au reste de du territoire français. Elle s'attribue le mérite de résultats dont elle n'est donc pas à l'origine.
  4. L'importance des pièces d'usure (pneus, plaquettes de freins) dans les émissions de particules n'est mentionné que p6, bien loin de l'avant propos justifiant l'ensemble des mesures … mais juste avant d'énoncer les mesures d'interdiction de circulation prise au vu des normes imposées aux moteurs!

On arrive assez rapidement à la conclusion que les justifications ne sont là que pour la forme, pour pouvoir prendre des mesures qui vont dans le sens de l'idéologie de la majorité municipale. C'est ainsi qu'on y retrouve un certain nombre d'expressions connotées dont l'encouragement des mobilités douces, parmi lesquelles le vélo et la marche à pied, dont tous ceux qui les pratiquent couramment savent qu'elles n'ont rien de tel. Les mesures à prendre sont ainsi connues à l'avance et ne portent que sur le trafic routier: mobilisation de places de parking en surface pour en faire autre chose, subventions diverses à l'achat de véhicules moins polluants et surtout restrictions de circulation suivant l'âge du véhicule — ou la norme respectée, on ne sait trop. C'est bien sûr cette dernière mesure qui frappera le plus de monde, une partie importante du trafic à Paris provenant aussi de banlieue.

Le premier aspect de cette mesure de restriction est son aspect vexatoire: Paris intra-muros possède un réseau dense de transports en communs, les habitants peuvent donc se dispenser de voiture, ce qui est le cas d'environ la moitié des ménages parisiens. De plus, le périphérique n'est pas concerné par ces restrictions, alors que c'est sans doute la route la plus fréquentée de France et par conséquence la plus polluée. Si, véritablement, Anne Hidalgo souhaitait réduire la pollution des automobiles, pourquoi exclure le périphérique de son plan? De même, pourquoi les voitures particulières polluantes seraient autorisées à circuler le week-end? Enfin, pourquoi aucune mesure n'est-elle prise pour les autres émetteurs de polluants que le trafic automobile?

D'un autre côté, cette mesure de restriction ressemble aussi à une gesticulation. En effet, au fur et à mesure du temps qui passe, les véhicules les plus vieux sont mis au rebut. C'est ainsi que fin 2012, les voitures particulières Euro 4 et plus représentaient à peu près 40% du parc selon le rapport 2014 du CITEPA (p145). Cette part est vouée à augmenter, et il semble qu'en fait les restrictions les plus onéreuses portent sur les interdictions faites aux cars ainsi que le dernier niveau d'interdiction de circulation, en 2020, qui portera sur les véhicules inférieurs à la norme Euro 5. L'effet des ces restriction sera de plus probablement limité: le rapport prospectif d'Airparif sur les émissions de polluants prévoyait qu'à réglementation constante les émissions de PM2.5 — de fait celles concernées par les réglementations Euro — diminueraient de 80% entre 2008 et 2020. Les efforts supplémentaires portent donc sur une masse d'émissions fortement réduites. Enfin, réduire les émissions dans Paris intra-muros ne fait rien contre les émissions qui ont lieu juste à côté, en Île de France, et plus largement ailleurs en Europe, ce qui a son importance quand les 2/3 des particules viennent de l'extérieur!

Une politique pragmatique de diminution de la pollution devrait à mon sens suivre certaines grandes lignes:

  1. Pour le secteur des industries et de du trafic routier, reconnaître que les normes élaborées au niveau européen sont le déterminant principal de la réduction à long terme des polluant et qu'il n'y a pas besoin d'en rajouter aux niveaux inférieurs, national et local.
  2. Le diesel n'apportant aucun bénéfice par rapport au super en termes de pollution, les taxes sur les 2 devraient être alignées sur le niveau des taxes sur le super, afin de renforcer l'incitation financière à économiser les carburants. Ça ne se décide pas au niveau de la mairie de Paris.
  3. Le bonus-malus devrait être la seule incitation à acheter des véhicules consommant moins, à condition de ne plus se baser sur le vieux test NEDC mais plutôt sur le WLPT pour éviter que les optimisation des constructeurs ne corrompent trop le système.
  4. Une action locale que pourrait mener la mairie de Paris pour diminuer la pollution est la chasse aux chauffage au fioul et aux cheminées à foyer ouvert. Il ne s'agit pas tellement d'interdire que de faire de la publicité pour les inserts — qui divisent par 4 les émissions de particules provenant du bois par rapport aux foyers ouverts — et de subventionner la fin des vieilles chaudières au fioul, dont certaines des plus grosses sont d'ailleurs celles qui chauffent des HLMs.

Mais comme la parole publique est surtout concentrée sur les méfaits supposés du diesel, qui ont largement disparu et vont continuer à diminuer, peu de temps a été consacré à des propos utiles. Personne ou presque n'a parlé récemment du fait que les cheminées à foyer ouvert étaient les plus gros émetteurs de particules fines en France. Personne pour dire qu'il faudrait aussi remplacer les vieilles chaudières au fioul, qui brûlent essentiellement la même chose que le diesel et émettent aussi des particules. En conséquence de quoi, l'action dans ce domaine a consisté à interdire, ce qui a évidemment échoué devant l'incompréhension générale.

Tout ceci s'explique par la source de ces mesures. Il ne s'agit pas de lutter d'abord contre la pollution, mais surtout de satisfaire une idéologie. Les faits n'ont alors strictement aucune importance: ils peuvent pointer dans le même sens ou dans la direction opposée aux mesures sans impact sur celles-ci. On peut penser que les Parisiens, qui fréquentent assidûment un métro pollué par les particules de pneu et de métal, ne sont pas extraordinairement préoccupés par le niveau actuel de pollution aux particules à l'extérieur. Par contre, ils sont gênés par le trafic routier et ces gens qui viennent envahir les boulevards depuis la banlieue. Les électeurs sont aussi plus favorables qu'ailleurs aux thèses des Verts. La maire de Paris a alors tout intérêt à limiter par tous les moyens la circulation en dehors du périphérique.

30 novembre 2014

Du dieselisme passif

Mardi 25 novembre, les particules fines et le diesel ont refait surface dans les médias, toujours pour dénoncer l'ampleur scandaleuse de la pollution. Cela faisait suite à une présentation à la presse des résultats de mesures effectuées à l'aide d'un instrument embarqué à bord du ballon Generali qui flotte au-dessus du parc André Citroën, dans le 15ᵉ arrondissement de Paris. Cette fois-ci, la comparaison choc est que la pollution aux particules de moins de 1µm de diamètre équivalait aux dommages causés par le tabagisme passif.

Si on se rend sur le site de l'Institut National du Cancer, on constate que 1100 décès sont attribués chaque année au tabagisme passif sur l'ensemble de la France. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, on nous annonçait que la pollution aux particules était responsable de 42000 morts par an en France, ce qui avait suscité mon premier billet sur le sujet. Les articles et la présentation affirment que les particules d'un diamètre de moins de 1µm sont les plus nocives. En conséquence, on ne peut que s'émerveiller des progrès rapides de la lutte contre la pollution aux particules, puisqu'en seulement 2 ans et demi, le nombre de décès a été divisé par un facteur 40. Malheureusement, il semble que personne n'ait remarqué ces progrès dans la presse, puisque les articles sont toujours aussi négatifs et appellent toujours à pourchasser le diesel. Cette estimation est même inférieure à celle à laquelle je m'étais risqué dans mes billets précédents.

De plus, le seul jour du 13 décembre 2013 semble concentrer le feu des critiques, alors que les mesures ont été effectuées entre septembre 2013 et août 2014 et qu'un autre épisode de pollution aux particules a eu lieu en mars 2014. Ce n'est guère étonnant: il s'est avéré par la suite que plus de la moitié des particules n'étaient pas dues à la combustion, mais aux activités agricoles, puisque 51% étaient composées de nitrate d'ammonium et seulement 11% dérivaient de l'usage de combustibles fossiles. En conséquence de quoi, il y a dû y avoir relativement peu de particules de moins de 1µm, car la combustion de matières — dérivés du pétrole, bois — provoque essentiellement l'émission de ces particules. Si d'autres causes sont responsables d'un pic de pollution, la proportion de particules de moins de 1µm est moindre. En mars dernier, le diesel était le premier accusé; qu'il soit apparu après coup que le diesel n'ait joué qu'un rôle marginal dans le pic de pollution n'a pas suscité de retour dans la presse.

Avec les diagrammes publiés sur le blog {sciences²} de Libération, on s'aperçoit que les concentrations varient d'un facteur 30 sur l'année de mesures. En moyenne sur l'année, les concentrations sont plus proches du minimum que du maximum constaté lors d'un pic de pollution: les pics de pollution sont de courte durée et ils comptent relativement peu dans la moyenne. Si on regarde le cas des particules de moins de 10µm, on s'aperçoit que la moyenne est de l'ordre de 2 fois le minimum (cf graphe ci-dessous) PM10_201309_201408.jpg Si on applique la même règle aux particules de moins de 1µm, au lieu d'un studio où on a brûlé 8 clopes, on trouve qu'en moyenne sur l'année, il y a autant de particules que si on avait brûlé 0.5 cigarette. Comme bien sûr on ne peut jamais atteindre le zéro équivalent-clope, il faut bien constater qu'on ne peut pas vraiment dire que la pollution à Paris est équivalente au tabagisme passif.

On peut aussi constater qu'une fois de plus, ce qui a été relayé dans la presse portait sur l'aspect négatif: rapporter la concentration de particules de moins de 1µm en termes de nombre est assez révélateur. En effet, les organismes de mesure de la pollution parlent plutôt en termes de masse globale des particules. Bien évidemment, une grosse particule va peser bien plus lourd qu'une petite: si la masse est proportionnelle au volume, une particule de 2.5µm pèse 15 fois plus qu'une particule de 1µm. On voit que le nombre de petites particules peut rapidement devenir proprement astronomique. Est-ce cela signifie qu'elles sont dangereuses à proportion de leur nombre? Pas forcément! Dans ce cadre, l'affirmation qu'aucun seuil réglementaire d’émissions n’a été encore fixé pour les nanoparticules relève du mensonge pur et simple: comme les normes anti-pollution s'attaquent à la masse de toutes les particules émises lors du test, quelque qu'en soient leurs tailles, les particules de moins de 1µm sont bien évidemment incluses. De plus, la norme Euro 6 impose une limite en nombre, dans le but de s'attaquer directement aux émissions de particules de moins de 0.1µm!

Comme d'habitude, cet évènement a été rapidement récupéré par les opposants au diesel. Il n'est besoin que d'observer que le fioul domestique, qui n'est rien d'autre du diesel auquel on a ajouté un colorant rouge, ne fait l'objet d'aucune mention. Or, l'usage du fioul pour se chauffer en hiver est bien mieux corrélé aux pics de pollution que la consommation de gazole! Inutile donc de rappeler aussi que la combustion du bois est le premier émetteur de particules de moins de 1µm, qu'en moyenne les 2/3 des particules en Île de France viennent d'ailleurs, que les normes anti-pollution mettent les voitures neuves essence et diesel au même niveau ou presque. Le mal est forcément le trafic parisien fortement diésélisé et il faut bannir les voitures diesel. Même si je considère que le diesel bénéficie d'un avantage fiscal infondé et que je suis favorable à l'alignement de la fiscalité du diesel sur celle du super 95, je remarque que la campagne de diabolisation du diesel est mensongère et s'attaque surtout à des problèmes qui se posaient il y a 20 ans.

25 février 2014

La démocratie des crédules

Gérald Bronner, professeur de sociologie, a publié son ouvrage La démocratie des crédules l'an dernier. En conséquence, il a déjà été commenté ailleurs (critiques favorables sur contrepoints, sur le site de l'AFIS, chez Christophe Ginisty, un professionnel de la communication; critiques défavorables sur Slate et ) et l'auteur a eu l'occasion de s'exprimer dans les médias à diverses reprises (interview aux Échos, une vidéo là, passage à l'Esprit Public sur France Culture). Le domaine de prédilection de Gérald Bronner est celui de l'étude des croyances, définies comme l'ensemble de ce qu'un individu tient pour vrai. La thèse de La démocratie des crédules est que les biais cognitifs commun à l'ensemble du genre humain, l'apparition d'Internet et de ses capacités à diffuser et agréger des opinions, l'intensification de la concurrence entre médias ouvrent la porte à la diffusion de croyances fausses, dégradant fortement le débat démocratique et la rationalité des décisions.

Avant d'aborder le fond, ce livre recèle un nombre surprenant de coquilles. C'est aussi le type de livre qui se prêterait à merveille à une édition numérique spéciale: l'auteur y décrit un certain nombre de travaux de sociologie — dont bon nombre des siens — et renvoie à un certain nombre de sites web tout au long du texte.

La crédulité humaine, ses origines et ses conséquences

Le livre est traversé par l'exposé de limitations de l'esprit humain quand il s'agit de déterminer la véracité de certaines assertions. En effet, l'esprit humain utilise un certain nombre de raccourcis dans la vie courante. Le premier biais est le biais de confirmation qui conduit dans la plupart des cas à préférer les argumentations qui confirment ce qu'on pense déjà vrai, ne pas chercher s'il pourrait exister une preuve inverse ou à ignorer les effets dus aux hasard sur des grands nombres. Ensuite, même si l'être humain est assez doué pour le raisonnement logique, certains aspects lui sont plus difficiles: c'est le cas de l'appréhension de l'implication ou de la manipulation des probabilités conditionnelles. Il est aussi connu que si l'esprit humain appréhende bien les probabilités proches de ½, il appréhende très mal les probabilités proches de 0 ou de 1 en donnant plus d'importance qu'il ne faudrait aux évènements peu probables. Le point commun de ces biais est qu'il faut produire un effort pour appréhender correctement la situation: en temps normal, pour gagner du temps, nous préférons le moindre effort intellectuel. Ces biais sont importants pour le débat public: en général les tenants d'une thèse ne vont exposer que les éléments qui leur sont favorables. On peut aussi remarquer que bon nombre d'assertions en débat sont en fait des énoncés probabilistes ou statistiques. C'est particulièrement vrai quand il s'agit de traiter de risques: au problème de l'appréhension des probabilités, vient s'ajouter le problème de la dissymétrie dans l'appréhension des bénéfices et des risques, à l'avantage de ces derniers.

Gérald Bronner voit Internet comme un outil qui sert les croyances, y compris les plus farfelues. Internet permet en effet de disposer d'une mémoire latente d'une taille extraordinaire et de pouvoir communiquer avec ceux qui partagent les mêmes préoccupations, fussent-elles extrêmement confidentielles. Cela permet à des groupes marginaux de regrouper rapidement leurs arguments et de les faire connaître. Le livre s'attarde sur des phénomènes de constitution de rumeurs, comme suite à la mort de Michael Jackson ou aux attentats du 11 septembre 2001, pour constater qu'Internet permet d'accumuler un grand nombre d'arguments, pas forcément tous compatibles entre eux d'ailleurs, en faveur de l'existence d'un complot en un temps réduit. Tout ce qui est nécessaire est de la motivation. Cette motivation, caractéristique essentielle des militants, se traduit par le fait qu'une vision rationnelle du monde n'est pas forcément majoritaire lorsqu'on fait une recherche sur Internet. L'auteur prend 5 exemples: l'astrologie où on peut constater l'importance de l'exploitation commerciale, les crop circles, l'aspartame, le monstre du Loch Ness et la télékinésie. Il a effectué courant 2010 des recherches sur Google sur ces thèmes et a constaté que les sites répandant des croyances fondées sur rien de scientifique étaient de loin majoritaires! Les recherches menées pour l'écriture de ce billet montrent que ce n'est plus toujours le cas, comme dans le cas de l'aspartame, où la communication des agences de sécurité sanitaire a pris le dessus à l'aide d'articles de presse. La motivation des croyants et leur maîtrise technique leur permet d'obtenir une exposition tout à fait correcte. De plus, les résultats des recherches sont influencées par la requête: ajouter «complot» à toute recherche comme cet auditeur de radio cité dans le livre va évidemment donner un grand nombre de résultats penchant dans ce sens!

Le livre s'intéresse ensuite à l'influence de la concurrence entre média dans la diffusion des croyances. Pour Gérald Bronner, le mouvement de libéralisation des fréquences et l'apparition d'Internet ont provoqué un trop-plein de concurrence. En voulant toujours aller plus vite que le voisin, il est tentant de ne plus vérifier. En voulant attirer le chaland avec des nouvelles fracassantes, il est tentant de relayer des rumeurs farfelues. Le point de l'auteur n'est pas que le milieu médiatique soit malhonnête mais que la logique concurrentielle pousse à relayer des croyances. La vitesse de publication en particulier oblige les journaliste à prendre les raccourcis intellectuels qui donnent une perception faussée de la réalité.

Enfin, la combinaison de ces trois éléments met en danger la démocratie. La démocratie repose sur des décisions prises en commun et elles sont sujettes aux biais de raisonnement lorsque ceux-ci poussent toujours dans le même sens de décision. Les erreurs de raisonnement peuvent être corrigées au cours du temps nécessaire à l'élaboration de la décision: voter une loi y prend du temps. Mais comme les croyances ont de plus en plus d'exposition, notamment dans les média, il est de plus en plus difficile de prévaloir sur les biais cognitifs. Si, auparavant, la correction des erreurs de raisonnement n'avait rien d'obligatoire, elle devient de plus en plus difficile, car la voix des croyants motivés a de plus en plus de résonnance. Gérald Bronner s'attarde sur deux processus apparus plus ou moins récemment dont l'idée était de faire apparaître un consensus rationnel grâce à la délibération ou la publication d'éléments de fait, ce qu'on appelle la transparence. La délibération est illustrée par les débats publics pour la construction d'infrastructures. Le problème est que ne participent à ces débats que les gens motivés. Ce sont pratiquement toujours des opposants. En conséquence, ils sont surtout l'occasion pour les opposants d'exprimer leur point de vue sans relâche. La transparence est illustrée par la publication de toutes sortes de statistiques sur des sites web dépendant de l'état. Le problème est une nouvelle fois qu'on peut en faire un usage biaisé: dans une telle masse de données, on peut faire apparaître des choses qui ont l'odeur du scandale en n'en regardant qu'une partie, mais qui le sont nettement moins quand on regarde un ensemble plus grand. L'auteur prend l'exemple de la soi-disant vague de suicides à France Télécom où le taux de suicide était en fait très comparable au reste du pays.

Quels remèdes?

À l'opposé ce qu'on entend souvent sur la question, Gérald Bronner ne plaide pas pour plus d’éducation pour lutter contre cette progression des croyances farfelues. Il constate en effet que l'irrationalité ne disparaît pas avec la hausse du niveau d'éducation. C'est par exemple ce qu'on peut constater dans le domaine de l'énergie. Par contre, ce qui est constaté, c'est que statistiquement, avoir un diplôme du supérieur scientifique réduit cette proportion. En conséquence, Gérald Bronner suggère d'insister sur des enseignements qui vont à l'encontre des pentes naturelles de l'esprit — et qui ont souvent une coloration scientifique.

Il demande aussi que les journalistes soient mieux formés à ces mêmes biais cognitifs et aux formes usuelles de légendes urbaines. Il appelle aussi à la formation d'un organe professionnel pouvant sanctionner les errements les plus graves de la profession. Enfin, il recommande une modification de la communication de la part des scientifiques, tant dans la forme que dans l'engagement.

Ce que j'en ai pensé

Je trouve que la lecture de ce livre est tout à fait recommandée. J'ai particulièrement apprécié la description des nombreux biais de l'esprit qui nuisent à une compréhension rationnelle du monde par l'ensemble d'entre nous. Ces biais sont utilisés, consciemment ou pas, par les tenants des croyances. La position de l'auteur sur le danger pour la démocratie, ou plus exactement sur la possibilité de prendre des décisions rationnelles en démocratie, est aussi largement fondée. Sur beaucoup de sujets où la technique est fort présente, on peut constater que ce n'est pas le consensus scientifique sur la question qui borne l'univers des possibles.

Les deux types biais qui m'ont semblé très pertinents. La première catégorie est celle liée à la logique mathématique et notamment aux probabilité conditionnelles. Ayant dans ma prime jeunesse suivi des cours de maths, je peux confirmer que les réflexes en la matière ne s'acquièrent qu'avec une certaine pratique et que même alors, ce n'est pas aussi naturel qu'on pourrait le penser. Ce cursus m'a aussi permis de m'apercevoir que les énoncés probabilistes étaient le meilleur exemple de l'énoncé pourri, celui qui vous induit en erreur. L'entrainement en la matière n'est certainement pas inutile, puisque j'ai trouvé que certains énoncés donnés dans le livre étaient incomplets pour qu'on puisse apporter une réponse. Il faut cependant remarquer une nouvelle fois que nombre d'exposés actuels sont en termes de probabilités ou de statistiques et qu'ils sont donc intrinsèquement difficiles à appréhender. On ne peut pas non plus facilement modifier l'énoncé d'un problème qui fait polémique pour le sortir de l'ambiguïté!

La deuxième catégorie est celle du biais que Gérald Bronner nomme «effet Fort» où l'argumentation procède par une logique d'accumulation et où tout ce qui est avancé en faveur d'une thèse n'a en fait même pas besoin de l'être. Je trouve que l'exposé de ce biais, dont la logique est celle de «il n'y a pas de fumée sans feu», trouve de nombreux échos dans le débat public actuel. Cela explique aussi la grande difficulté des contradicteurs «rationalistes»: pour répliquer il faut bien connaître les arguments de ses adversaires, ce qui est nettement plus difficile quand il y en a beaucoup! Les experts qui voudraient contredire se trouvent aussi parfois en position de concéder des points à ceux dont ils contestent les thèses. Ce faisant, ils renforcent la validité de la thèse adverse, même si le point concédé ne devrait pas logiquement venir en soutien de cette thèse. Pour contester efficacement une thèse farfelue, on conçoit alors que la motivation devient primordiale. Or cette motivation est un des aspects fondamentaux du prosélyte qui cherche à répandre sa croyance.

Ce qui m'amène à la critique principale du livre: les solutions proposées ne semblent pas à la hauteur du problème. Commençons par l'évolution de la communication de la part des scientifiques et experts. Outre que ceux-ci sont souvent mal préparés à intervenir dans les médias, en partie faute de la motivation propre aux prosélytes, il faut bien constater que recourir aux biais de l'esprit amène sur une pente glissante et à pouvoir répandre des croyances. Pour prendre un exemple, je vais partir d'un élément contenu dans le livre: un sondage a trouvé que 65% des français pensent que respirer l'air des villes est aussi dangereux que fumer du tabac (figure 12, p19). Il m'est difficile de ne pas rapprocher cela des fameux 42000 morts des particules, qui sortent tout droit de la communication qui a entouré une étude scientifique sur la question, et dont j'ai tenté de montrer, tant bien que mal, que ces morts n'avaient rien de comparable aux morts du tabac. User des biais de l'esprit emporte donc à mon sens un certain nombre de risques que les tenants de la rationalité peuvent à bon droit rechigner à prendre.

L'enseignement de la logique mathématique aux journalistes me semble se heurter à un obstacle de taille: le manque de goût qu'ont sans doute ceux-ci pour les maths! En effet, s'ils ont choisi une autre voie d'enseignement, c'est sans doute que les maths n'étaient pas leur matière préférée. Et on voit là que statistiquement le fait que les journalistes soient de formation littéraire les rend plus sensibles aux croyances, notamment dans les domaines techniques. Toujours sur le sujet des journalistes, si on peut certainement blâmer la situation du marché de l'information pour la qualité du traitement, ce ne peut être le seul élément. La malhonnêteté de certains ou leur idéologie les conduit à privilégier et répandre des croyances. Le cas du témoignage de Djamel, jeune homme qui prétendait avoir été violé par Dominique Baudis mais dont on avait coupé au montage les déclarations comme quoi il se disait aussi fils de Michael Jackson et violé par Sarkozy, est exemplaire à ce sujet: c'est là un acte qu'il est difficile de qualifier autrement que de malveillant. Quant à espérer un virage vers un journalisme de qualité tombant moins dans le piège de l'urgence, on risque de prolonger la tendance à la segmentation du marché par préférences politiques … et on risquerait alors de voir plus de reportages du type de celui où on va à la rencontre des électro-hypersensibles sans aucune distance critique.

Au final, ce livre me semble salutaire en ce qu'il expose clairement un certain nombre de biais dont nous pouvons tous être victimes, ce qui est un premier pas pour essayer de s'en prémunir. Le livre est aussi convaincant dans l'enchainement qui cause la piètre qualité du débat public sur nombre de question à forte composante technique. Mais, même si l'auteur se veut optimiste en présentant ses solutions, il est difficile de ne pas finir la lecture de ce livre plus pessimiste qu'on ne l'a commencée.

7 avril 2013

Léger accès de cynisme

Il faut revenir de Mars pour avoir manqué ce qui semble l'évènement du mois en politique nationale: que Jérôme Cahuzac a avoué posséder 600k€ sur un compte non déclaré au fisc, récemment encore ouvert chez une banque singapourienne. Depuis se succèdent, de tous bords, déclarations scandalisées et émues et appels à plus d'éthique qui, je dois le dire, me laissent de marbre.

Commençons par l'aveu de Jérôme Cahuzac. Il a donc avoué avoir caché au fisc 600k€ à la date d'aujourd'hui, le compte bancaire ayant changé de domiciliation au cours du temps. Si cette somme représente plus de 4 fois le patrimoine médian d'un français, d'autres dissimulations plus importantes encore n'ont pas fait l'objet de scandale. Qu'on en juge: lors de la campagne électorale de 2007, la candidate d'alors du PS, Ségolène Royal a dévoilé une évaluation de son patrimoine, tel que déclaré au fisc. J'en avais déjà parlé lorsque j'avais évoqué la réforme de l'ISF, mais il est intéressant d'y revenir. Dans le Canard Enchaîné du 7 mars 2007, cette déclaration était taillée en pièces pour cause de sous-estimation systématique. L'essentiel du patrimoine consistait en des biens immobiliers. Il s'avérait, notamment, qu'une villa à Mougins était déclarée comme valant 270k€, moins que la valeur du terrain (295k€ selon le Canard), et ne représentant qu'à grand' peine le tiers de la valeur totale du bien, l'estimation minimale donnée dans l'hebdomadaire étant de 850k€ … et il laisse aussi lourdement entendre qu'elle vaudrait 1M€. Il était aussi question de l'appartement de Boulogne-Billancourt, évalué à 750k€, moins que sa valeur d'achat, et alors que les prix de 2005 le donnaient à environ 1.2M€. On comprend donc que la déclaration de la candidate, même si le patrimoine à déclarer ne recouvrait pas l'ensemble de la valeur, était minorée d'au moins la même somme qu'on reproche aujourd'hui à Jérôme Cahuzac d'avoir dissimulée. On se souvient de la tempête qu'avait provoquée cet article … ou pas. On ne peut alors que remarquer la différence d'appréciation entre les 2 cas et simplement remarquer qu'il est alors fort dangereux d'appeler à ce que ceux qui dissimulent leur patrimoine au fisc soit frappés d'inéligibilité à vie.

On est en fait largement en face d'une énième illustration de ce que la détention d'un patrimoine financier est vue comme illégitime par une large part de la population française. Déjà en 1971, un scandale avait éclaboussé Jacques Chaban-Delmas qui n'avait pas payé d'impôt sur le revenu pendant plusieurs années, grâce au système de l'avoir fiscal. L'avoir fiscal représentait l'équivalent de ce qui était perçu comme impôt sur les société et mis au crédit de celui qui percevait les dividendes pour éviter une double imposition. La réaction de l'époque de Françoise Giroud montre combien ça ne la choque pas que les revenus financiers puissent être taxés du même fait plusieurs fois. Alors que, dans le même temps, l'immobilier, qui ne donne lieu à aucun flux financier quand on occupe soi-même le bien, est de ce fait libre d'impôt et c'est même un des arguments souvent avancés pour pousser les gens à acheter leur résidence principale. Il est donc bien vu d'avoir un bien notoirement sous-évalué, et dont la détention permet de faire des économies d'impôts. Il me semble donc que le scandale provoqué ait pris l'ampleur actuelle non seulement parce qu'il fait suite à un mensonge éhonté de la part du ministre du budget, mais aussi à cause de la mauvaise image du patrimoine financier en France. Pendant ce temps-là, un sénateur sur lequel pèse des soupçons d'association de malfaiteurs — en clair, d'avoir extorqué des fonds à la communauté via un système mafieux — est toujours membre du PS et ne fait pas la une des journaux, alors que Jérôme Cahuzac se serait exclu lui-même du PS par son comportement.

Tout ceci pour dire que cet épisode me fait penser à un ouvrage bien connu pour son cynisme mais jetant un éclairage intéressant sur le comportement de nos hommes politiques. Il y est dit, dans un chapitre majeur, qu'ils ne doivent rien dire à destination du public qui ne respire le Bien et toujours paraître vertueux — ce qui explique qu'aucun politique ne se réclame des enseignements de ce livre. C'est non seulement ainsi qu'a agi Jérôme Cahuzac jusqu'à ce qu'il ne puisse faire autrement, mais aussi, maintenant, l'ensemble de la classe politique. On peut aussi constater que la majeure partie de ces discours est dénuée de tout raisonnement. Personne ne se demande si, par hasard, le fait que des gens riches planquent leur argent dans des paradis fiscaux, dans des sociétés écrans ou encore minorent largement leur patrimoine n'est pas dû au fait que l'impôt sur la fortune est considéré comme illégitime, même par certains de ses défenseurs? Que les taux de taxation sur le capital découragent toute autre forme d'investissements que ce qui est exonéré, sans risque ou alors camouflé? Au lieu de cela, nous avons droit à des éditoriaux clamant que la finance offshore est l'ennemi patenté de la démocratie qui ne prennent même pas la peine d'apporter un seul élément montrant que les paradis fiscaux menacent la tenue d'élections libres, la liberté de parole, les droits individuels des citoyens, la séparation des pouvoirs, etc. Rien n'est dit sur le fait qu'en proposant un moyen de payer moins d'impôts, ils participent à limiter le pouvoir discrétionnaire de l'état, un élément essentiel de la démocratie. On peut certes arguer qu'ils permettent d'opérer en secret, mais ceci est aussi possible dans des pays qui ne sont pas considérés comme des paradis fiscaux, comme les États-Unis, par exemple.

Un autre point très important du Prince est que ce sont surtout les résultats qui comptent. Pour se maintenir, tous les moyens sont bons, conception qui, en démocratie, est devenue la fin justifie les moyens — ce qui est un progrès considérable, puisqu'on doit se justifier! Or, force est de constater que c'est le reproche principal qui est fait aux politiques: le manque de résultats, surtout, d'ailleurs, quand on les compare aux discours. On peut dire qu'en fait, pour Machiavel, les politiques d'aujourd'hui seraient de mauvais hommes d'état, puisqu'ils voient régulièrement leurs mensonges et leurs contradictions leur revenir dans la figure, ce qui doit être évité à tout prix si on comprend bien le livre!

Il faut bien dire que trouver une issue à cette situation n'est pas facile. En effet, pour arriver au pouvoir, un politique a intérêt à promettre tout ce qu'il faut pour arriver au pouvoir, même si ça doit le mettre dans une situation impossible ensuite. Il n'y a pas non plus de force de rappel contre ceux qui tiennent des propos qui ne peuvent mener qu'à la déconsidération générale des politiques s'ils l'emportent. Un bon exemple de cela est la mystification à laquelle s'est livrée Laurent Fabius lors de la campagne référendaire de 2005. Laurent Fabius a argué qu'il ne fallait adopter du traité présenté au référendum que la partie institutionnelle et que la présence du reste devait faire voter non. Comme il l'a emporté, c'est le traité de Lisbonne qui a été adopté mais tout le monde a bien vu ce qui avait été annoncé par les tenants du oui: que procéder ainsi revenait à adopter en fait le traité soumis à référendum, puisqu'en dehors des questions institutionnelles, il n'y avait pas grand chose de neuf. L'adoption du traité de Lisbonne est ainsi vue comme une filouterie démocratique alors qu'en fait il s'agissait de faire ce qu'avait proposé l'homme qui avait probablement fait basculer le scrutin.

Les politiques ne sont pas les seuls d'ailleurs à empoisonner le puits. Si la presse aide certainement à faire la lumière sur certains des mensonges des politiques, elle peut prêter le flanc voire organiser certaines mystifications. Un des exemples les plus parlants est celui du nuage de Tchernobyl. Après avoir publié les communiqués du SCPRI mentionnant le passage du fameux nuage au-dessus de la France, la presse a accusé le Pr Pellerin, dirigeant du SCPRI, d'avoir menti à ce sujet. La réalité a beau eu donner raison au Pr Pellerin sur ce qu'il a annoncé — à savoir que le nuage de Tchernobyl n'aurait aucune incidence sur la santé en France —, rien n'y fit. On peut aussi se poser des questions sur l'apparition de certaines assertions, qui se trouvent être des déformations d'informations publiées par ailleurs depuis longtemps, ainsi en est-il des 42000 morts du diésel dont on a déjà abondamment parlé.

En appeler à plus d'éthique me semble largement inutile. D'une part, comme le signale Machiavel, être en tous temps vertueux peut s'avérer nuisible pour un homme d'état; d'autre part, les nécessités de la gestion de l'état peuvent conduire à prendre des décisions qui sont contraire à une éthique individuelle. Chacun comprend bien par exemple, qu'il est bon pour chaque individu de partir tôt à la retraite, mais que pour la société dans l'ensemble, il vaudrait mieux qu'ils travaillent tous le plus longtemps possible pour qu'il soit possible de payer le plus de prestations sociales possibles. Jérôme Cahuzac fournit aussi un tel exemple: chacun a intérêt à payer le moins d'impôts possible; le ministre du budget cherche à récupérer le plus d'argent possible en dépensant le moins d'énergie possible.

Il me semble quand même qu'une partie de la mauvaise situation est due à un discours déconnecté des réalités, notamment financières, auxquelles l'état est confronté. Il y a des dépenses qui suivent une pente haussière structurellement plus rapide que le PIB. Les impôts sont déjà un niveau très élevé, ce qui impose donc de faire des économies. Le scandale provoqué par l'aveu de Jérôme Cahuzac ne vient en fait que couronner une dizaine de mois où l'impression qui se dégageait était une suite de renoncements et d'inversions de direction par rapport à ce qui avait été compris durant la campagne par les électeurs. On ne saurait donc trop conseiller aux candidats sérieux de travailler un peu. La matière est disponible, les fonctionnaires français sont souvent chargés de publier des rapports sur tous sujets, ils sont compétents et honnêtes. Cela permet de se faire une idée des options irréalistes, ce qui évite les propos aventureux qui se transforment en piège une fois au pouvoir ainsi que l'impression d'impréparation et d'incompétence qui se dégagent lorsque ce piège se referme. Cela peut aussi permettre de trouver des slogans pour lutter face aux démagogues: ceux-ci véhiculent parfois une image datée de la situation.

3 mars 2013

Signé Furax: le diésel qui tue

Le 1er mars dernier, la Cour des Comptes a publié un référé pour faire des remontrances au gouvernement sur la question des taxes sur les carburants. En effet, le gouvernement n'inclut pas dans la liste des dépenses fiscales l'exonération du kérosène pour les avions, la fiscalité avantageuse du diésel ainsi que celle du charbon. Elle remarquait finement que taxer le diésel consommé par les particuliers comme le sans-plomb rapporterait presque 7G€ par an et faisait une allusion tout aussi fine au fameux chiffre de 42000 morts par an dus au diésel en France. Comme l'idée d'aligner la fiscalité du diésel sur celle du sans-plomb semble planer avec insistance, cela a amené le retour vengeur du diésel qui tue dans la presse. Comme je m'étais fendu d'un billet l'an dernier sur le sujet lors de la dernière poussée de fièvre sur le sujet, je me suis donc moi aussi décidé à faire un retour vengeur et à l'actualiser — entre autres à l'aide de ce billet-là — pour bien montrer qu'il n'y a absolument aucune chance pour que le diésel puisse causer 42000 décès chaque année en France.

Comme ce billet s'annonce long et que ton temps, ô lecteur, est certainement précieux, voici un résumé de ce qui va suivre.
Il n'y a aucune chance pour que le diésel soit la cause de 42000 morts par an en France pour les raisons suivantes:

  1. Ce chiffre était donné à l'origine pour l'ensemble des émissions de particules de moins de 2.5µm (PM2.5). Le diésel ne représente que 10% de ces émissions.
  2. Ce chiffre est calculé sur la base des émissions en l'an 2000. Depuis, les émissions ont baissé d'un tiers.
  3. Cette étude a eu une suite dont les conclusions conduisent, via une extrapolation linéaire très incorrecte, à pratiquement 3 fois moins de morts.
  4. Ce chiffre n'a pas la signification qu'on soit capable de relier les pics de pollutions aux morts. Il s'agit d'une donnée mathématique abstraite, qui est mieux exprimée en perte d'espérance de vie.
  5. Pour ce qui est de la liaison directe entre niveau de pollution et mortalité, on se risquera à une évaluation à la louche qui est d'environ 5000 morts pour l'ensemble de la pollution aux particules et de 1000 morts pour le diésel. J'estime même maintenant que c'est une évaluation maximale en ce qui concerne le diésel.

On s'essaiera ensuite à une exégèse de la communication gouvernementale sur le sujet dont il va ressortir qu'il s'attaque au sujet de la fiscalité du diésel par la face de la santé publique par opportunisme et manque d'autres choix. Il s'est en effet fermé diverses portes par ses déclarations précédentes. Ce qui n'est guère étonnant vue l'incompétence dont il a fait preuve jusqu'ici, incompétence largement due au manque de travail sérieux sur les questions énergétiques lorsque le PS était dans l'opposition — ce qui est, accessoirement, un thème récurrent sur ce blog.

Pourquoi le diésel ne peut tout se prendre sur le dos

Commençons par le début: le chiffre de 42000 morts est donné sur le site du ministère de l'environnement comme valable pour l'ensemble de la pollution aux PM2.5. On nous donne aussi la source, le programme CAFE, on y revient plus loin. Pour l'instant, une évidence s'impose: le diésel n'est peut-être pas le seul émetteur de PM2.5. S'il était responsable de la majeure partie des émissions, on pourrait presque tout lui mettre sur le dos; au contraire, s'il n'est qu'un émetteur marginal, c'est gonflé. De plus, le programme CAFE se base sur les émissions de l'an 2000, il faudrait donc tenir compte de l'évolution de la situation puisque ce billet est rédigé en 2013. Par chance, la France dispose d'un organisme qui recense et évalue toutes sortes de pollutions atmosphériques, dont les PM2.5, le CITEPA. Il publie chaque année un rapport qui les compile. On peut alors en tirer cette figure (p90) Émissions de particules de moins de 2.5µm en France On peut voir sur ce graphe que les émissions ont baissé d'un tiers entre 2000 et 2011. Le modèle menant au chiffre honni étant linéaire, le nombre de morts devrait déjà être ajusté d'autant. Mais il y a mieux: on voit distinctement que le transport routier ne compte que pour 19% des émissions totales. Rien qu'avec ça, je peux affirmer qu'il est strictement impossible que le diésel tue 42000 personnes par an en France. Si on continue la lecture de ce précieux tome, on tombe p224 sur un superbe tableau qui détaille les émissions par combustible. Répartition des émissions de PM2.5 par combustible

On y voit que le diésel seul représente 25kt, contre 250kt de PM2.5 émises chaque année. Le biodiésel n'ajoute que 2kt. Dit simplement, le diésel ne représente que 10% des émissions totales de PM2.5. Le reste des émissions du secteur des transports est dû marginalement à l'essence, de façon plus importante à des choses comme l'usure des pneus. Mettre sur le dos du diésel l'ensemble des morts est donc sérieusement gonflé. On constate aussi une particularité des émissions de PM2.5: les premiers émetteurs sont liés au chauffage des locaux avec 39% des émissions liés aux secteurs résidentiel et tertiaire. Le tableau détaillant par combustible nous dénonce 2 autres coupables: le fioul domestique et ... le bois qui émet à lui tout seul quasiment 4 fois plus de PM2.5 que le diésel, concentrés lors des mois froids de l'année.

Mais ce n'est pas tout. Si on se limite aux particules de moins de 1µm, on se limite en fait aux émissions dues au combustible utilisé et on élimine les émissions dues à l'usure. On constate (tableau p205) que les poids lourds émettent 6kt sur 27. Il est laissé à la sagacité du lecteur de savoir si les poids lourds seront concernés par une éventuelle hausse des taxes sur le diésel. Il ne semble pas non plus qu'on empêche les poids lourds de rouler au diésel dans un avenir proche. PM_moytransport.jpg Bref: une éventuelle hausse des taxes sur le diésel ne concernerait que 8% des émissions de PM2.5.

D'où sortent ces 42000 morts?

L'autre point frappant, c'est que 42k morts représentent une part importante de la mortalité en France, c'est presque 8% des décès constatés chaque année. Pour fixer les idées, on estime qu'il y a 60k décès liés au tabagisme et qu'il cause 80% des décès par cancer du poumon. Comme les effets du tabagisme et des particules ne doivent pas être bien différents, il y a un problème de concurrence entre ces deux causes: il n'y a pas assez de morts de maladies respiratoires ou cardiaques pour qu'il n'y ait pas de recouvrement entre causes. Dit autrement, si on additionnait tous les morts qu'on lie à une cause quelconque en France, on aboutirait à une somme supérieure au nombre total de décès annuels en France. D'une certaine façon, il y a des gens qu'il faut tuer plusieurs fois avant qu'ils ne soient définitivement répertoriés comme morts.

En l'occurrence, ce chiffre sort à l'origine d'un programme européen, CAFE. Le chiffre de 42000 figure dans ce fichier excel à la ligne «morts prématurées». Les conclusions de ce programme ont fait par la suite l'objet d'un document de l'OMS. Une lecture cursive du fichier excel ainsi que du document de l'OMS montre d'ailleurs une caractéristique bizarre: il y a plus de morts — 350k/an au niveau de l'Europe — que d'admissions à l'hôpital — 100k/an — pour la même cause (pXII du document de l'OMS). Si ces morts étaient conformes à l'idée naïve qu'on peut s'en faire, ce serait l'inverse: aux dernières nouvelles, on ne laisse pas les gens mourir chez eux sans rien tenter en Europe de l'Ouest. Surtout quand il s'agit de gens qui ont des problèmes respiratoires et vont certainement demander de l'aide. Il est remarquable que ce «détail» n'ait pas eu l'air d'alerter grand monde sur la signification de ce chiffre.

Le programme CAFE a consisté à modéliser la présence de PM2.5 sur l'Europe pour en déduire un certain nombre de conséquences sur la santé à long terme. On a découpé l'Europe en cases, où on pouvait assigner une concentration moyenne en PM2.5 et la population y vivant. À partir de là, le nombre de morts y est calculé en prenant la concentration en PM2.5 (exprimée en µg/m³) et la multipliant par le taux de 0.6% par µg/m³ ainsi que le nombre de décès dans une case. Ce qui revient à dire qu'il y a à long terme un excès de mortalité de 0.6% par µg/m³ de PM2.5. Tout ceci est expliqué dans la notice méthodologique (p57). Il y est dit que cette méthode est ... fausse et qu'elle surévalue notoirement le nombre de morts. Mais qu'elle est utilisée parce qu'elle est facile à mettre en œuvre et rend un résultat facile à comprendre ou, autrement dit, pour des raisons publicitaires. À la page suivante, il nous est clairement dit que la méthode préférée est de compter en termes d'années d'espérance de vie perdues, surtout que la méthode est destinée à faire des évaluations de politiques, menées ou à mener, en fonction de la valeur d'une année d'espérance de vie. La vraie question à laquelle le programme CAFE voulait répondre, c'est de savoir de combien de temps la mort est-elle hâtée, en moyenne, par la faute des particules.

L'autre biais est celui du double comptage: sauf erreur de ma part, il n'y a aucun contrôle pour des comportements individuels comme le tabagisme. Ça favorise aussi l'emploi d'un modèle linéaire. Imaginons que la population soit divisée en 2 catégories, les non-fumeurs, pour qui il existe un seuil en deçà duquel les particules n'ont pas d'effet, et les fumeurs, pour qui toute concentration de PM2.5 hâte des décès parce que le seuil est dépassé à cause du tabagisme. Dans ce cas, toute concentration de PM2.5 va hâter des décès pour l'ensemble de la population puisqu'on aura un mélange indiscernable de fumeurs et de non-fumeurs. À long terme, si un fumeur meurt d'une affection respiratoire, et que les particules n'ont d'effet que sur eux, dira-t-on qu'il est mort du tabac ou des particules? On peut aussi constater que, dans ce cas, la meilleure façon de lutter contre la mortalité par les particules peut devenir … la lutte contre le tabagisme. Un biais supplémentaire est l'effet mémoire: les niveaux de pollution aux particules ont fortement baissé depuis les années 70s, mais nombre de ceux en vie à cette époque sont toujours vivants aujourd'hui. Ces études à long terme observent donc en partie les effets de la pollution du temps jadis. Les émissions de particules ont été divisées par 2 depuis 1990, et l'usage du charbon — autre émetteur de particules historiquement important en Europe et très actuel en Chine — a fortement diminué depuis les années 70s et les centrales à charbon ou au fioul dotées de filtres. Et on peut donc dire que le nombre de morts annoncés n'a rien à voir et est nettement plus élevé que ce qu'on entend généralement par mort à cause de....

De plus un autre programme a succédé à CAFE, Aphekom. Les résultats du programme en ce qui concerne la France ont été chroniqués ailleurs: cette fois-ci, en étudiant des agglomérations rassemblant 12M d'habitants, on ne trouve que 2900 décès attribuables, pour les niveaux de pollution de 2004 à 2006. À la différence de CAFE, ce programme considère qu'il y a un seuil à 10µg/m³ et attribue la diminution de l'espérance de vie à la partie de la concentration dépassant ce seuil. Pour Paris, le site d'Airparif nous dit que ça correspond à une perte de 6 mois. On peut aussi voir que, d'un programme à l'autre l'évaluation, si on l'extrapole violemment par une règle de 3 à l'ensemble de la population française, est passée à 15000 morts. Sans que ceux-ci soient tellement plus rattachables à leur cause que les morts du programme CAFE.

Pour relier directement les effets des particules aux morts, il y a les études à court terme qui lient les hospitalisations et les décès aux pics de pollution pour voir quelle est la variation et en tirer une relation entre concentration de polluants et morts. Un autre document de l'OMS nous donne la relation à court terme (p257): une augmentation des décès de 0.6% tous les 10µg/m³, un facteur 10 de moins que les effets à long terme. On trouve donc à la louche un ordre de grandeur de 5000 décès directement imputables aux particules par an en France dont seulement 1000 maximum peuvent à la rigueur être imputés au diésel, mais plus probablement 500, puisque le diésel ne compte que pour 10% des émissions.

Pourquoi le gouvernement utilise-t-il cet argument?

On peut maintenant se tourner sur les raisons pour lesquelles le gouvernement utilise l'argument de la santé publique pour vouloir pousser une hausse des taxes sur le diésel et les aligner sur celles de l'essence. La première raison, c'est qu'ils croient sincèrement que le diésel fait des morts tous les ans en France. Sans doute pas 42000, sans quoi on aurait des réactions plus violentes comme la recherche d'une interdiction pure et simple des rejets de particules. C'est la politique qui a été menée avec le durcissement constant des normes portant non seulement sur les moteurs d'automobiles, mais aussi sur les installations industrielles comme les centrales au charbon. Aujourd'hui, les filtres à particules des véhicules diésel filtreraient plus de 99% des particules (source: communication de l'Académie de médecine, p3-4). Le problème pourrait donc se régler de lui-même au fur et à mesure du renouvèlement du parc, quitte à le lier à un durcissement du contrôle technique. Comme on l'a noté plus haut, le bois et le fioul domestique constituent aussi une source importante de PM2.5, puisque le bois représente à lui seul 4 fois les émissions de PM2.5 du diésel. À ce sujet, il me souvient d'avoir entendu, dans la même interview de 10 minutes, l'inénarrable Jean-Vincent Placé fustiger le diésel pour ses émissions de particules et porter au pinacle le chauffage au bois. On le voit, il y a une certaine dichotomie entre la réalité de la pollution aux particules et sa représentation dans le discours public. Toutefois, on s'aperçoit que les feux de cheminée sont aussi dans le collimateur en région parisienne. Dans l'article du Parisien, on pouvait lire la réaction appropriée d'une vice-présidente Verte du conseil régional:

« Il n’est pas question de créer une police des feux de cheminée, mais d’alerter tous ceux qui utilisent ce moyen de chauffage sans connaître son impact », réagit Hélène Gassin, vice-présidente (EELV) du conseil régional d’Ile-de-France. « Mais, prévient-elle, il ne faudrait pas se focaliser sur la chasse aux foyers ouverts et laisser les particules de bois cacher la forêt du diesel. »

Au total, il ne me semble pas que les propositions de taxation du diésel pour cause de particules soient particulièrement crédibles dans ces conditions! Les politiques deviendront crédibles sur ce sujet lorsqu'ils proposeront une taxe sur le bois — très probable en cette époque.

Les raisons du retour de l'idée d'aligner les fiscalités de l'essence et du diésel sont donc en partie à chercher ailleurs. Par exemple, Jérôme Cahuzac disait lundi dernier qu'il faudrait trouver 6G€ l'année prochaine, une somme très proche des 7G€ que rapporterait l'alignement des fiscalités. Je constate aussi que les taxes sur le carburants sont presque les seules à n'avoir pas été augmentées dans ce cycle d'austérité. D'autre part, la France entend réduire sa consommation de pétrole, à la fois pour des raisons géopolitiques — le peak oil — et climatiques — puisque la combustion du diésel dégage fatalement du CO₂. Pour cela, il faudra sans doute augmenter de façon conséquente la fiscalité des carburants.

Mais le gouvernement ne peut le dire directement: on a eu droit à un épisode qui a conduit à baisser temporairement les mêmes taxes cet été. Le gouvernement y a été poussé car il s'est fait fort de stopper la hausse du prix des carburants lors de la dernière campagne électorale. Et ce, alors même que les problèmes climatiques et d'approvisionnement pétrolier sont connus depuis longtemps. Le gouvernement s'est donc lié les mains et ne peut plus justifier une hausse des taxes sur les carburants par le besoin de financement de l'état, les problèmes climatiques ou d'approvisionnement. Il ne peut donc plus qu'utiliser des moyens détournés pour arriver à ses fins. La mise en cause du diésel sur le plan sanitaire semble donc représenter une bonne occasion pour enfin réaliser cet objectif. Car enfin, cet objectif d'alignement des fiscalités est légitime: le diésel ne présente aucun avantage sanitaire par rapport à l'essence, émet la même masse de CO₂ par litre brûlé, la différence de consommation étant désormais couverte par le système de bonus-malus. Tout devrait pousser à cet alignement. Mais faute de l'avoir dit dans la campagne électorale voire avant, le gouvernement en est réduit à chercher une issue de secours. Cette voie n'est pas sans danger, car une fois qu'on a mis en cause les effets sanitaires du diésel aujourd'hui, on risque des réactions épidermiques complètement déconnectées de la dangerosité réelle du carburant.

Finalement, tout cela a un air de déjà vu: ces contorsions sont du même tonneau que celle qui entouraient la tarification progressive de l'énergie. Comme on n'avait pas bossé le sujet dans l'opposition ni eu la sincérité d'exposer la situation telle qu'elle est, on s'est fermé la voie vers des solutions intelligentes.

15 juin 2012

Le diesel cause-t-il 42000 morts en France chaque année?

Nota bene: ce billet connait une suite depuis mars 2013.

Depuis quelques temps circule l'idée selon laquelle le diesel ferait 42000 morts par an en France. On en retrouve la trace par exemple dans cet article de l'Express ou cet autre du Parisien. Tout cela accompagne la publication d'une nouvelle monographie du CIRC confirmant le caractère cancérogène des gaz d'échappements des moteurs diesel: ils provoquent des cancers du poumon.

En fait, la véritable estimation semble être que ce sont les émissions de particules fines — de moins de 10µm — dans leur ensemble qui sont à l'origine des 42000 morts. C'est ce qu'on comprend à la lecture de cet article du Figaro. L'indispensable site du CITEPA fournit des données sur les émissions de particules, ventilées par secteurs responsables. On trouve dans le rapport de 2012 ce graphe: Émissions de particules de moins de 2.5µm en France On s'aperçoit que les transports routiers ne sont responsables que de 19% des émissions de particules, derrière par exemple le chauffage des bâtiments — à cause du fioul et du bois — avec 39%. On peut en déduire que le diesel ne peut être impliqué que pour environ 8000 morts, soit 5 fois moins que ce donne à penser la presse.

L'autre question est de savoir si l'estimation de 42000 morts pour l'ensemble des émissions de particules fines est crédible. On peut commencer par consulter le site de l'OMS qui nous offre une superbe carte de la mortalité due à la pollution de l'air extérieur. On y voit que l'estimation est de 7500 morts pour l'année 2008, réparti entre un quart de cancers du poumon et le reste sur les autres maladies non infectieuses. Les particules fines constituant un sous-ensemble de la pollution atmosphérique, le nombre de morts causé par les particules devrait logiquement être inférieur. On peut aussi constater qu'en France, on constate 550k décès par an environ: 42k morts, c'est presque 8% du total, c'est-à-dire une cause particulièrement importante. Pour comparer, on estime souvent que le tabagisme provoque 60k morts chaque année, avec cette fois-ci des cancers bien identifiés, puisqu'on estime qu'environ 80% des décès par cancer du poumon y sont liés. Comme dit dans la brochure de l'Institut National du Cancer et comme on peut le vérifier dans la base du CépiDc, il y a environ 30k décès des suites du cancer du poumon en France, ce qui laisse 6000 cancers du poumon causés par autre chose, ce qui est compatible avec l'estimation de l'OMS citée plus haut.

Ces considérations sur le cancer du poumon rendent déjà peu crédible le chiffre de 42k morts à cause des particules. Même en comptant que tous les cancers du poumon qu'on ne peut pas attribuer au tabac soient dus aux particules, cela laisse plus de 85% des décès à trouver dans d'autres maladies. Les conséquences de l'exposition aux particules doivent pourtant être similaire à l'amiante par exemple: des petites particules qui s'enfoncent profondément dans les bronches et y restent. Les cancers devraient représenter une part relativement importante des décès. On peut aussi additionner les décès des catégories qui semblent se rapporter au problème des particules. Si on additionne les décès dus aux maladies cardiovasculaires, aux maladies respiratoires et aux cancers des voies respiratoires, on obtient environ 200k décès: les particules représenteraient 20% de ces décès, alors même que d'autres causes comme le tabac, l'alcool ou encore les régimes alimentaires (cholestérol) sont des causes connues et très répandues de ces maladies. Bref, il semble peu probable qu'il y ait vraiment 42k morts.

Reste donc à se tourner vers la source de l'information. Apparemment, le ministère de l'Écologie donne ce chiffre comme résultant de la pollution aux particules de moins de 2.5µm ainsi que sa source. Cette donnée trouverait donc sa source dans un rapport d'un programme européen chargé entre autres d'établir des seuils en vue de l'élaboration des règles européennes. On trouve effectivement ce nombre dans un tableau excel, il résulte donc d'un modèle mathématique, c'est la donnée des morts prématurées chez les plus de 30 ans, pour l'année 2000. On note que cette donnée est plus grande que le total des admissions dans les hôpitaux, ce qui me semble surprenant. Depuis les émissions ont baissé, donc même en admettant ce chiffrage, le nombre de morts est environ 1/3 plus bas aujourd'hui. Par ailleurs, si on regarde dans le document de référence de l'OMS sur le sujet de la pollution atmosphérique, les ordres de grandeurs sont de l'ordre de 1% de morts en plus pour une augmentation de la concentration moyenne de particules de 10µg/m³ (p257). L'ordre de grandeur de la concentration moyenne en particules à Paris est de 20µg/m³ d'après Airparif. On peut supposer que l'agglomération parisienne est fortement touchée par le phénomène vue la densité de population. Ce qui amène à penser que la pollution aux particules est la cause de moins de 1% des morts en France: en gros, il y aurait un 0 en trop dans le chiffre de l'étude mandatée par la Commission européenne ... qui s'est donc retrouvé dans les média ces derniers jours.

Pour conclure, non, le diesel ne cause pas 42000 morts par an en France. Il est en fait plus probable que toute la pollution aux particules provoque moins de 5000 morts par an. Le diesel en représente en gros 20%, soit mettons 1000 morts par an. Et si on veut vraiment réduire les effets de la pollution aux particules, le mieux serait sans doute de faire la chasse au chauffage au fioul ... et au bois!