13 mai 2011

Coup de maître

La campagne pour les présidentielles de 2012 bat déjà son plein, la compétition pour perdre dignement, mais lourdement, fait donc rage. Un putatif candidat socialiste a tenté de se discréditer en organisant une virée dans Paris à bord d'une automobile ostentatoire. Ses alliés de toujours virent là l'occasion: ils renchérirent en déclarant qu'il ne s'agissait point là de son véhicule, rappelant ainsi que l'actuel locataire de l'Élysée ne détenait ni restaurant ni navire. C'était bien tenté, l'atmosphère gauloise favorable aux jeux de mots assurant que la publicité ne serait point passagère.

On se devait donc de répliquer dans le camp gouvernemental. Il se contentait jusque là de tenter de se ridiculiser en proposant des mesures absconses dont le principe sera de faire distribuer une prime sur un critère arbitraire mais auprès des salariés qui sont déjà parmi les plus favorisés. On se décida donc à employer les grands moyens; une manœuvre innovante fut décidée. C'est ainsi que Laurent Wauquiez, chargé des affaires européennes, déclara que les récipiendaires du RSA devaient au moins 5 heures de travail par semaine et que le manque d'écart entre les revenus de l'assistance et ceux du travail était le cancer de la société française. Comme il déclara que le RSA c'est juste essayer de faire en sorte que quand quelqu'un est dans des minima sociaux comme le RMI et qu'il recommence à travailler, chaque heure où il travaille lui rapporte de l'argent ou encore que ce qui n'est pas acceptable, c'est de laisser trois millions de personnes au bord de la route, qu'on a laissé s'enfermer dans une logique d'assistance passive depuis vingt ans, on constate qu'il se contredit à quelques années d'intervalle, même s'il ne fait que rappeler une promesse du candidat Sarkozy.

Le point principal, c'est qu'alors qu'il fut successivement porte-parole du gouvernement lors de la préparation du RSA puis chargé de l'emploi lorsque la loi fut votée, il disait tout bonnement que le bilan du gouvernement auquel il appartient est exécrable. Afin que cet élément ne passe point inaperçu, il fut secondé par le premier ministre et le président de la république qui répandirent en compliments sur le RSA. Cette tactique est particulièrement innovante, elle ne consiste pas seulement à faire fuir les deux côtés de l'électorat, celui qui se scandalise de la stigmatisation des pauvres et celui qui abhorre l'assistanat. Il s'agit bien de rappeler que cette mesure n'a pas atteint son but. On peut d'ailleurs se demander si l'existence-même d'un revenu minimum ne rende pas obligatoire l'existence de récriminations quant au faible écart avec les revenus du travail. C'est un lieu commun de la politique française que de dire que le SMIC permet à peine de vivre dignement, tout revenu minimal est donc condamné à ne pas en être si éloigné pour permettre au récipiendaire de survivre. Cette caractéristique de la solidarité nationale permet ainsi de se discréditer à coup sûr à condition de vouloir souligner sa propre incompétence.

On pourrait croire que Laurent Wauquiez fait fausse route en se faisant passer pour un opposant. Après tout, ce fut la tactique employée par Nicolas Sarkozy jusqu'en 2006 et on put constater qu'elle échoua lamentablement puisque ce dernier fut élu. Mais Laurent Wauquiez soutiendra sans nul doute le président Sarkozy lors de la prochaine élection et c'est ce qui rend sa déclaration inédite: sans se poser en opposant, il conteste une mesure majeure du gouvernement à moins d'un an de l'échéance. Pour compléter le tout, Laurent Wauquiez reste au gouvernement, renforçant ainsi l'aspect contradictoire et bancal de ce gouvernement. C'est cependant la seule faiblesse de cette manœuvre: on pourrait aussi croire que les acteurs sont de mèche et qu'il s'agit là d'une ruse destinée à assurer la défaite. La course à la défaite a besoin d'un certain degré de discrétion, sans quoi les Français sanctionneraient les politiques démasqués en leur accordant leurs suffrages. Mais on peut dire que c'est là un coup de maître auquel je ne connais pas de précédent!

1 mai 2011

2 poids, 2 mesures

Le journal Le Monde a publié une tribune titrée Le nucléaire civil impliquerait des risques très accrus en temps de guerre. La thèse de l'auteur, Pierre Jacquiot, est ainsi claire: il est presqu'impossible de défendre un pays en guerre s'il dispose de centrales nucléaires. Le seul problème, c'est que cette thèse n'est pas nouvelle — on peut par exemple en trouver trace sur ce répertoire des idées reçues sur le nucléaire — et qu'elle n'est pas défendue avec des arguments rigoureux. Si on suit ces arguments, le nucléaire civil doit passer des épreuves dont les autres sources d'énergie sont dispensées.

Dès l'entame, l'auteur assène sans rire que

la surprise qu'a occasionnée la concomitance de deux événements jusqu'ici pensés séparément (tremblement de terre et inondation) montre que la réalité a une nouvelle fois dépassé l'imagination des ingénieurs et experts chargés de la prévention des risques.

Il est vrai que le phénomène du raz de marée suivant un tremblement de terre est inconnu au Japon, à un point tel que le mot pour le désigner, le tsunami, vient de la langue de ce pays. C'est donc tout à fait par hasard que, pour la centrale de Fukushima Daini, le niveau du sol autour des bâtiments des réacteurs est de 12m au-dessus du niveau de la mer, alors que pour la centrale de Fukushima Daiichi, il est de 10m pour les réacteurs 1 à 4 et 12m pour les réacteurs 5&6, comme on peut le voir p29 de cette présentation de TEPCO, l'exploitant de la centrale. Loin d'avoir dépassé l'imagination des experts, le débat portait plutôt sur l'importance possible du phénomène comme l'ont montré par exemple la lecture d'un des câbles dévoilés par wikileaks.

Au paragraphe suivant, il sous-entend que les risques dus aux guerres ont été lourdement sous-estimés par les experts et le personnel politique lors de la construction de centrales nucléaires. On peut, dès l'abord, légitimement en douter. Les travaux de la très décriée centrale de Fessenheim débutèrent en 1970; le programme électro-nucléaire français prit son essor au cours des années 70 et fut poursuivi dans la décennie suivante. En ces temps reculés, la France entretenait des relations inamicales avec un état défunt, l'Union Soviétique. Du fait de la présence des forces armées de cet état et de ses vassaux à 500km de la frontière, la conscription était en vigueur; la perspective d'une invasion de leur part était alors jugée comme une menace crédible. À l'époque, l'URSS était dirigée par Léonid Brejnev dont c'est peu dire qu'il ne se distingua pas par son pacifisme.

L'auteur appuie sa démonstration sur ce qui, selon lui, arriverait en cas de guerre. Il faudrait cependant que ce soit une guerre menée, au moins en partie, sur le territoire national, ce qui ne s'est plus produit depuis 1945 pour la France. Pour l'auteur, la période passée est exceptionnelle et on ferait bien de prendre en compte un risque élevé dans le futur. On se demande bien toutefois quel pourrait bien être cet état qui aurait la capacité et la volonté de venir faire la guerre sur notre territoire. Sans même parler de l'arsenal nucléaire français, il semble que nos proches voisins soient en paix durable avec nous: l'Union Européenne est un projet intrinsèquement pacifique et il est plus question d'états voulant la rejoindre que voulant la quitter. Pour ce qui est de nos voisins au sud de la Méditerranée, ils ne nous sont point hostiles au point de venir nous faire la guerre chez nous et, en tout état de cause, n'en ont pas la capacité opérationnelle et ne l'auront sans doute pas pour les décennies à venir.

Mais foin de tout ceci, si un pays ayant des centrales nucléaire était en guerre, son opposant ne manquerait alors pas de s'en prendre à ces centrales pour couper l'approvisionnement en énergie, susciter des mouvements de population et polluer définitivement le pays. Les pays disposant de sources d'énergie diversifiées seraient immunisés contre une telle stratégie. Que cette stratégie soit fondée ou non n'est pas vraiment le problème, il vient plutôt du fait qu'à aucun moment, il n'est question de la sensibilité des sources alternatives d'électricité ou d'autres industries essentielles à une stratégie équivalente.

Ainsi, la France possède 19 centrales nucléaires, mais seulement 12 raffineries encore en service dont 4 près de Fos-sur-Mer. Si la centralisation de la production d'électricité rend sensible à une offensive sur les centres de production, force est de constater que c'est aussi vrai pour d'autres formes d'énergie. Le pétrole est aujourd'hui indispensable pour mener une guerre, les moyens de raffinage sont aussi des cibles de choix. Au surplus, l'auteur envisage une guerre provoquée par la rareté du pétrole, il serait alors facile de procéder à un blocus tout aussi dommageable. Les raffineries sont aussi situées dans les principaux ports gaziers de France, ce qui n'est pas sans poser de problèmes pour la production d'électricité à partir de gaz. Quant à la capacité meurtrière en cas d'avarie, les sites pétroliers, en plus d'être dangereux en eux-mêmes, sont souvent liés à des usines chimiques à proximité, comme dans le Couloir de la chimie près de Lyon. La pollution qui en résulterait ne durerait certes pas 30 ans, mais les pertes en vies humaines et les dégâts n'en seraient pas moindres pour autant.

La France possède aussi de nombreux barrages, notamment grâce à son relief relativement accidenté. Selon RTE, la puissance installée en France est de 25GW, soit en gros l'équivalent de 25 réacteurs nucléaires, dispersés sur le territoire. En montagne, il s'agit de barrages avec réservoir. En cas d'attaque, ces barrages peuvent céder et noyer les vallées en aval sur plusieurs voire plusieurs dizaines de km. Une rupture de barrage peut aussi entraîner la rupture d'autres barrages situés en aval entraînant une catastrophe nettement plus importante. La vulnérabilité des barrages n'est pas à sous-estimer: des ruptures se sont produites en temps de paix pour des défauts de conception — comme à Malpasset — ou suite à des évènements exceptionnels — comme le barrage de Banqiao, en Chine. La rupture de ce dernier causa 171 000 morts selon le gouvernement chinois, c'est sans doute la catastrophe d'origine industrielle ayant fait le plus de victimes à ce jour.

Restent alors les énergies dites renouvelables comme le solaire ou l'éolien. La faible puissance d'une installation isolée rend obligatoire la construction d'un grand nombre d'unités, rendant en effet une attaque sur une d'entre elles moins efficace. Mais outre qu'elles sont bien incapables de fournir l'électricité dont nous avons besoin même à long terme à cause non seulement de leur faible puissance mais aussi de leur variabilité, l'approvisionnement en électricité n'est pas sécurisé pour autant. Un attaquant peut aussi s'en prendre au réseau de distribution. La variabilité des sources comme le vent rend ce dernier particulièrement stratégique pour répartir l'énergie sur l'ensemble du territoire. Couper le réseau peut s'avérer tout aussi efficace que s'attaquer aux moyens de production, même s'il est plus facile à réparer que ces derniers. Cela présente aussi l'avantage pour l'assaillant de ne pas subir l'opprobre accompagnant la mort massive de civils.

Loin donc de faire preuve de plus d'imagination que les politiques ou les experts dont on sent bien qu'il est fait peu de cas de leur prétendue compétence, l'auteur établit un scénario sans se risquer à le comparer à d'autres. En matière d'évaluation du risque, on a certainement fait mieux: il s'agit non seulement de savoir si un risque existe, mais aussi quelle est sa probabilité de survenir ainsi que de savoir si les autres moyens de production sont ou non vulnérables à ce même risque. Il se garde donc bien de faire une quelconque comparaison, le nucléaire doit passer des tests que d'autres modes de production seraient peut-être bien en peine de subir. Il s'agit plutôt pour l'auteur de nous faire part de son sentiment: le nucléaire est ontologiquement dangereux. On comprend donc l'urgence qu'il y a à organiser un débat basé principalement sur l'émotion puisque l'expertise technique y serait discréditée; la réponse qui en sortirait ne saurait être contraire aux pensées de l'auteur qu'à cause de la corruption générale régnant en cette vallée de larmes.

22 avril 2011

Mission de désinformation sur la prostitution

Une mission d'information de l'Assemblée Nationale sur le sujet de la prostitution en France a été formée le 16 juin 2010, elle a rendu son rapport le 13 avril dernier. Lors de son audition, Roselyne Bachelot fit savoir qu'elle était favorable à des sanctions pénales envers les clients des prostituées. La commission fit sienne cette proposition qui, quoique s'en défende son rapporteur, en est la principale. Ce rapport contient aussi des affirmations marquantes, telles que rapportées par la presse, comme par exemple le fait que 80% des prostituées seraient de nationalité étrangère.

Malheureusement, à la lecture du rapport, il n'apparaît pas que la mission y donne un aperçu complet de la prostitution en France, ni même que les faits soient véritablement à l'origine des proposition qui y sont faites.

Le décompte des prostituées et la proportion d'étrangères

Le rapport débute logiquement par essayer de cerner l'ampleur de la prostitution en France. Cependant, le propos liminaire ne comprend étonnamment pas d'estimation du nombre de prostituées en France. Un nombre nous est rapidement donné (p20): il y aurait entre 18000 et 20000 prostituées en France selon l'organisme policier chargé de la répression du proxénétisme. La lecture de la suite du rapport nous apprend que cette évaluation reste cependant assez mystérieuse. Elle semble toutefois se baser en grande partie sur les décomptes effectués par la police. On y trouve ainsi le décompte pour les principales agglomérations françaises. Les chiffres pour Paris sont plus incertains, d'autant plus que la police ne semble pas s'aventurer à donner des chiffres pour ce qu'il se passe au-delà du périphérique, à la campagne. Cependant, en extrapolant ces chiffres aux 30 plus grandes agglomérations françaises, en prenant les estimations maximales et en comptant que les prostituées de rue sont efficacement repérées par la police, on s'aperçoit que la prostitution de rue ne rassemblerait qu'un gros tiers des 20000 prostituées.

La prostitution plus dissimulée pose des problèmes d'évaluation, mais la prostitution qui recrute par Internet a sans doute pu faire l'objet d'une évaluation plus précise grâce à l'existence des annonces. On dénombrerait ainsi 10000 personnes qui se prostitueraient par ce biais (p27).

Le rapport rassemble aussi les chiffres des associations sur divers thèmes, et il s'avère que les associations donnent des nombres très élevés. Quoiqu'on puisse légitimement s'interroger sur la crédibilité des tels chiffres, la mission semble éviter de porter un jugement sur ces chiffre. On aurait pu attendre un tel travail de sa part, de façon à essayer d'obtenir une évaluation raisonnable ainsi que d'éclaircir les critères qui l'entraînent à en retenir certains plutôt que d'autres. La mission termine sa tentative d'évaluation par la phrase suivante (p31):

Il serait donc hasardeux, sur ce fondement, d’avancer un chiffre du nombre de personnes prostituées exerçant aujourd’hui en France.

Cela n'arrête cependant pas la mission dans son évaluation de la proportion d'étrangères parmi les prostituées. Une approche, très certainement superficielle, des mathématiques tend à montrer que la méconnaissance de la distribution peut entraîner des biais dans les échantillons. La conséquence en serait une évaluation complètement fantaisiste. Foin de tout ceci, la mission nous donne la proportion d'étrangers dès son propos liminaire (p16): il y en aurait 80%. Il s'avère en fait qu'il ne s'agit essentiellement de la prostitution de rue (p32 sq.), la seule qui soit véritablement étudiée dans cette optique. Or on a vu qu'elle ne représente sans doute pas la majorité des prostituées en France et sa composition est sans doute sensiblement différente de la prostitution par Internet, par exemple. De plus, la mission se base exclusivement sur les chiffres de la police. Cela donne par exemple le graphe de la p33, où on nous donne l'évaluation de la police.

On y voit nettement une rupture entre 2002 et 2003. C'est dû, de l'aveu même du rapport à l'entrée en vigueur de la loi sur le racolage passif: au lieu de compter sur les personnes contrôlées sur la voie publique, on ne compte plus que les personnes mises en cause pour racolage. Comme au surplus les services de police sont incités à arrêter les étrangers en situation irrégulière, dont on peut penser que les prostituées étrangères le sont plus que d'autres catégories, le biais semble très clair. Cette loi incite aussi toute les prostituée vivant en France de longue date et disposant de son libre-arbitre à procéder autrement pour continuer à exercer leur activité. On ne peut s'empêcher de mettre ce rapport en relation avec les travaux de Sudhir Venkatesh sur la prostitution à New York. La prostitution y a aussi beaucoup changé entre le début des années 90, mais l'auteur remarque que s'est surtout développée la prostitution par Internet. Elle s'est aussi accompagnée d'une diminution du nombre de proxénètes. Il faut dire aussi que ce moyen présente de nombreux avantages par rapport à la prostitution de rue: on peut se faire de la publicité, on peut s'organiser pour plus de confort — pas d'obligation d'être dehors en plein hiver par exemple —, on est moins importuné par la police. Il faut noter que ces avantages sont aussi partagés par les clients qui bénéficient eux aussi de plus de confort et de discrétion. Ce phénomène d'adaptation se confirme par une phrase du rapport (p34):

(La prostitution traditionnelle) ne concerne plus aujourd’hui que des personnes prostituées françaises ou maghrébines d’âge mûr, entrées il y a longtemps dans la prostitution.

Vu les avantages conférés par Internet, on doit s'attendre à une nette diminution de la prostitution de rue et qu'il ne reste surtout que les personnes que la contrainte, l'impossibilité ou l'incapacité d'utiliser Internet maintiennent là. Quand au surplus, on décide de rendre la vie décidément plus difficile à celles qui restent dans la rue en créant un délit permettant à la police d'arrêter à peu près qui bon lui semble avec bonne conscience, ce mouvement ne peut que s'accélérer.

Le rapport n'ignore pas cet état de fait (cf p49 sq.), mais le chiffre reste et dans presque tout le rapport le seul problème dont il est question est le fait que la prostitution serait le fait de réseaux internationaux, d'où l'impossibilité de choisir véritablement librement de se prostituer. On reste aussi étonné qu'aucune perspective historique ne soit proposée pour quantifier l'ampleur de la prostitution en France, malgré les difficultés d'évaluation du nombre de prostituées.

La condamnation essentiellement morale de la prostitution

Quoique le rapport s'en défende, il se livre à une condamnation morale de la prostitution, notamment à partir de la page 180. Le rapport s'attaque à tous les inconvénients perçus de la prostitution. Ainsi en est-il qu'il ne peut y avoir de consentement réel à se prostituer. Parmi les arguments soulevés, il y a le fait que la prostitution créerait une addiction à un argent rapidement gagné (p194). Il faut dire qu'à ce moment-là, tous les métiers pourraient être condamnés, qu'ils rapportent de l'argent rapidement ou pas: seuls les retraités ne manquent pas d'argent lorsqu'ils arrêtent de travailler. Le rapport affirme aussi solennellement que la prostitution est un exemple de sexisme caractérisé (p209 sq), on est peu étonné: s'il doit bien y avoir des domaines où la différence entre les hommes et les femmes s'expriment le plus, ceux qui touchent à la sexualité doivent forcément en faire partie.

Mais la mission se risque aussi sur un terrain quantitatif. Elle veut montrer que l'importance de la prostitution ne fait pas baisser le nombre de viols. Elle prend alors pour exemple le Nevada, où la prostitution est légale dans certains comtés. Le rapport nous montre le tableau (p181) extrait d'un résumé statistique de l'état du Nevada, pour montrer qu'on ne peut pas trouver aucun lien, voire même que le lien est plutôt dans le sens de l'augmentation du nombre de viols. Cependant, en se référant tant à la source originale qu'à wikipedia, il en ressort qu'il y a 17 comtés au Nevada dont 3 considérés comme urbains et 14 ruraux. Le comté de Clark comprend la ville de Las Vegas et plus des 2/3 de la population de l'état. Seuls 11 des comtés ruraux ont légalisé la prostitution, ce qui laisse 3 comtés ruraux sans prostitution légalisée. Parmi ces 3 comtés, un comté compte plus de 40000 habitants, les 2 autres réunis environ 6000. Il semble donc évident que les chiffres sur les viols dépendent, pour les comtés ruraux sans prostitution, d'un seul de ces comtés. La baisse du taux correspond à un passage de 8 viols en 2000 à 4 en 2007. Pour les autres comtés ruraux, les taux correspondent à 65 et 83 viols. On remarque qu'il n'y a que 2 points dans le temps, et aucune donnée intermédiaire, impossible donc a priori d'établir une tendance. La mission saute sur ces données pour affirmer ses convictions (p181):

Ces chiffres édifiants renversent complètement la vision que l’on peut avoir des relations entre prostitution et taux de viols. En effet, il apparaît que le taux de viol est de deux à cinq fois supérieur dans les comtés qui ont légalisé la prostitution que dans ceux où elle est interdite. De plus, la différence entre les taux de viol semble s’accroître avec le temps. Ces chiffres devraient être affinés par une étude moins globale, dans la mesure où les taux de viol varient également entre les comtés qui ont légalisé la prostitution et où d’autres variables sont susceptibles d’expliquer une part de cet écart. Il n’en demeure pas moins que le lien entre prostitution et viols est inexistant voire inverse de celui que l’on pourrait imaginer : la légalisation de la prostitution n’a pas pour conséquence de faire baisser le taux de viols.

Pour sa part, le résumé statistique américain affirme (traduction personnelle):

Des conclusions définitives quant au lien entre prostitution et viols ne peuvent être tirées à cause des grandes variations des taux de viols entre les comtés ayant légalisé la prostitution et du manque de contrôle des autres causes qui pourraient expliquer ces différences entre juridictions.

Elle se tourne ensuite vers le cas suédois où la pénalisation du client sert d'indication de fin de la prostitution et où on regarde s'il y a une rupture de pente... Pas d'étude comparée entre états européens, qui serait sans doute plus éclairante, les situations légales étant assez diverses, on pourrait sans doute établir un classement relativement fin de la tolérance et de l'importance de la prostitution. On peut donc dire sans peur de se tromper que la mission fait au moins preuve d'une ignorance des précautions minimales en matières de statistiques, voire qu'elle garde les chiffres qui l'arrangent.

La mission rend aussi compte d'un déplacement aux Pays-Bas. La situation dans ce pays semble rejetée au motif que la légalisation n'empêche pas les réseaux criminels de subsister. La mission ne semble pas s'être intéressée à la situation des prostituées et on ne saura pas si elles sont plus ou moins victimes de violences qu'en France ou autres... Par contre, la Suède est acclamée: la prostitution de rue y a fortement diminué suite à la pénalisation du client, la mission semble étendre ce constat à l'ensemble de la prostitution (p227). On nous dit même que c'est le phénomène contraire qui s'est produit ailleurs en Europe ... sauf en France, bien sûr, puisque le rapport ne s'attarde pas sur l'évolution du nombre de prostituées en France! On nous dit aussi qu'en Suède le proxénète doit disposer d’un appartement, être très mobile, faire de la publicité (p228) alors que la mission expose la stratégie des sex tours (p58) qui semble bien correspondre à cette description.

Les propositions de la commission

La mission fait les propositions lénifiantes habituelles comme la 3e proposition, qui consiste à ajouter encore une fois un enseignement à dispenser à l'école, cette fois-ci sur l'égalité entre les sexes. Elle en intègre d'autres qui donnent un peu plus à penser. Ainsi en est-il de la proposition n°8, qui voudrait faciliter un peu la délivrance de titres de séjour aux prostituées étrangères faisant partie d'un réseau et qui donneraient des informations. Mais la mission se garde bien de recommander que l'entrée dans ce système soit de plein droit: actuellement, l'article L316-1 du CESEDA prévoit la possibilité de délivrer un titre de séjour. Cela revient en fait à ne pas faire grand'chose, le préfet pouvant toujours ou presque accorder un titre de séjour de façon discrétionnaire. Mais cela revient en fait à signaler cette possibilité et en fait une carotte pour aider au démantèlement de réseaux. La mission regrette d'ailleurs que cette disposition ne soit vue que comme une récompense à la dénonciation qui permet une arrestation (p139). On peut donc supposer que cela continuera et que cette proposition est donc de la poudre aux yeux, alors que la mission proclame urbi et orbi que les prostituées sont toujours et partout des victimes. Même ainsi on peut douter de la survie d'une telle proposition: le gouvernement a souvent insisté entre autres que le fait d'avoir des enfants scolarisés ne protégeait pas contre une expulsion, on imagine sans peine le succès de l'argument selon lequel il ne suffit pas de se prostituer pour obtenir un titre de séjour.

Mais la proposition phare est la première, consistant à pénaliser les clients. Et de proposer que les clients des prostituées soient désormais passibles de 6 mois de prison et de 3000€ d'amende. La mission précise tout de suite que le but d’un tel délit ne serait pas, bien entendu, d’emprisonner tous les clients. Mais néanmoins d'en emprisonner certains, la valeur éducative de la prison étant bien connue, le législateur prévoyant les peines de prison pour le plaisir. Le but est plutôt de faire comprendre que la prostitution, ce n'est pas bien. Évidemment, il serait facile de sanctionner ces clients, à propos de l'exemple suédois la mission note (p223-224):

la plupart d’entre eux (les clients) reconnaiss(e)nt immédiatement les faits.

Toutefois, la mission note elle-même que pour la prostitution qui ne se déroule pas dans la rue (p26):

Cependant, la preuve de l’activité prostitutionnelle est difficile à apporter, étant donnée l’apparence de légalité de ces établissements. Les services de police doivent ainsi recueillir le témoignage de clients reconnaissant l’existence d’une relation sexuelle tarifée, ou d’une proposition allant dans ce sens. Or, il est évident que ces derniers ne seront guère enclins à faire de telles déclarations.

Il semble donc que les choses ne soient pas si aisées en France, ce qui va limiter sensiblement l'efficacité prévue par la mission. En fait, il s'agit plus certainement de gêner la prostitution de rue, la proposition de la mission est plébiscitée par la police (p233-234), laquelle propose pour faire bonne mesure de verbaliser les véhicules des clients. Les condamnations auraient donc lieu suite aux constatations in situ des forces de l'ordre. Cette vision des choses est relativement corroborée par les considérations à propos du racolage passif. On apprend que ce délit a subi la même fortune que son lointain parent, la contravention qui existait avant 1993: une personne disposant dans notre pays de droits comme celui d'aller et venir ou encore celui de s'habiller de la façon dont elle le souhaite, peu de condamnations sont prononcée. Cela entraîne les regrets de la mission, ces droits exorbitants et des juges forcément militants empêchant une saine application. La mission reprend aussi la vue délirante selon laquelle arrêter les prostituées pour ce fait les incite à dénoncer les proxénètes pour constater que bizarrement, les choses ne sont pas passées ainsi. On finit par apprendre (p113) ce que tout le monde sait bien: cette loi a été passée pour répondre aux demandes des riverains qui n'apprécient que peu cette présence nocturne. Ainsi, de nos jours, de fait, la majeure partie des procédures en matière de racolage est aujourd’hui déclenchée par des plaintes émanant des riverains.

La mission conteste aussi que pénaliser les clients reviendrait de fait à interdire la prostitution (p232), mais on n'a ici qu'une justification morale, la mission se dispense d'étudier les effets de déplacements qu'une telle mesure produirait, alors même qu'elle a constaté que le délit de racolage passif n'avait fait que déplacer la prostitution. Cela dit, il faut bien dire que la légalité de la prostitution en France semble là, en quelque sorte, pour la forme du point de vue de la mission. On peut constater que l'ensemble des lois répressive font que la prostitution ne peut être exercée que par des ermites, dans aucun lieu, les prostituées sont censées se faire connaître sans jamais apparaître nulle part. On se demande ce qu'apporterait de plus une interdiction réelle; elle est même logique dans la mesure où la mission condamne fermement cette activité sur un plan moral. On devine alors le destin promis à la proposition n°7: comme il s'agit de faire disparaître la prostitution des rues, évaluer, un an après la création d'un nouveau délit, le délit de racolage alors que c'est ce qui a déjà été fait par la mission donne à penser qu'il faut bien conserver ce délit, on n'est jamais trop prudent.

Pour conclure, on peut dire que la mission ne s'embarrasse pas trop des faits dans son exposé, il s'agit plutôt d'une justification à l'interdiction de la prostitution de rue en France. La mission incite ainsi les prostituées à se convertir définitivement à Internet. On y peut se faire sa publicité depuis l'étranger, rencontrer le client dans des conditions de confort supérieur, la police a sans doute moins de moyens de perturber ce commerce dans ces conditions. Les justifications morales semblent donc tout à fait hypocrites, mais le message final est clair: il est grand temps que les putes quittent le trottoir. On ne peut que rejoindre François Bayrou quand il dénonce l'hypocrisie de ces propositions.

6 avril 2011

30 raisons de ne pas voter socialiste l'année prochaine

L'UMP dispose d'énormes avantages pour perdre les prochaines élections présidentielles. Elle est au pouvoir depuis 10 ans, la France vient de traverser la pire crise économique depuis la seconde guerre mondiale, sa figure de proue, Nicolas Sarkozy, se fait remarquer par son impopularité, ses caciques trouvent de bonnes idées de débats, à mille lieues des préoccupations de l'homme de la rue ou font des déclarations qui leur aliènent peu à peu l'électorat acquis du centre droit. Largement distancé par l'UMP dans la course à la défaite aux présidentielles de 2012, le parti socialiste se devait de réagir.

Quoi de mieux que ce classique socialiste qu'est le programme? L'UMP est bien en mal d'écrire un programme formel. Certes, elle dit organiser divers colloques dont c'est le but mais, lorsque le scrutin se fera proche, tout le monde y sait bien que c'est la personne du chef qui sera mise en avant et qui décidera ce qu'on dira. Le parti socialiste, lui, prétend se refuser aux dérives personnelles et se veut ontologiquement plus collectif. Le programme y occupe ainsi une place traditionnelle dans la défaite, du Programme Commun aux 100 propositions de Ségolène Royal. Certes, les gens vivant de plus en plus longtemps, ils se souviennent des stratagèmes utilisés lors des élections antérieures pour perdre, mais le programme conserve une certaine efficacité. Commençons par la plus évidente: n'ayant pas encore choisi de candidat, le programme est censé leur convenir à tous, mais tout le monde sait bien que c'est faux. En prenant les gens pour des idiots, on lance classiquement mais efficacement la machine. Une conséquence immédiate est que le candidat choisi reniera certaines des promesses du programme avant même que d'arriver en vue de l'élection, un atout indéniable.

Sans plus attendre, étudions la dernière livraison.

1. Pour muscler la compétitivité de la France, nous créerons une Banque publique d’investissement, qui investira dans la recherche et l’innovation, soutiendra les PME-PMI, prendra des participations dans les activités stratégiques et les filières industrielles d’avenir, et dont les moyens seront mobilisés sous la forme de fonds régionaux en copilotage avec les régions et leurs élus.

On commence mollement. Le PS se propose dans le plus grand classicisme de gaspiller de l'argent en prétendant changer l'orientation d'institutions financières existant déjà et reconnaître les secteurs d'avenir. De façon plus nouvelle, le PS propose de faire en sorte que ces subsides soient accordés par le cacique local, pour qu'on puisse bien soupçonner que le favoritisme joue un grand rôle dans la distribution. Il y a toutefois plus novateur: le programme veut muscler la compétitivité de la France, ce qui impliquera parfois de restructurer les entreprises qu'on rachète et donc de procéder à des licenciements, surtout quand il s'agira de canards boîteux, alors même que les salariés n'attendent en fait qu'une chose de ce rachat par l'état: la sécurité de l'emploi.

À défaut de faire perdre, cette initiative peut permettre de quitter le pouvoir aussi vite que possible, en exposant au grand jour les échecs qu'une telle politique ne manquera pas d'engendrer.

2 .Pour relancer l’investissement, nous baisserons l’impôt sur les sociétés de 33 % à 20 % pour les entreprises qui réinvestissent intégralement leurs bénéfices et, pour compenser les pertes de recettes pour l’État, nous l’augmenterons jusqu’à 40 % pour celles qui privilégient les dividendes des actionnaires.

Une mesure promise à un grand succès. On remarque d'abord que le PS ne pense pas qu'elle soit si incitative que cela puisque l'augmentation et la réduction d'impôt ne sont pas symétriques. Cependant, on peut déjà voir qu'une telle mesure ne peut qu'être exploitée dans des buts qui n'ont rien à voir avec le but initial. Le premier réflexe peut être de bêtement délocaliser les bénéfices ailleurs, ou bien encore le domicile fiscal de la société. Mais cela n'est pas le plus probable. Par contre, la théorie financière classique affirme que les rachats d'actions sont relativement équivalents aux dividendes, au sens qu'en dépensant de l'argent pour racheter ses propres actions, une société augmente la valeur de celles qui restent sur le marché, chacune emportant alors une part plus importante des profits. Il est sans doute possible de faire passer de tels rachats, via un montage astucieux, pour des investissements. À défaut, il y a un autre écueil qui se présente: ce type de disposition favorise les dirigeants de l'entreprise par rapport aux actionnaires. Les dirigeants sont incités à se construire des empires personnels. Non seulement faire grossir leur entreprise par des rachats extérieurs ou des diversifications leur permet d'augmenter leur salaire, mais le taux d'imposition des bénéfices diminue aussi, ce qui permet de diminuer les éventuelles contestations des actionnaires.

C'est ainsi que le PS peut ici réaliser un excellent accord. Non seulement il va mécontenter les électeurs de droite, attachés, on s'en doute, à la liberté de faire ce qu'on veut et à leurs dividendes, mais aussi leur propre électorat qui verra s'accroître les rémunérations des dirigeants ainsi que les échecs des aventures industrielles se soldant bien souvent par des licenciements. Notons que cet accord se produit dès la deuxième proposition.

3. Pour que l’Europe puisse innover, nous proposerons à nos partenaires d’émettre des emprunts européens (eurobonds) afin de financer les investissements du futur (réseaux de transport d’énergie, réseaux numériques, biotechnologies...) et les champions industriels de demain.

C'est ici un grand classique: la promesse qu'on ne tiendra pas, simplement parce que sa réalisation repose sur d'autres que soi et dont on subodore l'opposition à de telles mesures. L'électeur ne peut que flairer l'irréalisme des ces propositions et se dire que, décidément, on se moque de lui. On peut ajouter là quelques remarques supplémentaires sur les secteurs d'investissement envisagés. Tout d'abord les biotechnologies: on connaît le grand succès des OGMs en France, auquel le PS est opposé. On se propose donc sans doute d'investir dans ces technologies dont on a tenté d'empêcher l'application. Ensuite les réseaux numériques dont il se trouve que les investissements sont en grande partie supportés par des intervenants privés, il ne semble donc pas qu'il y ait besoin d'un soutien public. Quant aux réseaux électriques, on sait la joie des riverains à accueillir ces si jolis pylônes habituellement financés par leur facture électrique. Pour finir, on peut constater que la France est plutôt bien équipée en infrastructures et que, ayant une vocation européenne, il y a donc peu de chances que ces investissements soit principalement effectués en France.

Cette promesse allie donc une non réalisation quasi-certaine à une certaine inutilité, ce qui n'est pas mal. À noter que la droite avait fait mieux avec la TVA réduite dans la restauration, où non seulement la réalisation paraissait fort incertaine, mais on savait aussi que sa réalisation poserait des problèmes aux finances publiques pour un résultat sans doute médiocre.

4. Pour l’emploi des jeunes, nous créerons 300 000 « emplois d’avenir » dans les domaines de l’innovation environnementale et sociale.

Quoi de mieux que de ressusciter une mesure qui a déjà mené à la défaite? Celle-ci commence à être assez ancienne mais chacun peut encore se souvenir ce qu'il est advenu des bénéficiaires de la mesure, ce qui un avantage indéniable: on bénéficie de gens qui font campagne contre soi sans trop forcer.

5. Pour protéger les salariés, nous dissuaderons les licenciements boursiers par des pénalités financières pour les entreprises qui en même temps versent des dividendes à leurs actionnaires.

Autre proposition à succès: promettre de vainement protéger ceux qui bénéficient déjà d'avantages tout les empêchant d'en profiter. En effet, les seules entreprises qui pratiquent les soi-disant licenciements boursier sont les entreprises cotées qui sont en bonne santé financière. Ce sont donc de grandes entreprises, souvent industrielles, où les salaires sont ainsi supérieurs à la moyenne, où les syndicats sont plus implantés qu'ailleurs et où par voie de conséquence, les plans de licenciements sont plus généreux qu'ailleurs. Notons qu'attendre d'être en mauvaise santé financière ne permet plus autant de largesses... Mais le point véritablement important, c'est que ces licenciements sont certainement très minoritaires parmi les licenciements économiques et que rien d'autre n'est proposé aux chômeurs ou même seulement aux licenciés économiques.

C'est donc une promesse brillante, puisqu'avec un peu de chance, elle démontrera l'impotence voire la duplicité de celui qui l'a formulée, tout en faisant penser au plus grand nombre, qui ne peut de toute façon en profiter, qu'on ne se préoccupe pas de ses problèmes mais de ceux qui ont déjà certains avantages. Le message est aussi clair, au cas où ces grands groupes auraient l'intention, par extraordinaire, d'embaucher en France: surtout ne faites pas ça!

6. Pour protéger les intérêts de l’Europe, de ses savoir-faire et de ses salariés dans la mondialisation, pour mieux réguler le commerce, nous agirons pour augmenter les droits de douane sur les produits provenant de pays ne respectant pas les normes internationales en matière sociale, sanitaire ou environnementale.

Dans la même veine que la proposition 3, on nous propose une mesure qui n'a aucune chance d'aboutir. On y ajoute le parfum habituel du protectionnisme, ce qui permet de faire de la publicité aux extrémistes et passer pour impuissants. Une nouvelle fois le message est clair: nous sommes envahis par des produits estrangers, faits dans des conditions dignes de Zola. Pour leur peine, ces pauvres devront le rester, puisqu'on ne leur achètera rien.

7. Pour réduire l’endettement de la France, nous affecterons à la réduction de la dette la moitié des marges financières que nous dégagerons.

Excellente proposition: on est bien en peine de trouver dans ce projet une hausse nette des impôts ou une baisse nette des dépenses, au contraire, dès la proposition 2. tout indique que les recettes seront moindres. On se demande donc quelles sont ces marges financières. C'est tout l'intérêt de cette promesse dont les tenants passent pour de sympathiques comiques. Ce serait pourtant une bonne chose que de savoir comment le PS compte réduire le déficit public, en ce moment à des niveaux records.

8. Pour encourager les comportements écologiques, nous rendrons la TVA « éco-modulable » (diminuée sur les produits non-polluants et augmentée sur les produits polluants).

Le PS évite bien de dire ce que sont ces comportements écologiques. On peut penser que c'est là l'idée: la TVA est un impôt notoirement idiosyncrasique: les délimitations entre le taux réduit et le taux plein sont souvent arbitraires. On subodore donc qu'il en sera de même ici, le PS promettant d'augmenter ou baisser les impôts à la tête du client, toujours une idée populaire. Cela rappelle aussi le bonus-malus automobile qui devait s'autofinancer pour finalement coûter relativement cher à l'état. Autant pour les «marges financières».

9. Pour que notre alimentation soit plus saine et pour que les agriculteurs vivent de leur travail, nous orienterons les achats alimentaires des collectivités locales vers l’agriculture et la pêche de proximité (lait et laitages, viandes, fruits et légumes).

Pour augmenter la qualité des produits, il faut donc devenir captif d'un fournisseur, c'est bien connu. De même, on paiera mieux les agriculteurs mais on se doute que la cantine ne coûtera pas plus cher!

10. Pour sortir de la dépendance du nucléaire et du pétrole, nous développerons massivement les économies d’énergie et les énergies renouvelables et nous proposerons à nos partenaires la mise en place d’une Communauté européenne des énergies.

Pour échapper à nos dépendances, nous allons donc vivre sans électricité. Les énergies renouvelables n'ont aucune crédibilité pour produire l'électricité dont nous avons besoin au moment où nous en avons besoin. De plus, les fameuses énergies renouvelables développées actuellement, l'éolien et le solaire, ont besoin d'énergies d'appoint, en l'occurrence des combustibles fossiles. On voit donc mal en quoi la dépendance serait réduite. Proposer de vivre moins bien et pour plus cher qu'avec une technologie ayant fait ses preuves, y compris pendant les accidents, voilà une proposition pour gagner!

11. Pour alléger la facture énergétique des Français, nous réinvestirons une partie des superprofits des groupes pétroliers dans des aides à l’isolation, le développement des énergies renouvelables et la mise en place de tarifs sociaux pour le gaz et l’électricité.

Juste après avoir proposé de faire monter en flèche le coût de l'électricité, le PS propose de faire baisser la facture énergétique des Français. Se contredire en 2 propositions consécutives, c'est un moyen efficace de montrer qu'on est incompétent et qu'on dit n'importe quoi. On peut donc en rajouter. On va taxer les profits des groupes pétroliers qui n'en font plus en France, puisque leurs profits sont concentrés dans l'extraction du pétrole. On propose des tarifs sociaux qui existent déjà. Tout cela ruine la crédibilité et augmente la probabilité de la défaite.

12. Pour stopper l’envolée des loyers, nous plafonnerons leur montant lors de la première location ou à la relocation, notamment dans les zones de spéculation immobilière.

Enfin une mesure dont on est sûr qu'elle sera contreproductive. Cela a déjà été évoqué ailleurs, mais on peut encore en dire un mot. Pour augmenter l'offre les élus locaux et notamment les maires jouent un rôle crucial puisqu'ils élaborent les PLU et accordent les permis de construire. Il s'avère que les mairies des grandes villes sont plutôt dirigées par des maires socialistes. On se demande ce qu'ils attendent pour faire augmenter l'offre. On voit là que le but de cette proposition revient aussi à souligner l'inefficacité actuelle des élus socialistes. Non seulement, on s'arrange pour ne pas gagner les prochaines élections, mais on instille le doute quant aux élus actuels pour perdre les postes occupés aujourd'hui: un coup de maître.

13. Pour aider les jeunes adultes à se loger et à se soigner afin qu’ils réussissent leurs études, nous créerons une allocation d’étude sous condition de ressources.

Jadis, ces subsides furent connus sous le nom de bourses.

14. Pour que l’égalité salariale femme-homme devienne une réalité, nous en ferons une condition pour conserver des exonérations de cotisations patronales.

Histoire de bien faire fuir les électeurs, on propose de conditionner le moyen principal de lutte contre le chômage des non-qualifiés à une quête en cours depuis fort longtemps maintenant et que maintes obligations n'ont jamais réussi à réaliser. On fait ainsi d'une pierre deux coups: on ruine l'existant pour échouer dans le futur. Brillant.

15. Pour une plus juste répartition des richesses au bénéfice des salariés, nous organiserons une conférence salariale annuelle tripartite et engagerons un rattrapage du smic. Nous limiterons les rémunérations abusives : rémunérations variables n’excédant pas la part fixe, écarts de rémunérations de 1 à 20 maximum dans les entreprises à participation publique, présence des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance et les comités des rémunérations.

Dans la continuité de la proposition précédente, on propose de faire grimper le coût du travail. En 2007, Ségolène Royal avait dit qu'elle ne croyait pas (vers 6:20) à l'augmentation du SMIC. C'est dire si c'est crédible en 2012... Mais tout cela est fort classique, la véritable pépite, c'est le plafonnement des salaires, mais uniquement dans les entreprises où l'état détient une participation. Là est le premier problème: les fameuses rémunérations abusives existeront toujours. On perçoit aussi qu'il sera plus facile de parachuter d'anciens de cabinets ministériels, puisque les dirigeants voudront parfois être payés comme leurs congénères quittant alors l'entreprise publique qu'ils dirigent. Pour ce qui est des autres difficultés, il faut se tourner vers un cas pratique: la société Renault. Renault ayant des usines en Roumanie, il faut se poser la question de la rémunération de base servant à calculer le maximum. Les salaires étant notoirement plus bas en Roumanie, prendre le salaire minimum payé en Roumanie diminuerait énormément la rémunération de son dirigeant et de nombreux cadres, qui serait peut-être condamnés à ne gagner que 5 fois le SMIC au maximum, ce qui constituerait un handicap certain sur le marché de l'emploi des cadres. Mais il y a mieux: Renault est détenu à 15% par l'état et à 15% par Nissan. On voit bien que quoique dise l'état sur le salaire de Carlos Ghosn, le dirigeant de Nissan, Ghosn Carlos, pourra s'y opposer sans trop de peine.

C'est donc une mesure remarquable: on est d'ores et déjà sûr qu'elle ne résoudra rien, qu'elle favorisera les soupçons de copinage que l'implémentation sera impossible et plus généralement qu'elle se heurtera à de multiples difficultés. C'est une alliance qu'on peut rarement réaliser.

16. Pour les retraites, nous rétablirons l’âge légal à 60 ans et nous engagerons la réforme des retraites promise aux Français, fondée sur des garanties collectives, permettant des choix individuels et assurant l’avenir des régimes par un financement du premier au dernier euro. Pour organiser sa vie, chaque Français disposera d’un compte temps-formation.

Le PS promet de revenir à la retraite à 60 ans. On ne sait pas comment cela sera financé, mais d'après les positions lors de la réforme de 2009, il s'agissait d'augmenter les impôts sur ceux qui travaillent ainsi que de diminuer les retraites servies. Rappelons aussi que les salariés permettent de financer l'assurance maladie et les prestations familiales bien mieux que les retraités. Chacun comprendra ainsi qu'il s'agit d'un marché de dupes, un bon moyen de perdre.

17. Pour la réussite scolaire de chaque jeune, nous conclurons un nouveau pacte éducatif entre les professeurs et la Nation. Il mettra l’accent sur le primaire et les premiers cycles d’enseignement supérieur qui sont les fragilités les plus grandes de notre système. Il sera fondé sur une refonte des rythmes scolaires et des programmes, une personnalisation accrue des enseignements et une revalorisation du métier d’enseignant. Un droit à la formation initiale différée sera accordé à ceux qui ont quitté le système scolaire de manière précoce.

On enchaîne avec le classique cadeau aux catégories dont on est presque sûr qu'elles voteront pour le parti socialiste. Une bonne occasion de s'aliéner les autres, dont les votes sont incertains, en ces temps de disette budgétaire.

18. Pour l’épanouissement des tout-petits, l’accueil en crèche et la scolarisation à deux ans sera développé.

On peut rapprocher cette proposition de la précédente, la généralisation de la scolarisation à 2 ans créant de nombreux postes d'enseignants, pour un bénéfice qui n'est pas si clair — surtout en fonction de la date de naissance de l'enfant.

19. Pour la santé, nous remettrons l’hôpital au cœur du système, et nous demanderons aux jeunes médecins libéraux d’exercer en début de carrière dans les zones qui manquent de praticiens.

Après les ZEP, on va donc créer des Zones Médicales Prioritaires où les médecins généralistes n'auront qu'une obsession: partir. Cela améliorera sans nul doute la qualité des soins, comme le fait que les jeunes enseignants soient envoyés en ZEP sans beaucoup d'expérience améliore la qualité de l'enseignement qui y est prodigué. Le souci de l'égalité du PS s'expose clairement: ce sont les jeunes qu'on contraindra, les vieux, eux, seront protégés de toute servitude. On voit aussi qu'il s'agit de convaincre une catégorie votant généralement pour l'adversaire, les médecins, de voter pour le parti socialiste l'année prochaine.

20. Pour améliorer la prise en charge des personnes âgées dépendantes, à domicile ou en établissement nous ferons appel à la solidarité nationale.

En clair, les jeunes gens qui travaillent devront payer une nouvelle fois un peu plus pour une protection sociale des vieux. Si vous ne voulez pas mettre votre enfant en crèche ni à l'école dès 2 ans, le PS est avec vous de tout son cœur. Rappelons aussi que le PS protège sans doute les plus de 60 ans de cette taxe, étant à la retraite et considérés sans doute comme allant vers la dépendance. Il faut ici se rappeler que les moins de 65 ans ont voté majoritairement pour Ségolène Royal en 2007, il s'agit donc sans doute de les décourager pour qu'ils ne commettent pas la même erreur cette fois-ci.

21. Pour améliorer la sécurité des Français et la tranquillité publique, nous renforcerons les moyens de la police, de la gendarmerie, notamment en créant 10 000 postes de gendarmes et de policiers de proximité. Pour une justice plus efficace, nous procéderons au rattrapage des moyens. Nous fixerons l’objectif que chaque acte de délinquance trouve une réponse immédiate, juste et proportionnée.

Rappelons que le PS compte dégager des marges financières, il embauchera donc des fonctionnaires dans tous les domaines. Cette proposition se distingue aussi par sa platitude: on se demande qui pourrait se donner pour objectif des réponses lointaines, injustes ou disproportionnées. Il s'agit aussi d'un serpent de mer, qui a donc peu de chances de séduire l'électeur, déjà blasé par les promesses qui furent faites autrefois.

22. Pour davantage de justice dans les impôts, nous fusionnerons l’impôt sur le revenu et la CSG dans un impôt citoyen plus progressif et prélevé à la source.

Outre qu'on peut s'interroger sur l'existence d'impôts inciviques, on peut qu'être attiré par cette proposition qui simplifierait sans doute le système actuel. Le côté lapidaire du programme ne permet pas de connaître les modalités, mais l'électeur est alléché. On n'est pas à l'abri d'un accident qui glisserait une proposition intéressante au milieu de cette machine destinée à faire perdre. Il s'agissait de corriger cette mauvaise impression au plus vite. Jérôme Cahuzac s'en est chargé: la fusion n'aura lieu qu'après nettoyage des niches fiscales, c'est-à-dire jamais. Pour mesurer la motivation probable du PS à éliminer les niches fiscales, il suffit de noter que 2 au moins sont proposées dans ce projet!

23. Pour revaloriser le travail, nous ferons en sorte que les revenus du capital ainsi que les bonus et stock-options soient soumis au même taux d’impôt que les revenus du travail, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Souhaitons bonne chance aux socialistes: les revenus du travail sont presque en permanence taxés à 50% et plus par les impôts directs, en tout cas pour les personnes visées. L'impôt sur les sociétés est au maximum d'un tiers, le risque d'arbitrage est donc très clair.

24. Pour limiter la spéculation et financer la réduction des déficits publics, nous instaurerons au niveau européen une taxe de 0,05 % sur les transactions financières.

En 30 propositions, il y a donc 3 propositions impossibles car elles ne dépendent pas du PS, mais de nos partenaires. Dans le cas présent, l'unanimité est requise, ce qui règle la question, certains états sont opposés à toute taxation européenne.

25. Pour lutter contre les discriminations, nous généraliserons les CV anonymes, sans nom ni photo et nous expérimenterons un système d’attestations remises par les policiers lors des contrôles d’identité.

Imaginons la joie de celui qui se fait contrôler 20 fois dans la journée. Au lieu de montrer 20 fois ses papiers, il les montrera une fois puis 19 fois l'attestation, c'est-à-dire un autre papier. Le progrès, sans doute.

Il faut évidemment généraliser les CVs anonymes qui sont apparemment défavorables à ceux qu'on entend aider.

26. Pour assurer l’égalité des genres et des familles, nous ouvrirons le droit au mariage et à l’adoption pour tous les couples. Pour permettre l’accès de tous à la vie de la cité, nous garantirons l’existence d’un volet handicap dans chaque loi et nous élèverons progressivement l’allocation adulte handicapé et le complément de ressources à 100% du SMIC.

On se demande comment les marges financières vont être trouvées. De plus, toutes les lois auront un volet handicap, même celles qui n'ont aucun rapport avec ce sujet, un bon moyen de se ne pas paraître sérieux.

27. Pour une politique juste et efficace en matière d’immigration, nous voterons tous les trois ans une loi d’orientation et de programmation qui sera élaborée en concertation avec les partenaires sociaux et les territoires qui assurent l’accueil et l’insertion des migrants; nous renforcerons la lutte contre les employeurs qui ont recours au travail clandestin et contre les trafiquants; nous créerons un vrai contrat d’accueil et d’intégration, fondé sur des obligations réciproques et insistant sur la maîtrise de la langue et la compréhension des droits et des devoirs républicains.

Pour mener une politique juste et efficace en matière d'immigration, nous reprendrons la politique injuste et inefficace de nos prédécesseurs. Par contre, nous voterons moins de lois!

28. Pour conforter les contre-pouvoirs, nous garantirons l’indépendance de la justice (fin des instructions individuelles, carrières des magistrats non soumises au pouvoir politique) ; nous ferons voter une loi anti-concentration dans les médias et les responsables de l’audiovisuel public ne seront plus nommés par le président de la République.

Quoique le parti socialiste fasse ses plus grands efforts pour perdre, on ne peut exclure que des mesures qui peuvent attirer les électeurs se glissent dans le programme par mégarde. C'est peut-être aussi un stratagème: si on ne met que des mesures repoussoir, les électeurs se méfieraient et pourraient ne plus tenir compte du programme. Le candidat du parti socialiste risquerait alors de gagner, un désastre.

29. Pour approfondir la démocratie, nous renforcerons le rôle du Parlement, nous introduirons une dose de proportionnelle aux élections législatives, nous accorderons le droit de vote aux étrangers aux élections locales, nous transformerons le Conseil constitutionnel en une véritable Cour constitutionnelle indépendante, nous supprimerons leur dotation publique aux partis qui ne respecteront pas l’objectif de la parité, nous lutterons contre les conflits d’intérêt et nous imposerons une limitation du cumul des mandats.

C'est ainsi que reviennent les vieux serpents de mer. Le droit de vote pour les étrangers aux élections locales devait faire partie des propositions de Mitterrand en 1981, c'est dire!

Pour encourager la démocratie locale, nous abrogerons la réforme territoriale imposée par l’UMP, nous engagerons une nouvelle étape de la décentralisation assurant l’autonomie financière et de gestion des collectivités, une péréquation bénéficiant aux territoires défavorisés et un nouveau pacte de confiance et de développement entre l’État et les collectivités.

Les collectivités auront une autonomie financière, ce qui rendra très pratique la coordination budgétaire. On peut aussi se demander quels sont les impôts qui seront fixés par les régions, et ce d'autant plus qu'il y aura une péréquation, ce qui veut dire un niveau de prélèvement fixé au niveau central et donc une autonomie très sévèrement encadrée.

26 mars 2011

Futur nucléaire

La fin piteuse de la centrale de Fukushima à la suite du tsunami du 11 mars 2011 porte un rude coup à l'industrie nucléaire, c'est un évènement inédit depuis 25 ans et la catastrophe de Tchernobyl. Le jour même du séisme, les militants de Sortir du Nucléaire et de Greenpeace ont été parmi les premiers à régir sur les problèmes de la centrale pour pousser leurs idées connues de longue date: il faut sortir du nucléaire. Ils furent suivis de près par les responsables des Verts, dont on sait qu'un des fondements de l'idéologie est l'opposition au nucléaire. Cela dit, si on pouvait penser au lendemain que l'industrie nucléaire serait durement frappée, ce n'est finalement pas si sûr.

Le bilan de santé du nucléaire

Cette opposition ne paraît pas franchement basé sur les enseignements qu'on peut tirer de l'histoire de l'exploitation de l'énergie nucléaire. Les derniers morts du fait d'un accident dans une installation nucléaire datent de 1999 à Tokai-mura au Japon. D'autres accidents notables ont eu lieu auparavant. Un réacteur de la centrale de 3-Mile Island en Pennsylvanie subit en 1979 une fusion de son combustible, les conséquences furent limitées à la mise hors service de ce réacteur. 2 accidents ont donné lieu à des zones d'exclusion humaines, en URSS. Un accident s'est produit à l'est de l'Oural en 1957. L'autre est la catastrophe de Tchernobyl.

Le bilan de la catastrophe de Tchernobyl est intéressant. Du fait de son importance, des études nombreuses ont été lancées. L'UNSCEAR, organisme de l'ONU chargé d'étudier les effet des radiations, s'est chargé d'en rassembler un grand nombre. Ses conclusions sont plutôt rassurantes pour un tel désastre. Si on en croit le bilan des pertes directes, il y aurait 5 morts non liés aux radiations. Selon le rapport de l'UNSCEAR, on a diagnostiqué un syndrome d'irradiation aiguë chez 134 personnes. 28 en sont mortes dans les 4 premiers mois. En 2006, 19 de plus étaient mortes, pour diverses raisons, parmi lesquelles on trouve 2 cirrhoses, un «trauma» ainsi qu'un arrêt cardiaque à l'âge de 87 ans. Les morts directement dues à l'accident sont donc relativement peu nombreuses. Les conséquences à long terme sur la santé sont par contre nettement plus importantes, puisqu'on estime qu'environ 6000 cas de cancers de la thyroïde sont dus à l'accident. Il est par contre presqu'impossible de déterminer les autres conséquences, du fait de leur faiblesse par rapport à leur apparition naturelle. En effet, comme les habitant des zones les plus touchées furent évacués, les doses totales furent relativement faibles. De plus, l'espérance de vie est de seulement 65 ans pour les hommes en Biélorussie, ce qui limite forcément la survenue de cancers dont on pense qu'ils surviennent après un délai de 20 ans et plus. On attendait aussi des cas de leucémie, dont l'incubation est plus courte que pour les autres cancers, ils n'ont pas été détectés parmi la population. Plus généralement, on a évacué quelques 250k personnes, ruinant sans nul doute leur vie.

On peut comparer Tchernobyl à une autre catastrophe industrielle, celle de Bhopal. La ville de Bhopal comptait presque 900k habitants en 1984, environ 560k auraient été touchés par le nuage de gaz toxique qui s'est dégagé de l'usine de l'Union Carbide. Un bilan officiel fait état de 3787 morts, pour lesquels une indemnité a été versée. On estime aussi que 100k personnes ont eu des séquelles à long terme. Il semble ainsi que Bhopal est une catastrophe aux conséquences nettement plus graves que celles de Tchernobyl. Et pourtant, abandonner les pesticides n'a jamais été à l'ordre du jour.

La catastrophe de Fukushima semble aussi s'inscrire dans une tendance qui veut que les accidents nucléaires soient impressionnants, mais moins graves que ce à quoi on pourrait s'attendre. Malgré son ampleur, personne ne semble menacé de mort à brève échéance; les dommages sont essentiellement matériels, la centrale étant inutilisable. On pourrait dire que c'est la première catastrophe d'ampleur mondiale ayant fait zéro mort.

Et si on regarde quel est le nombre de morts dans les différentes filières de production d'électricité, de la mine aux rejets de la centrale, on se rend compte que le nucléaire est l'énergie la moins létale. Cela s'explique par le faible volume de matière à extraire, les mesures de sécurité dans l'industrie nucléaire, du faible nombre d'accidents et du volume extrêmement faible des rejets nocifs. Le charbon, lui, provoque nombre de morts à la fois dans les mines et du fait des rejets dans l'atmosphère.

L'eschatologie anti-nucléaire

Rien de ces arguments n'a jamais convaincu les opposants. Il faut dire que dès l'origine, l'objectif est de lutter contre l'arme nucléaire. L'énergie nucléaire y est associée comme une invention dangereuse, et tout y passe, pèle-mêle.

  • L'argument de l'énergie nucléaire qui serait proche de la bombe atomique est déjà remarquable. C'est en quelque sorte l'analogue du raisonnement d'Alfred Nobel qui fonda les prix qui portent son nom pour expier son invention de la dynamite et son utilisation lors des conflits armés. Évidemment, nul n'a jamais pensé s'en passer pour cette raison, on utilise même des explosifs dans des buts civils indispensables, comme la démolition d'immeubles, qui sont pourtant très proches d'une utilisation militaire. En poussant un peu plus loin, on peut se demander pourquoi on autorise toujours les couteaux à la vente, alors qu'il s'agit sans doute de l'arme de guerre la plus utilisée au cours des âges ainsi que de l'instrument le plus utilisé dans les meurtres.
  • L'argument de la bombe n'impressionnant sans doute plus personne en cette époque d'individualistes blasés, il faut donc passer à la vitesse supérieure et dire que cela tue tous les jours. Évidemment, comme on l'a vu plus haut, ce n'est pas le cas, mais l'argument fonctionne. Les effets de la radioactivité à faibles doses sont imperceptibles, les décès sont à venir dans un futur lointain, les causes de ces décès sont similaires à celles du grand âge, ce qui inverse en fait la charge de la preuve. Au lieu de devoir prouver que c'est la radioactivité qui tue des gens à grande distance, on doit prouver que des décès sont imputables à d'autres causes. Que des gens meurent avant de subir les effets de la radioactivité n'arrête pas les militants, après tout, on est bien incapable de montrer alors qu'ils ont tort.
  • On y ajoute pour faire bonne mesure, que nous sommes maudits jusqu'à la fin des temps. Les déchets nous hanteront, ainsi que nos descendants sur des milliers d'années. Sauf qu'évidemment, les rassembler dans un trou est une solution rationnelle à l'échelle de l'histoire. Ce qu'on met dans un trou relativement étanche y restera au moins pour quelques milliers d'années sans que personne n'y touche, on peut difficilement penser faire mieux en l'absence de surgénérateurs. Et ce d'autant plus que les énergies concurrentes émettent des déchets qui ont des effets durables, sur plus de 100 ans! Et on est bien en peine d'aller récupérer ces déchets, qu'on aimerait bien mettre dans un trou.

Ces arguments n'ont rien de vraiment logique, mais ils reposent sur un ressort bien connu, les préoccupations quant à la fin du monde. L'homme provoquerait avec son invention, l'énergie nucléaire, la fin d'un monde prospère qui déboucherait sur un ensemble de malheurs incurables. C'est un récit classique dans un cadre religieux. Le militantisme écologiste peut ainsi être rapproché du prosélytisme religieux, ce qu'a confirmé brillamment Nathalie Kosciusko-Morizet dans une récente interview au magazine La Vie. Tout cela montre qu'il sera difficile de raisonner la plupart des gens, leurs croyances écrasant tous les raisonnements qu'on leur expose.

L'attrait du confort

Si la peur de la fin du monde est un énorme handicap, d'autant plus que ce n'est pas une peur qu'on peut aisément raisonner, il est certainement un remède souverain, la demande de confort. Sans électricité, pas de confort moderne. Cela ira sans doute en se renforçant, les énergies fossiles tendant à la fois à se raréfier et à être plus demandées à cause de l'émergence de nouveaux pays.

Aujourd'hui ce sont d'ailleurs des pays avec des besoins en énergie importants qui construisent des réacteurs nucléaires. On trouve ainsi au premier rang la Chine, dont le développement demande de plus en plus de centrales électriques. Les centrales au charbon sont certainement les plus construites, mais le nucléaire ne gêne guère en Chine. Après tout entre mourir hypothétiquement irradié ou nettement plus sûrement à cause des poussières de charbon ou du manque général de confort, le choix est sans doute vite fait.

Et de fait, la lecture du mode d'emploi de la sortie du nucléaire aimablement fourni par Sortir du Nucléaire permet de se rendre compte des conséquences. Les données de RTE indiquent que la France consomme environ 490TWh d'électricité par an. Pour sortir du nucléaire, il faudrait ne plus en consommer que 390, soit une baisse d'environ 20%. Au vu de l'évolution passée, c'est un objectif héroïque. Une lecture cursive du bréviaire écologiste permet de s'en rendre compte encore mieux. Les recettes sont simples, il s'agit de payer les gens pour s'acheter tout le nécessaire du parfait écolo, financé par l'état au moyen de vastes primes à la casse, des ampoules aux frigos. L'argent de l'état est, comme on le sait, se crée par génération spontanée. Tout le monde deviendra producteur d'énergie, sans émettre plus de gaz à effet de serre, les pertes dans le réseau baisseront même si on doit multiplier les lignes pour permettre d'alimenter les régions à court de vent. Mais comme cela ne suffit sans doute pas, les pays voisins devront se débrouiller sans nos exportations, les mécréants devront se passer de chauffage électrique, même dans les immeubles non alimentés au gaz, et on menace les industriels de rationnement. On construira des éoliennes mais, surtout, on utilisera des centrales thermiques, la seule alternative crédible. Évidemment, tout ceci pointe dans une seule direction: des dépenses d'investissements délirantes pour un résultat minime, une augmentation des prix de l'énergie, un flicage ou un rationnement généralisé et, surtout, une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, à l'heure où on ne parle que de les réduire.

L'autre élément du choix est qu'en remplacement du nucléaire, seules les énergies fossiles sont crédibles. En plus de libérer des gaz à effet de serre, leur exploitation n'est pas sans poser des problèmes qui leur sont particuliers. Brûler du charbon libère des poussières nuisibles à la santé, les morts sont nombreux dans les mines. Les gisements de pétrole sont bien souvent situés dans des pays dictatoriaux qui n'hésitent pas à faire valoir leur pouvoir, comme on l'a vu avec les 2 chocs pétroliers. Ces dictateurs peuvent aussi plus facilement se maintenir grâce aux revenus du pétrole. Le gaz naturel est plus agréable grâce à la mise en exploitation du gaz de schiste, mais les opposants au nucléaire sont aussi les premiers opposants à la mise en exploitation éventuelle des ces gisements. Il est ainsi peu probable que cette technique se développe en Europe. L'uranium n'est pas tellement plus courant en Europe, mais il présente l'avantage de se trouver en grande quantité dans le sous-sol de démocraties stables, comme le Canada ou l'Australie. De plus, la faible quantité de matériau nécessaire au fonctionnement d'une centrale permet de le stocker. C'est en grande partie la raison qui a poussé la France à abandonner le charbon — dont les gisements nationaux s'épuisaient — pour le nucléaire à la suite des chocs pétroliers.

Ces arguments ne convaincront pas ceux qui sont déjà convaincus. Ainsi, il est très probable que la fin de la centrale de Fukushima renforce la volonté de sortie du nucléaire de l'Allemagne. Des pays développés peuvent se permettre au moins à moyen terme de se payer des systèmes reposant sur des énergies fossiles. Mais d'un autre côté, les pays en développement pour qui les centrales nucléaires sont un moyen de produire de l'électricité à un prix très compétitif construiront des centrales nucléaire. Les pays comme la France pour lesquels une sortie du nucléaire coûterait énormément resteront sans doute très nucléarisés. Le cas de ceux qui hésitent sera peut-être décidé en défaveur du nucléaire dans un certain nombre de cas, mais l'industrie nucléaire sera sans nul doute importante dans des pays développés qui n'ont pas vraiment le choix.

2 mars 2011

Guépard sans Tancrède

Nicolas Sarkozy a péniblement ânonné un discours défilant sur un prompteur dimanche soir. Une platitude certaine frappe le lecteur, pour preuve, le Président déclare notamment:

Ainsi les fonctions régaliennes de l'État se trouveront-elles préparées à affronter les événements à venir dont nul ne peut prévoir le déroulement.

Mes chers compatriotes, c'est mon devoir de prendre les décisions qui s'imposent quand les circonstances l'exigent.

On attend impatiemment un discours annonçant l'impréparation du gouvernement face aux évènements prévus et des décisions données comme hors de propos.

Mais au delà de la platitude du discours, l'élément majeur de ce discours, c'est que le Président de la République insiste surtout sur ce qui pourrait mal tourner, afflux d'immigrants, terroristes surgissant d'une quelconque guerre civile ou encore rechute dans la dictature. Il exhorte à ne pas avoir peur de la nouvelle situation, mais on voit mal a priori quelle peur pourrait inspirer la fin de dictatures, sauf à en détailler comme il le fait donc des conséquences après tout peu probables: l'histoire récente contient que peu d'exemples de pays retombant dans la dictature. Le Président insiste ainsi sur la nécessité de la stabilité des choses, telles que vues de ce côté-ci de la Méditerranée. Mais comme le déclara jadis un visionnaire:

Ceux qui se disent adeptes de la realpolitik ne sont pas si réalistes que cela. Ils cantonnent l'action diplomatique à un effort pour ne rien changer à la réalité du monde. La stabilité est leur mot d'ordre. L'immobilisme leur obsession.

Le discours du président se résume en grande part à la fameuse maxime du roman de Giuseppe Tomasi, prince de Lampedusa, pour que tout reste tel que c'est, il faut que tout change. Cela dit, il n'est pas Tancrède et ne peut le dire aussi clairement. Il ne dispose malheureusement pas non plus de Tancrède dans son entourage, et pour changer son gouvernement, il appelle des hommes d'expérience, autrement dit, de vieux rogatons. La diplomatie française doit ainsi prendre un nouveau départ avec celui qui l'a dirigée de 1993 à 1995, peu après la fin du communisme. À l'époque aussi, la diplomatie française devait prendre un nouveau départ, s'étant signalée par un fait d'armes démontrant sa capacité visionnaire et son sens de l'histoire: l'opposition quasi-publique de François Mitterrand à la réunification allemande.

Cependant, tous les espoirs sont permis. Les dictatures représentent au fur et à mesure des diverses révolutions de moins en moins des gouvernements avec lesquels nous devons traiter. Un jour peut-être, lorsque toutes les dictatures notables auront disparu, la diplomatie et le gouvernement français se sentiront obligés de défendre la liberté d'expression et de condamner les régimes tirant sur des manifestants. Ce sera, au moins, compatible avec la fameuse stabilité.

18 février 2011

À bas la liberté!

Les assemblées ont adopté la LOPPSI, loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. Cette loi traite de nombreux sujets, c'est devenu une véritable voiture balais législative. Le législateur s'est laissé aller à son penchant répressif, n'hésitant pas à ignorer des droits fondamentaux comme la liberté d'expression, par exemple dans le cas de l'ignominieux article 4. Il y a quand même une maigre exception, sur le permis à points. Ce billet ne se propose que de parler des articles visant la vente à la sauvette. Quoique cela paraisse un enjeu mineur, il n'en est pas moins intéressant. Le faible enjeu électoral laisse finalement libre cours aux penchants naturels du législateur. Autant le dire tout de suite, ces articles relèvent sans doute de l'anti-libéralisme primaire.

Prison pour les vendeurs à la sauvette

L'article 24 sexies dispose que, désormais, les vendeurs à la sauvette classiques, officiant dans la rue, sont passibles d'une peine de prison de 6 mois et de 3750€ d'amende. Il prévoit une aggravation à 1 an et 15k€ en cas de bande organisée ou d'agressivité.
À l'heure actuelle, la vente à la sauvette n'est passible que d'une contravention de 4e classe (750€) ou de 5e classe (1500€).

La loi telle qu'elle était jusqu'à présent se comprend bien. Pour s'assurer que l'utilisation des rues et des trottoirs ne soit pas complètement anarchique, il faut bien pouvoir sanctionner ceux qui s'y installent sans être autorisés. Il n'est pas dit qu'on doive les poursuivre sans relâche, mais qu'au moins on puisse leur ordonner de partir en cas de gêne ou de besoin. La vente d'espaces sur le domaine public est aussi une source de revenus pour les mairies qui leur permet de couvrir en partie les dépenses de police et de nettoyage nécessaires au bon fonctionnement des activités de vente en plein air.

On peine à comprendre toutefois ce qui justifie que les contrevenants deviennent désormais des délinquants. Le débat devant l'Assemblée Nationale a peu de chances d'éclairer le citoyen, du fait de sa brièveté. Au Sénat, on nous explique que les vendeurs à la sauvette ont adopté une nouvelle technique commerciale: la violence. Cette nouvelle technique est des plus surprenantes, elle n'est pas connue pour attirer particulièrement les acheteurs. L'autre argument avancé est que la présence de vendeurs à la sauvette entraînerait des bagarres avec les commerçants réguliers. Outre que les violences sont déjà réprimées, la dispersion des vendeurs à la sauvette grâce aux lois actuelles suffirait à prévenir les pugilats. De même, la confiscation des marchandises et de la recette est déjà possible; si on voulait donner sérieusement la chasse aux vendeurs à la sauvette, cela devrait largement suffire, les commerçants quelqu'ils soient cherchent à réaliser des profits, la confiscation leur cause une grande perte.
Cet article apparaît ainsi principalement comme une mesure d'affichage, sans suite sur le terrain où leur chasse aura le même niveau de priorité qu'aujourd'hui, à moins que la création de ce nouveau délit ne permette à la police de remplir à bon compte ses objectifs de gardes à vue. On peut se demander quelle est la cohérence avec les slogans, certes désormais lointains, de la dernière campagne présidentielle, où il s'agissait d'encourager le travail, la vente à la sauvette étant tout de même un moyen honorable de gagner sa vie. On empêche des gens de pouvoir subvenir à leurs besoins d'eux-mêmes, sans qu'ils posent de véritables risques pour les autres et en les menaçant de prison.

Vœux de chasteté obligatoires pour les vendeurs à la sauvette

Non content de créer un délit nouveau à partir d'une contravention, le législateur a aussi créé par l'article 24 septies un délit d'exploitation de la vente à la sauvette. Il s'agit de façon clairement affirmée de copier les dispositions relatives au proxénétisme. Ainsi, recevoir des subsides d'un vendeur à la sauvette sera puni de 3 ans de prison. Mieux vaut donc ne pas vivre avec un vendeur à la sauvette. Les choses ne s'arrêtent pas là, puisque ceux qui les fourniront en bibelots risqueront aussi la même peine.

La justification est ici que les vendeurs à la sauvette seraient exploités par des mafias. Il faut d'ailleurs remarquer que faire de la vente à la sauvette un délit peut renforcer cette tendance, en renforçant les risques associés à cette activité. De la sorte, les professionnels des activités illégales sont alors clairement avantagés. Cela dit, on peine une nouvelle fois à comprendre pourquoi un article de loi supplémentaire était nécessaire. Par exemple, les mafiosi déclarent rarement leurs revenus illégaux au fisc, ce qui est déjà interdit. Inversement, si les mafieux agissent dans le respect de la loi, on a alors du mal à les différencier des plus habituels grossistes. Et de fait, les personnes nouvellement touchées par ce délit sont ainsi ceux qui fourniraient les marchandises légalement et ceux qui vivent avec les vendeurs à la sauvette. Sans doute cela procède-t-il d'une volonté du législateur de limiter cette profession aux seuls ermites.

On est tout de même frappé par la lourdeur des peines nouvellement possibles, pour des gens qui jusqu'ici n'étaient pas des délinquants et dont on pouvait même penser que leur activité était honnête. Ils deviennent passibles de peines équivalentes au vol ou à l'escroquerie. Comme l'opposition le signale, la notion de hiérarchie des peine semble singulièrement absente. On continue aussi dans cette même veine contre la liberté d'agir pour améliorer sa situation: le vendeur à la sauvette est un être très spécial qui vend des objets mais ne se fournit nulle part et ne vit avec personne.

Pas de revente de tickets sur le web

Emporté par son élan, le législateur continua son œuvre salvatrice contre cette lèpre des temps modernes. L'article 24 octies A combat donc la revente de tickets dans le Far West sur Internet. Plus exactement, il prévoit de mettre à l'amende (15000€ au maximum tout de même) ceux qui se livreraient ou aideraient à se livrer à ce commerce. La limitation à ceux qui s'y livreraient pour le profit ne limite rien: l'intermédiaire le fait forcément pour le profit, n'ayant pas un but philanthropique. Si l'acheteur met son billet aux enchères, il sera aussi condamné, les enchères pouvant l'amener à faire un profit, même s'il est fort possible qu'il enregistre une perte. On peut même dire que le vendeur voudra au moins réaliser un profit égal aux frais de transaction.

Une nouvelle fois, on est édifié par la justification: ces ventes favoriseraient l'irruption de hooligans et augmenteraient le nombre d'incidents autour des événements. Tout le monde sait bien que le hooliganisme est fréquent aux expositions de peintres impressionnistes ou aux concerts d'Aznavour. Plutôt donc que de se fatiguer à arrêter les amateurs de castagne, il vaut mieux s'en prendre à celui qui vend calmement son billet. Au moins ne risquera-t-on pas de prendre des coups mal placés. Que le vendeur ne soit en rien responsable des désordres, puisqu'il ne vient pas à l'événement, est secondaire: s'il fallait se limiter aux gens difficiles à attraper, on ne pourrait encombrer les tribunaux. On constate aussi l'à-propos du législateur qui s'attaque à des acteurs solvables, les plateformes d'enchères en ligne qui auront bien les moyens de payer, contrairement à l'émeutier moyen.

Cet article fleure bon les regrets des temps anciens où le vendeur de billets devait se déplacer le bon jour jusqu'au lieu du spectacle pour espérer ne pas perdre et son argent et l'occasion d'y assister. Confronté à cette injonction contradictoire de devoir à la fois aller au spectacle et ne pas y assister, l'amateur laissait totalement sa place aux professionnels. Le web permettait ainsi aux simples amateurs de parer aux accidents de la vie sans devoir faire acte de pénitence, il était urgent d'y mettre fin. Par delà même cette occasion perdue pour les amateurs, la revente de billets est utile à la société: la revente des billets participe de l'équilibre de l'offre et de la demande. Cet article est alors surtout un moyen de protéger les sociétés qui vendent des tickets ou les organisateurs de spectacles. Au lieu de s'investir dans la revente de tickets ou dans la vente aux enchères, ils continuent avec la technique habituelle d'avant internet. La veine est la même que ci-dessus: pas question au quidam d'améliorer sa situation avec les moyens du bords, protection des situations de ceux qui sont déjà installés.

À bas la liberté

Ces articles de la LOPPSI ont tous en commun de favoriser les pratiques installer et de vouloir empêcher des gens d'améliorer leur situation par eux-mêmes. Les activités réprimées relèvent au pire de la simple gêne, à tel point que les parlementaires les justifient par leurs conséquences indirectes, dont les auteurs des prétendues infractions ne sont même pas responsables. Pour un gouvernement arrivé sur des slogans favorables au travail ou à l'augmentation du pouvoir d'achat, cela est quelque peu contradictoire. Mais on peut difficilement penser que c'est nouveau, ce gouvernement n'a pas profité de l'occasion qui lui était donnée de simplement augmenter le nombre de licences de taxis.
Ces articles donnent aussi une idée du leitmotiv de cette loi: on tire d'abord, on discute ensuite. Le bâton est de sortie pour tout et surtout n'importe quoi. D'une certaine façon, si on ne sait pas ce que vous avez fait de mal, vous, vous le savez sans doute.

2 février 2011

Impotence

Ainsi, deux cohortes de la garde prétorienne compagnies républicaines de sécurité ont obtenu à la suite d'un mouvement de protestation de ne point être dissoutes. Des policiers ont donc contourné la loi qui les empêche de se mettre en grève en recourrant à des arrêts maladie et même en faisant la grève de la faim, de façon résolument post-moderne, puisque pour certains, il s'agissait de refuser leurs plateaux-repas pour les offrir à une association pour sans-abris. À la place de la suppression de 2 compagnies, on a appris qu'un effectif équivalent (280 CRS) quitteront cette force pour aller officier en commissariat. Ces suppressions étaient prévues dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, censée améliorer l'efficacité de l'action de l'état et, par là, en diminuer le coût.

Cette décision ne peut que rendre pessimiste sur les objectifs affichés de la RGPP. En effet, il est difficile de croire que les 2 solutions en concurrence aient été équivalentes du point de vue du compromis efficacité-coûts. Soit les compagnies de CRS comptent des effectifs surnuméraires, soit il y a trop de compagnies. Dans le premier cas, il y a des personnes sous-employées dans chaque compagnie, dans l'autre, des compagnies sont sous-employées. On ne se prononcera pas sur le point de savoir quelle hypothèse est la bonne. Il suffit de remarquer que l'état a été soit incapable de faire le bon choix avant que les premiers concernés n'eurent recours à des stratagèmes douteux, soit il a plié et a renoncé à la solution optimale. Il s'en est d'ailleurs suivi une logique réplique au sein de la gendarmerie mobile, dont les missions sont similaires, quoiqu'exercées sans doute de façon un peu différente. Cette dernière a vu la disparition de 8 escadrons en 2010 et de 7 en 2011, dissolutions annoncées parfois cavalièrement. Il semble donc que l'appréciation originelle du gouvernement est qu'il y a trop de brigades de maintien de l'ordre et pas assez de personnes dans les commissariats et que ce dernier a renoncé à supprimer des compagnies de CRS, ce qu'il faisait d'ailleurs parcimonieusement par rapport aux escadrons de gendarmerie mobile. La décision monte que, loin de privilégier les nécessité du service pour réduire les coûts et par là, faire que le citoyen-contribuable soit le mieux servi possible, il s'agit avant tout de réduire les coûts quelqu'en soient les conséquences.

La manière aussi de la contestation — et donc de la reculade — est révélatrice. Des gens dont on attendrait qu'ils soient loyaux et qu'ils ne se soustraient point à leur devoir ont choisi de contourner de façon évidente l'interdiction qui leur est faite de la grève. Cette interdiction se comprend aisément en ce que le maintien de l'ordre est un des premiers impératifs de l'état, pour assurer la sécurité des citoyens et plus généralement de tous ceux qui peuvent se trouver sur le territoire national. Ils ont de plus eu recours à des moyens extrêmes, quoiqu'en l'occurrence surtout mis en scène, comme la grève de la faim. Ils ont aussi utilisé des certificats médicaux de complaisance. Un tel comportement aurait dû conduire, non pas à renoncer à dissoudre des compagnies, mais plutôt à en dissoudre plus et à épargner les gendarmes mobiles qui, eux, se limitent aux formes acceptées de protestation des militaires, par les retraités et les conjoints. Le gouvernement récompense ainsi la déloyauté et punit la loyauté. Il est alors difficile de s'étonner des diverses résistances aux changements en France, puisque, finalement, les gens de bonne volonté se retrouvent forcément victimes de ces réformes, les fourbes et autres tricheurs pouvant espérer être bien traités et récompensés. Leur usage de certificats de complaisance montre aussi que les CRS ont fait un grand usage des petites et grandes déviances de la société française. Cette action est un exemple éclatant de la fameuse société de défiance. Comme nous le chante Polinesso dans Ariodante:

Voir que la duperie peut si bien réussir
m'incite à renier la vertu à jamais.
Quiconque n'aspire qu'à ce qui est licite
finit toujours ici-bas par s'en repentir

On ne peut toutefois s'empêcher de noter que par la succession des événements, le gouvernement réussit l'exploit de mécontenter ses propres électeurs tout en étant sûr de n'en rallier aucun. L'effet de ses mesures d'économies ont été exposés, thème éminemment favorable à l'opposition surtout au vu de la façon dont il a été géré: par le renoncement à l'efficacité. Le gouvernement a aussi cédé à des grévistes, et pas à n'importe quel syndicaliste de la CGT, mais à des policiers, ce qui a certainement été apprécié à sa juste valeur par les amateurs d'ordre. Il a traité des situations très similaires de façon visiblement injuste, ce qui a certainement plu au plus grand nombre. C'est donc certainement un grand chelem sur le baromètre de Que le meilleur perde!

12 décembre 2010

Benoît Hamon se laisse aller dans le Figaro

Benoît Hamon qui présidait aux travaux de la convention Égalité réelle du parti socialiste, donnait, à l'occasion de sa conclusion, une interview au Figaro. Il a sans doute vu là l'occasion de suivre les leçons du visionnaire Michel-Antoine Burnier et son excellent opuscule ''Que le meilleur perde'', dont on trouvera ailleurs un résumé.

Dans le désordre, Benoît Hamon nous gratifie des propos suivants:

Ses partisans revendiquent aussi le terme d'égalité réelle…

C'est vrai. DSK avait écrit un petit livre sur l'égalité réelle. Il n'est pas le premier. Un autre économiste en avait parlé avant lui, il s'appelle Karl Marx.

Belle tentative de s'attirer la sympathie du lecteur du Figaro. L'économiste néoclassique est sans nul doute une des autorités préférées de ces lecteurs, sans doute parce qu'il est, depuis plus de 150 ans, à l'origine de certains des plus grands succès de l'histoire. Benoît Hamon souhaite aussi certainement que l'aura du grand homme retombe aussi sur Dominique Strauss-Kahn, dont il est certainement idéologiquement proche.

L'absence de chiffrage a été critiquée…

Les socialistes ne proposent que ce qu'ils savent pouvoir financer. C'est la droite qui ruine la France. La préoccupation du chiffrage est légitime mais prématurée. Il faut mettre les choses dans le bon ordre. Nos propositions s'inscrivent dans une démocratie de long terme: il y a des mesures d'urgence et des mesures de court, moyen et long terme. Difficile d'additionner une dépense à dix ans et une dépense pour un an.

Benoît Hamon réussit un tour de force notable: il arrive à savoir comment financer ses promesses sans pour autant savoir combien elles coûtent. Ce faisant, il prend toutefois le risque de convaincre les électeurs amateurs de volontarisme. Au cas où ces électeurs potentiels liraient ces propos, il se dépêche de les faire fuir en leur faisant comprendre que si jamais il y avait une erreur d'appréciation financière, nombre de mesures seraient remises à dans dix ans, soit quand le prochain candidat socialiste, s'il l'emporte deux fois de suite, sera forcé de prendre sa retraite.

Votre objectif était-il de remettre le PS sur des rails de gauche?

J'ai lu quelques analyses d'intellectuels très critiques à l'égard de ce texte. Ils adressent régulièrement des injonctions pour que l'on abaisse le modèle social. Mais ils vivent dans un monde où le smic est à 10000 euros par mois! Alors le bon indicateur du fait que le PS est sur de bons rails, c'est que tous ces bavards fatigués n'aiment pas ce texte.

Face à une droite qui met en œuvre l'austérité, le projet du PS ne peut pas être de dire qu'avec la gauche, ce sera «l'austérité autrement». Si c'est cela le slogan de la présidentielle, le verdict est déjà connu. Cette ligne ne peut pas gagner.

Benoît Hamon sait qu'aujourd'hui les électeurs sont suspicieux et ne tombent pas dans le piège: ils savent que les hommes politiques font des déclarations exprès pour perdre les élections. Il a aussi constaté qu'il avait à faire à une forte concurrence en les personnes de Jean-Louis Borloo et Brice Hortefeux. Il décide de dire que lors de la prochaine campagne, pour gagner, il faudra mentir et ne pas se limiter pour de banales considérations d'intendance. En soi, ces tirades ne font guère fuir les électeurs comme l'ont montré les campagnes de 1995, 2002 ou 2007, même s'il est exceptionnel que ce soit dit aussi directement. Cependant, il bénéficie d'un atout de poids avec ses déclarations sur George Papandreou, le premier ministre grec. Un certain nombre de commentateurs avaient alors relevé que Papandreou s'était laissé aller à de dispendieuses promesses lors de la campagne, ce qui prend aussi tout son sel quand on regarde l'interview de son ministre des finances par Jean Quatremer. Il y déclare s'être douté que la situation des finances publiques grecques était grave.
Hamon est ainsi l'incarnation de celui qu'il critique, ce qui est un coup de maître pour qui compte perdre. Il restait alors un détail: Papandreou s'était attelé à la restauration de l'ordre ancien. Il était grand temps de faire appel à Marx pour éviter de convaincre les lecteurs du Figaro...

8 décembre 2010

Amateurs d'art surréaliste

Aujourd'hui, alors que la neige perturbe fortement la circulation en région parisienne, au point que des personnes sont bloquées à leur travail, Brice Hortefeux s'est fendu d'une déclaration:

"A ce stade, il n’y a pas de pagaille puisque le préfet de police est venu en quelques minutes", a assuré mercredi après-midi, Brice Hortefeux, lors d’une conférence de presse. "Ce qui pose problème, ce sont les routes lorsqu’elles sont inclinées. Les conditions météorologiques entraînent des complications, c’est le mot juste ‘complications’", a tenté d’argumenter le ministre de l’Intérieur alors que les transports sont paralysés par la neige en Ile-de-France. "Généralement, vous savez ce qu’il y a avec ‘pagaille’, c’est ‘pagaille indescriptible’. Vous voyez, précisément, là on décrit la réalité de la situation et ça démontre qu’il n’y a pas de pagaille", a conclu Brice Hortefeux.

Ainsi, on voit qu'il doit être souverainement difficile d'admettre la réalité provoquée par les aléas du climat, c'est-à-dire qu'effectivement, la neige provoque la pagaille à Paris lorsqu'elle tombe, ce qui n'est pas étonnant, vu que c'est un événement relativement rare. Cette rareté implique qu'il est impossible de justifier les investissements dans du matériel de déneigement supplémentaire.

On peine à comprendre les raisons de ce genre de déclarations autre que la présence d'un grand nombre d'amateurs du surréalisme se livrant à un concours de novlangue.

28 novembre 2010

In memoriam fonds de réserve des retraites

Institué par le gouvernement Jospin dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, le fonds de réserve a reçu pour mission de gérer un capital pour faire face au vieillissement de la population en comblant au moins partiellement les déficits du régime général postérieurs à l'année 2020. Toutefois, le gouvernement a décidé d'utiliser ce capital dès 2011 pour combler au moins en partie les déficits prévus jusqu'en 2018.

Vider le fonds ou quand nécessité fait loi

À l'occasion de la réforme des retraites, le gouvernement a annoncé qu'il utiliserait le capital accumulé dans le fonds de réserve pour combler les déficits qui vont s'accumuler d'ici à 2018 pour la CNAV, date à laquelle le système serait à l'équilibre. Afin de faciliter la vie de chacun, le gouvernement ne précise pas le montant annuel pris sur le capital accumulé sur son site dédié. Il a aussi jugé bon de s'abstenir de mettre ce montant dans le projet de loi sur les retraites, mais le donne dans la loi de financement de la sécu pour 2011 (LFSS) à l'article 9 dont la rédaction mérite un prix pour sa clarté. Cette manière de procéder, d'ailleurs identique pour toutes les mesures financières, a d'ailleurs attiré les réprimandes d'un dangereux révolutionnaire, le rapporteur sénatorial Dominique Leclerc. Le fonds devra ainsi verser 2.1G€ tous les ans à la CADES à partir de 2011 et jusqu'en 2024; il n'aura plus de recettes fiscales.

Comme un calcul le montre, cela nécessite de mobiliser environ 24.5G€ maintenant en obligations d'état français. Au 30 septembre dernier, la valeur du portefeuille du FRR valait 35.1G€ dont 3.5G€ au titre de la soulte des industries énergétiques et gazières. Cette dernière doit être versée à la CNAV en 2020, c'est une contrepartie du soutien du régime général au régime spécial d'EDF-GDF. En fait, seuls 31.6G€ sont mobilisables pour combler les trous futurs. Le fonds ne sera donc pas entièrement liquidé en 2024, il restera un capital d'entre 10 et 20G€ probablement. Ce capital résultera des 7.1G€ actuellement «libres» et sans doute d'une fraction du capital à verser aux échéances les plus lointaines qui permettent de prendre quelques risques.

Les sénateurs s'opposaient, le 18 mai 2010, dans un rapport à l'utilisation du FRR pour combler les déficits actuels en ces termes:

Le FRR est l'un des rares signes adressés aux jeunes générations pour leur montrer que les pouvoirs publics préparent l'avenir en prélevant dès à présent des ressources pour financer les retraites des cotisants d'aujourd'hui. L'utilisation de ses réserves ne pourrait que renforcer l'inquiétude et la méfiance des plus jeunes à l'égard du système de retraite par répartition.

C'était alors. Un peu plus tard:

Certes, la date d'entrée en jeu du FRR est anticipée de neuf ans, mais il n'en reste pas moins que sa finalité est préservée puisqu'il contribuera au financement du système de retraite entre 2011 et 2024 et cela à double titre : (...)

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission vous demande d'adopter les dispositions relatives à l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011.

Il faut dire qu'entre temps le gouvernement a fait connaître son projet et publié sa position:

Dans tous les pays où existent des fonds de réserve dédiés au financement des retraites, le principe est de constituer des réserves quand les régimes de retraite sont en excédent et de les utiliser en période de déficit. Le cas français constitue donc une anomalie : le FRR accumule des réserves alors que les régimes de retraite sont confrontés à des déficits importants depuis 2005 : 21,2 Md d'euros de déficit cumulé pour la CNAV entre 2005 et 2009 et 9,3 Md d'euros de déficit prévisionnel pour 2010.

La crise a encore accentué le caractère peu logique de cette situation en augmentant fortement le niveau des déficits. (...)

Le Gouvernement propose donc d’utiliser les ressources du fonds de réserve pour les retraites (FRR) pour financer l'intégralité des déficits du régime général et du FSV pendant la période de montée en charge de la réforme. Les régimes de retraite ont connu une accélération de 20 ans de leurs déficits : il est donc logique de mobiliser plus tôt que prévu le FRR dont le calendrier de décaissement devait débuter en 2020.

Au fameux article 9 de la LFSS pour 2011, le gouvernement prévoit que le montant des dettes que la CADES peut reprendre au titre des déficits des caisses de retraites est de 62G€. Cette somme correspond approximativement au cumul des déficits si on interpole linéairement les données du gouvernement. On s'aperçoit qu'il y a une certaine contradiction avec l'assertion selon laquelle l'intégralité des déficits du FSV et de la CNAV serait financée intégralement par l'utilisation du capital du FRR. Même si on considère que les recettes du FRR sont transférées à la CADES, les recettes pérennes du FRR ne sont que d'environ 1.5G€ par an. La CNAV prévoit aussi d'être en déficit de 4G€ en 2020 (2e §) et qu'il était de 4.6G€ en 2007.
Si ces remarques marginales ne font que peu tiquer les commissions parlementaires, habituées au pipeau gouvernemental, c'est qu'en fait ce qui leur importait, c'était que le FRR serve bien à éponger les déficits du système de retraite. En la matière, l'argumentation du gouvernement porte: il ne sert pas à grand'chose de garder une réserve alors que les déficits importants sont là. Nécessité fait loi.

L'abondement du fonds ou à la recherche de l'argent introuvable

À l'origine, le fonds de réserve devait constituer un capital de 1000 milliards de francs, soit environ 150G€, en 2020. Il s'agissait de francs constants, c'est-à-dire sans prendre en compte l'effet de l'inflation des 20 années postérieures à 2000. Si on prenait une hypothèse d'une inflation de 2% par an de 2000 à 2020 — hypothèse assez bien réalisée de 2000 à 2010 —, le montant réel à obtenir en 2020 aurait été de 225G€ environ. Dès cette époque, il paraissait toutefois peu probable que cet objectif soit réalisé, qu'on prenne en compte l'inflation ou pas, d'ailleurs. Cela dit, il est intéressant de comparer cet objectif à ce qui a finalement été obtenu.

Pour obtenir une somme donnée au bout de 20 ans, il faut commencer par trouver de l'argent pour alimenter le fonds. Vu que l'argent prélevé va être placé, on espère évidemment que les rendements seront positifs et par voie de conséquence qu'il faut prélever moins que la somme finale. Cela dit, des estimations réalistes de prélèvements et de rendement montrent qu'il faut au moins que les sommes prélevées soient égales à la moitié du capital final. En effet:

  • Si on prélève la somme d'un seul coup, obtenir un capital final double au bout de 20 ans implique un rendement de 3.5% par an. Si le rendement paraît relativement réaliste, prélever la moitié de la somme d'un coup l'est nettement moins: les 150G€ représentaient et représentent toujours plusieurs points de PIB. La moitié de cette somme (75G€) est toujours un montant considérable (environ 4% du PIB de 2009) et ce d'autant plus que, si les placements effectués se révèlent mauvais, rien ne peut rattraper cela que des rendements supérieurs les années suivantes.
  • Si on prélève une somme constante jusqu'à l'échéance et que les rendements sont constants, la somme des prélèvements n'est égale à la moitié du capital final que si le rendement est de l'ordre de 7% par an. Si ce rendement est le rendement nominal, cela est presqu'envisageable; s'il s'agit du rendement réel (le rendement nominal duquel on retire l'inflation), cela relève plus du rêve qu'autre chose.

On peut retrouver les calculs sur cette feuille Google.

De fait, on peut se dire que prélever progressivement 80G€ est véritablement un minimum. On peut donc se baser sur un objectif de 4G€ par an. Les rapports parlementaires préparatoires aux lois de finances permettent de retracer l'historique de ces abondements. Cela donne le graphe suivant: abondements frr_2.jpg On remarque immédiatement que les versements n'ont été supérieurs aux 4G€ nécessaires qu'une seule année, en 2002. Ils ne s'en sont rapprochés que 3 fois, entre 2001 et 2003. On est donc très loin des objectifs annoncés à l'origine. Les déficits généralisés dans tous les secteurs de dépense publique, que ce soit le budget général ou l'assurance maladie n'ont à l'évidence pas permis de dégager des financements. L'alimentation du fonds n'est en quelque sorte que la conséquence de l'absence de préparation ou de l'incapacité à se préparer aux problèmes parfaitement prévisibles de déficit des caisses de retraite.
De fait on retrouve ces difficultés dans le type de sommes allouées au FRR. Le fonds a été alimentés par 3 types de sources:

  1. Un part du prélèvement social de 2% sur les revenus du patrimoine. Cette part est fixée à 65% depuis 2003: le FRR a perçu 1.3% de ces revenus ces 7 dernières années. C'est pratiquement la seule ressource de 2004 à 2009.
  2. Les excédents de la CNAV et du FSV. Ce sont respectivement la retraite générale des salariés et le fonds ad hoc qui cotise par exemple à la place des chômeurs pour qu'ils continuent d'accumuler des droits.
  3. Des recettes de privatisation, sous une forme ou une autre. Cela recouvre les privatisations proprement dites ainsi que les ventes de parts de Caisses d'Épargne ou de licences UMTS.

La répartition est donnée ci-dessous. Compo FRR_2.jpg La part du prélèvement de 2% est prépondérante, les excédents ne représentent qu'un peu plus de 20% des versements. Depuis 2006, la CNAV est d'ailleurs en déficit. Cela veut dire que 80% des prélèvements n'ont que peu à voir avec le problème des retraites. On a finalement pris de l'argent là où on en trouvait, c'est-à-dire ailleurs que dans les caisses de retraite.
Cela pose un problème de principe. En effet, un tel fonds se conçoit surtout comme un lissage des conditions dans lesquelles sont accordées les retraites. Sa présence permet d'adoucir la hausse des prélèvements ou la période de transition vers des conditions plus dures. Il doit s'agir de constituer, comme son nom l'indique, une réserve à partir des cotisations présentes de façon à ce que les cotisants préparent leur retraite sans grever outre mesure les revenus de ceux qui resteront au travail après leur départ à la retraite. Cela doit normalement être possible lorsqu'une classe pleine cotise, son nombre devant permettre des excédents. Le raisonnement est un peu le même pour les générations dont l'espérance de vie croît. Si on se situe dans une logique de salaire différé, les fonds doivent provenir au moins majoritairement des cotisations des salariés. On vient de voir que ce n'est pas le cas. Même s'il est marginal par rapport aux sommes allouées aux retraites dans leur ensemble (d'ores et déjà plus de 10% du PIB par an), l'alimentation du fonds de réserve est symptomatique de la façon dont est géré le système de retraite: comme le reste du budget de l'état. On n'accorde finalement des droits que pour se trouver une justification des prélèvements, ces prélèvements servant à honorer une dette que l'état s'est constitué ... en s'engageant à verser des retraites. La constitution de cette dette n'obéit pas de façon logique à des règles définies auparavant: ainsi l'état a pu faire assumer au régime général les retraites de divers régimes spéciaux, évidemment plus généreux dans l'ensemble. Il faut trouver de l'argent pour honorer ces dettes, la provenance importe en fait peu.
Un autre point à souligner est qu'à partir du moment où les caisses de retraites sont en déficit, l'accumulation dans le fonds ne présente un véritable intérêt que si son rendement est supérieur à celui des obligations finançant le déficit.

L'état, un bon investisseur?

Il est toujours intéressant de savoir ce qui est fait de l'argent public: il a été prélevé à des personnes qui aurait pu en faire un autre usage, souvent à leurs yeux plus utile. Dans le cas présent, il s'est agi d'épargner de l'argent pour pouvoir lisser du mieux possible la transition démographique en cours, le vieillissement de la population. Il y a deux critères de jugement. Le premier est de savoir si, en partant d'une stratégie donnée le fonds a fait mieux ou moins bien que ce qu'un investissement indiciel aurait donné. Le deuxième est de savoir si l'arbitrage entre emprunter moins pour l'état et alimenter le fonds de réserve a été favorable ou pas. Étant donné que la période 1999-2010 a été marquée par deux fortes baisses des marchés actions, la réponse est avant tout calcul sans doute défavorable.

Pour effectuer une comparaison, les «placements» concurrents sont les suivants:

  • L'inflation, pour comparer la performance du fonds à l'érosion monétaire. Si le fonds contient plus que ce que donne l'inflation, sa valeur réelle a augmenté. Les données ont été récupérées sur le site de l'INSEE, l'évolution retenue est de mois d'octobre en mois d'octobre.
  • L'EONIA, le rendement du taux au jour le jour. Il est approximé par un rendement moyen mensuel. Les données ont été trouvées sur le site de la BCE.
  • Le taux des obligations d'état français à échéance longue. Ce placement fait sens pour le FRR, étant donné qu'il devait parvenir à échéance en 2020. Pour évaluer la performance, le taux long a été approximé par le taux à 10 ans. Le placement est basé sur des obligations 0 coupon d'échéance 2020 pour se faciliter le calcul. Les données de taux ont été trouvées sur le site de l'INSEE.
  • L'évolution des marchés boursiers. 2 indices ont été utilisés: le CAC40, indice vedette de la place de Paris, et le Stoxx 600, indice large de la zone euro. Les sociétés éditant ces indices ont la bonne idée de publier des indices de retour net à l'investisseur, ce qui facilite les calculs. On s'aperçoit que les performances sont quasiment équivalentes.
  • Un mixte de 50% d'obligations à échéance longue et de 50% d'actions. La répartition moitié-moitié est réajustée en début d'année. Cette stratégie est grosso modo celle adoptée par le FRR.

La valeur du fonds retenue est celle au 30 septembre dernier, la dernière valeur connue hors soulte EDF, de 31.6G€. On peut recréer le graphe ci-dessous grâce à cette feuille. Perfs FRR_2.jpg On s'aperçoit que le fonds a fait à peine mieux que l'inflation, un peu moins bien que l'EONIA et les marchés d'actions (bien que cela puisse être dû aux différentes dates de fin de relevé) et nettement moins bien que la stratégie panachant actions et obligations. Les obligations à long terme ont été le meilleur placement sur la période du fait du rendement supérieur aux placements à court terme et à la baisse des taux d'intérêt. Seuls des placements sur des marchés émergents hors d'Europe auraient pu dépasser ces rendements. Il reste que le fonds a représenté un coût net pour les finances publiques puisqu'il a rapporté moins que d'éviter une dette équivalente.
Le rendement constant menant à la même valorisation du fonds est d'environ 1.8% par an.
On ne peut que conclure que la performance financière du fonds a été peu convaincante. L'état semble être donc un piètre investisseur.

Quelques conclusions

Le fonds de réserve partait d'une analyse juste de la situation démographique. Son but de lissage était et est toujours louable, mais sa gestion rend peu optimiste pour ce genre d'institutions, en tous cas dans la situation politique actuelle en France.
Les objectifs de versement ont été assez largement ignorés. C'est dû à la gestion plus générale des finances publiques françaises, toujours en déficit, souvent important, sur la période d'approvisionnement du fonds. Il faut aussi remarquer que la caisse du régime général n'a pas eu les excédents escomptés, mais c'est grandement lié aux prévisions trop optimistes du gouvernement au moment de la réforme de 2003. Ce biais optimiste se retrouve un peu partout dans la gestion des comptes publics en France. Par exemple, aucun des programmes budgétaires prévisionnels envoyés à la Commission Européenne n'a été respecté, souvent du fait de prévisions de croissance extrêmement optimistes.

Le fonds a été victime des 2 crises boursières de la période. Sa performance aurait donc été médiocre de toutes façons, inférieure au coût correspondant de la dette. Mais sa performance est éloignée de la performance d'une gestion de type indicielle constituée à moitié d'obligations et à moitié d'actions, ce qui est anormal.

Ce type de fonds a aussi vocation à être utilisé juste après une crise. En effet, il est conçu pour absorber les déficits des caisses de retraites. Plus on s'approche de la date prévue d'utilisation, moins il y a de chances que les caisses soient en excédent. Comme leurs recettes dépendent de l'activité économique, le premier moment où on va utiliser le fonds est sans doute juste après que les recettes aient subi l'effet d'une récession ou simplement d'un ralentissement économique. Or ces périodes sont les plus défavorables aux marchés d'action, ce qui fait que le fonds risque de perdre de sa valeur juste avant qu'on s'en serve. Dans le cas présent, l'anticipation de l'usage est très importante du fait de la magnitude historique de la crise, mais aussi des prévisions gonflées des gouvernements successifs. La perte de valeur en 2008 a été très forte et, évidemment, impossible à compenser depuis.

14 octobre 2010

Le mensonge de Martine Aubry sur l'âge de départ à la retraite

Ce soir dans l'émission À vous de juger de France 2, vers 21 heures, Martine Aubry a répondu à Nicolas Beytout qui l'interrogeait qu'il était faux que le deuxième rapport du COR de 2010 affirmait que 63% des français émargeant au régime général des retraites liquidaient leur retraite à l'âge de 60 ans et avant. Elle ajoutait que c'était là reprendre à l'identique les positions du gouvernement et que l'âge moyen de départ était en fait bien plus élevé (61.6 ans), ceci dans le but de discréditer le plan du gouvernement visant à ce qu'on ne puisse plus, selon la règle générale, liquider ses droits avant 62 ans. Malheureusement pour elle, on peut lire page 27 dudit rapport:

Au régime général, l’âge effectif moyen de départ à la retraite augmenterait de 61,8 ans en 2009 à 62,5 ans en 2050 pour les femmes et de 61,4 ans en 2009 à 63,1 ans en 2050 pour les hommes. Tous sexes confondus, il augmenterait ainsi de 61,6 ans en 2009 à 62,8 ans en 2050. Ces âges moyens masquent l’existence d’une assez grande dispersion des âges effectifs de départ, avec une concentration des départs autour des âges légaux de 60 et 65 ans : ainsi, en 2009, 63% des départs se font à l’âge de 60 ans (ou avant) et 17% à 65 ans; en 2050, ces proportions seraient dans les projections respectivement de 38 % et 36 %.

Si, en effet, l'âge moyen de départ à la retraite est bien supérieur à 60 ans, c'est une réalité que de signaler que presque les deux tiers des salariés du privé liquident leur retraite à l'âge légal ou avant. Comme il est difficile de croire que Martine Aubry, titulaire d'une licence de sciences économiques, puisse ignorer la différence entre une moyenne et une médiane, il ne reste plus que le mensonge éhonté. Et comme elle précise au même moment que l'âge de cessation d'activité est de moins de 60 ans (59.1 ans), son objectif est clair: faire comprendre que le problème, c'est le chômage des vieux et non l'âge de butée de 60 ans puisque le départ a lieu en moyenne plus tard. Mais si on regarde de l'autre façon, il s'agit d'une arnaque intellectuelle. Presque les deux tiers des salariés du privés partent en retraite à l'âge de référence ou avant, qui agit comme une sorte d'horizon fini. À ce moment-là, le fait qu'on puisse être indemnisé par l'assurance chômage permet de trouver un accord avec son employeur pour un départ anticipé ou, tout simplement, d'arriver jusqu'à la retraite sans trop se poser de question puisqu'il y a objectivement peu de chances qu'un employeur embauche quelqu'un qui s'en ira bientôt et dont les prétentions salariales sont supérieures aux plus jeunes. Si le deuxième comportement est celui qu'on attend de l'assurance chômage, le premier est un comportement de passager clandestin, malheureusement inévitable.

Reste qu'il est toujours affligeant de constater que des responsables politiques, même avec une réputation de sérieux et de compétence, se vautrent dans le maquillage de la réalité voire le mensonge pur et simple pour faire passer leurs idées et s'abstenir d'expliquer la réalité telle qu'elle est.

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