19 août 2011

Épilogue de la réforme de l'ISF

On a déjà évoqué ici par deux fois. Depuis lors, le gouvernement a présenté ses idées de recettes complémentaires et le parlement a voté la loi de finances rectificative modifiant l'ISF.

Tout d'abord, on s'aperçoit que le nouvel ISF conserve le même principe que l'ancien en taxant le stock de capital, calculé de la même façon, mais que le nombre de tranches diminue et qu'elles sont désormais libellées en taux moyen et non en taux marginal. Les déclarations d'un certain Nicolas Sarkozy selon lesquelles cette réforme devait consister à taxer non le stock de capital mais les revenus qui en étaient tirés sont donc restées lettre morte. On peut légitimement se demander si certaines déclarations sur la politique des mois suivants ne sont pas tout simplement improvisées.

Comme annoncé au mois de mars dernier, les taux seront désormais de 0.25% — entre 1.3M€ et 3M€ — et 0.5% — au-delà de 3M€. Le gouvernement a toutefois voulu lisser les sauts d'imposition au franchissement des seuils. Libeller l'impôt en taux moyen fixe au sein des tranches provoque des sauts lorsqu'on change de tranche. On peut en attendre des sous-déclarations et sentiment d'injustice pour ceux qui sont de très peu du mauvais côté de la barrière. On peut voir le taux moyen d'imposition avec la nouvelle et l'ancienne version de l'impôt sur l'image ci-dessous. final_reforme_2011.jpg Il est frappant de constater que le gouvernement a souhaiter conserver un effet de seuil de 1500€ à l'entrée dans la première tranche. C'est sans doute dû au fait que le rendement de l'ISF dépend beaucoup des patrimoines se situant un peu au-dessus de 1.3M€. Cet effet de seuil est sans doute une première pour un impôt sur les personnes physiques. Il est aussi frappant que les transition entre les tranches sont brutales, pour la deuxième transition, le taux marginal est de 4.25% alors que le taux des emprunts d'état à 10 ans est de 3%! Autant dire que, pour ceux dont le patrimoine dépasse de peu les seuils, la tentation de le minorer sera extrêmement grande.

La suppression de la première tranche et la réduction des taux, particulièrement fortes pour le haut de l'ancien barème, ont été estimées à 400M€ et 1.4G€. C'est cohérent avec les estimations effectuées avec les moyens du bord sur ce blog. Comme le bouclier fiscal coûtait 800M€, il restait à trouver 1G€. Finalement, le choix a été fait de se reporter sur l'impôt sur les successions. C'est sans doute l'impôt le plus efficace sur le stock de capital. Par diverses mesures techniques, le gouvernement compte récupérer environ 900M€ en 2012. Ces ajustements peuvent d'ailleurs donner lieu à des expériences économétriques pour 2 d'entre eux: les donations sont désormais réintégrées sur 10 ans au lieu de 6 ainsi que l'instauration d'une surtaxe de 5% au-delà de 900k€ pour les successions. Les travaux sur les décès au printemps 2011 pourraient se révéler intéressants, même si le laps de temps entre l'annonce des mesures finales et leur mise en œuvre, environ 3 mois, est court. On peut aussi penser que le rendement de ces mesures est surestimé à court terme — mettons 2 ans — les personnes concernées ont certainement anticipé au moins les changements de règles d'âge sur les donations. Cependant, on ne peut constater une fois de plus que le gouvernement revient sur des mesures qu'il avait prises auparavant. Ces 10 dernières années, le gouvernement s'était efforcé de favoriser les donations; la loi TEPA avait aussi diminué le rendement de l'impôt sur les successions de 1.2G€. Ces mesures ont eu une faible durée de vie.

Pour tenter de compenser exactement les pertes fiscales le gouvernement a aussi décidé de prendre des mesures au rendement et à la légalité douteuse. Il a donc décidé de taxer les résidences secondaires des non-résidents et de faire payer les exilés fiscaux. Les rendements sont douteux car pour les résidences secondaires, cela ne concerne que ceux qui sont partis depuis plus de 6 ans dont le nombre ne paraît pas bien connu. Pour ce qui est de la herse fiscale nouvelle façon, des montages à l'aide de holdings doivent pouvoir circonvenir la mesure. Ainsi, en vendant au prix de revient à une holding spécialement créée après l'exil, puis en vendant la holding, il doit être possible d'ignorer cette taxe. De plus, pour ce qui est des résidences secondaires, le rendement des taxes foncières était apparemment limité par des traités de double imposition, ce qui fait que la taxe sera sans doute d'une légitimité douteuse au regard de ces traités. Pour ce qui est de la herse fiscale, elle est sans doute contraire au droit européen comme sa version antérieure mise en place sous le gouvernement Jospin.

Ces nouvelles péripéties fiscales montrent aussi que ce gouvernement a les plus grandes difficultés à faire des choix fiscaux intelligents et à s'y tenir. De la loi TEPA, il ne reste que la partie «heures supplémentaires». Il s'est rapidement avéré que le bouclier fiscal était une mesure masochiste qui ne réglait rien, le crédit d'impôt pour les intérêts d'emprunts a eu une efficacité nulle et a été supprimé à partir de cette année, les mesures sur les successions viennent d'être inversées, la partie sur le financement des PME a été diminuée en loi de finances 2011 et son intérêt va aussi s'estomper avec la baisse de l'ISF. Quant aux mesures sur les heures supplémentaires, le seul effet constaté est l'effet d'aubaine.

Quant à la fiscalité du patrimoine, le rapporteur, Philippe Marini, remarque qu'il est caractérisé par des taux faciaux très élevés accompagnés de niches fiscales pour rendre l'ensemble supportable. Mais plus loin, il propose comme réforme de la fiscalité du patrimoine ... la création de nouvelles niches fiscales favorisant sans doute les sujets qui lui sont chers. On retrouve là l'incapacité à faire des choix qui confine à la schizophrénie: il y a visiblement une grande difficulté à abandonner la maîtrise du comportement du citoyen que procurent les niches fiscales mais on se lamente en même temps devant le monstre qu'on a créé.

10 mars 2011

Les pistes du gouvernement sur l'ISF

Le 3 mars dernier, le gouvernement a fait connaître les premiers résultats de la réflexion engagée sur l'ISF. Nicolas Sarkozy avait annoncé l'an dernier son intention de supprimer le bouclier fiscal tout en réformant l'ISF et qu'il était préférable de taxer les revenus du capital plutôt que la détention du capital en elle-même. On s'est déjà risqué ici à diverses spéculations sur le sujet.

Depuis l'année dernière, des contraintes supplémentaires sont apparues. Il ne fallait pas toucher à l'allègement des droits de succession décidée en 2007, ceux qui ne paient pas l'ISF aujourd'hui ne doivent pas contribuer à combler le déficit créé par sa suppression, les impôts sur l'immobilier ne doivent pas changer. Sur ce dernier point de l'immobilier, on a largement entendu l'argument selon lequel il était anormal que la hausse de l'immobilier ait entraîné une forte hausse du nombre de redevables. Être taxé parce qu'on s'est enrichi en regardant la valeur de son logement semble injuste, alors qu'être taxé parce qu'on s'est enrichi à la suite de son travail ou à l'aide de placement financiers paraît nettement plus acceptable. Il est vrai que ces deux dernières catégories sont quelque peu dépeuplées ces derniers temps, ceux qui en font partie devenant par là même suspects.

Les 2 pistes du gouvernement peuvent se résumer en l'alternative suivante: soit un réaménagement du barème de l'ISF, soit un changement de logique vers la taxation des plus-values latentes. Dans les deux cas, le gouvernement prévoit de garder une déclaration de la valeur du patrimoine, comme pour l'ISF actuel. De même, l'imposition ne commencerait que pour des patrimoines déclarés de plus de 1.3M€, contre 800k€ en 2011, ce qui correspond à la suppression de la première tranche de l'ISF.

Le réaménagement du barème

Dans cette hypothèse, il n'y aurait plus que 2 taux de 0.25% et 0.5%. Les taux s'appliqueraient sur la valeur globale du patrimoine, à partir du premier euro, le premier taux jusqu'à 3M€, le deuxième au delà (voir par exemple ici). C'est très surprenant, car cela provoquerait un effet de seuil tout à fait notable, puisqu'à 1.3M€, l'impôt à régler serait déjà de 3250€ et il y aurait un saut de 7500€ à 3M€. L'incitation à ne déclarer qu'un patrimoine de 1.29M€ ou 2.99M€ serait donc puissante, l'imposition supplémentaire représente le revenu d'un peu moins de 100k€ d'OAT à 10 ans aux taux actuels pour le seuil à 1.3M€ et environ le revenu de 200k€ d'OAT pour le seuil à 3M€. Ces sommes sont loin d'être négligeables en proportion des patrimoines.

graphe du taux moyen d'imposition isf

Le graphe ci-dessus compare les taux moyens d'impositions à l'ISF entre le système actuel et le système réaménagé tel que présenté. On s'aperçoit que tous les assujettis y gagnent, sauf ceux qui sont en bas de l'échelle. Non seulement, à 1.3M€, il y aurait un effet de seuil, mais en plus, ces contribuables seraient désavantagés par rapport à la situation actuelle. Le point neutre se situe vers 1.4M€. À partir de ce point se situent les gagnants. Comme le taux supérieur est plus de 3 fois plus bas que taux marginal maximal actuel, les gains sont très importants pour les très gros patrimoines.

On peut essayer d'évaluer combien cet impôt rapporte. Le rapport au conseil des prélèvements obligatoires donne deux éléments qui permettent cela: le patrimoine moyen dans chaque tranche et l'impôt moyen par tranche. Ces quelques essais pointent vers un rendement de 1.8 à 2.1G€. Sachant que l'ISF net du bouclier fiscal rapporte environ 3.2G€, cela créerait un trou de plus de 1G€, soit entre un tiers et la moitié des recettes jusqu'ici. Comme le gouvernement a annoncé que la réforme devrait être neutre pour les finances publiques, il faut trouver des ressources supplémentaires. Pour l'instant, elles sont assez mystérieuses, mais l'imposition de placements jusqu'ici épargnés par la fiscalité classique, comme l'assurance vie semblent de bons candidats au gouvernement pour fournir au moins une partie des sommes manquantes.

Pour ceux qui détiendraient moins de 3M€, il a aussi été annoncé qu'ils n'auraient plus besoin que de marquer le montant global de leur patrimoine. Aujourd'hui, il faut détailler les différents éléments. Ne déclarer qu'un montant global rend les contrôles par l'administration fiscale plus difficiles. À moins que ladite administration ne prévoie d'organiser son propre système de connaissance et d'évaluation des patrimoines pour contrer la fraude. Si les méthodes actuelles perdurent, comme celles permettant à Ségolène Royal de déclarer une villa pour moins que le prix du terrain, on peut s'attendre à des déclarations qui n'ont pas grand'chose à voir avec la réalité.

La taxation des plus-values latentes

Dans cette hypothèse, c'est la variation du patrimoine qui serait taxée. Les hausses seraient taxées immédiatement au taux de 19%, les baisses donneraient un à-valoir sur les 10 années suivantes. C'est une dissymétrie classique en la matière qui permet de taxer les perdants et d'éviter l'embarras bien connu du chèque du trésor public à envoyer au riche contribuable. Le dernier épisode en date est celui du bouclier fiscal qu'il s'agit de supprimer, mais il y en eut d'autres dans un passé maintenant lointain comme celui de Jacques Chaban-Delmas.

Si on fait fi dans un premier temps des difficultés pratiques que peut poser un tel système d'imposition, une remarque est qu'égaliser les revenus d'un tel impôt avec l'ancien mode de calcul impose de faire une hypothèse de rendement moyen du capital. Toujours d'après le rapport au conseil des prélèvements obligatoires, le capital déclaré au titre de l'ISF sauf pour la première tranche s'élève à 707G€. Un impôt qui rapporterait 3.2G€ supposerait un rendement de 2.4% environ. Cependant, ce nouvel impôt viendra en déduction des autres impôts sur les plus-values. Cela complique beaucoup l'évaluation du revenu net puisqu'il faut alors prendre en compte ces autres impôts. À titre d'exemple, le rapport au conseil des prélèvements obligatoires mentionne que le prélèvement libératoire — 19% cette année — rapporte 1.1G€. Si on doit défalquer ce montant du montant du nouvel impôt, le rendement moyen devient environ 3.2%, ce qui est toujours raisonnable. On ne peut cependant pas vraiment conclure: en d'autres termes, le gouvernement peut annoncer des chiffres dont on dira pudiquement qu'ils ne sont pas tout à fait vrais sans peur d'être contredit, vue la difficulté de l'évaluation.

Cette déduction du nouvel impôt de l'impôt dû sur les plus-values donne par contre un aperçu de ce qui sera véritablement taxé. Il est peu probable qu'on puisse imputer ce nouvel impôt sur les taxes comme la CSG et les impôts assimilés. On la négligera donc dans ce qui suit, étant entendu qu'elle s'applique au premier euro sur tous les revenus.

  • L'assurance-vie: à partir d'une détention de 8 ans, l'assurance-vie bénéficie d'un système avantageux. Les gains sont taxés au taux de 7.5% à partir de 4600€ de plus-values par an. Sachant qu'un rachat comporte un part de capital — par exemple, si le contrat est en plus-value de 10% du capital investi, chaque retrait contient seulement 1/11 de plus-value — cela permet à la plupart d'effectuer des retraits en franchise d'impôt.
  • Le PEA où, à partir de 5 ans, on ne paye plus d'impôt. Il ira de même pour les plus-values sur les titres détenus depuis plus de 8 ans censée s'appliquer en 2014. Ce serait une façon élégante d'abroger cette disposition qui risque de bientôt de poser quelques problèmes.
  • Les dividendes et autres revenus d'obligations. Cet aspect est très intéressant puisqu'il incite à constituer des tirelires et à diminuer les dividendes pour préférer les gains en capital. De même, les obligations 0-coupon seront préférables aux habituelles obligations donnant un revenu régulier. C'est en contradiction totale avec la théorie classique de la gestion financière qui ne voit pas vraiment de différence entre ces 2 modes de rémunération, ce qui est d'ailleurs logique.
  • Le livret A, les PELs, bref toute l'épargne «d'état».
  • Et surtout plus généralement, l'épargne de ceux qui ont un gros patrimoine. Elle est surtout constituée pour la plupart des mortels par les revenus du travail non consommés. Si vous êtes déjà riches et que vous épargnez dans ce système, votre effort devient nettement moins efficace: pour chaque euro épargné, vous devez payer immédiatement 19 centimes à l'état. Évidemment, le gouvernement s'interdisait de transférer l’impôt de ceux qui ont accumulé de la fortune vers ceux qui tentent de s’en constituer une par leur travail. Inversement, toutes les dépenses sont en quelque sorte subventionnées à hauteur de 19%, ce qui est une première.

On ne peut que noter qu'un effet de seuil existe aussi pour cet impôt, il est très tentant de ne jamais dépasser le seuil fatidique de 1.3M€. Posséder un patrimoine financier important à forte volatilité, comme des actions, peut forcer des décaissements importants du fait des bonnes années. Une forte volatilité de cet impôt est à prévoir, même si ce n'est pas d'une grande importance du fait de la faiblesse des rendements de l'ISF.
Une autre curiosité est que François Baroin a exclu de cette assiette les titres de PME non cotées. Il est vrai que leur évaluation est difficile et que cela a un aspect incitatif pour l'investissement dans des sociétés en développement. C'est aussi une occasion en or d'échapper à toute imposition au titre de cet impôt. Rien de tel en effet que de créer des sociétés non cotées et donc difficiles à évaluer pour masquer son patrimoine et son évolution.

La chasse aux recettes de substitution

Quelque soit l'hypothèse retenue, le gouvernement évalue le manque à gagner à environ 1G€. Il recherche donc des recettes de substitution, et apparemment, l'assurance-vie est en première ligne. Il semble donc que, plus généralement, l'état va tenter d'élargir la base taxable au titre des revenus du capital en créant une exception aux dérogations diverses qui existent pour ceux qui ont un patrimoine imposable à l'ISF. Ainsi, au lieu de profiter de cette réforme pour simplement élargir la base taxable — ce qui ne sera pas fait les seuils de patrimoine devant être déterminés selon les règles actuelles — le gouvernement va remplacer des complication comme le plafonnement de l'ISF par d'autres complications.

Le gouvernement évoque aussi dans la même logique des idées qui ont déjà été retoquées il y a longtemps. Par exemple, le gouvernement veut réinstituer la herse fiscale, qui consistait à taxer les gens qui s'expatriaient. Cette tactique géniale a été retoquée par la cour de justice européenne car c'était évidemment contraire à la liberté de circulation. C'est en quelque sorte retour vers le futur, ce qui montre qu'il y a un problème pour trouver de véritables ressources pérennes et aussi qu'il y a bien des idées qui ne meurent jamais.

Conclusions

Comme il était à prévoir, le gouvernement s'est retrouvé coincé par le désir de faire en sorte que personne d'autre que ceux qui payent l'ISF ne fasse les frais de la réforme. Ce faisant, il se condamne à redistribuer l'effort auprès des mêmes personnes. C'est ainsi qu'on conservera une déclaration de patrimoine et qu'au final, les conséquences en termes d'attirance de l'expatriation ou la dissimulation du patrimoine seront peut-être toujours aussi fortes, quoique s'effectuant sous des formes différentes. Telles que présentées actuellement, les solutions du gouvernement ont entraîné un certain scepticisme voire pour ceux qui sont directement menacés, un franche opposition. D'une part, la taxation de plus-values latentes paraît impraticable, d'autre part, les effets de seuils du barème réaménagé ne suscite pas l'enthousiasme, les dispositifs de transition coûtant fort cher vu que l'actuelle deuxième tranche est la plus lucrative. Il manque toujours des recettes pour accomplir l'objectif de neutralité pour les finances publiques, recettes qui sont à l'heure actuelle bien mystérieuses.

Seule une suppression totale de l'ISF — et donc de sa déclaration annuelle de patrimoine — peut sans doute mettre un terme aux récriminations sur cet impôt. Mais cela n'est possible que si on est prêt à se passer de recettes, ce qui n'est possible que si le budget de l'état est approximativement équilibré, ou prêt à taxer d'autres personnes que celles qui sont actuellement imposées. L'analyse du gouvernement est à raison qu'il est impossible symboliquement de transférer la charge vers d'autres. Restera donc un coup de maître: après 4 ans de masochisme avec le bouclier fiscal, le président Sarkozy a annoncé une suppression impossible qui lui sera certainement reprochée par les adversaires et les partisans de l'ISF; les gens sans opinion seront consternés par l'impréparation après 4 ans de controverse.

23 janvier 2011

De l'interview de Camille Landais dans les Échos

Le 13 janvier dernier, les Échos ont publié une interview de Camille Landais, économiste travaillant souvent avec Thomas Piketty dont il a prolongé les travaux sur les inégalités et les hauts revenus en France, sur la réforme de l'ISF à venir. Cette interview est intéressante en ce qu'elle montre à mon sens les difficultés qu'il y a à vouloir résoudre plusieurs problèmes avec un seul outil. Elle comporte aussi des données surprenantes.

Sur l'imposition du capital en général

Camille Landais commence par rappeler l'argument courant selon lequel l'imposition du stock de capital permet d'inciter à l'investissement productif (voir par exemple ici ou encore ). Cela dit les rendement les plus lucratifs étant aussi sujets à de grandes variations de rendement, on peut aussi estimer qu'une imposition du capital peut conduire à opter pour des revenus sûrs pour éviter de se retrouver avec des revenus négatifs. Il va cependant plus loin en affirmant que celui qui investit dans des placements à hauts rendements (est) plus pénalisé que celui qui laisse se déprécier son capital. C'est à mon sens tout à fait excessif: celui qui fait fructifier son capital bénéficie ensuite des fruits de ses efforts. De plus, si les investissements ne donnent pas les rendements escomptés, ce sera celui qui s'est le plus démené qui paiera le plus! On peut aussi noter que consommer son capital devient forcément une mauvaise chose.
Une dernière remarque sur l'impôt sur le capital comme incitation aux investissements productifs (ou plutôt à haut rendement): cela ne marche que si l'imposition sur le capital est dominante. Si c'est l'imposition des revenus qui domine, c'est alors l'effet opposé qui agit. De sorte que si le système fiscal n'est pas dégressif pour les revenus du capital, on punit bel et bien ceux qui se démènent.

Plus loin, il compare la situation de la France aux autres pays de l'OCDE, pour dire que les différences ne sont en fait pas très importantes. Si cela est vrai pour des pays comme les USA ou le Royaume-Uni qui taxent encore plus fortement le capital que la France, il dit qu'il existe des pays où la pression paraît nettement plus faible, comme l'Allemagne. Comme le patrimoine est concentré surtout chez les plus riches, cela laisse tout de même penser que de substantielles économies sont possibles.
Il remarque que les pays avec une forte imposition du capital ont aussi tendance à taxer fortement l'immobilier. On remarquera que c'est fort pratique puisque les biens immobiliers sont destinés, comme leur nom l'indique, à rester là où ils sont et que, par voie de conséquence, ils seront toujours taxables. Cela dit, contrairement à ce que Camille Landais affirme, la France n'impose pas tellement moins la détention du patrimoine immobilier que le Royaume-Uni par exemple (voir le rapport du CPO sur la fiscalité du patrimoine, p236).
Il donne alors un argument de poids: en fait, ces différences ne paraissent pas avoir d'effet remarquable. On peut penser que c'est en partie dû au poids de l'immobilier dans la taxation du patrimoine: si une personne se délocalise, ce n'est pas pour autant qu'elle vend tous ses biens dans le pays qu'elle quitte. Un autre frein est sans doute aussi tout simplement le coût du déménagement, non seulement direct, mais aussi en termes de vie sociale ou de contacts professionnels. C'est pourquoi les délocalisations dues à l'ISF sont sans doute liées à un changement de statut du patrimoine ce qui entraîne un choc fiscal d'importance.

Sur l'ISF

Camille Landais a raison sur l'ISF au moins sur un point: la base taxable est complètement mitée par une foison d'exceptions, couplés à des taux importants, ce qui mine totalement l'efficacité de cet impôt. Il préconise donc de supprimer toutes les exonérations y compris sur les biens professionnels. Étendre la base taxable ne serait toutefois pas forcément si efficace car certains des biens auxquels on pourrait étendre l'ISF ne sont pas obligatoirement faciles à évaluer par l'administration. Cela dit les exonérations sur les terres agricoles ou encore sur la résidence principale n'ont pas de raisons d'être. La fin des niches poserait aussi des problèmes de faisabilité politique: François Bayrou avait proposé de changer le système de l'ISF lors de la dernière campagne présidentielle, notamment en procédant à une extension de l'assiette. Rapidement, il déclara que les biens professionnels et les œuvres d'art garderaient leur exonération. Il faut aussi noter une certaine ironie dans la proposition de supprimer l'exonération des biens professionnels: comment plus se démener qu'en faisant fructifier soi-même son capital?

Sur la question de la fuite des contribuables, ses conclusions devraient être plus mitigées. Elle paraît relativement faible chaque année: il y a bien environ 500 personnes par an qui partiraient pour échapper à l'ISF, pour un peu plus de 450 000 contribuables en 2006 (source: rapport du CPO). La comparaison qu'il fait par rapport à l'ensemble des contribuables est orientée pour vendre son message, puisque il compare une fuite sur les 3 dernières tranches avec l'ensemble des contribuables. Cela dit ces contribuables ne représentent que 3‰ de la base taxable, 5‰ des revenus de l'ISF ou encore 2.5% de la population des 3 dernières tranches. Cela dit sur le long terme le phénomène prend une certaine ampleur: un manque de 5000 contribuables sur les 3 dernières tranches représente un manque d'un cinquième en 2008! Le caractère cumulatif tend ainsi à vider les dernières tranches, quoique moins vite qu'elles ne se sont remplies.

Il affirme aussi gaillardement que l'ISF est assis sur des valeurs de marché. Ceci est une vaste plaisanterie, d'une part à cause justement des différentes niches fiscales qui sont des réductions administratives de la valeur des différents biens, d'autre part parce qu'il existe quelques indices montrant que certains biens sont déclarés à une valeur fantaisiste, comme la villa de Mme Royal à Mougins, déclarée pour moins que la valeur du terrain selon le Canard Enchaîné. Il affirme aussi que l'évaluation administrative des biens mine le consentement à payer. L'expérience française semble quelque peu prouver le contraire. L'ISF est certainement un des impôts les plus contestés en France. Pour preuve, on pourrait justement citer la sous-évaluation notoire de certains patrimoines ainsi que les débats récurrents sur le sujet. Seule la crapuleuse redevance copie-privée doit faire l'objet de plus de contestation. Par contre, les taxes foncières dont les bases taxables n'ont pas fait l'objet de révisions sérieuses depuis les années 1970 ne font pas franchement l'objet de débats passionnés.

Sur le reste des impôts

Camille Landais ne cache pas sa préférence pour un impôt sur les revenus à l'assiette la plus étendue possible et construit de sorte à ce que le système reste globalement progressif. Il a d'ailleurs écrit en commun avec Thomas Piketty et Emmanuel Saez un ouvrage accompagné d'un site internet pour développer ce point. Ils y proposent de fusionner la CSG — assimilée aux impôts qui lui ressemblent comme la CRDS — et l'IRPP en gardant l'assiette, et surtout la quasi-absence de cas particuliers, de la CSG et en lui associant un barème progressif, comme pour l'impôt sur le revenu actuel.

Camille Landier donne des chiffres surprenants. Il affirme qu'un Français qui gagne 1700€ par mois a un taux d'imposition de 45%, TVA comprise. Ce chiffre est surprenant, mais vrai: pour un salaire «super-brut» de 1700€ par mois, on est un peu au-dessus du SMIC. Le taux d'imposition «direct» est d'environ un tiers, ce qui tout à fait compatible avec le taux d'imposition total annoncé. De l'autre côté, les très haut revenus doivent avoir leur source dans un patrimoine important. Or ceux-ci sont imposés à un taux libératoire de 31.3%, ce qui ne semble pas trop éloigné des 35% annoncés, à condition qu'on considère qu'il n'en consomment qu'une petite partie. Les valeurs données doivent sans doute tenir compte du fait que tous les revenus ne sont pas taxés de la même façon, les revenus du travail étant frappés par des impôts très lourds. Dès lors qu'on inclut des personnes qui n'ont que relativement peu de revenus du travail, comme les gros patrimoines, voire pas du tout, comme les retraités, les taux d'imposition baissent très fortement. Cela explique une bonne part de la régressivité du système, mais cela doit aussi faire baisser les taux annoncés, forcément issus de moyennes.

Dans leur proposition de système, les auteurs proposent que le taux moyen pour les hauts revenus soit de 60%, à comparer aux 35% effectif actuels, TVA comprise. Comme remarqué plus haut, cela contredit quelque peu l'objectif d'avoir un impôt sur la fortune qui incite à tirer des revenus de son patrimoine. Quoiqu'on fasse, le nouvel impôt dominera alors tous les autres, vu qu'il prend déjà plus de la moitié des revenus. Camille Landais préconise quand même un impôt sur la fortune, mais c'est en fait pour éviter que les gens fortunés ne logent leur patrimoine dans des sociétés comme Liliane Bettencourt. En effet, le taux de l'IS n'est au maximum que d'un tiers, ce qui représente une substantielle économie par rapport à ses propositions. Ainsi, loin d'être une incitation à faire fructifier son patrimoine, cet impôt devient en fait un impôt alternatif minimal. L'ISF ne peut pas être à la fois un outil pour rendre productif le capital et être une sorte d'anti-fuites.

3 janvier 2011

Supprimer l'ISF?

L'impôt de solidarité sur la fortune est un impôt portant sur le capital détenu par les ménages. La taxation est progressive avec un barème découpé en 6 tranches de patrimoine, les taux s'échelonnent de 0.55 à 1.8%. Il rapporte environ 4G€ et, si on en retranche le coût du bouclier fiscal, seulement 3.3G€ soit moins de 0.2% du PIB, ce qui en fait un impôt financièrement mineur. Cet aspect est encore renforcé par le fait que son recouvrement coûte cher, environ 2% de ce qu'il rapporte. Il a par contre une importance symbolique, en ce qu'il sépare la population en deux catégories, les aristocrates d'un côté, les manants de l'autre.

Les maux de l'ISF

Outre le fait qu'il coûte relativement cher à recouvrer, l'ISF a d'autres caractéristiques qui le rendent difficilement accepté par les redevables. La première est justement de séparer la population en 2 catégories. Indéniablement, les assujettis à l'ISF sont riches puisqu'en 2004, seuls 10% des ménages avaient un patrimoine supérieur à 500k€, alors que le seuil de l'ISF est de 790k€. La plupart des gens se voyant comme normaux, ils voient en fait d'un mauvais œil qu'on les désigne comme riches, sans doute de peur d'être raccourcis. Ainsi, du grand succès de Lionel Jospin lorsqu'il annonça supprimer les allocations familiales pour les 10% les plus riches, à Jean-François Copé qui voit la classe moyenne s'étendre jusqu'à ceux qui gagnent plus de 4000€ nets par mois en passant par François Hollande qui n'aime pas les riches, le discours public révèle ce biais de normalité de façon anecdotique, mais relativement récurrente.

La deuxième est que le patrimoine est en fait peu observable par le gouvernement. En dehors de la déclaration qu'il demande aux redevables potentiels, l'administration fiscale ne peut pas bénéficier d'une double vérification comme pour la plupart des revenus, en dehors des actifs cotés sur des marchés financiers. Or il s'avère que l'impossibilité de frauder explique une bonne part de l'augmentation de la taxation dans les pays riches. De fait, la facilité d'une sous-déclaration doit certainement être irrésistible, d'autant que les contribuables peuvent anticiper que les autres vont faire de même, rendant leur actes acceptables. De nouveau, on bénéficie en l'occurrence d'un superbe exemple. Lors de la campagne présidentielle, Ségolène Royal a révélé l'étendue de son patrimoine, déclaré en commun avec son compagnon d'alors, François Hollande. Il s'est avéré, suite à une enquête du Canard Enchaîné que les demeures étaient souvent sous-évaluées. Ainsi, leur appartement à Boulogne-Billancourt était déclaré pour moins que sa valeur d'achat alors que les prix de l'immobilier étaient d'ores et déjà au-dessus du pic de 1990. Et, summum de la sous-évaluation, une villa à Mougins était déclarée pour 270k€, alors que le terrain seul était évalué à plus de 295k€ et que des villas voisines étaient proposées à la vente pour plus de 1M€! Quoique ce ne soient que des éléments anecdotiques, il semble qu'une sous-évaluation des patrimoines certaine existe. Le problème est que, suivant la composition du patrimoine ou le caractère du déclarant, elle n'est pas toujours du même ordre. Ainsi, en plus des actifs cotés, les biens achetés récemment — ou venant de faire l'objet d'une succession — sont les plus difficiles à sous-évaluer. Cela génère sans nul doute un sentiment de taxation «à la tête du client».

Le troisième est l'importance des taux. Au delà de 16.7M€, le taux marginal est de 1.8% de la valeur. On peut déjà remarquer que c'est plus que les taux à court terme — le taux de la BCE est à 1%. Une obligation d'état à 10 ans rapporte 3.3% environ, ce qui fait qu'en cumulant le prélèvement libératoire — 31.2% des revenus l'année prochaine — et l'ISF, le rendement n'est plus que de 0.5% par an, soit un taux d'imposition de presque 85%. Pour obtenir un taux d'imposition de 50%, le rendement doit dépasser 9.5%, pour une imposition aux 2/3 — le taux marginal pour des revenus du travail élevés —, 5%. Évidemment, pour les premières tranches, c'est plus raisonnable, le taux de 0.55% donne respectivement 3% et 1.5%. Reste qu'à une époque où les rendements faciaux sont faibles, les taux sont élevés, voire punitifs pour les dernières tranches. En exagérant à peine, on pourrait dire que ceux qui cherchent les 15% de rendement pour leurs investissements dans des sociétés sont les contribuables se situant dans la dernière tranche de l'ISF. L'autre conséquence est que masquer son patrimoine devient une pratique rapidement rentable. Ce d'autant plus qu'outre la sous-évaluation, il existe quantité de solutions pour diminuer le patrimoine fiscal, à commencer par l'exonération pour biens professionnels: à partir d'un certain patrimoine, on peut décrire sans rire la gestion de celui-ci comme son activité principale et monter une société idoine.

Où trouver l'argent?

Comme noté plus haut, l'ISF est un impôt mineur par son rendement. N'importe quel excédent budgétaire permettrait de le supprimer. Cette situation ne s'est toutefois plus produite depuis plus de 30 ans, l'état actuel des finances publiques est un déficit important (environ 7.7% du PIB) couplée à une dette imposante (plus de 80% du PIB). Il faut donc trouver des ressources de remplacement.

  • Nicolas Sarkozy a annoncé vouloir supprimer l'ISF et le remplacer par un impôt sur les revenus du capital. Le plus simple serait alors d'utiliser un impôt proportionnel comme la CSG. Un avantage est que le coût de recouvrement est alors nettement plus faible que celui de l'ISF. En se basant sur les revenus du FRR, on peut inférer qu'un prélèvement de 1% rapporte environ 1.15G€. Pour remplacer l'ISF, il faudrait donc lever un impôt égal à environ 2.9%. Un problème est qu'alors le taux de prélèvement forfaitaire atteindrait 34.1%, plus que le taux de l'impôt sur les sociétés ce qui augure peut-être de schémas d'esquive. Si on veut se limiter à ce niveau, l'impôt supplémentaire serait de 2.1%, le rapport de 2.4G€. Le défaut principal est que les détenteurs de petits patrimoines paieraient à la place de ceux qui ont en un gros.
  • Comme les biens immobiliers utilisés par leur propriétaire n'engendrent pas de flux financiers mais évitent une dépense, ils ne seraient pas taxés. Il n'y a ainsi pas vraiment de raison d'oublier ces heureux propriétaires. Pour ce faire, on pourrait augmenter les taxes foncières. Elles rapportent 26.5G€ (source rapport au conseil des prélèvements obligatoires). Certes, les augmenter frapperait aussi les logements loués, mais ce défaut de justice est compensé par une certaine efficacité puisqu'il est toujours possible de trouver un propriétaire à un immeuble. Augmenter les taxes foncières de 5% rapporterait donc 1G€ de quoi compléter d'autres mesures. Le gros défaut des taxes foncières est que la valeur des immeuble pour les taxes foncières n'a qu'un lointain rapport avec leur valeur réelle, ce qui maintient l'impression de taxation injuste. On pourrait compenser ce fait en ajustant la valeur des immeubles grâce à l'évolution des prix de l'immobilier et en se donnant pour valeur de départ la valeur d'achat. Avec la base des notaires ou même les droits de mutation, l'état dispose ainsi d'une source de données fiable sur la valeur de marché des immeubles. Ce serait aussi certainement l'occasion de commencer la rénovation de la fiscalité locale, dont les bases n'ont pas été révisées depuis les années 70.
  • Revenir sur les mesures successorales de la loi TEPA rapporterait 1.2G€ selon le rapport au conseil des prélèvements obligatoires mentionné plus haut. Cela ne rentre pas dans le cadre de la taxation des revenus du patrimoine, mais l'imposition des successions est sans doute la façon la plus efficace économiquement de taxer le stock de patrimoine et ce d'autant plus qu'il est difficile à ce moment-là de masquer certains biens, souvent ceux qui ont le plus de valeur, pour préserver la paix des ménages et assurer une répartition équitable des biens du défunt. Le fait est aussi qu'il meurt de nos jours que peu de gens, ce qui permet de contrôler plus efficacement les grosses déclarations et d'éviter ainsi les évaluations fantaisistes. Les successions sont d'ailleurs souvent à l'origine des histoires faisant la joie du public et ayant l'ISF comme personnage principal. L'équilibre en termes de type de population qui paie l'impôt serait sans doute ici préservé: ce sont certainement ceux qui paient l'ISF qui engendrent en mourant les successions les plus importantes.
  • Tant qu'à taxer les revenus, pourquoi se limiter aux revenus du capital? C'est pourquoi on peut penser augmenter aussi le taux de l'impôt sur le revenu. Instaurer une tranche à 45% à peu près là où se trouvait le plafonnement de l'abattement de 20% permettrait de lever 1G€ (et aussi de relever le taux du prélèvement obligatoire). Il est certainement difficile de faire pleurer sur les gens qui ont de hauts revenus, ce qui en fait des victimes très attirantes. Ce sont par ailleurs souvent les mêmes qu'on veut atteindre par l'ISF. Cela dit, il ne s'agit plus d'une taxation du patrimoine.

Trouver de l'argent pour remplacer les sommes perdues avec la suppression de l'ISF semble donc relativement faisable, si tant est qu'on veuille réellement supprimer l'ISF et accepter des compromis entre le symbolique et l'équitable d'un côté et l'efficace de l'autre.

Le mythe de la réforme fiscale sans perdant

Le sénateur Philippe Marini, rapporteur du budget au sénat, a donné une interview à un journaliste du Monde. Il y déclare sa préférence pour une suppression de l'ISF accompagnée de la création d'une tranche supplémentaire d'impôt sur le revenu, et il y déclare aussi:

La contrepartie à payer du côté des revenus de l’épargne ne doit pas être telle que la classe moyenne ait l’impression d’une opération de dupes. Une part proportionnée de l’effort doit être reportée sur les détenteurs de revenus et de fortunes qui sont réellement de niveau international. Si la résidence principale est exonérée au titre l’impôt sur le patrimoine par exemple la classe moyenne sera gagnante.

D'une certaine façon, cette déclaration est typique des problèmes que posent toute réforme fiscale quand on ne veut pas perdre de recettes: on cherche à ce qu'il n'y ait pas de perdants, ce qui fait qu'en fait, on voit mal ce qui changera véritablement, sauf à trouver une ressource qui n'est pas dans le seul champ de l'impôt à changer et qui présente l'agréable caractéristique de ne pas pouvoir trop protester. Le sénateur Marini veut ainsi tout et son contraire.

  • Il déclare dans un rapport sénatorial que les tranches supérieures ont des taux potentiellement confiscatoires. La conclusion logique est donc que les fortunes de niveau international paient moins d'ISF.
  • Il déclare dans cette interview que les classes moyennes et moyennes supérieures ne doivent pas payer plus mais plutôt moins et il propose en conséquence de supprimer la première tranche de cet impôt.
  • Que cet impôt au caractère immobilier marqué doit voir disparaître la contribution des résidences principales, pourtant un élément de revenu réel. C'est aussi un élément facilement taxable, les immeubles ne pouvant par définition quitter le territoire.
  • Que la réforme ne doit pas coûter à l'état

En bref, personne ne doit payer plus, mais cela ne doit rien coûter!

Il est évident que dans le contexte actuel, tout changement dans la loi fiscale implique qu'il y ait des perdants. Sans cela, soit l'état y perd, soit il n'y a pas en fait de changement. Si ce sont toujours ceux qui payaient qui paient encore, l'opération de dupes est aussi rapidement démasquée que lorsque ce sont d'autres qui prennent le relais.
Une réforme de l'ISF est aussi plus largement un choix entre efficacité et justice. Lever de l'argent est le premier but des impôts, mais maximiser leur rendement n'est pas forcément juste, surtout si on veut aussi minimiser les efforts pour les lever. Parmi les impôts les plus importants en France figurent la TVA et la CSG, des impôts qui ne s'embarrassent pas spécialement de considérations de justice sociale mais qui l'incroyable avantage d'être difficiles à frauder. En cela, le sénateur Marini me semble commettre une erreur et se contredire. Remarquer que l'impôt est punitif revient à une critique d'efficacité, les gens se mettant à développer des comportements d'évitement. Si on veut plus d'efficacité, il faut taxer plus largement, à des taux plus faibles et donc la classe moyenne doit payer plus. L'impôt foncier — notamment sur la résidence principale — doit être augmenté si on veut plus d'efficacité: il faut bien habiter quelque part...

Conclusions

Pour conclure, l'ISF est un impôt qui est symbolique mais dont l'inefficacité est criante. Le moyen le plus simple de l'éviter semble encore être de minimiser outrageusement son patrimoine ou de le disposer de façon judicieuse. Les contribuables y sont fortement incités, notamment pour les plus riches d'entre eux, du fait des taux marginaux très élevés par rapport aux rendement faciaux actuels. Du fait de sa faible importance, le remplacer semble faisable, même si on se limite aux impôts sur le capital, l'impôt sur les successions pouvant apporter un certain secours. Toutefois se limiter aux revenus réels (par opposition au revenu fictif que procure une résidence principale) paraît un peu juste pour le remplacer sans perte.
L'objectif des parlementaires de la majorité semble être de supprimer l'imposition au titre de la résidence principale, alors même que c'est à la fois un élément de revenu et quelque chose d'aisément taxable. L'objectif avoué de Nicolas Sarkozy est de taxer les seuls revenus. Dans ce cadre, on voit mal comment une suppression de l'ISF peut s'effectuer sans perte pour l'état. À moins que, comme pour bon nombre de changements effectués durant ce quinquennat, la suppression ne soit que de façade et que l'essentiel de cet impôt persiste sous un autre nom ou, encore pire, de multiples petits impôts.