13 avril 2012

Le coût exorbitant de la course aux renouvelables

Le 6 avril dernier, le gouvernement a dévoilé les résultats de l'appel d'offres sur les premiers champs d'éoliennes en mer. Cette annonce a été précédée de fuites dans la presse sur l'avis que donnait le régulateur: tout confier au consortium emmené par EDF qui aurait été très offensif sur les prix. Finalement, le gouvernement a choisi d'attribuer 3 des lots à EDF, un autre au consortium emmené par Iberdrola et de laisser un dernier lot sans preneur.

Le gouvernement nous donne la puissance prévue sur chaque champ, le montant total des investissements (7G€), le nombre de gens embauchés de ce fait (10000). Il manque toutefois des informations d'importance: combien cela va-t-il coûter en impôts, en l'occurrence connu comme la Contribution au Service Public de l'Électricité ou CSPE et quelle est la production d'électricité prévue. À peine nous précise-t-on combien aurait coûté l'attribution du lot laissé vacant (500M€) en nous disant que c'était le plus cher. On pourrait estimer la production d'électricité prévue par la donnée du nombre de foyers alimentés par la réalisation de l'objectif de 6GW d'éolien. On peut en inférer que les quantités mises en services permettront une production équivalente à la consommation annuelle de 1.5M de ménages. Dans le bilan énergétique pour 2010, on lit (p49) que la consommation électrique résidentielle est d'environ 170TWh, il y a environ 27M de ménages en France, ce qui mène à un facteur de charge de 54%, totalement incroyable pour de l'éolien. Cela ne fait prouver, s'il en était besoin, que donner les productions électriques en nombre de ménages relève de l'enfumage pur et simple.

Pour obtenir ces renseignements, il faut se tourner vers la presse sans confirmation officielle et donc sans moyen de vérification. Pour des investissements financés par l'impôt, c'est totalement anormal. Toujours est-il que la subvention versée au titre de la CSPE serait de 1.1G€ par an pour les champs totalement construits. À noter qu'un post de Sauvons le climat — qui inspire largement ce billet — donne une subvention de 1.2G€ par an, différente de celle donnée par Les Échos, ce qui montre bien qu'il y a un problème de transparence, même si les ordres de grandeur sont les mêmes. La donnée de cette subvention permet de faire quelques calculs sur le prix de l'énergie produite. La CSPE prélevée est reversée à EDF comme différence entre le prix de l'énergie produite et le prix moyen qu'elle aurait valu sur le marché spot. Le prix moyen sur le marché spot est estimé à un peu moins de 57€/MWh (p9 de l'annexe 1 de la délibération sur la CSPE pour 2012).

Au total, on trouve qu'avec un facteur de charge de 35% — élevé pour de l'éolien — le prix moyen de l'électricité produite pour les lots alloués est de 243€/MWh. Pour le lot laissé sans preneur, il est de 290€/MWh. On peut comparer cela à quelques éléments:

  • Le tarif de rachat donné dans la loi — hors appels d'offres, donc — pour l'éolien en mer est de 130€/MWh.
  • Le tarif de rachat pour l'éolien terrestre est de 82€/MWh pour les installations nouvelles. Le prix moyen pondéré de rachat est de 87€/MWh selon la CRE (p6 de l'annexe sur la CSPE)
  • Selon les chiffres donnés à la Cour des Comptes pour son rapport sur la filière nucléaire (p220), le coût pour l'EPR de Flamanville, reconnu comme étant un échec industriel, est compris entre 70 et 90€/MWh. Contrairement aux éoliennes, il est pilotable et peut tourner à pleine puissance plus de 75% du temps.

Le prix payé est donc 3 fois plus élevé que pour l'éolien au sol ou que l'EPR de Flamanville. Il faut dire que les appels d'offres ne sont pas favorables à la maîtrise des coûts. Il y a aussi régulièrement des appels d'offres pour le solaire photovoltaïque pour des installations supérieures à 100kW. Le dernier a débouché sur un prix moyen de 229€/MWh; le prix officiel du photovoltaïque pour de telles installations est légèrement supérieur à 110€/MWh.

La commission Énergies 2050 attendait une réduction des coûts de l'ordre de 25% d'ici à 2030 (cf annexe, p196), ce qui laisserait l'éolien en mer à des niveaux de prix rédhibitoires. Il vaudrait mieux donc se tourner dorénavant vers d'autres sources d'énergies bien plus fiables et ne produisant pas de gaz à effet de serre, comme le nucléaire ou même ne continuer qu'avec l'éolien au sol. On peut même s'interroger s'il ne vaudrait pas mieux dépenser 1.1G€ de subventions annuelles sur d'autres secteurs que l'électricité pour réduire les émissions de CO₂. En dehors du manque de transparence du secteur, il faut bien constater que les prix de l'énergie produite sont affolants. Par dessus le marché, cela concerne des moyens de productions inutiles en France, où la production d'électricité est largement décarbonnée: mieux vaudrait réserver l'argent public à d'autres actions, immédiatement efficaces dans la réduction d'émissions de CO₂.

Ajout du 14 mai 2012: La CRE a publié sur son site son avis début mai. Il en ressort qu'il est prévu un facteur de charge de 40% et que le prix soit d'environ 228€/MWh dont 162€/MWh de subvention.

16 février 2012

Très professionnel

Pour clôturer le série sur le scénario envisagé par l'OPECST à long et très long terme, un dernier billet sur la motivation de la baisse de la part du nucléaire semble s'imposer. L'office, qui fait du développement de technologies de stockage un impératif de la validité de son scénario, n'est pas précisément animé par des d'anti-nucléaires patentés. Par exemple, Christian Bataille a donné son nom à une loi sur la gestion des déchets de l'industrie du nucléaire, ses interventions publiques montrent qu'il est favorable au développement de cette industrie.

La justification avancée est que la population peut se liguer rapidement contre l'énergie nucléaire:

La vitesse avec laquelle la population, en réaction à l’accident de Fukushima, s’est coalisée, par l’entremise des autorités locales, contre le redémarrage de tout réacteur arrêté, conduisant à une extinction accélérée du parc nucléaire, jusqu’à une interruption complète probable de toute production nucléaire à l’horizon de l’été 2012, montre le risque de s’en remettre pour une part trop importante à cette source d’électricité. (...) L’exemple japonais invite à ne « pas mettre tous ses œufs dans le même panier ».

Ce brusque retournement peut alors mettre en péril un équilibre patiemment construit, amener, comme au Japon, à des coupures ou à des réductions drastiques de la consommation, à engager des dépenses de combustibles fossiles supplémentaires ainsi que des investissements dans de nouveaux moyens de production d'électricité énormes mais non anticipés. Bref, cette préoccupation est légitime, puisqu'en démocratie, tenir compte de l'avis des citoyens est une nécessité.

Le réponse à cette préoccupation est par contre étonnante. Le constat que l'électricité nucléaire est le seul moyen aujourd'hui connu qui produise de l'énergie à la demande en quantité suffisante pour un pays comme la France amène l'office à maintenir peu ou prou le parc nucléaire. Seul vient le faire diminuer les inévitables énergies renouvelables à la mode, éolien en tête, qu'il compte au final faire seconder par des systèmes de stockage. Ce n'est qu'après 50 ans que le parc amorcerait une décrue grâce à la baisse des coûts et la généralisation de ces systèmes de stockage. Mais à cette époque, après 2050, il semble que l'opportunité de recourir rapidement à la seule source mobilisable rapidement, les combustibles fossiles, sera pratiquement interdite, les stocks ayant fortement diminué ou leur usage fortement découragé. Si donc le public devait réclamer à cor et à cri le remplacement de l'énergie nucléaire, quelles seraient les options?

De façon plus cynique, on ne peut que remarquer que, quand le nucléaire représente la majeure partie de la production, on ne peut s'en passer sauf à renoncer à utiliser l'électricité. Au contraire, quand il ne représente que 25 ou 30%, il est possible de faire appel aux moyens de pointe en permanence pour combler une bonne part de la production manquante, à condition bien sûr d'avoir assez de combustible.

L'argumentation révèle aussi une faillite du débat public en France. Il n'y a en effet pas tant de «paniers» d'énergie où mettre ses œufs. À cause des besoins de nourriture, la biomasse ne peut que représenter qu'une fraction des besoins en énergie d'un pays comme la France. L'éolien et le solaire photovoltaïque sont des sources intermittentes et obligent donc à des investissements extraordinaires dans le stockage si on veut s'appuyer uniquement sur eux. Les combustibles fossiles sont une solution qui fonctionne, et d'ailleurs, difficilement remplaçable dans les transports. Mais si on veut éviter de rejeter du CO₂, il faut diminuer leur consommation, les stocks sont aussi limités. Le nucléaire quant à lui est une solution, y compris à long terme avec les réacteurs à neutrons rapides, mais n'est pas économiquement adapté aux productions de pointe. De fait, il semble que si on veut garder un coût raisonnable de l'énergie, l'alternative se résume à: combustibles fossiles ou nucléaire? Où est la diversification possible?

La perception du danger du nucléaire parmi la population est aussi largement exagérée, surtout quand on la compare au premier concurrent dans la production d'électricité: le charbon. Ce n'est pas tant que le nucléaire ne connaisse pas d'accident. Mais tous les moyens de production d'énergie emportent leur lot de dangers, ainsi par exemple du couvreur qui installe des panneaux solaires. Mais le nucléaire permet de produire de grandes quantités d'énergie, nécessite de peu de matériaux et permet aussi de fuir lorsque les choses tournent mal. Le charbon, quant à lui, entraîne, de la mine aux fumées émises, des conséquences importantes sur la santé. Et c'est ainsi qu'on s'est amèrement plaint ailleurs que le charbon ne fasse pas l'objet de plus d'attentions.

L'utilisation du nucléaire s'accompagne d'une image de transgression. Le rapport de l'OPECST illustre aussi cela: en Allemagne, l'exploitation du lignite engloutit des villages et modifie profondément le paysage. Dans son compte rendu de visite en Allemagne, Christian Bataille qualifie les techniques de réaménagement de l'environnement de très professionnelles (Tome 2 p42), comme si, finalement, il y avait une sorte de fatalité dans l'exploitation du lignite en Allemagne et que la seule chose qu'on puisse y faire, c'est de réparer de façon professionnelle, contrairement au nucléaire où tous les dommages sont inacceptables même s'ils sont avant tout matériels. Lorsque des accidents se produisent dans l'exploitation des combustibles fossiles, personne n'en demande la mise à l'arrêt définitive. Cet aspect transgressif du nucléaire est largement le fonds de commerce du mouvement écologiste. Mais si jusqu'à la fin des années 70, le mouvement écologiste était largement noyé par la demande de plus de confort et une certaine confiance dans le progrès technique pour assouvir cette demande et ainsi améliorer la condition humaine, depuis, le rapport de forces s'est largement inversé. Les écologistes sont ainsi parvenus à obtenir l'interdiction de fait des OGMs en France. Sur cette question comme celle du nucléaire, les politiques, ou au moins ceux qui ont une présence médiatique, ne se sont pas bousculés pour défendre ces techniques.

Et c'est ainsi que l'office se voit mis face à un dilemme: la population est favorable à des moyens de production qui ne rempliraient en rien ses besoins, est hostile à des technologies qui agissent de façon très peu visible, est gagnée par une idéologie hostile au progrès technique, il ne veut pas non plus favoriser le réchauffement climatique. Dans ce cadre, il est impossible ou presque de recommander que la part du nucléaire reste à un haut niveau ou même que le parc se développe. Mais alors la seule alternative consiste à plaider pour un ensemble de technologies intermittentes dont on stocke le produit, au prix d'investissements et de coûts d'exploitations qui s'avèreront sans nul doute délirants. Ces moyens de stockage ressembleront aussi à ces bonnes vieilles techniques dont tout le monde peut se faire une idée, l'hydraulique et la chimie. Et si jamais un accident arrive, on pourra réaménager de façon très professionnelle.

13 février 2012

Le scénario de l'OPECST

L'OPECST termine son rapport sur l'avenir sur la filière nucléaire par l'énonciation de 3 scénarios, dont un seul est véritablement décrit en détail (Tome 1 p65 sq). Ce scénario s'appuie massivement sur des énergies renouvelables et des systèmes de stockage de l'électricité, il prévoit une décroissance de l'importance du parc nucléaire, surtout dans la deuxième partie de ce siècle. C'est aussi un scénario qui permet de ne pas augmenter a priori les émissions de CO₂ causées par la production d'électricité et de les éliminer d'ici la fin du siècle. Cependant, il souffre de quelques défauts qui font douter de son réalisme.

Le scénario est principalement décrit par la part d'électricité produite via le nucléaire. Il s'agit plus vraisemblablement de la part de la consommation finale, la présence significative des systèmes de stockage fait que la production totale sera forcément plus élevée qu'aujourd'hui: à la production «primaire» viendra s'ajouter une production «secondaire». À la fin du rapport figure aussi un graphe de la puissance installée de réacteurs nucléaires, le texte comprenant un scénario de remplacement des différentes générations de réacteurs. Puissance nucléaire installée selon l'OPECST

L'OPECST prévoit donc que le nucléaire représentera 50% de la production pour 50GW installés en 2050 et 30% de la production pour 30GW installés en 2100. On peut donc évaluer les productions à ces époques, en faisant l'hypothèse que le facteur de charge reste identique à celui d'aujourd'hui, environ 75%. On trouve une production de 660TWh en 2050 et en 2100 contre en gros 550TWh aujourd'hui, ce qui représente une hausse de 0.5%/an entre aujourd'hui et 2050 et une stabilité ensuite. L'OPECST prévoit donc que la production d'électricité sera quasiment stable ces 40 prochaines années et totalement stable après 2050. Comme l'office prend la peine de donner la puissance installée et la trajectoire de remplacement du parc actuel, ce n'est pas juste pour raisonner à production constante. On l'a déjà dit, l'hypothèse de la production et de la consommation stables d'électricité n'est pas raisonnable. La conséquence directe de la stabilité de la production est que l'électricité ne jouera aucun rôle ou presque dans la réduction de la consommation des combustibles fossiles en France. Adieu donc les rêves de grands parcs de voitures électriques, tout devra se faire via des économies de consommation des combustibles fossiles. Ce qui risque, vu qu'il faut les diviser par 4, d'être techniquement impossible et extrêmement impopulaire, car nécessairement accompagné de taxes substantielles.

Le scénario de l'office est entièrement fondé sur la disponibilité des systèmes de stockage, c'en est même une condition de sa validité. L'office fait cependant des hypothèses très optimistes sur l'efficacité du stockage. Il déclare (p67): Avec un taux de charge moyen de 20%, une capacité éolienne de 50GW s’appuyant sur un système de stockage d’énergie pourra alors se substituer à une production de 10 GW en base. Sachant que les centrales — nucléaires — qui tournent en base ont un taux de charge de 75%, cela veut dire que le système combiné éolien + stockage a une efficacité équivalente. L'expérience qu'on a d'ores et déjà de l'éolien montre que le stockage devra subvenir à la consommation finale à hauteur des 2/3. Ce qui veut dire que l'efficacité du cycle de stockage devra être supérieure à 70%: aujourd'hui seul le pompage remplit cette condition et il ne faut pas attendre des miracles de son développement. Ce qui fait que la capacité éolienne à installer est sous-estimée de façon assez large.

Cette stratégie ne fait pas grand chose non plus pour éliminer les émissions de CO₂ causées par la production d'électricité. Pour cela, l'office semble miser sur la biomasse ... qui sera sans doute aussi sollicitée par ailleurs pour remplacer les combustibles fossiles puisque l'électricité ne jouera pas ce rôle. Comme le développement de la biomasse est tout aussi limité, on risque donc de continuer à utiliser des combustibles fossiles pour la pointe, alors que justement, le stockage avait la possibilité de les éliminer.

L'office espère aussi que les subventions aux énergies renouvelables cesseront après 2020. On est en droit d'en douter pour au moins deux raisons. La première, c'est qu'actuellement, ce sont sans doute les meilleurs sites qui sont en train d'être équipés. Les autres sites présentent sans doute un rendement financier inférieur, ce qui sera toujours le cas après 2020. Il y aura alors de fortes chances que le prix des renouvelables sur ces sites soit toujours supérieur aux coûts des autres sources, amenant à devoir prolonger les subventions bien au delà de 2020. C'est ainsi qu'aujourd'hui, à 130€/MWh garantis sur 20 ans, il ne s'est toujours présenté personne pour construire des champs d'éoliennes en mer. L'appel d'offres gouvernemental semble accepter des offres allant au moins jusqu'à 170€/MWh, pour une fin d'installation en 2020. Il est peu probable que ce type d'installations ait rejoint dans 10 ans ne serait-ce que le prix de l'éolien terrestre actuel. La deuxième raison, c'est qu'à cause de leur intermittence voire — pour le solaire photovoltaïque — de leur corrélation inverse à la demande, ces énergies rendent un service inférieur aux sources commandables actuelles. Cela se traduit par la nécessité du stockage. Et si, justement, il doit y avoir des installations de stockage capables d'absorber les surplus des énergies renouvelables, cela voudra dire qu'il y a une situation de surproduction impliquant des prix plus bas que la moyenne. Lors des périodes de forte production, il y a de bonnes chances que les prix de l'électricité soient très bas voire nuls comme mentionné dans l'étude de Pöyry, ce qui grèvera la rentabilité des énergies renouvelables.

De l'autre côté, le scénario de l'office s'efforce de ne pas profiter à plein du potentiel de l'énergie nucléaire. L'EPR de Flamanville paraît ainsi devoir rester un exemplaire unique pendant 15 ans, de façon à bien perdre de l'expérience dans la construction de centrales nucléaires, une cause probable de l'allongement des délais et de l'explosion des coûts. Mais de façon moins anecdotique, l'office ne voit le premier réacteur commercial à neutrons rapides — Gen IV sur le graphe — ouvrir qu'à partir de 2060 et la puissance installée plafonner à 30GW, donnant, avec les stocks actuels d'uranium, 10 000 ans de production possible avec cette filière. Comme l'office propose de continuer à utiliser le nucléaire actuel pendant pratiquement autant de temps qu'il a été utilisé en France, ces stocks ne peuvent qu'augmenter. Le caractère constant de la production d'électricité nucléaire favoriserait aussi l'apparition du stockage, en diminuant la capacité nécessaire des usines et donc les coûts d'investissement.

Pour le dire clairement, l'office semble faire de grands efforts pour trouver un moyen de diminuer la part du nucléaire dans la production d'électricité. Il ignore pour cela les effets sur les autres secteurs de consommation d'énergie qui sont les principaux émetteurs de CO₂ en France. Le discours public insiste beaucoup sur la réduction nécessaire de ces émissions, même si on peut se demander si ce n'est pas pour amuser la galerie. Le scénario prévoit aussi implicitement des investissements supérieurs à ce qu'il pourraient être avec le nucléaire et fait des hypothèses très optimistes sur les coûts, les subventions futures et l'efficacité des systèmes de stockage. Cependant, il prend en compte le temps de développement des différentes technologies et une partie de la contrainte posée par les émissions de CO₂ et la raréfaction des ressources fossiles. C'est ce qui fait que malgré ses défauts, c'est sans doute, jusqu'à présent, le meilleur travail provenant du monde politique sur la question. On peut donc prédire que les politiques énergétiques continueront à se distinguer par leur inefficacité.

12 février 2012

Perspectives de la filière nucléaire française

À l'occasion de son rapport sur l'avenir de la filière nucléaire en France, l'OPECST a invité les acteurs de la filière actuelle et les instituts de recherche à s'exprimer. Les auditions sur la filière telle qu'elle est aujourd'hui donnent des informations sur certains coûts actuels, l'audition sur la recherche sur la Génération IV. Cela permet de de se faire une idée des enjeux et de la situation particulière de la France.

Les centrales nucléaires sont des cas particuliers des centrales thermiques, dont le principe de base est de transformer de la chaleur en force mécanique puis en électricité. Dans les centrales nucléaires, on utilise une réaction de fission auto-entretenue comme source de chaleur au lieu de brûler un combustible à base de carbone. Une réaction de fission produit environ 200MeV, soit un peu plus de 23GWh/kg de matière fissionnée. La fission est donc environ un million de fois plus énergétique que la combustion, ce qui explique que les volumes de matière en jeu soient nettement réduits et que le prix de l'uranium en tant que tel ne compte pas beaucoup dans le coût de l'électricité produite. Selon le rapport (Tome 1 p28), les importations annuelles d'uranium naturel sont de 8000 tonnes pour un coût de 200M€. À titre de comparaison, en 2010 selon le bilan énergétique de la France, la France a importé 511TWh de gaz naturel, soit l'équivalent de 340 millions de tonnes de méthane. Le gaz naturel est vendu à environ 20€/MWh, ces importations ont donc coûté 10G€. Même si l'uranium doit être enrichi pour être utilisé dans les centrales, les coûts dus à la matière première sont nettement plus bas que pour les combustibles fossiles.

Les coûts de construction, par contre, sont nettement plus élevés. La construction du réacteur EPR de Flamanville est estimée à 6G€. Cela dit, les réacteurs EPR en construction en Chine coûteraient 3.5G€ et tiendraient les délais: la construction est aujourd'hui plus avancée à Taishan qu'à Flamanville malgré une construction commencée 2 ans plus tard. Les coûts salariaux en Chine sont certes nettement moins élevés qu'en France, mais la rapidité de construction des centrales nucléaires en Chine est largement due à l'expérience acquise ces dernières années, alors qu'en France, la dernière centrale ouverte (Civaux) a vu ses travaux débuter à la fin des années 80.

Le rendement de conversion de la chaleur en électricité dans les réacteurs actuels est d'environ un tiers, ce qui fait que pour produire 1GW pendant un an, il faut fissionner environ 1 tonne de matière. Comme cette matière fissile est essentiellement composée d'uranium 235, on a besoin de beaucoup plus d'uranium qu'une tonne. L'uranium 235 ne représente que 0.7% de l'uranium présent sur Terre, on en perd lors de l'enrichissement et il est impossible de tout consommer, la réaction de fission finissant par s'interrompre quand la concentration en noyaux fissiles est trop basse. Cela fait que pour fissionner 1 tonne de matière, on a besoin d'environ 150t d'uranium naturel. En retraitant l'uranium «usagé» et en récupérant le plutonium comme en France, on arrive à faire descendre le besoin à 130t (Tome 2 p139). Il serait intéressant de réduire ce besoin: d'une part l'uranium appauvri s'accumule sans qu'on n'en fasse rien et d'autre part, au rythme actuel d'exploitation, les réserves dureraient environ 80 ans, moins longtemps que les réserves de charbon.

Si le nombre de neutrons émis lors de la fission de l'uranium 235 ne permet pas d'espérer faire mieux que le bilan actuel, le plutonium en émet pratiquement 3 et si on ne ralentit pas les neutrons — «modère» dans le jargon de la physique nucléaire —, le ratio fission/capture s'améliore. Dans ce cas, on peut espérer renouveler régulièrement la matière fissile aux dépens de la matière «fertile», dont fait partie l'uranium 238, qui constitue plus de 99% de l'uranium naturel. Dans ce cas, on consomme tout l'uranium, toujours au rythme de 1 tonne par GW et par an. Utiliser le cycle uranium/plutonium est très intéressant pour un pays comme la France: à cause du programme nucléaire, le stock accumulé se monte à environ 300 000 tonnes d'uranium appauvri (Tome 2 p139) et 300 tonnes de plutonium (p140). La France dispose là, en quelque sorte, d'une mine tout à fait spéciale, puisque le matériau y est disponible, quasiment prêt à être utilisé, et qui se remplit au fur et à mesure de l'exploitation des réacteurs actuels.

Les réacteurs à neutrons rapides présentent toutefois des inconvénients, outre leur coût plus élevé. L'impératif de ne pas (trop) ralentir les neutrons et de limiter les pertes interdit de recourir à l'eau comme fluide caloporteur, et de se tourner vers des éléments plus lourds — donc des métaux —, absorbant peu les neutrons tout en étant liquides autour du point de fonctionnement du réacteur entre 300°C et 600°C. Cela limite en fait le choix au sodium ou au plomb. Les réacteurs au plomb ont été éliminés à cause des problèmes de corrosion. Le sodium présente l'inconvénient de réagir violemment avec l'oxygène de l'air et avec l'eau, d'où l'idée d'utiliser un gaz inerte comme l'azote ou le CO₂ pour faire tourner la turbine. Il est aussi opaque, contrairement à l'eau utilisée dans les réacteurs actuels ce qui pose des problèmes d'inspection en cours d'utilisation. Du fait d'une certaine expérience en la matière, la France a choisi de concentrer se recherche sur les réacteurs au sodium. L'autre problème, c'est que la moindre probabilité de fission avec les neutrons rapides amène à une plus grande concentration d'éléments fissiles que dans le combustible actuel, ce qui renforce la radiotoxicité du combustible. Il faut aussi accumuler suffisamment de plutonium pour pouvoir démarrer un cycle fermé, une fourchette de 16 à 20 tonnes d'inventaire total — dans le réacteur et dans la filière de retraitement — pour un réacteur de 1GW (p140) est donnée, ce qui donne un inventaire d'à peu près 1000 tonnes pour remplacer le parc actuel de réacteurs à eau. Par contre, ce type de réacteurs pourraient être refroidis à l'arrêt par la convection naturelle, le talon d'Achille des réacteurs à eau actuels. Cela a déjà été démontré sur de petits réacteurs.

En conclusion, il semble que le nucléaire ait, contrairement à ce que laissent entendre les écologistes, des perspectives d'évolution très intéressantes avec la quasi-fermeture du cycle de l'uranium. Un pays comme la France qui a accumulé de grandes quantités d'uranium se retrouverait avec les réacteurs de génération IV avec au moins 1000 ans de réserves sur son territoire. Cela devrait constituer une raison impérative de continuer la recherche dans ce domaine qui ne semble pas devoir déboucher sur des applications à grande échelle avant 2040. Pour véritablement lancer ces réacteurs, le plus simple est encore de continuer à faire fonctionner des réacteurs à eau qui créent du plutonium en fonctionnement. L'addition de sécurités supplémentaires a fait augmenter le prix des centrales, mais une partie des coûts constatés à Flamanville est sans doute due à la perte d'expérience suite à l'arrêt de construction de centrales. Même avec ces coûts augmentés, le nucléaire reste compétitif et semble toujours être la seule source d'électricité qui ne produit pas de CO₂, qu'on peut commander et dont on peut augmenter la production pour de nombreuses années encore.

PS: merci aux administrateurs et aux contributeur de laradioactivite.com pour le contenu de leur site, très complet sur nombre de sujets touchant à la radioactivité et à l'énergie atomique!

5 février 2012

Prévoir une consommation stable d'électricité est-il raisonnable?

Le rapport de l'OPECST consacre une place importante à l'inévitable question de la maîtrise de la consommation d'électricité (Tome 1, p33 sq). Leur développement sur le sujet met en avant la nécessité d'augmenter l'efficacité énergétique et ... la raison pour laquelle l'amélioration de celle-ci n'est jamais suffisante. Cette partie ne contient pas vraiment d'idées nouvelles pour contenir la progression naturelle de la consommation d'énergie. Elle revient sur les diverses évolutions dans le domaine du logement, ce qui donne l'occasion d'un règlement de comptes avec l'administration édictant les normes de construction. Je ne m'attacherai pas à savoir si les reproches de l'office sont justifiés ou si la règlementation sera efficace, mais plutôt à montrer que prévoir une stabilité de la consommation d'électricité n'est pas réaliste.

L'office commence par refuser une stratégie délibérée d’énergie chère pour contraindre à une meilleure maîtrise de la consommation (Tome 1, p34), préférant procéder par le biais de la normalisation. Le fait est que cette normalisation ne s'applique qu'aux équipements ou bâtiments neufs. Pour ce qui est des bâtiments existants, tout dépend de la rentabilité de l'investissement. Dans ce cas, rien n'est plus faux que l'affirmation que l'énergie qu'on ne consomme pas est la moins chère: tout investissement pour diminuer la consommation d'énergie doit être repayé par les économies et le gain de confort dans un laps de temps raisonnable — mettons moins de 10 ans.

Cela dit, la demande en électricité dépend assez faiblement de son prix, car pour bon nombre d'usages, il est impossible d'effectuer une substitution. Cette substitution peut même être indésirable lorsqu'elle s'effectue vers les combustibles fossiles en venant d'une production d'électricité ne rejetant que très peu de CO₂ comme en France. Maintenir un prix relativement peu élevé de l'électricité est une bonne stratégie dans ce cas, même si cela entraîne une consommation supérieure.

Avec le progrès technique et l'élévation du niveau de vie, il est très difficile de contenir la hausse de la consommation d'électricité. À peu près tous les nouveaux objets inventés désormais fonctionnent à l'électricité, ce qui fait que la hausse de la consommation de biens a pour résultat une hausse de la consommation d'électricité. Le progrès technique permet des gains d'efficacité impressionnants via des changements de technologies, mais cela a souvent l'effet global inverse: la consommation d'électricité augmente, car l'usage augmente nettement plus.

Pour prendre un exemple, depuis les années 90, à peu près tous les écrans ont été remplacés. Les tubes cathodiques (CRT) ont laissé la place aux écrans à cristaux liquides (LCD), principalement. Les LCDs, sans être extrêmement efficaces — la dalle transmet moins de 10% de la lumière du backlight —, représentent un progrès en termes d'efficacité énergétique par rapport aux CRTs. Lorsque les 2 technologies étaient encore en compétition, on constatait qu'à diagonale égale, un LCD consommait 2 fois moins qu'un CRT. Cependant, les LCDs sont nettement plus lumineux que les CRTs: pour les moniteurs de bureau, on est passé d'environ 100cd/m² à 250 et pour les téléviseurs de salon d'environ 200 à 550. Comme les dimensions et le poids sont nettement réduits pour les LCDs, les tailles d'écran ont beaucoup augmenté: les TVs vendues atteignent souvent les 40 pouces de diagonale contre une vingtaine auparavant, ce qui représente une multiplication par 4 de la surface ce qui fait plus qu'annihiler les gains d'efficacité. Le nombre d'écrans a aussi fortement augmenté avec la généralisation des ordinateurs. Bref, bien loin de provoquer une baisse de la consommation électrique, l'introduction des LCDs a créé de nouveaux usages, ce qui s'est sans nul doute traduit par une hausse conséquente de la consommation électrique — et aussi de la pointe du soir.

C'est ainsi que le rapport note (Tome 1 p40) que tous les gains d’efficacité énergétique réalisés sur l’électroménager et l’éclairage depuis 1995 auraient été annulés par l’augmentation de la consommation des TIC ; rien que la consommation électrique de l’audiovisuel a augmenté de plus de 78 % en dix ans. Le bilan électrique 2011 de RTE porte les traces de cela, on y voit une hausse inexorable de la consommation par les particuliers, artisans et autres PME, tandis que la consommation des grandes industries baisse, principalement sous l'effet de la crise économique. Pour contrer cela, la piste avancée par le rapport est celle des politiques qui n'y peuvent rien, l'appel à la modification des programmes scolaires (p41): Il serait indispensable d’introduire dans les cursus scolaires un apprentissage sur le rôle de l’énergie et de l’électricité dans notre sociéte.

Il est aussi clair que la plupart des moyens qui permettent de se passer de combustibles fossiles ne sont utilisables que via l'électricité. Il est difficile de penser utiliser la force du vent autrement que par ce biais. De même, si on doit recourir à des carburants synthétiques ou stocker l'électricité de façon nettement plus extensive, la production d'électricité ne pourra qu'augmenter, et ce dans des proportions importantes.

Pour conclure, on voit là qu'il n'est pas raisonnable de prévoir que la consommation d'électricité restera stable à moyen ou même long terme. Si cela donne un cadre agréable de réflexion en laissant des point de repères fixes, il faut bien comprendre qu'une mise à l'échelle est indispensable. Ce n'est pas tant que les efforts d'économies d'énergie soient inefficaces: devant l'ampleur des investissements à réaliser, vouloir freiner la hausse est nécessaire. Mais les désirs de continuer à élever notre niveau de vie, de profiter des nouvelles technologies et de nous passer de combustibles fossiles pointent en fait tous dans la même direction: une hausse importante de la consommation — et donc de la production — d'électricité.

2 février 2012

Orwell et les réseaux intelligents

Le vocable de réseau intelligent recouvre l'adjonction d'une couche de télécoms sur le réseau électrique. Les éléments du réseau deviennent alors capables de donner en temps réel des informations sur leur état et leur consommation.

On voit tout de suite quels sont les avantages pour les gestionnaires de réseau: on sait exactement qui produit quoi, qui consomme quoi, où sont les problèmes récurrents ou exceptionnels. Le premier avantage est de supprimer la tournée des compteurs et de facturer toujours le bon montant à chaque facture, c'est une réduction des coûts et un gain de productivité. Cela permet aussi de gérer la production au plus juste. Celle-ci est toujours égale à la consommation mais un ajustement se fait sur la fréquence: un surplus ou un manque peuvent être absorbés s'il sont faibles. Mais comme la marge est très faible, avoir des renseignements exacts, surtout dans un contexte où la production peut venir de beaucoup d'endroits avec la généralisation des panneaux solaires grâce à de généreuses subventions.

Un autre argument avancé par les promoteurs auprès des particuliers à propos du nouveau compteur est qu'il favorise la maîtrise de la consommation. Cependant, il semble peu probable que le compteur seul y fasse grand chose. Certains seront peut-être effrayés par l'affichage de leur consommation, mais il est peu probable qu'on regarde son compteur en même temps que la télévision. Il est nettement plus facile de maîtriser sa consommation en s'informant avant d'acheter un équipement électrique sur sa consommation.

Parmi les auditions menées par l'OPECST, un représentant d'ERDF s'est étendu sur le programme de déploiement du nouveau compteur et pour expliquer comment la maîtrise de la consommation allait fonctionner (tome 2 p178):

Pour les clients résidentiels, il est ainsi possible d’agir, par exemple, sur les chauffe-eau, les radiateurs ou la climatisation, les appareils électroménagers, ces actions relevant soit de l’initiative du client pour réduire sa consommation, soit de son fournisseur dans le cadre de son contrat ou encore pilotées par le gestionnaire de réseau.

La maîtrise de la consommation prend un tour tout particulier, puisque le gestionnaire de réseau pourrait décider de ce qu'il est possible de consommer à la place du client. En d'autres termes, le client serait au service du producteur, alors que notre confort dépend en grande part de la possibilité de consommer de l'énergie lorsqu'on en a envie. Évidemment, cette liberté n'est pas complète, les producteurs veulent réduire la pointe, c'est la raison d'être des abonnements heures pleines/heures creuses. C'est ainsi que la plupart des logements tout-électriques ont un ballon d'eau chaude dont le chauffage entre en service commandé par une horloge. C'est la différence majeure avec ce qui est suggéré par le représentant d'ERDF: l'alternance entre heures pleines et heures creuses est entièrement prévisible, et en plus elle s'applique principalement à des consommations qu'on peut reporter sans grande perte de confort.

Une autre forme de ces abonnements est l'EJP, qui ressemble beaucoup à au procédé mentionné ci-dessus, où l'utilisation d'appareils électriques est fortement découragé par un tarif punitif lors des jours d'effacement. L'employé d'ERDF explique même quelque chose de pire où certains équipement se lanceraient à des moments défavorables pour le client, qui ne sera pas forcément ravi de voir que le fournisseur d'électricité n'autorise sa machine à laver à fonctionner qu'entre 3 et 4h du matin, ou même l'oblige à reporter la lessive à la semaine suivante. De même, penser utiliser les batteries des automobiles ne suscitera sans doute pas l'enthousiasme de leurs propriétaires, grande sera la tentation d'oublier de brancher son automobile sur le secteur lorsque la batterie sera pleine. Sous le vocable de maîtrise de la consommation, les réseaux intelligents seront là l'occasion de renverser la relation de client à fournisseur: la novlangue fait là une apparition remarquée.

Comme tous les appareils communicants, les compteurs ont aussi attiré l'attention de hackers. Ils ont donc trouvé qu'on pouvait faire dire n'importe quoi à son compteur. Mais ils ont aussi remarqué qu'on pouvait déterminer les habitudes de consommation de chacun en utilisant les données du compteur, ce qui n'est pas très étonnant quand on sait que l'analyse de la consommation électrique peut même servir à retrouver des clef cryptographiques privées. Ne doutons que de telles capacités seront mises à profit par des politiques prônant, par exemple, la tarification progressive de l'électricité, façon de faire payer ceux qui ne respecteraient pas les prescriptions gouvernementales.

L'office n'attend d'ailleurs pas plus que l'employé d'ERDF des miracles quant à la maîtrise de la consommation. Le rapport indique ainsi que (tome 1 p61) si la souplesse accrue des réseaux se traduira sans doute par un gain d’optimisation des ressources de compensation de l’intermittence, elle ne permettra pas d’en faire l’économie. L'office semble ainsi voir dans les réseaux intelligents, plus un moyen de suivre la production des moyens décentralisés que de suivre avec précision la consommation. Pour ERDF, le bénéfice principal sera surtout le relevé automatique des compteurs. Cela dit, le potentiel du compteur communicant est nettement supérieur à cela avec parfois des implications pas vraiment rassurantes.

29 janvier 2012

Stocker l'électricité

L'OPECST a rendu en décembre dernier un rapport — en 2 tomes— sur l'avenir de la filière nucléaire et plus généralement la génération d'électricité en France. Le premier tome présente ce que retient l'office des auditions et de ses déplacements, ainsi que sa conclusion sur le futur de la production d'électricité en France. Le deuxième tome compile l'ensemble des auditions menées. Ce rapport est l'occasion de passer en revue un certain nombre de sujets qui ont été évoqués lors des auditions de l'office et aussi de donner mon avis sur les conclusions de ce rapport.

Actuellement, il est difficile de stocker de l'électricité dans des quantités significatives ou dans un laps de temps dépassant quelques secondes. On est donc obligé de passer par des intermédiaires. Actuellement, seul le stockage dans des lacs de barrage remplit un rôle significatif dans la production d'électricité. Son utilisation requiert la présence de montagnes pour un usage le plus performant, et il existe une limite à l'acceptabilité des lacs de barrage, la montagne étant aussi habitée et fréquentée par des êtres humains, souhaitant voir aussi des vallées non noyées par des lacs. La montée en puissance de l'éolien et du solaire, moyens intermittents et hors de notre contrôle de production d'électricité, renforce la tentation de trouver des moyens de stocker cette énergie. Sans ces moyens de stockage, le complément est amené à être assuré, pour des raisons essentiellement économiques, par des énergies fossiles qu'il s'agit justement d'éviter d'utiliser.

Le rapport de l'OPECST aborde deux moyens: l'hydro-électricité et le stockage «chimique».

L'hydraulique

Comme produire de l'électricité à partir de lacs de barrage est une des formes les moins technologiquement avancées et les moins chères, la plupart des sites intéressants pour y installer des barrages sont occupés. Ceux qui sont libres ont un intérêt touristique et il est aussi légitime que les habitants souhaitent conserver une partie des vallées sans lac. En Europe, il existe peut-être encore des possibilités en Suisse et en Autriche, mais cela ne suffira pas face aux perspectives de développement des énergies renouvelables intermittentes. En France, sur 12GW de puissance pour l'ensemble des lacs de barrage, seuls environ 5GW sont disponibles pour le pompage.

Le stockage dans les barrages se base sur la gravité, les rendements sont bons, supérieurs à 70% sur l'aller-retour. L'énergie stockée est égale au produit de trois termes: l'accélération de la pesanteur, la masse d'eau stockée et la hauteur de chute. C'est pourquoi les sites montagneux sont les plus intéressants, on arrive à y créer des installations où la hauteur de chute vaut environ 1000m et où les volumes d'eau stockés dans la retenue peuvent dépasser la centaine de millions de m³. Dans le cas des stations de pompage, il faut en plus disposer d'une deuxième retenue en contrebas. Elle est souvent de capacité bien inférieure, de l'ordre de 10 fois moins, ce qui limite l'usage du stockage. Par exemple, le barrage de Grand'Maison a une retenue supérieure de 130M de m³, une hauteur de chute de 925m et une retenue inférieure de 14M de m³, ce qui limite le stockage à environ 37GWh.

Comme tous les sites de montagne sont équipés, on se tourne vers les sites marins, là où il y a des falaises. Un prototype a été construit sur l'île d'Okinawa. Le rapport reprend cette idée — tome 1 p58 sq , tome 2 p171 sq — avec un projet qu'a EDF à la Guadeloupe de construire une centrale du même genre. Le représentant d'EDF a donc présenté une centrale de 50MW, avec une capacité de 20h de fonctionnement continu — soit 1GWh — et une hauteur de chute de 50m. Ce qui veut dire que la retenue supérieure a une contenance d'environ 7M de m³, soit un lac de 35ha et profond de 20m ... le tout au sommet d'une falaise de 50m. Cette usine ne passera pas complètement inaperçue.

Le représentant d'EDF indique aussi qu'on pourrait installer 5GW de la sorte sur les côtes françaises (T2 p183), ce qui ferait donc une centaine d'usines. Le rapport est assez enthousiaste, puisqu'il déclare que les STEP marines constitueront une solution particulièrement bien adaptée pour la stabilisation de l’électricité produite par les parcs d’éoliennes offshore (T1 p59). Cependant, il y a quelques raisons de penser que les attentes seront déçues. Il n'existe ainsi aucun site équipable entre Quiberon et l'embouchure de l'Adour, ni de Perpignan à l'embouchure du Rhône. C'est assez gênant pour la stabilisation de la production des parcs offshores au large de l'embouchure de la Loire, l'appel d'offre gouvernemental y prévoyant déjà jusqu'à 750MW. Ensuite, les falaises sont souvent des espaces protégés et/ou fréquentés assidûment par les touristes. On peut ainsi citer le cap Fréhel, Étretat, le cap Fagnet ou le cap Blanc-Nez. Le problème n'est pas tant que d'arriver à en implanter quelques-unes, mais d'en implanter plusieurs dizaines. Ce qui fait qu'au lieu des 5GW vus par le représentant d'EDF, on aura sans doute 5 fois moins, alors que rien que pour le premier appel d'offre d'éolien en mer, il est prévu entre 2 et 3GW et que l'objectif d'ici 2020 est de 6GW.

La chimie et les carburants synthétiques

Le grand succès des combustibles fossiles tient à leur densité d'énergie qu'on peut dégager par combustion combinée à leur stabilité chimique par ailleurs. Par exemple, le méthane a un pouvoir calorifique d'environ 15kWh/kg, les carburants classiques donnant des résultats comparables. La plupart des carburants classiques se trouvant sous forme liquide, ils ne forment immédiatement pas des mélanges détonants, ils ne sont pas outrancièrement toxiques. Leur origine est la végétation préhistorique; le pétrole et le charbon mettent quelques centaines de millions d'années à se former. Dans l'optique de se débarrasser des combustibles fossiles, trouver des remplaçants ou de nouvelles façon de les fabriquer est donc extrêmement tentant et intéressant.

Certes, le rendement qu'on peut attendre d'une combustion est inférieur à ce qu'on peut attendre d'une technique comme les barrages, mais on gagne très nettement en compacité. Cela dit les CCGT atteignent des rendements de 60%. Leur forte puissance et leur coût raisonnable leur permettra d'être le moyen privilégié de production d’électricité à partir de la combustion de gaz. Dans le secteur des transports, les rendements peuvent monter jusqu'à 50%, mais le rendement moyen pour une voiture est plutôt de l'ordre de 20%. Là des piles à combustible et des batteries pourraient remplacer les moteurs à explosion, mais ces deux solutions ont leurs propres problèmes: coût très élevés et limites posées par les gisements de minerais.

Tous les procédés ayant en vue la fabrication de carburants synthétiques se basent sur la capture du CO₂ ou la création d’hydrogène. Le cas présenté à l'office repose sur les 2, de façon à absorber les excès de production d'électricité. Pour l'occasion, un représentant d'Areva, entreprise qui voit sans doute là l'occasion de se diversifier dans une activité avec de moindre risques politiques, vient présenter les travaux d'un GIE formé avec des spécialistes des gaz, Air Liquide et GDF-Suez (T1 p59 sq, T2 p173 sq). La marche suivie serait de capturer le CO₂ actuellement émis par les cimenteries puis de le transformer en méthane, puis en diméthyl-éther ou en éthanol. Il déroule une démonstration qu'il ruine à la fin en révélant que les prix donnés sont basés sur un rendement du capital ridiculement bas.

Le scénario d'usage a aussi de graves faiblesses: si on se base sur la capture de CO₂ par les usines pour fabriquer les carburants synthétiques, la consommation de combustibles fossiles sera diminuée mais non éliminée. D'une part, parce que la capture du CO₂ ne sera pas parfaite. D'autre part, l'utilisation par les automobiles des carburants synthétiques amène à ouvrir le cycle et à devoir se réapprovisionner en composés concentrés en carbone, c'est-à-dire en fait en combustibles fossiles. Il paraît en effet peu probable que capter le CO₂ atmosphérique soit viable, étant donné qu'il ne représente que moins de 0.05% en volume de l'atmosphère. On pourrait penser se baser sur des composés azotés, mais ils sont tous toxiques ou instables. Créer de grandes quantités d'hydrogène nécessite aussi de grandes quantités d'eau, créant une compétition pour son usage et incitant à placer les usines en bord de mer, en compétition avec de nombreuses activités économiques.

Tous ces procédés consomment de l'énergie, d'abord pour créer de l'hydrogène. L'électrolyse est un procédé bien maîtrisé, les rendements sont de l'ordre de 80% (exemple). Le problème de l'hydrogène est que c'est un gaz très difficile à liquéfier et finalement peu énergétique par unité de volume. Il faut donc consommer relativement beaucoup d'énergie pour le stocker soit pour le transformer en autre chose (comme du méthane). Si on admet que ces opérations supplémentaires ont un rendement total de 80%, et que le gaz est brûlé dans une centrale à cycle combiné, le rendement global atteint environ 40%, ce qui n'est pas terrible.

Quelles conséquences?

Il est intéressant de faire quelques calculs pour voir ce que donnent les procédés de stockage dans le cas où on voudrait se passer totalement de combustibles fossiles et se baser sur différents modes de production «primaire» — c'est-à-dire avant stockage — d'électricité. Les cas donnés ci-dessous sont simplifiés à l'extrême et amplifient les besoins de stockage. Je pense qu'ils donnent tout de même quelques informations intéressantes.

Commençons d'abord par supposer qu'on puisse, malgré les difficultés, se baser uniquement sur un stockage d'efficacité égale à 40% et que la production d'électricité «primaire» soit constante dans le temps avec des installation qui ont un facteur de charge de 70%. La consommation finale, elle, connaît deux états, un où la consommation vaut 30GW, l'autre où elle est de 90GW pour une moyenne de 60GW. Cela correspond à une consommation de 525TWh, 10% plus élevée que celle de la France. On trouve que la puissance «primaire» installée est d'environ 100GW, ce qui est une augmentation conséquente par rapport au cas français, où, en cumulant nucléaire et barrages au fil de l'eau, la puissance primaire installée ne produisant pas de CO₂ est d'environ 70GW. Elle reste cependant raisonnable. Les capacités pour le stockage le sont moins, puisqu'il faut les usines absorbent 40GW. Cela dit, le modèle à deux états ne correspond pas à la réalité, où la consommation reste en fait proche de 60GW une bonne partie de l'année, sauf au mois d'août et dans les périodes les plus froides de l'hiver. On bénéficie aussi d'un stockage «gratuit» avec les lacs de barrage qui se remplissent en grande partie grâce aux précipitations. Mais on peut voir que les coûts induits par une technique de stockage peu efficace ne sont pas mineurs, ce qui explique qu'on se soit limité à la solution efficace, le pompage, et encore dans des proportions de l'ordre de 1% de la production totale. Le complément est assuré par les centrales thermiques à combustibles fossiles.

Si on se tourne maintenant vers un moyen de production intermittent dont le facteur de charge moyen est de 25% mais dont la production évolue entre deux états, un où la production est de 70% de la capacité installée et l'autre où il n'y a pas de production. La consommation finale est estimée fixée à 60GW. Avec un rendement du stockage de 40%, les puissances à installer sont extraordinaires: plus de 400GW de capacité primaire, les installations de stockage doivent être capables d'absorber plus de 200GW, etc. Bien sûr, c'est une représentation caricaturale des énergies renouvelables intermittentes, mais il reste certain que ce type de source primaire entraîne plus de besoins de stockage et plus de besoins de production primaire, dans des proportions importantes.

Le dernier point à prendre en considération est que les installations de stockage doivent fonctionner à l'envers de l'économie en général: la nuit et en plein été car la moindre consommation à ces moments rend plus probable qu'on y ait des surplus d'énergie. Cela posera sans doute des problèmes sociaux si cette industrie est amenée à prendre une grande ampleur.

Pour conclure, avec les rendements des moyens actuels de stockage, il est illusoire de vouloir se passer de combustibles fossiles. Même si la recherche permettait de découvrir des moyens plus efficaces et plus faciles à généraliser, l'OPECST ne voit pas de déploiement à grande échelle avant une vingtaine d'années et on ne peut que lui donner raison. Le problème de la source primaire se pose aussi: une source intermittente et fatale oblige à prévoir plus d'investissements pour le stockage, car en plus de devoir faire à face aux variations de demande, il faut faire face aux variations de production. Les coûts pour les consommateurs sont donc nettement plus élevés, ce qui amène à douter de la compétitivité de systèmes basés sur de l'éolien et du solaire photovoltaïque, soutenus par des systèmes de stockage. La tentation sera grande de se reposer sur les stocks légués par le passé: les combustibles fossiles.

14 décembre 2011

Le mythe des énergies renouvelables bon marché

Dans le choix des différents moyens de production d'électricité à installer, les coûts de chaque solution jouent sans nul doute un grand rôle. À quoi bon gaspiller de l'argent? L'énergie nucléaire s'est imposée dans les années 70 comme la moins chère en France. En effet, la France avait épuisé ou presque ses réserves de charbon ce qui nécessitait d'en importer et donc de payer les coûts de transports associés. Comme le coût de l'uranium enrichi, aux cours actuels, entre pour une faible part dans le coût de production de l'électricité nucléaire, il est très intéressant de construire des centrales nucléaires, surtout dans un pays qui maîtrise l'ensemble des technologies nécessaires, comme la France. La pertinence de choix ne s'est pas démentie, comme nous le confirme tous les 6 mois Eurostat: la France est un des pays où l'électricité est la moins chère pour tous.

Dans leur lutte contre l'énergie nucléaire, les écologistes cherchent donc à montrer que l'énergie nucléaire n'est pas la moins chère. Mais comme il leur est difficile de faire directement de la publicité pour le charbon, le gaz ou encore le pétrole, qu'il est fort compliqué de plaider pour la construction de barrages dans un pays déjà bien équipé, il leur faut se limiter aux énergies renouvelables à la mode, à savoir le solaire photovoltaïque et l'éolien. C'est l'objectif de la tribune publiée dans Le Monde par un aréopage de militants provenant de diverses associations écologistes, titrée Assez de mythes : le nucléaire est plus cher que les énergies renouvelables.

Dès l'abord, ils commencent très fort: ils nous affirment que l'électricité est moins chère en France que dans la plupart des autres pays européens, (...) parce que l'Etat a longtemps subventionné le développement du parc nucléaire. Il est vrai que le solaire et l'éolien, eux, ne bénéficient pas et n'ont jamais bénéficié du soutien de l'état. Il n'y a pas de tarifs de rachat obligatoires. Il n'y a pas d'obligation d'achat de cette électricité par EDF. Enfin, il n'y a pas de taxe pour financer les surcoûts de ces énergies. EDF, quant à elle, n'a jamais porté la dette attachée à la construction des réacteurs, cette dette n'a jamais été remboursée par les factures des clients qui pourtant bénéficient depuis longtemps maintenant de tarifs parmi les plus bas d'Europe. Pour résumer, il semble que lorsque l'état fait construire par une entreprise sous son contrôle des installations rentables à des prix inférieurs à ceux qui se pratiquent ailleurs, c'est mal. Lorsque l'état taxe la population pour financer des moyens de production produisant à des prix nettement supérieurs à ceux du marché, c'est bien.

Les auteurs nous affirment aussi que le démantèlement n'est pas financé. Or des démantèlements complets ont déjà eu lieu aux USA, par exemple la centrale de Connecticut Yankee, pour des réacteurs semblables à la flotte actuellement déployée en France, des réacteurs à eau pressurisée (REP). Le régulateur américain, la NRC a donc une certaine expérience en la matière, elle cite des coûts de l'ordre de 400M$ pour des REP de 900MW. Si on compte que les réacteurs français de 900MW sont fermés au bout de 40 ans et ont produit 70% de ce qu'il était possible de produire et que le démantèlement coûte 400M€, le coût du démantèlement par MWh produit est de moins de 2€. Le prix de l'électricité nucléaire a été estimée par le gouvernement à 42€/MWh. Il semble donc probable que les provisions passées par EDF soient suffisantes.

Mais l'argument principal des auteurs porte sur le coût d'installation des différentes sources d'énergies. Ils comptent en termes d'investissement par watt nominal des différentes installations, qui ne représente que la puissance maximale. C'est pourquoi les auteurs disent à un moment qu'il faut normaliser pour prendre en compte l'intermittence, ou dit autrement, au moins pour prendre en compte l'énergie effectivement produite. On peut se dire que leur manière de compter n'est pas la meilleure. Cependant, un petit calcul peut donc se faire à partir des chiffres qu'ils donnent en prenant en compte l'énergie effectivement produite par le nucléaire, l'éolien et le solaire par rapport à la production théoriquement possible, c'est-à-dire en prenant en compte le facteur de charge.

  1. Pour le nucléaire, en 2010, le parc installé est de 63GW pour une production de 408TWh soit un facteur de charge de 73.8% (source Statistiques 2010 de RTE, p17). Si on redresse le coût donné par les auteurs, on obtient 4.93€/W.
  2. Pour l'éolien, RTE donne un facteur de charge de 23% (source: Bilan prévisionnel 2011 p71). Le coût devient alors 5.65€/W.
  3. Pour le solaire photovoltaïque, RTE a pris comme hypothèse un facteur de charge de 11% dans le Bilan prévisionnel. Le coût donné par les auteurs est donc de plus de 9€/W.

On peine donc à retrouver les conclusions des auteurs: le nucléaire est toujours moins cher. De plus, cette analyse ne prend pas compte la durée de vie des installations: 60 ans prévus pour l'EPR contre sans doute 20 ans pour les éoliennes, par exemple. Il faudrait donc non seulement payer plus cher à la première installation, mais aussi payer plus tard le renouvèlement pendant que le réacteur nucléaire continuerait à fonctionner. Quant au problème de l'intermittence, il n'est pas vraiment pris en compte par cette simple analyse du facteur de charge: l'éolien par exemple est totalement aléatoire, comme le montrent les compte-rendus mensuels de RTE. C'est-à-dire que durant un même mois, la puissance délivrée par les éolienne peut varier de 70% de la puissance maximale à 1% voire moins en quelques dizaines d'heures, sans relation avec la consommation. Il faut donc prévoir des moyens de production ou de stockage pour les remplacer lorsque le vent ne souffle pas. Vu que le facteur de charge de l'éolien est de 23%, les moyens de production de remplacement produisent 2 fois plus que l'éolien lui-même, de sorte que c'est plutôt l'éolien qui remplace ces moyens flexibles. La logique économique pousse à ce que ces moyens de productions soient des centrales thermiques à flamme, ou dit autrement, utilisant pour la plupart des combustibles fossiles. Ces moyens de productions ne sont pas nécessaires dans le cas du nucléaire, qui produit à la demande sans émettre de CO₂.

L'autre problème des moyens de production intermittents est de savoir s'ils produisent quand on en a besoin. Le solaire peut sans doute trouver à s'appliquer dans les zones proches des tropiques où, non seulement le facteur de charge est supérieur, mais aussi la production photovoltaïque s'accorde au moins en partie avec les besoins de climatisation. Ce n'est pas le cas en France, où la demande est minimale le 15 août et maximale les soirs d'hivers, lorsque le soleil est déjà couché. Quant à l'éolien, une présentation à partir des données de production de RTE montre qu'il ne pourrait être utile qu'en remplacement stochastique des moyens de production fossiles, ce qui n'est même pas assuré avec la production actuelle! Les statistiques de RTE montrent d'ailleurs que l'éolien semble surtout avoir remplacé du nucléaire entre 2005 et 2010. Les perspectives ne sont pas meilleures: augmenter les capacités de production de l'éolien ne fera que renforcer ces problèmes. Une étude du cabinet de consultant finlandais Pöyry avait montré que les prix de l'électricité serait réduits à 0 lors des pics de production éolienne. La part du nucléaire en France serait diminuée en faveur notamment d'une source obscure nommée "autres énergies renouvelables", sans doute la biomasse, mais la part des combustibles fossiles resterait la même. En clair, les conséquences seraient les suivantes: on aurait besoin de cultiver de grandes surfaces d'arbres à pousse rapide (peuplier, eucalyptus, pin) pour produire de l'électricité, on ne diminuerait pas les émissions de CO₂, les tarifs de rachat obligatoires de l'éolien seraient maintenus indéfiniment puisque lors des périodes de fortes production les prix seraient nuls, annihilant la rentabilité potentielle des ces installations, le prix aux clients, lui, augmenterait, en partie à cause de la volatilité accrue des prix de l'électricité.

Pour le dire clairement, il semble fort difficile de voir quels seraient les avantages économiques pour la société dans son ensemble de se payer une forte production d'origine éolienne ou solaire. Les problèmes de l'intermittence sont dantesques et, en plus même sans cela, les énergies renouvelables sont toujours plus chères. Dans le secteur de la production d'électricité, on ne peut en attendre aucune réduction des émissions de CO₂. Plutôt que d'investir dans ces moyens de productions inutiles, il serait sans doute plus efficace d'investir dans l'éviction du fioul dans le chauffage des habitations ou même du gaz, en faveur de chauffage électrique à base de nucléaire et de pompes à chaleur.

1 décembre 2011

La déplorable politique énergétique de François Hollande

Au risque de lasser les quelques lecteurs qui se risqueraient encore en ces lieux, il va de nouveau être question du nucléaire et de l'exécrable accord entre le PS et les Verts.

Et d'abord, il faut bien dire qu'on s'était un peu trompé: les Verts veulent bien le pouvoir et pas seulement imposer leurs idées, si on en croit un article relatant une partie des péripéties entourant la construction de cet accord. Cécile Duflot et Jean-Vincent Placé désirent bien des places de parlementaires et si la chance leur sourit des postes ministériels. Mais il semble bien que la tactique des écolos ait été la bonne, exiger à la fois des circonscriptions et des concessions politiques donne de bons résultats. Quant au PS, sa porosité aux idées autrefois réservées aux écologistes est maintenant démontrée.

Face à l'orage qu'a déclenché la signature de l'accord, tant à l'intérieur de son parti qu'à l'extérieur, les partisans de François Hollande ont donc essayé d'expliquer tant bien que mal la logique qui présidera à sa politique énergétique. François Brottes, chargé de l'énergie dans la campagne du candidat socialiste, a donné une interview au Monde, puis François Hollande a publié une tribune dans ce même journal.

Dans son interview, François Brottes attaque le gouvernement lorsqu'il doit répondre à l'accusation de fragiliser Areva. Il prétend ensuite que des chantiers de démolition sont des gisements d'emplois considérables et qu'abaisser la part du nucléaire dans la production d'électricité renforcera les compétences en la matière, que les renouvelables vont créer tout un tas d'emplois, que la R&D dans le stockage de l'énergie aussi, alors que cette dernière n'est pas forcément incompatible avec le maintien de la part du nucléaire. Il attaque de nouveau le gouvernement quand on lui demande si sa politique ne va pas augmenter le prix de l'électricité, avant de faire une distinction spécieuse et arbitraire entre consommation d'électricité essentielle et accessoire. Sur la question des rejets de dioxyde de carbone du fait du recours accru aux centrales thermiques à flamme, il répond qu'on le fait déjà — là n'est pas vraiment la question — et qu'il faut diminuer la consommation d'électricité — en brûlant des combustibles fossiles? — et stocker l'électricité provenant de l'éolien et du solaire — la remarque sur la R&D montrant qu'on ne sait pas faire. Je ne suis pas spécialement rassuré par cette interview, mais elle me confirme dans mon opinion des positions socialistes sur le sujet.

Dans sa tribune, François Hollande affirme au départ qu'il faut sortir du tout pétrole pour les transports, pétrole qu'on remplacera par ... ah non, ce n'est pas dit. Pour l'électricité, il s'agit donc de sortir du fameux tout nucléaire. Bref, il s'agit de diversifier les sources d'énergie, ce qui laisse pas d'étonner puisqu'il vient d'affirmer que le nucléaire n'est pas la seule source d'énergie ... puisque c'est du tout pétrole qu'il faut sortir quand il s'agit des transports. On le constate sur ce graphe, extrait du Bilan énergétique 2010 (p33), les sources d'énergies en France sont déjà diverses: Conso d'énergie en France en 2010

Mais foin de tout ceci, ce modèle doit désormais se moderniser et s'adapter, c'est-à-dire que la part du nucléaire doit baisser à 50% dans la production d'électricité. François Hollande reconnaît au nucléaire des avantages, sans les détailler. Cependant, si sa part doit diminuer, c'est que ce mode de production a des défauts qui sont apparemment limités à une question de coûts. L'industrie nucléaire sera donc priée de se taire, en exploitant les centrales qu'on ne fermera pas et en démantelant les autres.

Hollande propose donc d'augmenter la part des énergies renouvelables. Celles-ci ont pour caractéristique d'être plus chères que le nucléaire, ce qui paraît contradictoire avec l'argument de coûts développé auparavant. Mais voilà, les énergies renouvelables permettent de dire qu'on a créé des emplois sympas et ontologiquement bons. Qu'elles puissent en détruire ailleurs n'est pas un problème, on va s'organiser pour que ça ne se voie pas. Car Areva doit apparemment devenir le fournisseur principal (unique?) de tous ces matériels. Autant pour la concurrence dans ce domaine et les compétences accumulées dans le nucléaire.

Quant au problème de l'augmentation du prix de l'électricité, Hollande commence par affirmer qu'à cause de la cherté des nouveaux réacteurs nucléaires, il doit augmenter de toute façon. Il oublie donc de préciser que le prix augmentera encore plus avec sa politique. Il avance aussi un remède miracle pour protéger les consommateurs. L'industrie sera préservée, comme cela se passe dans tous les pays ayant adopté une politique de développement des renouvelables, laissant les particuliers porter seuls les coûts. Hollande va encore plus loin dans ce domaine: le gouvernement va donc définir ce qui est est essentiel et ce qui est juste du confort. On sera donc sans doute prié d'accepter des inspections pour constater qu'on vit bien selon les préceptes de modération en vigueur. À moins que ce ne soit une tarification progressive en fonction de la consommation, ce qui va donc aussi inciter les gens à remplacer l'électricité par des combustibles fossiles où aucune tarification de ce type n'est envisagée.

Hollande nous dit aussi vouloir améliorer l'efficacité énergétique par la diminution des pertes en ligne. Qui ne représentent que 7% de la consommation d'électricité française et dont 2% seulement ont lieu dans les lignes haute tension (Statistiques 2010 de RTE, p15). On voit donc mal comment gagner quoique ce soit dans ce domaine. Un autre moyen d'amélioration serait le stockage de l'électricité. Cela ne peut surprendre: stocker de l'énergie n'améliore pas en soi l'efficacité de son usage, au contraire d'ailleurs, on en dépense toujours en la stockant pour la réutiliser ensuite.

C'est alors qu'on se rappelle que ces énergies renouvelables nouvelles sont éminemment variables, ce qui n'est pas pour rien dans leur abandon pour le charbon au 19e siècle. Tous les mois, on peut constater sur le site de RTE, avec des compte-rendus mensuels, que l'éolien est extrêmement variable, avec une puissance délivrée passant de 1% de la capacité à 70% en quelques dizaines d'heures, avec de longues périodes sans production digne de ce nom. Quant au solaire photovoltaïque, nul n'est besoin d'être sorcier pour s'apercevoir que sa production est pratiquement inexistante lorsqu'on en aurait besoin en France: en début de nuit l'hiver. Face à cette intermittence, l'idée est de stocker l'électricité en surplus. Mais on s'aperçoit que les ordres de grandeurs sont vraiment et absolument délirants avec les technologies actuelles. Il faut aussi noter au passage qu'à l'heure actuelle, l'hydro-électricité sert au suivi de la demande et donc que son potentiel de stockage pour les renouvelables politiquement correctes — solaire et éolien — est encore plus limité.

Comme il n'existe pas de système de stockage d'électricité un tant soit peu crédible, que va-t-il se passer? On va construire des centrales thermiques, notamment au gaz, qui ont la caractéristique de pouvoir réagir rapidement à la demande, d'avoir des coûts relativement proportionnels à leur utilisation et ... d'émettre du CO₂. C'est ainsi que, dans les pays à forte production éolienne, comme le Danemark ou l'Espagne, c'est le thermique qui prend le relais lorsque le vent ne souffle plus, comme on peut le voir en bas de cette page. Comme la moyenne de la production éolienne vaut en gros un tiers de la production maximale, une éolienne est surtout un moyen de baisser d'un tiers les émission d'une centrale thermique à flamme. Selon les propres mots d'un industriel du gaz, ce sont en fait des centrales au gaz. Avec certes moins de CO₂ émis, mais dans des proportions qui n'ont rien à voir avec la réduction nécessaire des émissions, une division par 4. Comme la production française d'électricité est essentiellement assurée par le nucléaire, une avancée trop importante de ces renouvelables va se traduire par une augmentation des rejets de CO₂, alors que l'objectif proclamé était l'inverse. On peut aussi se référer à ce qui se passe en France depuis qu'on encourage ce type d'énergie. p17 des indispensables Statistiques 2010 de RTE, un graphe montre l'évolution annuelle de la production française. On y constate que la production de 2010 et de 2005 sont quasiment égales. La composante thermique à flamme est quasiment inchangée, la production hydroélectrique est en hausse, probablement grâce à une meilleure pluviométrie, la production de renouvelables — essentiellement de l'éolien — est en hausse, le nucléaire est en baisse. Force est donc de constater que l'éolien a surtout remplacer du nucléaire, et n'a aidé en aucune manière à la baisse des émissions de CO₂. Si le parc électrique français voit ses émissions se réduire avec cette politique, ce sera grâce à l'éviction du charbon en faveur du gaz.

Hollande termine en déclarant que ce débat mérite mieux que l'aveuglement et le mensonge. Sans doute parle-t-il en connaisseur, lui qui ment éhontément en ne disant pas que sa politique conduit à la construction de centrales thermiques à combustibles fossiles et à l'augmentation des émissions de CO₂ — et sans doute de méthane — alors que le but proclamé est inverse? Lui qui parle d'aveuglement, alors qu'on peut déjà subodorer que la politique menée est en train d'échouer et qu'il ne parle que de la renforcer?

8 octobre 2011

Escroquerie renouvelable

Les opposants à l'énergie nucléaire ont un problème: si on ferme les centrales nucléaires, par quoi les remplacer? On pourrait bêtement penser les remplacer par ce qui existait avant que la décision ne soit prise dans les années 70 de baser la production d'électricité sur la fission de l'uranium: les énergies fossiles, notamment le charbon et le gaz naturel. Ces technologies ont toutefois un gros défaut: elles produisent comme déchet du gaz carbonique, gaz à effet de serre bien connu. Or il se murmure que trop d'émissions amènerait à un réchauffement incontrôlé et important de la planète qui s'accompagnerait d'évènements imprévisibles mais presque certainement néfastes. Il est donc important de proposer des moyens de remplacer les centrales nucléaires par des énergies ne produisant pas de gaz à effet de serre.

C'est pourquoi il est important pour ces opposants de disposer de scénarios intégrant à la fois fin des combustibles fossiles et fermeture des centrales nucléaires. Ces scénarios sont aussi utiles pour ceux qui sont favorables à la continuation de la production d'électricité par l'utilisation de la fission: si ces scénarios ne sont pas crédibles, le nucléaire en sort conforté; s'ils le sont, on pourrait toujours s'en servir comme d'une base pour un scénario différent où le nucléaire pourrait apporter, par exemple, un coût moindre. En France, l'association négaWatt a présenté un scénario actualisé. Tout d'abord, il faut remarquer que ce scénario s'appuie avant tout sur une baisse drastique de la consommation d'énergie. Ce n'est pas étonnant, une part prépondérante de l'énergie finale consommée en France est utilisée dans le secteur des transports — utilisation de voitures, camions, ... — et dans le secteur du chauffage — notamment au gaz naturel. Si on veut sortir du nucléaire ou à tout le moins ne pas avoir à construire de nombreuses centrales, il faut bien faire des efforts en matière de consommation pour se passer de combustibles fossiles.

Cependant, si on se tourne du côté de la production d'électricité, on peut remarquer quelques menus problèmes. D'abord, si on regarde le dossier de synthèse, on voit (p22) un graphe décrivant la provenance de l'énergie consommée en France en 2010. On constate que le charbon n'est pas utilisé pour la production d'électricité, mais seulement dans la sidérurgie et le chauffage, ce qui est en totale contradiction avec ce qu'on trouve dans les documents de RTE, l'entreprise qui s'occupe du réseau de transport d'électricité. Dans le bilan prévisionnel publié cet été, on lit (p83) qu'il y a eu 19TWh d'électricité produite à partir du charbon en 2010. On peut aussi regarder le bilan énergétique publié par le ministère de l'énergie: p21 on voit que la France a importé 11.8 Mtep de charbon et produit 0.1Mtep (p17). Ce qui nous donne 138TWh, 54 de plus que sur le diagramme de negaWatt. Si on fait l'hypothèse que la production d'électricité à partir de charbon a été oubliée, cela nous donne un rendement des centrales au charbon de 35%, ce qui paraît raisonnable. Il semble donc bien que la consommation de charbon pour la production d'électricité ait été oubliée, ce qui ne fait pas très sérieux, s'agissant de la situation de départ.

Sur le diagramme de la p23 du dossier de synthèse, on voit que l'éolien produirait 194TWh soit presque la moitié de la production électrique dans leur scénario. Si on lit la présentation sur les sources d'énergie, les énergies produites et les puissances installées par types d'installations nous sont données. À partir de là, on peut calculer le facteur de charge, c'est-à-dire le rapport de la production réelle à la production théoriquement possible sur une année. Ce qui donne le tableau suivant:


Situation Puissance installée (GW ) Production (TWh) Facteur de charge
Terrestre 48 97 23%
Côtière 8.5 26 35%
Maritime 21 71 38.5%

Malheureusement, les facteurs de charge sont quelque peu ambitieux. Actuellement, le facteur de charge moyen des installations éoliennes est de 23%. Comme on peut supposer que ce sont les meilleurs sites qui sont équipés en premier, le facteur de charge ne peut que décroître à mesure que de nouvelles éoliennes sont installées. Ce qui veut dire que le taux de charge pour les éoliennes terrestres est forcément surévalué. Avec le nombre de sites équipés que cela suppose, le taux de charge sera sans doute plus bas de 2 ou 3 points en réalité. Quant aux taux de charge des éoliennes marines, il semble extrêmement surestimé. L'annuaire statique anglais sur les énergies renouvelables nous donne en effet les taux de charge pour les éoliennes terrestres et marines séparément (tableau p30). En moyenne, le taux de charge des éoliennes marines est en moyenne 4 points au dessus des terrestres, et non 12. Certes, plus on s'éloigne des côtes et plus le taux de charge doit augmenter, mais les 35% et plus ne sont pas accessibles — surtout en moyenne avec des installations de cette ampleur — dans les eaux françaises. Avec ce qui est proposé, la production éolienne est surévaluée avec un ordre de grandeur de 30TWh, soit 15%. Avant d'aborder la question de la variabilité, la production d'électricité paraît clairement surestimée, alors même que le scénario prévoit une baisse drastique de la consommation pour être compatible avec la production. En clair, le plan combine des économies d'énergies impossibles à réaliser et une production insuffisante.

Le scénario de negaWatt prévoit une solution pour la variabilité des énergies renouvelables: ils proposent de fabriquer de l'hydrogène par électrolyse puis de le stabiliser en le transformant en méthane à partir de gaz carbonique (p19 du rapport, p20 de la présentation sur les sources d'énergies). Cependant, ce méthane ne sert pas à produire d'électricité directement. Ce n'est donc pas une solution à la variabilité de l'offre d'électricité, puisque, si les crêtes sont gérées de cette façon, les trous sont toujours à gérer. Pour gérer ces trous, ils proposent d'utiliser plus les stations de pompage — remonter de l'eau dans les barrages: avec le même nombre de stations, ils triplent quasiment le courant produit de cette façon. La production d'hydroélectricité augmente ainsi de 10TWh par rapport à 2010. Par ailleurs, il ne reste que 2.5TWh de centrales thermiques pures (sans cogénération). Au total, il ne reste de purement disponible à la demande que moins de 5% de la production d'électricité; à l'heure actuelle, on en est à 90% voire plus, dont plus de 10% de thermique fossile qui, avec les barrages de retenue, sont les moyens qui font véritablement face aux pointes de consommation — et non aux chutes de production involontaires! Si on ajoute la cogénération dans le scénario négaWatt, on arrive à presque 12% de l'énergie produite. Seulement voilà: la cogénération est censée produire aussi de l'eau chaude, dont on n'a pas forcément besoin lorsque le vent s'arrête ou que la couverture nuageuse est importante. Ce projet prévoit ainsi 21TWh de «micro-cogénération», autrement dit des gens qui produiront de l'électricité avec leur chaudière à gaz. Imagine-t-on que les gens utiliseront leur chaudière pour servir de groupe électrogène lorsqu'ils auront besoin de courant mais pas d'eau chaude ni de chauffage? Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce n'est certainement pas une solution efficace, comme l'a montré autrefois Carnot: les chaudières des habitations ont des températures de source chaude nettement plus basses que les CCGTs.

Mais même ainsi, on n'arrive donc que péniblement à la production disponible à la demande et rapidement comparable à l'actuelle, alors que l'éolien et le solaire sont très imprévisibles, comme le montrent les aperçus de la production en France ou encore les données sur les centrales solaires. Actuellement, pour pallier cet inconvénient, les pays utilisant beaucoup l'énergie éolienne compensent l'absence de vent à l'aide de centrales thermiques au charbon ou au gaz, comme on peut le voir sur cette page, en bas. Ce qui fait que, grosso modo, à chaque fois qu'une éolienne est installée, il faut disposer d'une production thermique disponible supplémentaire équivalente en puissance. Pour couronner le tout, le scénario s'appuie énormément sur le solaire; or l'éclairage est une forte composante de la demande de pointe et il est évident que la demande d'éclairage est directement liée à l'absence de luminosité procurée par le soleil. Autant dire que la façon d'assurer l'équilibre offre-demande à tout instant, essentiel dans un système électrique, est très nébuleuse et paraît extrêmement peu crédible.

Pour conclure, negaWatt surestime la production d'électricité et sans doute aussi les économies d'énergies qui sont raisonnablement réalisables. La production d'électricité est confiée en majeure partie à des sources variables, les moyens de production à la demande disparaissent quasiment pour laisser la place à de la production subie. Il ne reste plus dans le système que ce qui est actuellement prévu pour gérer les pointes de consommation, alors qu'aujourd'hui les centrales produisent principalement à la demande. Prétendre qu'on tient là une alternative crédible aux plans actuels et une possibilité de se passer d'électricité nucléaire, c'est une pure escroquerie. Mais on peut gager que ce scénario servira lors de la prochaine campagne présidentielle et que ceux qui s'en prévaudront ne seront jamais ou presque contredits.

15 juillet 2011

Énergie solaire et militantisme journalistique

Dans son édition datée du 16 juillet, Le Monde nous gratifie d'un éditorial intitulé Pousser le jacobinisme jusqu'à contrôler le soleil où l'auteur s'offusque de la décision du gouvernement de limiter l'expansion de la production d'électricité solaire à 500MW (crête) par an. Selon cet éditorial, c'est une filière porteuse d'avenir, à peine nous fait-on remarquer qu'elle n'est pas du tout rentable sans soutien public — pour le moment nous dit-on — et que cette décision limitera les dépenses publiques. On nous fait remarquer que l'horrible moratoire imposé par le gouvernement fait perdre des emplois. Les coupables sont rapidement trouvés: la volonté pour l'état de favorise(r) les grand groupes et l'influence néfaste des ingénieurs des Mines. En pages intérieures, on peut trouver un article nous comptant les avanies vécues par le secteur: après un départ en trombe suite à des crédits d'impôts, des tarifs et des conditions d'achat généreux, le gouvernement a mis un grand coup de frein car il allait atteindre ses objectifs avec 8 ans d'avance. On s'y offusque que les parkings des grandes surfaces ne soient pas concernés par les appels d'offre, de la baisse des tarifs de rachat et enfin que les entreprises du secteurs souffrent de la politique de gribouille du gouvernement français. Un paragraphe est consacré aux explications du ministère de l'industrie: ce serait cher.

Et en effet, on voit là une bonne raison. Comme noté dans l'article, une partie du coût est payé par des crédits d'impôts — qu'on n'étudiera pas ici — et par la fameuse CSPE, contribution au service public de l'électricité. C'est une taxe d'accise que chacun paie sur sa consommation d'électricité, elle sert à subventionner l'électricité dans les îles sous administration française, le tarif social de l'électricité et le surcoût des énergies renouvelables. Sur le site de la Commission de Régulation de l'Électricité, on s'aperçoit que le gouvernement a du retard: la CSPE ne couvre pas les coûts réels des énergies renouvelables et le système a donc commencé à accumuler une dette envers EDF, principal producteur d'électricité en France. En 2010, la charge pour EDF s'est élevée à 1G€, la CRE prévoit un déficit de 2G€ pour 2011. Ce déficit a tendance à se creuser sous l'impact de 2 facteurs: les tarifs de rachat très généreux qui incitent à se précipiter pour installer des panneaux solaires et le plafonnement de la hausse de la CSPE à 3€/MWh chaque année. Le gouvernement avait jugé dans sa grande sagesse que, malgré son enthousiasme débordant, le grand public n'était pas prêt à voir bondir sa facture d'électricité au motif que les énergies renouvelables, c'est sympa. Pour éviter que cette dette ne devienne trop importante et aussi éviter les inévitables protestations que provoque toute hausse du prix de l'électricité, particulièrement gênantes à l'orée d'une campagne présidentielle qui s'annonce de haute tenue, on se doute que le gouvernement se devait de prendre des mesures.

À la lecture des calculs de la CRE, on se rend compte à quel point le photovoltaïque coûte cher. CRE_CSPE_2011.jpg Le tableau ci-dessus reprend les prévisions de la CRE concernant la production d'énergie en métropole à partir des moyens éligibles à la CSPE, à savoir les moyens de secours et les énergies renouvelables. Le photovoltaïque n'est suivi que des moyens «dispatchables», c'est-à-dire de secours et est 5 fois plus cher que l'énergie suivante. Un MWh solaire coûte plus de 500€! Même si la CSPE ne prend en charge que le surcoût par rapport au prix moyen de l'électricité, la différence n'est pas mince. À titre de comparaison, on peut mentionner que l'ARENH, prix de l'électricité nucléaire dicté par le gouvernement, sera de 42€/MWh en janvier 2012. Un calcul sur les surcoûts à la charge de la CSPE montre que le prix de base est d'environ 55€/MWh. C'est ainsi que la CRE s'attendait à un débours de 820M€ pour une production à partir du solaire de 1.7TWh — royalement 0.3% de la production d'électricité en France —, contre 376M€ et 12.3TWh pour l'éolien. Sans même discuter des mérites de ces énergies dans le cas français, on ne peut que constater que c'est là une véritable gabegie.

On entend généralement justifier une telle politique par le prix rapidement décroissant de l'énergie solaire. Cependant, vu l'écart de prix, il faudra une vingtaine d'années avant que cela ne devienne véritablement intéressant. Or les fabricants donnent une garantie de puissance de 25 ans, certains éléments étant sans doute à remplacer plus souvent. Autrement dit, l'énergie solaire deviendrait compétitive — en espérant que les projections se vérifient — lors du renouvèlement des panneaux installés actuellement. Sans doute vaut-il mieux attendre, et consacrer cet argent à autre chose comme la subvention de plus d'économies d'énergie ou l'installation de modes de production d'électricité au bilan carbone plus favorable mais plus compétitif!

Force est de constater que Le Monde ne s'est fait là que le porte-voix de la filière photo-voltaïque et que la décision du gouvernement est justifiée. Quand on en vient à dénoncer la grande industrie mais dans le même temps à se désoler du sort terrible des grandes surfaces qui ne pourront bénéficier d'un effet d'aubaine aux dépens de leurs clients, on a quitté depuis longtemps le terrain du compte-rendu objectif ou du raisonnement pour être sur celui de la pure idéologie qui confine à la forfaiture. Certains s'interrogent gravement sur les problèmes de la presse écrite française. Peut-être devrait-elle commencer par informer honnêtement ses lecteurs et baser ses éditoriaux sur des comptes-rendus objectifs.

13 juillet 2011

Retour vers le futur

Ulrich Beck publie dans le Monde une autre tribune anti-nucléaire, intitulée Enfin l'ère postnucléaire. Il s'agit pour lui de répondre à des critiques venant non seulement à des industriels honnis, mais aussi à des écologistes grand teint comme George Monbiot. Il est vrai que ces voix discordantes sont gênantes: à partir de rapports officiels, ils osent affirmer que l'énergie nucléaire est l'énergie la moins dangereuse et qu'elle est aussi la seule qui permette de réduire drastiquement les émissions de gaz carbonique. Ils osent aussi dire que ceux qui se répandent sur les risques prétendûment extrêmes du nucléaire sont de dangereux menteurs.

L'irrationalité d'un principe de précaution dévoyé

Une réponse s'imposait donc. Et la seule réponse alors est celle de Beck: puisqu'on ne peut plus dire que cette funeste énergie n'est pas la plus dangereuse selon les mesures usuelles, c'est donc qu'il faut changer de mesures. Plus précisément, la nature du risque nucléaire est différente des risques usuels. L'accident nucléaire a ainsi des conséquences à long terme, il ne suffit pas de venir éteindre l'incendie. Les conséquences sont aussi extrêmement graves, ce qu'on peut subodorer lorsqu'on lit :

Nous savons combien de temps persiste le rayonnement radioactif, quelles lésions le césium et l'iode infligent aux hommes et à l'environnement, et combien de générations auront à souffrir si jamais le pire arrivait.

Le lecteur attentif aura reconnu l'invocation au principe de précaution, qui s'applique comme chacun sait lorsque des conséquences graves et irréversibles sont possibles. La sagesse populaire nous enseigne alors qu'on doit alors agir selon le pire scénario envisagé et par suite de nous abstenir d'user de cette technique venue tout droit des enfers. Cette prétendue sagesse est totalement irrationnelle. Le pire scénario ne relève que de l'imagination de celui qui l'écrit et non d'une analyse des évènements tels qu'ils peuvent se produire et encore moins de ceux qui se sont déjà produits. C'est ainsi que la fusion du combustible nucléaire s'est déjà produite en divers endroits.

  • En 1952, à Chalk River un réacteur subit une fuite dans son circuit de refroidissement. Il s'ensuit la fusion de son combustible. Une équipe de nettoyeurs. Bilan: 0 mort, un président des États-Unis toujours vivant 60 ans après les faits. 2 ans plus tard, le réacteur redémarrait.
  • En 1957, sur le complexe de Windscale, depuis rebaptisé Sellafield, un réacteur graphite-gaz subit un incendie de son modérateur, le graphite et une fusion partielle de son combustible. Bilan: 0 mort une fois de plus, aucun blessé.
  • En 1978, fusion du réacteur n°2 à la centrale de 3-Mile Island. L'enceinte de confinement et la cuve du réacteur résistent à l'explosion d'hydrogène. Conséquences: 0 mort, 0 blessé.
  • En 1986, explosion du réacteur n°4 de Tchernobyl. L'absence d'une enceinte de confinement a permis la dispersion massive de matériaux radioactifs. Le bilan direct est d'une trentaine de morts, 134 irradiations aigües. De nombreux cancers de la thyroïde ont été détectés (environ 6000) après cela, conduisant à la mort d'environ 60 personnes. Plus généralement, l'UNSCEAR estime qu'il y aura 4000 morts étalés sur plusieurs décennies.
  • En 2011, à la suite d'un séisme de magnitude 9 et d'un tsunami de 15m de haut, les 3 premiers réacteurs de la centrale de Fukushima connaissent une fusion du cœur du réacteur. À l'heure actuelle, aucun mort à déplorer du fait des radiations, les morts sont dus aux effets directs du séisme et du tsunami.

Force est donc de constater que ces incidents sont restés rares et de plus généralement sans conséquences mortelles directes. On s'attend cependant à 4000 morts du fait de Tchernobyl sur plusieurs décennies, soit autant qu'à Bhopal en quelques heures. Même si Ulrich Beck récuse que le décompte des morts soit une bonne façon d'apprécier le risque, force est de constater que le scénario du pire n'est pas le plus probable, et qu'il l'est de moins en moins du fait des mesures de sécurité adoptées. Un point où l'auteur a raison, c'est que les catastrophes nucléaires obligent à évacuer la population. Il est vrai que les catastrophes chimiques ou les ruptures de barrages ne laissent guère cette opportunité du fait de la vitesse des évènements. Mais cette évacuation est entièrement une construction sociale, par exemple, les conséquences des bombes d'Hiroshima et de Nagasaki ont montré qu'une exposition à un flash de 100mSv conduisait à une hausse de 1% des cancers à long terme. De fait, les conséquences en termes de santé sont faibles, des études ont même trouvé qu'il y avait moins de cancers qu'attendus (voir par exemple le rapport 2008 de l'UNSCEAR, tableau D19 p149) parmi les gens vivant dans la zone d'exclusion de Tchernobyl!

Mais ce refus de la comparaison en nombre de morts amène à cette remarque: finalement toutes les morts ne sont pas égales. Entre le mineur chinois tué par le coup de grisou, le monteur de panneaux solaires tombant d'un toit et le mort du fait des radiations échappées d'un réacteur hors de contrôle, la perception n'est pas la même. Pour résumer, le premier n'avait qu'à vivre dans un pays riche, lui permettant de ne pas exercer cette profession, le deuxième a une mort honorable peut-être due à la fatalité, c'est en quelque sorte une nécessité de l'ère postnucléaire, le dernier est un martyr.

Le renoncement à la modernité

Ulrich Beck enchaîne ensuite avec un autre grave problème des anti-nucléaires: le coût. En effet, l'électricité nucléaire a le mauvais goût, en plus d'être très sûre, d'être bon marché. Il importe donc de la rendre plus chère. La question de l'assurance lui donne l'opportunité d'affirmer que ce coût est sous-estimé. En effet, le montant de dommages que l'exploitant d'une centrale nucléaire peut être amené à payer est toujours plafonné, l'excédent étant assumé par l'état. Il est toutefois à noter que pour le montant à assumer — certes faible — la souscription d'une assurance est obligatoire. Cela fait dire à l'auteur que l'énergie nucléaire a été la première industrie socialiste d'Etat, le terme socialiste renvoyant aussi à un côté dictatorial. Ce n'est pas tant que ce soit faux qui pose problème, les banques ayant précédé de quelques décennies l'industrie nucléaire. Le problème, c'est que depuis la 2e moitié du 20e siècle ce type de garanties socialisantes se sont multipliées. Ainsi en est-il de l'assurance maladie, où chacun peut faire prendre en charge les risques qu'il prend par la collectivité, sans finalement avoir à renoncer aux bénéfices, tel qu'une dose de plaisir, que cette prise de risque peut amener. Plus proche encore du cas de l'industrie nucléaire, il y a le cas des catastrophes naturelles. L'état indemnise sans barguigner des gens qui se sont installés en connaissance de cause ou alors par bêtise pure dans des zones dangereuses. Ils bénéficient alors de leur situation jusqu'à la catastrophe, le pécule mis à leur disposition ensuite leur permet d'aller vivre ailleurs. Il est donc clair que l'état joue aujourd'hui couramment le rôle d'assureur en dernier recours, lorsqu'aucun acteur privé ne veut s'y risquer ou encore pour se débarrasser des questions de sélection adverse. Le nucléaire fait partie du premier cas: finalement, il n'y a pas eu assez d'accidents nucléaires pour avoir une idée des dégâts à rembourser et des conditions dans lesquels ils se produisent. Le problème n'est pas le nombre de morts ou la durée des dégâts, en cela aussi les mines de charbon sont compétitives. Il existe une raison objective à cette évolution de l'état en assureur de dernier recours: la possibilité de taxer s'est fortement accrue depuis le début du 20e siècle, de même que l'appareil statistique, lui donnant des moyens financiers incomparables et la possibilité de contrôler le risque. Ce que prétend Beck, c'est que cet état des choses est anti-démocratique, alors même que ce système a été développé au sein même des démocraties. Au final, ce sont bien les citoyens et leurs représentants qui décident des risques qu'ils veulent assumer. L'Allemagne tourne le dos au nucléaire, préférant assumer les risques propres aux énergies renouvelables; cela ne veut pas dire qu'ailleurs, le choix ne peut être différent.

Ulrich Beck compare alors l'état actuel de l'industrie de l'énergie renouvelable à celui de l'exploitation du charbon à la fin du 18e siècle. Mais une fois de plus, il n'est que de remarquer qu'avant d'exploiter les ressources fossiles, l'homme ne pouvait qu'utiliser ces ressources dites renouvelables. De ces techniques, aujourd'hui, une seule reste très utilisée, celle du moulin à eau. Les autres ont disparu, pour diverses raisons. L'énergie solaire est évidemment limitée par l'alternance du jour et de la nuit et la présence imprévisible et inévitable de nuages, y compris en plein désert, le vent ne souffle pas vraiment quand on en a besoin et est de toute façon trop diffus, la biomasse devient non renouvelable passé un certain degré d'exploitation et s'accompagnait d'une pollution importante. La véritable révolution dans l'exploitation du charbon, c'est qu'enfin, pour des dizaines d'années, l'homme a pu disposer d'une énergie concentrée, utilisable où et quand il le souhaitait. Le nucléaire permet de poursuivre dans cette voie: la concentration en énergie est nettement supérieure, les réserves permettent d'envisager une vie confortable une fois les réserves de carbone fossiles épuisées ou à l'exploitation limitée pour éviter le réchauffement climatique. Le prix à payer, c'est celui que nous impose la modernité: en quittant le monde paysan, chacun est devenu plus spécialisé et n'est plus capable que d'assurer une petite partie de ses besoins, chacun se repose sur la présence des autres pour vivre. C'est aussi concomitant au mode de vie citadin adopté de par le monde.

Contrairement à ce que Beck affirme l'énergie solaire n'est pas plus démocratique que le nucléaire: avant que de pouvoir produire, l'aventurier du panneau doit justement s'en fournir un, en payant bien sûr uen somme à une grande industrie, celle du semiconducteur. C'est ainsi qu'on estime que l'énergie solaire est 10 fois plus chère que l'énergie nucléaire. L'acheteur de panneau solaire ne pourrait l'ignorer s'il ne vivait au dépens des autres après avoir installé un deuxième compteur électrique lui permettant de revendre l'électricité qu'il produit bien plus cher que celle qu'il achète. Pour cela d'ailleurs, il faut bien trouver des gogos qui sont, bien sûr, ceux à qui font défaut ou les moyens financiers ou la place disponible, à savoir les pauvres et les citadins. Mais en affirmant que l'utilisateur de panneaux solaires était nettement plus indépendant et libre que l'assujetti à l'électricité nucléaire, Beck nous donne à voir une étrange vision du futur. Car continuer à survivre alors que le lien aux autres est coupé, cela s'appelle l'autarcie et l'histoire a démontré que c'était là le meilleur moyen de retourner à la misère.

Pour conclure, on peut constater que des fondements du monde moderne, la primauté de la raison, la fin de l'autarcie, l'expansion de l'état et des fonctions communes, tout doit être abandonné. On doit se retourner vers une simple perception des risques, l'autoproduction et l'indépendance individualiste. Vraiment, si c'est cela le futur qu'on nous promet avec les énergies renouvelables, il est grand temps de se réveiller et de construire plus encore de réacteurs nucléaires!

6 juin 2011

Arguments fissiles

Puisque la rubrique «tribunes» du journal français dit de référence continue d'être alimentées par les militants anti-nucléaires, on se doit de publier un nouveau billet consacré encore une fois au nucléaire civil, ou plutôt aux arguments déployés par ses opposants. Le Monde a ainsi fêté dignement les 25 ans de Tchernobyl en publiant leur vision eschatologique du bilan de la catastrophe — qui a reçu ailleurs une volée de bois vert bien méritée — à la suite de l'article écrit par leur chroniqueur écologique maison dont wikipedia nous fait obligeamment remarquer qu'il se dit lui-même partisan de la décroissance, ce qui peut expliquer pourquoi certains ont pu trouver cet article biaisé. Il publia ensuite une tribune sur le thème de l'indéfendable nucléaire dont on a dit ici tout le bien qu'on en pensait puis enfin, plus classiquement, l'appel à un référendum en France sur le sujet des principales personnalités écologistes du moment. Le 31 mai, Stéphane Lhomme, ancien porte-parole de Sortir du nucléaire, apporte sa pierre à l'édifice avec une tribune titrée Sortir du nucléaire à un rythme "raisonnable" est… déraisonnable !.

Comme d'habitude, on y trouve des arguments peu convaincants. L'auteur écrit que les emplois dans l'industrie du nucléaire sont de mauvaise qualité et que les travailleurs y sont forcément irradiés. Actuellement, la réglementation française veut que les travailleurs du nucléaire ne reçoivent pas plus de 20mSv/an. Le seuil communément admis du seuil de dommage se situe à 100mSv/an; au Kérala, en Inde, on estime qu'une région où habitent 100k personnes, la dose reçue est d'en moyenne 15mSv/an (cf Annexe B du rapport de l'UNSCEAR en 2000, Table 11, p39) sans qu'on constate des effets délétères. La qualité des emplois dans le nucléaire ne semble pas pire que dans d'autres secteurs et s'ils sont peu nombreux, les salaires sont certainement plus élevés que le salaire moyen français. De plus, le fait qu'il y ait beaucoup d'emplois dans la production d'énergie ne veut pas dire qu'il y ait plus d'emplois en tout dans un pays: les espoirs fondés sur les énergies renouvelables seront inévitablement déçus. Par contre, cela permettra sans nul doute au personnel politique de se montrer en train distribuer des emplois grâce à leur pouvoir. La raison de cet échec prévisible est simple: tout le monde reconnaît que ces énergies sont forts chères.

Le prix de l'électricité est justement un des autres arguments de l'auteur. Pour la première fois, une source nous est donnée, Eurostat, ainsi que, via un lien vers le site anti-nucléaire de l'auteur, un graphique extrait d'une étude. Un premier regard sur le graphique montre que la France n'est pas si mal placée puisque l'électricité y coûtait 25% de moins que la moyenne européenne, ce qui contredit déjà la pensée de l'auteur.

Un détour par le site d'eurostat montre qu'il s'agit d'une étude semestrielle, dont la dernière mouture étudie les prix du 1er semestre 2010, même si les chiffres du 2e sont déjà disponibles en consultant la base de données. On voit ci-dessous le graphique actualisé: prix_particuliers2010S1.jpg

La France a amélioré sa position, puisqu'il n'y a plus que 7 pays meilleur marché contre 12 en 2007. Ce changement a 2 causes. La première est sans nulle doute les évolutions des cours des matières premières et des politiques locales. La deuxième est qu'il y a eu un changement de méthodologie. Cependant l'identité des pays meilleur marchés que la France n'a pas beaucoup changé. On s'aperçoit qu'il s'agit dans l'ordre de la Bulgarie, de l'Estonie, la Roumanie, la Lettonie, la Croatie, la Lituanie et enfin la Grèce. Tous sauf un sont d'anciens pays du bloc de l'est où le niveau de vie et donc les salaires sont plus bas qu'en France, ce qui a inévitablement un effet sur le prix final de l'électricité puisqu'il faut bien payer les dépanneurs, ceux qui relèvent les compteurs, etc. Fatalement, cela se voit sur le graphe (p6) où est donné le prix en parité de pouvoir d'achat: la France s'y place 2e devancée de peu par la Finlande.

Un autre point mérite aussi l'attention: parmi ces pays peu chers, la Bulgarie et la Roumanie ont des réacteurs nucléaires sur leur sol et comptent en construire d'autres. Les triplés baltes ont un projet de centrale nucléaire pour remplacer celle d'Ignalina. La Croatie possède 50% de la centrale de Krško, située en Slovénie. Seule la Grèce a renoncé à l'électricité nucléaire.

Sur la première page, juste au-dessous du graphe donnant les prix offerts aux particuliers, figure le graphe des prix industriels. prix_industriels2010S1.jpg Miraculeusement des pays forts chers deviennent bon marché. On peut citer la Suède et le Danemark. On voit là une différence de nature politique: certains pays découragent l'utilisation d'électricité par les particuliers, ou bien préfèrent favoriser l'industrie de façon à retenir cette dernière sur leur territoire.

On peut aussi remarquer que les pays les plus chers pour les particuliers ont un niveau de taxes très important. Ainsi au Danemark, elles dépassent 50% du total. Le graphe montre d'ailleurs une forte taxe d'accise (taxe hors TVA), point partagé avec l'Allemagne et le Portugal. On ne peut que subodorer la cause de cette taxe: les énergies renouvelables. Ces énergies, au premier rang desquelles figurent l'éolien et le solaire, sont — répétons-le — fort chères. Pour encourager la construction d'éoliennes et de panneaux solaires, plutôt que d'augmenter tel quel le prix de l'électricité, le gouvernement crée une taxe. En France, il s'agit de la CSPE. C'est un mécanisme très intéressant pour les états entendant développer ces énergies: il n'y a pas d'effet d'aubaine pour les centrales existantes. Mais surtout par ce biais, on épargne à l'industrie une hausse des coûts qu'on laisse donc entièrement à la charge des particuliers. En cela, on peut profiter d'une dissymétrie entre eux: si ses produits deviennent trop chers, une entreprise mourra et ne paiera plus rien; les particuliers sont bien obligés d'habiter quelque part, de préférence près de leur lieu de travail, on peut donc les matraquer librement. On voit là une conséquence inattendue des énergies fantastiques que sont les renouvelables: les citoyens qui n'ont pas la chance de devenir producteurs sont les victimes d'un choix d'énergie puisqu'ils en supportent la charge intégrale.

C'est alors qu'on peut faire une remarque sur les pays les plus chers. Il s'agit du Danemark, de l'Allemagne, de la Belgique, de la Norvège, de l'Italie, de l'Autriche, de Chypre et de la Suède. La Norvège n'a pas de projets particuliers, elle produit la quasi-totalité de son électricité par des barrages, la situation à Chypre est inconnue. Tous les autres, par contre, ont annoncé leur volonté de ne pas utiliser le nucléaire civil. C'est ainsi qu'on peut voir que de l'argumentation de Stéphane Lhomme, il ne reste pas grand'chose. D'une part, l'électricité est effectivement bon marché en France. D'autre part, tous ceux qui annoncent leur sortie du nucléaire ont des coût facturés aux particuliers très élevés de sorte que l'abandon du nucléaire aggravera cette situation mais de façon relativement supportable, et ce d'autant plus que les industries seront protégées de l'augmentation des prix par une taxation punitive des particuliers. On conçoit donc quel serait le désastre en France si jamais le nucléaire civil devait être abandonné: les prix seraient au minimum multipliés par 2 voire nettement plus pour rejoindre les prix allemands, pendant qu'on essaierait tant bien que mal de préserver l'industrie du destin promis au vulgaire.

30 mai 2011

Fin du protocole de Kyoto

Aujourd'hui, l'Agence Internationale de l’Énergie (AIE) a publié une dépêche à propos du volume d'émissions de gaz à effets de serre provenant de la demande en énergie de l'humanité. Le titre en rend bien compte: les perspectives sont sinistres. En effet, pour éviter des changements trop importants et imprévisibles du fait du réchauffement climatique, l'objectif d'une augmentation de 2°C de la température moyenne mondiale par rapport à 1990 a été retenu, par exemple à Cancun (point 4.). Or pour arriver à limiter l'augmentation des températures à ce niveau, il faut stabiliser la concentration de gaz à effet de serre à l'équivalent d'une concentration en CO2 de 450ppm, comme le montre cette abaque du GIEC. En retour, cela a des conséquences sur les émissions annuelles. Le scénario de l'AIE pour arriver à maintenir la concentration en deçà des 450ppm prévoit ainsi que les émissions industrielles soient limitées à 31Gt d'équivalent CO2 entre 2015 et 2020 et qu'elles décroissent ensuite. Ce n'est pas le seul scénario possible, mais la vitesse d'élimination du CO2 par la nature oblige à une baisse plus rapide ensuite au cas où les émissions seraient durablement plus élevées que les 31Gt. Scénario 450 de l'AIE L'AIE estime qu'en 2010, 30.6Gt équivalent CO2 ont été émises. En d'autres termes, il faut que dès l'année prochaine les émissions n'augmentent plus, ou alors que cette augmentation soit très limitée pour atteindre 32 Gt en 2020! Soit seulement 5% d'augmentation en 8 ans. Pour dire les choses clairement, il s'agit d'un doux rêve. On s'achemine plutôt vers le scénario de base qui voit les émissions s'accroître d'environ 15% d'ici à 2020, et encore celui-ci apparaît comme bien en deçà de la réalité. Ce scénario représente peu ou prou les engagements pris lors des sommets de Copenhague ou de Cancun dont on estime qu'il vont entraîner une hausse de la température moyenne entre 2.6 et 4°C, l'AIE prévoyant explicitement une stabilisation à 650ppm d'équivalent CO2 soit une augmentation de température de 3.5°C.

Les causes premières de cette augmentation sont connues: il s'agit de la croissance des pays en développement comme la Chine ou l'Inde. Leur enrichissement leur permet d'acheter plus de biens de consommation impliquant une consommation de combustibles fossiles comme les automobiles. L'augmentation de la demande en électricité y est satisfaite par la construction de centrales au charbon. Ces tendances sont naturelles, l'enrichissement provoquant une demande légitime de confort, les centrales au charbon sont aussi les plus faciles et les moins chères à construire. Même si l'intérêt de ces pays pour des moyens de production d’électricité sans émission de CO2 est important, cela ne suffit certainement pas à contrebalancer la vitesse de leur croissance. De l'autre côté, on ne peut que constater que les objectifs du protocole de Kyoto n'ont été atteint que grâce à la chute du communisme. La lecture de la publication 2010 de l'AIE sur les émissions de gaz à effet de serre est édifiante (p13). Tous les pays d'Europe de l'Ouest ont manqué leur cible en 2008, laissant peu d'espoir pour 2012. Les écarts sont certes parfois faibles, de l'ordre de 5%, mais parfois très élevés comme pour l'Espagne qui a augmenté ses émissions de plus de 50% contre une augmentation cible de +15% seulement! La totalité du respect du protocole vient donc de l'autre partie de l'Europe qui a ratifié le traité, l'ancien bloc communiste dont la baisse des émissions s'explique avant tout par l'arrêt d'énormément d'usines et la modernisation de celles qui sont restées en service. Ces gains «faciles» sont aujourd'hui épuisés, ce qui rend essentiel l'atteinte des objectifs par les pays qui firent partie du bloc de l'Ouest dans le futur!

Pendant ce temps-là, les pays occidentaux continuent sur une pente politique qui conduit à la perpétuation du statu quo. Les États-Unis refusent de faire quoique ce soit d'ambitieux sur ce plan du fait d'une défiance envers la science, d'autant plus forte qu'elle va à l'encontre d'un mode de vie. Les pays d'Europe occidentale se détournent de l'électricité nucléaire pour des peurs principalement infondées contre cette énergie, alors que c'est certainement un des moyens les plus économiques de réduire les émissions. Suite à l'accident de Fukushima, l'Italie a gelé ses projets, un référendum y est prévu ce mois de juin; la Suisse a annoncé la fin du nucléaire sur son sol; l'Allemagne vient de confirmer peu ou prou les objectifs affirmés par le gouvernement Schröder en 1998. D'autres pays avaient annoncé au cours du temps leur abandon de cette technologie, comme l'Autriche, la Suède, l'Espagne ou encore la Belgique. Cet abandon est problématique car certaines technologies réduisant les émissions de gaz à effet de serre n'ont de sens que si la production d'électricité n'en émet pas. Ainsi, quel peut bien être l'intérêt des voitures électriques si elles sont alimentées par des centrales au lignite? On met souvent en avant les énergies dites renouvelables, mais comme l'a dit un intervenant devant une association de pétroliers du Colorado: ce sont en fait des centrales au gaz!

On ne peut donc que partager le pessimisme de l'AIE. Une augmentation de la température moyenne du globe de 3.5°C paraît presqu'inévitable, c'est même devenu un scénario optimiste. Les gens de ma génération verront donc sans nul doute de grands changements climatiques s'opérer durant les 50 prochaines années. On peut s'attendre à des catastrophes climatiques importantes, il faut rappeler à ce propos que les catastrophes naturelles sont les événements parmi les plus meurtriers sur terre. Le séisme du 11 mars au Japon a fait 15000 morts et 8500 disparus; la rupture du barrage de Banqiao et ses 171k morts ont été provoqués par un typhon.

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